22 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE cachoit un conspirateur profond : audacieux dans son plan, il s’éleva à cette hauteur que peut atteindre l’enthousiasme d’un grand peuple qui s’élance en masse dans les bras de la liberté : identifiant avec astuce son nom avec le triomphe des principes populaires, il connut tout le pouvoir magique de son influence ; il voulut en profiter ; dès lors commença la dictature, dès lors la société des Jacobins devint le sénat passif du moderne César. Un nouveau despotisme s’organisant, la terreur fut réduite en système : des hommes qui désespéroient de l’estime publique, se déclarèrent les apôtres de l’anthropophagie, et la prêchèrent au milieu des fleuves de sang dont ils inondèrent la République sur tous ses points. Le tyran alimentoit leur génie sanguinaire par des éloges pompeux dont il les rassasioit, et par l’importance dont il savoit adroitement leurrer leur ambition. Le prestige s’évanouit, le tyran est assailli au milieu du sénat, son despotisme est dévoilé, il est proclamé ennemi de la patrie. Ces hommes qui, le 8 thermidor, lui avoient juré fidélité avec un enthousiasme frénétique, le 9 s’étoient unis à une municipalité rebelle, s’armant contre la loi qui condamnoit le dictateur; le 10 se disoient régénérés parce qu’ils anathématisoient le tyran, que l’on conduisoit à l’échafaud; ces hommes, répétons-le, conservent encore au milieu d’eux le germe de la tyrannie ; plusieurs d’entr’eux complices ou agens de tous les assassinats qui, depuis six mois, tiennent la France plongée dans le deuil, croient que l’arme de la terreur n’est pas encore usée, et qu’ils peuvent la retirer du fourreau. Représentans, ne laissez pas faner la couronne civique que vous avez méritée en terrassant le despotisme ; maintenez le gouvernement révolutionnaire, continuez votre glorieuse carrière : dans votre sein, le patriote trouve une parfaite sécurité, et l’erreur passagère, l’indulgence. [Représentants, maintenez le gouvernement révolutionnaire ; vous avez remis à flot le vaisseau de la liberté, vous méritez de le conduire jusqu’au port; marquez du sceau d’une réprobation civique ces hommes qui ne savent exister que dans les crises convulsives, et qui comme les serpents ne peuvent vivre qu’en s’alimentant de leur propre venin. Apprenez à ces esprits forts autant qu’intolérants que l’on ne fait pas des philosophes à la journée, et que la philosophie ne se prêche pas à coup de cimeterre. Le mépris public, qui a poursuivi les prêtres jusque sur ces tréteaux où ils ont avoué leur imposture avec autant d’audace qu’ils prêchaient le mensonge, a plus arraché de victimes au fanatisme que la terreur de l’échafaud dont on effarouchait les âmes faibles.] (69) Réponse du Président : Citoyens, c’est en vain que la malveillance s’agite pour égarer le peuple. Ne craignez rien pour la liberté et l’égalité, elles sont impérissables. Défiez-vous de (69) Moniteur, XXII, 61. ceux qui sèment la division et ne parlent que de terreur, et ne craignez pas que la Convention laisse jamais élever à côté d’elle une autorité usurpée qui voudroit la rivaliser; elle ne souffrira pas plus cette rivalité monstrueuse, qu’elle ne souffriroit qu’on voulut détruire les sociétés populaires, qui ont courageusement défendu les droits du peuple. La Convention frappera tous les ennemis de la patrie, et tous ceux qui n’ont voulu la Révolution que pour eux ; elle soutiendra avec énergie les principes de justice qui l’animent; elle atteindra les coupables en quelque lieu qu’ils se cachent : le crime n’a pas d’asyle, tandis que celui de la vertu est sacré. Reposez-vous sur les mesures que prendra la Convention, et travaillez avec elle à propager les sentimens de liberté, d’égalité et de justice (70). b Une députation des citoyens de la commune de Compiègne [Oise] témoigne à la Convention nationale leur étonnement de s’être vus calomniés dans une adresse que lui ont présentée des soi-disant patriotes et fondateurs de la société populaire de Compiègne; ils jurent d’être inviolable-ment attachés au gouvernement révolutionnaire, de ne reconnoître d’autre autorité que la Convention, et de verser leur sang pour la défendre. Suivent cinq pages de signatures. Mention honorable, insertion de l’adresse en entier au bulletin (71). [Les citoyens de la commune de Compiègne légalement assemblés à la Convention nationale, le 1er vendémiaire an HT] (72) Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort Citoyens Représentants, Ce n’a pas été sans étonnement que nous nous sommes vus calomniés dans une adresse que vous ont présentée des soi-disant patriotes et fondateurs de la société populaire de Compiègne. Justement indignés, nous devons vous faire notre profession de foi; nous n’avons jamais cessé d’être de véritables patriotes et Républicains, notre esprit révolutionnaire n’a jamais changé ; le modérantisme et l’aristocratie n’ont pas ici levé une tête audacieuse; nous n’avons jamais entravé les mesures salutaires du gouvernement : nous respectons les lois, nous les exécutons, car nous savons que de leur exécution dépend notre bonheur; notre union et (70) Bull., 5 vend, (suppl.); Moniteur, XXII, 61; Ann. R. F., n” 3 ; F. de la Républ., n“ 4; Mess. Soir, n° 767; Gazette Fr., n 997; J. Fr., n 729; J. Paris, n° 4; M. U., XLIV, 42; Rép., n° 4. (71) P. V., XLVI, 59. Bull., 6 vend. (72) C 321, pl. 1344, p. 6. SÉANCE DU 3 VENDÉMIAIRE AN III (24 SEPTEMBRE 1794) - N° 46 23 notre tranquilité vous en sont de sûrs garans; il nous suffit pour nous justifier de la présence d’un Représentant ; nous jurons d’être inviola-blement attachés au gouvernement révolutionnaire, de ne reconnoitre d’autre autorité que la Convention; elle sera toujours notre point de raliement, et nous sommes tous prêts de verser notre sang pour la déffendre. Haine aux traitres et aux tyrans ; vive la République. Vive la Convention. Suivent 5 pages de signatures. [Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune de Compiègne, le 5e sans-culottide an II)] Le conseil délibère sur une pétition présentée ce même jour, signée par plus de 150 citoyens et conçue en ces termes : « Aux citoyens officiers municipaux de la commune de Compiègne, Citoyens, Ce n’est pas avec indifférence que les citoyens de cette commune ont appris les adresses que les soi-disant patriotes opprimés et fondateurs de la société populaire de cette commune ont fait à la Convention nationale et aux Jacobins de Paris. Ces adresses entâchent trop les citoyens de cette commune pour qu’ils ne se réunissent pas pour y répondre et détromper la Convention nationale et les Jacobins sur les défaveurs qu’elles peuvent avoir jetté sur tous les citoyens de cette commune. Aux tenues de la loi, plus de 150 citoyens de cette commune se sont réunis, comme vous le verrez par le nombre des signatures, pour vous demander, citoyens, que tous les citoyens de cette commune soient assemblés aujourdhuy 5ème jour des sans-culottides, dans le temple, que rédaction et lecture de deux adresses énergiques, l’une à la Convention nationale et l’autre aux Jacobins soient faites et proposées à la signature de tous les citoyens : nous vous en donnerons copie, et vous verrez que les motifs de ces adresses sont pour déjouer les intrigans ; et nous espérons que vous vous empresserez d’accéder à une demande juste, qui vous est légalement faite.» Suivent les signatures. Le Président fait dabord lecture de cette pétition. Il est également fait lecture de la loi de décembre 1789 (v. s.) sur la constitution des municipalités, invoquée par les pétitionnaires, ainsi que celle du 14 frimaire dernier, qui établit le gouvernement révolutionnaire. Ensuite, sur la proposition du Président convertie en motion par un membre, il est arrêté qu’il sera fait un appel nominal de tous les membres présens à cette séance, pour leurs noms être inscrits dans le procès verbal. L’appel nominal a lieu et prouve que l’assemblée est composée des c. Scellier, maire, Le Vacher, Courtois, Boissel, Desmarest, Prevert, Gam-bart, Broetchel, Giraud, Rey et Rudet, Guyot, Poulain, Cardon, Mottel, Demcacen, Hermel. Après une mûre discussion, le conseil considérant qu’aucun terme de ladite loi du mois de décembre 1789, loi qui à la connoissance n’est abrogée par aucune loi postérieure, qui semble même confirmée par l’art. 3e de la nouvelle déclaration des droits de l’homme baze de la constitution républicaine « les citoyens actifs ont le droit de se réünir paisiblement et sans armes en assemblées particulières pour rédiger des adresses et pétitions, soit au corps municipal, soit aux administrations de département ou de district, soit au corps législatif». Considérant encore, que la loi sur le gouvernement révolutionnaire ne renferme aucune disposition qui à cet égard contrarie la loi précitée, arrête, le substitut de l’agent national entendu, que les citoyens pourront, selon leur vœu exprimé dans la pétition, se rendre paisiblement et sans armes au temple de l’Etre suprême ce-jourdhuy, depuis trois heures de relevée, jusqu’à la chûte du jour, et demain pendant le courant de la journée, mais uniquement pour l’objet mentionné dans la pétition, et non pour aucun autre. Sur la demande faite peu* quelques-uns des pétitionnaires, que l’annonce de la réünion au temple puisse être faite au son du tambour, un membre opine que cette faculté leur soit accordée; un autre membre pense au contraire, que cette convocation pourroit donner au rassemblement projjeté des apparences inquiétantes; que sans employer ce moyen, il étoit bien facile de faire circuler cet avertissement parmi les citoyens déjà prévenus de ce qui doit avoir lieu, il fait la motion que le tambour ne soit pas employé. Sa motion conforme aux conclusions motivées du substitut de l’agent national, est appuyée, mise aux voix, et arrêtée à la très grande majorité des suffrages. Pour copie conforme, Giraud, secrétaire, Thibaux, secrétaire adjoint. c La société populaire de Compiègne écrit à la Convention nationale qu’elle n’a jamais dit que dans sa commune le modérantisme et l’aristocratie levassent la tête depuis la chûte du Catilina Robespierre; qu’elle dit, au contraire, que depuis cette époque tous les traîtres sont déconcertés, que 12 des signataires de l’adresse par laquelle on avait trompé la Convention, se sont rétractés. Cette société déclare qu'elle veut le gouvernement révolutionnaire, mais qu’elle déteste tous ceux qui veulent le sang et la terreur; qu’elle veut la république, mais qu’elle poursuivra les dilapi-dateurs et les modérés; enfin, qu’elle n’aura jamais d’autre point de ralliement que la Convention nationale. Insertion au bulletin, renvoyé au comité de Sûreté générale (73). (73) P.-V., XLVI, 59. Ann. Patr., n° 635; F. de la Républ., n 4; Mess. Soir, n’ 767 ; J. Fr., n° 729; J. Paris, n" 4; M. U., XLIV, 42.