344 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 avril 1791. J du rapport d’Avignon à la séance de jeudi matin.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité central de liquidation sur l’autorité des arrêts du conseil en matière de liquidation de créances et d’indemnités jugées à la charge de l'Etat (1). M. Camus. Messieurs, les observations que je vais avoir l’honneur de vous soumettre sont de la (dus grande importance. Tout le monde est d’accord qu’un arrêt du conseil n’est pas aux yeux de l’Assemblée nationale une autorité irréfragable; qu’elle ne doit pas ordonner le payement d’objets ainsi liquidés sans aucun examen. Toute la question est de savoir quelle sera la nature de cet examen. Une partie des membres du comité de liquidation pense que ces arrêis ne sont attaquables que par les moyens de droit; les autres croient qu’à partir de l’époque de votre décret du 11 janvier 1790, les arrêts du conseil portant liquidation doivent tous être revus, et qu’ils sont tous réformables par vous sur la proposition du comité. Je crois que ce moyen n’est pas nécessaire, et qu’il faut se contenter des voies de droit, qui portent non seulement sur la violation des formes, mais sur la violation des principes de finances, des anciennes lois du royaume. .Nous vous proposerons, par exemple, incessamment de charger l’agent du Trésor public de poursuivre la cassation d’un arrêt rendu contradictoirement et dans les formes usitées, mais attaquable en ce qu’il n’est fondé sur aucune base solide, en ce qu’il n’a pour objet qu’un mandat vaguement allégué, et dont il n’existe aucune trace. Nous ne pouvons vous proposer d’ordonner le payement de ces liquidations; car les principes de droit naturel, les principes constamment suivis dans l’ancien régime, sont qu’on ne peut payer sans connaître la qualité du demandeur. Dans l’affaire dont je viens de parler, les demandeurs conviennent qu'ils n’ont pas de titres; ils ne présentent qu’un arrêt où se trouvent ces mots : On se rappelle qu’il y a eu une commission , eic. Quoique cet arrêt ait été rendu contradictoirement, il y a des voies de droit pour en poursuivre la cassation ; car jamais les principes n’ont été qu’on liquidât une créance, n’ayant pour base qu’un maimat verbal. Les tribunaux reverront donc cette liquidation. C’est ainsi qu’on peut faire reviser tous les arrêts qui ne seraient pas fondés sur des bases solides. Mais à quoi servirait de faire reviser généralement tous les arrêts; comme s’ils étaient tous nécessairement mauvais? Les tribunaux ordinaires ne pouvant connaître que des poursuites intentées par les voies de droit, vous vous investiriez donc du pouvoir judiciaire. En regardant tous ces arrêts du conseil légalement rendus, pour ainsi dire, comme non avenus, n’autoriseriez-vous pas toutes les parties qui, par ces arrêts, ont succombé dans leurs prétentions à exercer contre la nation les mêmes poursuites que vous exerceriez en vertu de votre souveraineté confie les particuliers légalement liquidés? L.rsqu’en janvier 1790 vous avez décrété que le conseil du roi cuntinuerait de liquider, sauf à l’Assemblée à prononcer sur les méprises que ces arrêts pourraient contenir, vous êtes-vo;,s réservé autre chose que de rectifier les erreurs, que de les attaquer par les moyens de droit dans le cas où les lois du royaume, où les lois du calcul auraient été violées”? A quoi eût servi de dire aux parties : Vous allez être liquidées au conseil, nous reverrons votre liquidation ; mais qu’elle soit attaquable eu non, nous liquiderons de nouveau? N’eùt-ce nas été anéantir de fait l’autorité du conseil, lorsque, par le même décret, vous la mainteniez provisoirement? S’il fallait revoir tous les arrêts du conseil, jusqu'à quelle époque remonterait-on ? Les arrêts rendus depuis le 9 janvier 1790 sont-ils donc plus mauvais que les anciens ? Prendrait-on le terme ordinaire de la prescription ? Mais l’on pourrait dire aussi qu’on ne prescrit point contre la nation. Vous voyez quel embarras, quel arbitraire effrayant ce serait introduire, que de ne pas se borner à la seule chose qui soit juste envers les créanciers. Je veux dire, à faire poursuivre ceux-là seulement des arrêts qui seront attaquables par les voies de droit. Ne pas suivre ce moyen, ce serait transformer l’Assemblée nationale en chambre ardente. Je ne parle pas des arrêts qui n’ont pas été rendus contradictoirement; il est évident qu’ils sont nécessairement susceptibles de révision ; mais, quant aux autres, je demande qu’au lieu d’adopter le projet de décret de votre comité, vous rendiez le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que quand il sera présenté au comité central de liquidation des arrêls rendus contradictoirement au conseil, portant liquidation de créances, indemnités et demandes, le comité examinera d’abord si les-dns arrêts sont susceptibles ou non d’être attaqués par les voies de droit. Dans le cas où le comité estimerait qu’ils sont attaquables par les-diles voies de droit, il proposera à l’Assemblée de décréter que lesdits arrêts seront remis à l’agent du Trésor public, pour se pourvoir ainsi et conire qui il appartiendra : dans le cas, au contraire, où le comité n’apercevrait aucune voie de droit pour se pourvoir contre les arrêts qui lui seront présentés, il proposera à l’Assemblée de prononcer, par un décret, le payement des sommes portées auxdits arrêts. » M. de Folleville. Je demande au préopinant quelles précautions il va prendre, s’il use de la méthode qu’il indique, pour les payements déjà faits et principalement pour l’affaire de MM. Al-laire et Lorrais ; car c’est payé. M. Camus. Non, Monsieur, cela n’est pas payé. (L’Assemblée, consultée, accorde la priorité au projet de décret de M. Camus, qui est ensuite mis aux voix et adopté.) M. Cavie, secrétaire , fait lecture d’une lettre de Mmo La Peyrouse à M. le Président , qui est ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Voulez-vous bien être l’organe de mes sentiments auprès de l’Assemblée nationale sur le décret qui me concerne et qu’elle a rendu dans la séance du 22 de ce mois; je ne saurais vous exprimer combien j’ai été sensible à ce qu’il contient d’obligeant pour mon époux, et surtout à la manière noble et touchante dont il a été accueilli. « J’aime à me flatter que tout espoir ne m’est pas ravi; mon esprit est toujours dirigé sur Parti) Yov. ci-dessus, séance du 25 avril 1791, page 328, 126 avril 1791. j 345 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.) raement des deux bâtiments qui doivent aller à la recherche de M. de La Peyrouse. Mon cœur va les suivre sur l’immensité des mers qu’ils vont parcourir. Il n’est aucun point sur le globe qui échappe à mes combinaisons et à mes espérances. Mais, si un jour j’ai le malheur d’en être tout à fait déchue, je mettrai avec confiance mon sort futur dans les mains des pères de la patrie, qui ont daigné s’occuper, avec une aussi tendre sollicitude, de mon sort actuel. « Je suis avec respect , votre très humble, « Signé: : Broudon de La Pérouse. « Ghamprosay, près Paris, ce 25 avril 1791. » M. Rabaud-Saint-Etienne. Le rapport (1) qui était à l’ordre du jour n’a pu être fait; la matière des finances se présente nécessairement à l’ordre du jour, et parce que vous n’avez pas u’oPjets constitutionnels à traiter en ce moment, et parce qu’elle offre un objet infiniment important à votre discussion. Vous avez décrété une émission déterminée de petite monnaie, émission évidemment insuffisante dans mon opinion. Il devient donc très instant de prendre des moyens pour suppléer soit à la disette du numéraire, soit à l’insuffisance de la petite monnaie. Je demande la parole sur cet objet. Un grand nombre de membres : Parlez ! parlez ! M. Rabaud-Saint-Etienne. Messieurs, une plainte générale se fait entendre sur la rareté du numéraire, sur son prix excessif, sur l’insuffisance des assignats, sur l’embarras des citoyens qui ne peuvent ni vendre ni acheter, faute de signes dont la circulation animée mette en activité le commerce réciproque des besoins. Le mal s’accroît à chaque instaut et, depuis quelques jours, ce n’est plus l’argent seulement que l'on achète, c’est la petite mounaie même que l’on est forcé d’acheter. Le patriotisme étonnant d’une foule de bons citoyens les porte, je l’avoue, à d’incroyables sacrifices et i’échange de leur fortune contre la liberté ne leur permet pas de se refuser à leur ruine ; mais cette ruine n’est pas nécessaire, et ce serait entendre mal la Révolution et la Constitution que de faire acheter par la misère un bienfait qui doit produire l’industrie, l’aisance, l’activité et tout ce qui peut faire fleurir un Empire. S’ils ne calculent pas leurs sacrifices, nous devons calculer pour eux, et l’on ne peut qu’être eft’rayéde l’amaigrissement où va tomber le corps politique, si nous n’y prenons garde. Due peuvent devenir des manufacturiers, des artisans, des entrepreneurs de toute espèce, quand ils sont obligés d’acheter l’argent à 6 et 7 0/0, et de répéter ce sacrifice au moins une fois par semaine? Il faut absolument qu’ils suspendent leurs travaux. Les manufactures doivent tomber ; les artisans, les ouvriers sans travail seront, par conséquent, sans pain ; les travaux de lacampagne resteront suspendus ; la balance du commerce nous sera toujuurs plus défavorable et notre numéraire continuant à s’écouler par ce vaste épan-choir, nous nous trouverons dans la misère. Inquiets alors, nous nous agiterons pour créer d: s ressources forcées, mais il ne sera plus temps et le corps séchera faute du sang qui ne circulera plus dans ses veines. ( Murmures à gauche.) Ce qu’il y a de remarquable en tout ceci, c’est que la fortune, qui n’a cessé de nous protéger, nous tend les mains encore pour nous sauver du péril. Partout le commerce se ranime, les villes de fabrication reçoivent des demandes de partout, l’ouvrage abonde et ce sont les ouvriers ui sont rares. Mais le fabricant paralysé, faute e petit numéraire, ou se croyant obligé de l’acheter fort cher, courant après les assignats de 50 livres qu’encore il est obligé d’acheter, perd le bénéfice qu’il a droit d’attendre de son industrie; en sorte que l’avantage de la concurrence reste toujours aux étrangers et que nous sommes toujours plus lents à reprendre notre avantage naturel dans la balance du commerce. Il est temps, Messieurs, de remédier à ce mal. Différer, c’est vouloir périr de gaieté de cœur et par pure inconsidération. Ce remède, c'est d’abord la petite monnaie que vous avez décrétée en trou petite quantité à mon avis et que pourtant nous n’avons pas encore. Un autre remède que tout le monde vous demande, ce sont de petits assignats. ( Murmures et applaudissements.) Je vous demande toute votre attention. Dès le commencement, ils vous furent demandés; et ce que tou-les citoyens désiraient, ce que le peuple souhaitait, ce n’étaient pas des assignats inutiles, mais des assignats dont il pût se servit ; ce n’étaient pas des masses de 2,000, de 1,000, de 500 livres qu’il n’a jamais possédées et qu’il ne voit jamais ; mais un numéraire qui remplaçât les écus, qui concourût autant qu’il serait possible avec eux et dont ils pussent être payés et se servir pour payer. Je ne fais pas le calcul effrayant de tout ce que le peuple a perdu par l’émission des forts assignats, de tout ce qu’il aurait gagné par l’émission des petits ; je n’ai pas besoin d’émouvoir votre sensibilité, et l’aspect du présent et le calcul de l’avenir inspirent assez d’effroi pour éveiller votre sollicitude. D’ailleurs, je n’ai point oublié tout ce que souffrit d’oppositions, tout ce qu’inspira de terreur la doctrine des assignats. D’abord, on n’y vit qu’un papier-monnaie, des billets de Law, de la charlatanerie , une banqueroute. Il fallut vaincre ce premier préjugé. Ensuile, on s’effraya sur la quantité ; il fallut transiger avec ce nouveau préjugé et se borner à une émission modérée; enfin l’on se récria sur la quantité de numéraire qui, disait-on, allait surpasser nos besoins; on s’alarma sur ce que les assignats feraient disparaître les écus, et ces deux préjugés subsistent encore (Murmures)... M. Féraud. Cet objet n’est pas à l’ordre du jour; l’Assemblée ne doit pas s’eu occuper. M. Raband-Saint-Etienne. L