406 [Assemblée nalionale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789.] nion, car ce serait lui interdire la suite des raisonnements qu’il a faits pour se la former, et par conséquent chacune de ses pensées l’une après l’autre, et par conséquent, en dernière analyse, l’usage de la faculté de penser. Il reste à examiner si l’on peut ordonner à tel ou tel homme de quitter son opinion pour en rendre une autre : mais ce serait lui ordonner 'avoir les pensées, et de faire les raisonnements qu’il ne fait pas, et de ne faire pas ceux qu’il fait : ce serait vouloir ôter de son esprit les pensées qui y sont; ce serait y en supposer d’autres qui n’y sont pas, lui faire abandonner les conséquences qu’il tire, en faveur de celles qu’il ne tire point, et lui faire avouer pour bon raisonnement celui qui lui paraît mauvais : ce qui est absurde. Ce qui fait qu’on a mal raisonné jusqu’aujourd’hui à ce sujet, c’est qu’un homme s’est toujours mis à la place de toute la société qu’il n’était pas, ni ne représentait pas : il a voulu exiger, au nom c la société, des sacrifices qu’elle ne pouvait exiger elle-même, et que sa volonté particulière fût la règle de toutes les autres. Ce n’est pas le moindre abus de la loi confiée à un seul. CONCLUSION. 11 suit des principes que je viens d’exposer, si je ne me suis pas trompé, qu’il n’y a nul inconvénient à placer à la tête de la législation les motifs qui l’ont déterminée; qu’il est au contraire indispensable de poser les principes de toute bonne constitution, de fixer la règle immuable où s’instruiront nos contemporains et la postérité, et de prévenir ainsi que ceux qui viendront après nous puissent méconnaître ou négliger leurs droits, et s’abandonner insensiblement aux progrès successifs et terribles du despotisme. C’est d’après les principes que j’ai établis, que j’ai essayé de donner un exemple du préliminaire que je souhaiterais à la Constitution. Je le présente avec une respectueuse modestie, et je ne le livre à l’impression que pour ne pas occuper, inutilement peut-être, l’auguste Assemblée dont la nation compte tous les instants. Principes de toute constitution soumis a l’Assemblée nationale, par M. ISabaud de Saiot-IÙienne (1). Du droit naturel et imprescriptible des hommes en société. Art. 1er. Tout homme a droit à exister, à conserver son existence, et� à la rendre aussi heureuse qu’il lui est possible. Ce droit est inaliénable et imprescriptible. Les hommes ont apporté ce droit dans la société, et leur but, en s’y réunissant, a été de le conserver. �Tous se réunirent avec le même droit et dans le même but : donc ils étaient égaux en droits. Nul d’entreeux n’apporta le droit de contraindre les autres en quoi que ce soit : donc ils étaient libres, et ils étaient libres également. ‘ Leur association n’a pu leur ôter cette liberté, puisqu’ils ne se sont réunis que pour conserver et affermir leur droit à l’existence : donc ils continuent d’être libres. Ils ne peuvent conserver et embellir leur exis-(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur. tence que par les moyens que la nature leur a donnés : donc ils sont libres d’employer tous ces moyens. Leur réunion en société eut pour objet de conserver à chacun, sans exception, le droit qu’il avait à l’existence : donc la société doit défendre à chacun d’employer ses moyens à nuire au droit d’autrui. Chacun emploie ses moyens à se procurer des propriétés pour conserver et embellir son existence : donc la société doit défendre à chacun d’attenter à la propriété d'autrui. Chacun est libre de penser, de dire, d’écrire et de faire tout ce qui ne peut nuire à autrui : donc la société ni aucun de ses membres ne peut le lui défendre. Chacun est maître de sa personne : donc il n’y a aucun homme qui puisse attenter à la liberté individuelle d’un autre. Hors ce en quoi il pourrait nuire à autrui, la société ne peut contraindre aucun homme dans ses pensées, dans ses opinions, dans sa religion, dans ses discours, dans ses écrits, dans ses actions, dans ses travaux, dans son industrie et dans l’usage de ses propriétés. Tout ce que les lois ne défendent pas est permis. Des lois. Art. 2. Si les hommes ne se sont réunis en société que pour conserver et maintenir leur existence, pour être plus forts et plus heureux, la société doit remplir ce but. Ils ont fait pour cela des conditions ou conventions entre eux, où tous ont contracté volontairement et librement. Ces conditions étant convenues par tous, sont obligatoires pour tous ; et alors on les appelle des lois. Les lois ont pour objet de maintenir la vie, la liberté, l’honneur, la personne et la propriété de chacun, par une protection générale, uniforme et commune. Les lois étant inutiles, si elles n’étaient exécutées, il a fallu des peines, afin que chacun fût obligé d’obéir. Les peines sont la compensation exacte des délits : elles doivent donc leur être exactement proportionnées. Les lois étant faites pour tous, les peines sont aussi pour tous : donc tous doivent être soumis aux mêmes peines, également et sans distinction. Nul homme ne peut être actionné, poursuivi, arrêté, emprisonné, jugé, puni, que selon la loi, dans les cas qu’elle a prévus, et selon les formes convenues et accordées par tous. Si la société a besoin de contributions communes, tous les membres sont obligés d’y entrer, proportionnellement à leurs facultés. Du consentement général aux lois. Art. 3. Les lois quelconques, civiles, criminelles, de finances et autres, devant être obligatoires pour tous, doivent être librement convenues, accordées et consenties par tous. Si le consentement de tous ne peut être obtenu, le plus petit nombre est lié par le consentement du plus grand. Si la société, que nous appellerons désormais nation , est trop nombreuse pour être rassemblée en totalité, elle peut donner des pouvoirs de con- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 août 1789.] 407 [Assemblée nationale.] sentir pour elle à des représentants librement élus, nommés et délégués par elle. La nation peut seule établir la manière d’élire, de nommer, de déléguer ses représentants et d’organiser sa représentation. Le pouvoir suprême réside toujours dans la nation entière, et ne peut être transféré à un ou à plusieurs, ou à, la totalité de ses représentants. La nation a le droit de ratifier ou de rejeter ce que ses représentants ont consenti; elle peut suspendre l’exercice de ce droit; elle ne peut pas l’aliéner. Du gouvernement. Art. 4. Il ne suffit pas d’avoir des lois ; il faut encore veiller à leur exécution et au maintien de l’ordre qui en est une suite : il faut donc un mode de gouvernement. La nation entière et réunie ne pouvant veiller à l’exécution des lois, elle est obligée de confier le pouvoir exécutif qu’elle ne peut exercer; mais il lui appartient souverainement. Le pouvoir souverain appartient à la nation; tous les pouvoirs qu’elle confie ou délègue émanent d’elle, et sont comptables à elle. Elle ne peut confier le pouvoir de faire des lois ; car elle cesserait d’êlre le souverain : elle a toujours le droit de reprendre ce pouvoir quand elle l’a perdu et de changer ses lois selon qu’il ui convient. Elle peut confier ce pouvoir exécutif à un homme ou à plusieurs. Si elle confie ce pouvoir à un homme, à un roi, ce roi doit exercer son pouvoir selon les lois. La personne du Roi est inviolable et sacrée comme la loi, et parce qu’il est l’organe de la loi. Si le Roi distribue en diverses mains le pouvoir exécutif, tous ceux auxquels il est distribué sont comptables et responsables envers la nation, parce que la nation est le souverain. De$ pouvoirs distribués. Art. 5. Les pouvoirs ne sont délégués que pour le bon ordre et la sûreté de la nation, soit au dedaus, soit au dehors. La nation fait veiller au bon ordre et à la sûreté du dedaus, par des hommes chargés des fonctions judiciaires ; ils sont tous responsables envers la loi. Elle fuit veiller à la sûreté du dehors par des hommes chargés de défendre l’Etat et de protéger les propriétés, la liberté commune; ils sont punissables s’ils y portent atteinte. La nation consent librement des contributions et des subsides pour sa défense, pour sa sûreté et pour le maintien des lois ; les administrateurs de ces deniers sont responsables envers elle. Les différents pouvoirs doivent être confiés à différentes personnes. Tels sont les principes d’après lesquels toute constitution a été formée et doit être maintenue : c’est ainsi que se formeraient des hommes qui n’auraient pas encore éprouvé les abus de la civilisation dégradée. Mais le malheur des temps nous ayant appris â connaître les affreux secrets du despotisme et ses ressources variées et infinies pour opprimer les hommes, il faut associer les principes de la Constitution à une déclaration plus rigoureuse, qui prévoie sûrement tous les cas, et qui fasse disparaître, s’il est possible, de dessus le globe, les moyens employés par toutes sortes de tyrannies. Aussi, après un mûr examen, j’adopte avec de légères modifications, la déclaration des droits de M.. l’abbé Sieyès, J’ai cru devoir proposer mon plan de principes de toute constitution dans un ordre naturel, parce que je crois qu’ils doivent servir de base à la nôtre. J’ai essayé de poser les fondements de l’édifice : M. l’abbé Sieyès en a tracé les remparts. Considérations sur les gouvernements et PRINCIPALEMENT SUR CELUI QUI CONVIENT A LA FRANCE, SOUMISES A L’ASSEMBLEE NATIONALE Par M. Mounler, membre du comité chargé du travail relatif à la Constitution (1 ). INTRODUCTION. Il est peut-être des circonstances où l’on est excusable de parler de soi. Je sais que plusieurs personnes m’accusent d’avoir des principes faibles. On conviendra du moins que, dans le momeni présent, on n’a nul besoin de courage pour montrer de l’énergie dans des prétentions et de la philosophie dans les moyens; mais que pour avouer des principes faibles, il faut avoir un peu de fermeté. Ceux qu’on me reproche sont cependant les mêmes qu’on a souvent jugés exagérés dans le cours de l’année précédente ; c’est que mes opinions n’ont point changé avec les événements : je ne crois pas qu’elles aient été jusqu’à ce jour favorables au despotisme. Je ne crois pas que j’aie pu nuire à ma patrie en prouvant les dangers des privilèges des provinces dans rassemblée tenue à Visille le 21 juillet 1788, où l’on déclara que les Etats de Dauphiné ne reconnaîtraient jamais d’autres subsides que ceux qui seraient accordés par les Etats généraux; — en publiant sans relâche qu’il fallait oublier tous les préjugés de lieux, de corps et de profession, adopter pour patrie la France entière, et mettre la liberté publique sous la garde de tous; — en contribuant à la constitution des Etats de Dauphiné, à laquelle les circonstances ont donné de grands défauts, mais qui a porté les autres provinces à réfléchir sur les droits des peuples; — en dénonçant dans l’assemblée tenue à Romans pendant le cours du mois de novembre les inconvénients de la séparation des ordres; et en y soutenant la nécessité de faire délibérer les trois ordres constamment réunis et de compter les suffrages par tête dans les Etats généraux de 1789, pour faciliter l’établissement de la Constitution : vérités qui furent consacrées dans une lettre écrite au Roi, au nom du Dauphiné; en combattant dans les Etats de la même province les systèmes présentés par la majorité des notables; — en distinguant dans mes observations sur les Etats généraux les moyens propres à établir la Constitution, de ceux qui doivent la maintenir. Il pourrait m’être permis de dire que, dans un temps où il était dangereux de résister aux ministres, j’ai donné quelques preuves de zèle et de fermeté ; mais je dois avouer que je n’aime point à créer les obstacles pour le plaisir de les (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.