[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 2| Membre 1793 162. ( Suit le texte du décret que nous avons inséré ci-dessus, page 155, d’après le procès-verbal ) L’ordre du jour ramène la discussion sur l’ins¬ truction publique (1). Compte rendu du Moniteur universel (2). L’ordre du jour appelle la discussion sur l’instruction publique. Portiez (de l’Oise) demande qu’il soit établi dans tous les départements, suivant le rapport de la population et les besoins des localités, des écoles publiques, où la jeunesse françiise recevra des leçons sur la législation et la morale publique. Cette proposition est ajournée. Suit le texte du discours de Portiez (de l’Oise), d’après un document imprimé (3). Instruction publique pae L. Portiez, dé¬ puté de l’Oise, sue les discours de Four¬ croy (4), Bouquier (5) et Thibaudeau (6). PRONONCÉE DANS LA SÉANCE DU 2 NIVÔSE, l’an ii de la République, une et indivi¬ sible. (Imprimée par ordre de la Convention nationale ) . Citoyens législateurs, Depuis quinze mois la Convention nationale est occupée d’un plan d’instruction publique. La France, l’Europe sont dans l’attente. C’est de l’instruction publique que dépend désormais le triomphe complet de la liberté et l’affermissement de la Révolution. Vous avez fondé des écoles primaires dans lesquelles les enfants apprendront à lire, à écrire, à compter. Au sortir de ces écoles, ils sont tenus apprendre une science, un art, un métier utile à la société, à peine d’être privés, pour dix ans, de l’exercice des, droits de citoyen. Quinze ans sont sonnés, que deviendra le jeune homme? Sans doute le négociant va rappeler son fils nour l’initier dans les calculs, et lui donner j’ esprit des affaires, en un mot, lui apprendre la règle d’or. Le fils de l’agriculteur partagera avec son père les travaux de la campagne. L’artiste instruit par l’expérience que la per¬ fection d’un art quelconque ne s’obtient que (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 47. (2) Moniteur universel [n“ 94 du 4 nivôse an II (mardi 24 décembre 1793), p. 379, col. 2]. • (3) Bibliothèque nationale : 10 pages in-8°. Le33, n° 618. Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Parliez (de l’Oise), t. 93, n° 61, 434, n° 4, et 551, n° 6. (4) Voy. Archives parlementaires, lrG série, t. LXX, séance du 30 juillet 1793, p. 26, col. 2, le discours de Fourcroy. (5) Voy. Archives parlementaires, lre série, t. LXXXI, séance du 18 frimaire an II (8 dé¬ cembre 1793), le plan général d’instruction publique de Bouquier. (6) Voy. Archives parlementaires, lre série, t. LXXXI, séance du 19 frimaire an II (9 dé¬ cembre 1793), l’opinion de A.-C. Thibaudeau sur l’instruction publique. par un travail long et opiniâtre, enseignera sa profession à son enfant. Ces jeunes gens se livrent chacun avec ar deur à l’apprentissage de leur profession; ils y aper¬ çoivent un moyen d’établissement. L’âge des passions est arrivé : la patrie les compte au nombre de ses défenseurs. Parvenus bientôt à la majorité, ils sont appelés par la loi, par les suffrages de leurs concitoyens à reinplir les fonctions de juré, d’officier municipal, de juge, de législateur. Ce jeune homme se marie, et en s’unissant à une famille nouvelle, il contracte de nouvelles obligations. Époux et père, le voilà tout entier à l’état, à l’aide duquel il doit faire vivre sa femme, ses enfants. Je parle d’un sans-culotte. Ici je m’arrête et je demande à Bouquier, où, quand et comment le jeune Français aura appris à connaître les lois concernant la garde nationale, les jurés, le code pénal, l’organisation des corps administratifs, la nature de leurs fonc¬ tions, leur compétence, etc., enfin, les lois fami¬ lières journellement pratiquées et nécessaires à tous les instants. Puisque tout citoyen doit, au terme de la constitution, remplir tous les emplois publics, il importe de les rendre habiles à les occuper. Je ne parle pas de l’histoire, de la littérature, de l’éloquence, de la musique, de la peinture, de la gravure, en un mot, de ces sciences et arts qui ont fait depuis si longtemps la gloire de la France. On veut que tout cela ne soit pas d’une grande utilité, d’une utilité indispensable dans une république. Les corps administratifs et Sociétés popu¬ laires de Paris firent, il y. a un mois environ, à la barre de la Convention, par l’organe de Dufourni, une pétition tendant à obtenir plu¬ sieurs degrés d’instruction. Cette demande faite à la fin d’une séance consacrée aux péti¬ tionnaires fut convertie en motion avec beau¬ coup de chaleur par Lalianal, et non moins vive¬ ment appuyée et défendue deux jours de suite par Fourcroy. Aujourd’hui Fourcroy se ré¬ tracte; et pour prouver qu’il a été dans l’erreur, il nous peint les abus du régime monarchique, et nous organisons des institutions républi¬ caines. « Les professeurs placés souvent dans les chaires publiques par l’intrigue et la bassesse, dit Fourcroy, remplissaient si mal les fonctions qui leur étaient confiées, que les écoles royales et gratuites étaient désertes. « L’éducation, continue-t-il , a pu seule créer ces idées fantastiques pour des despotes qui étaient assez forts et assez vains pour penser que les grands poètes, les grands orateurs, les savants illustres naîtraient à leur voix, en leur distribuant annuellement quelques pièces de monnaie, en leur faisant écrire quelques billets insolents et en leur préparant des fauteuils aca¬ démiques. » Fourcroy, je crois à la vérité de ton récit, à l’exactitude de ta description. Tu étais profes¬ seur, et qui plus est académicien. Aussi n’est-ce pas des collèges ci-devant royaux, des académies, des lycées que je vous demande; eh ! qu’ont donc de commun ces monuments d’orgueil avec ces institutions répu¬ blicaines. Tu crains, dans l’adoption des collèges ou instituts, « une espèce de sacerdoce plus redou¬ table peut-être que celui que la raison du peuple vient de renverser %. Rassure-toi : s’il a su ICunvention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J nivôse an xi 163 L J I 22 décembre 1793 abattre l’aristocratie invétérée de plusieurs siècles, crois que, sans user de sa toute-puis-- sance, ce même peuple saura triompher d’une aristocratie naissante, sous quelque forme qu’elle se présen e. « Boerrhaave, Linnée, Bergmann auraient-ils été de grands professeurs, demande Fourcroy? quand les universités de Leyde, d’Upsal et de Stockholm n’auraient pas existé. » Je pourrai répondre peut-être négativement, car ces hommes célèbres ont profité des lumières émanées de ces universités, et qui, comme l’air, ont une influence peu sensible, mais réelle; ils ont perfectionné leur première éducation; ils ont bâti avec les matériaux et les instruments qu’elle leur avait remis. Ils avaient senti le prix, la nécessité et l’utilité de la science. Est-il donc vrai à présent que nos collèges, nos universités, quelque imparfaits, quelque absurdes qu’ils fussent, n’aient pas servi la chose publique? N’est-ce pas là qu’a été con¬ servé religieusement le dépôt des sciences, le goût de la saine littérature? N’est-ce pas de là que des hommes studieux ont appelé, par le fruit des veilles laborieuses, la révolution dont nous recueillons les fruits? N’est-ce pas de ces collèges que sont sortis les amis, les intrépides défenseurs de la liberté dans nos armées et dans toute la République? Au surplus, je compare, dans cette occasion, Fourcroy à un enfant qui, devenu fort, bat sa nourrice. « Créer des établissements, des degrés supé¬ rieurs d’instruction, c’est, continue Fourcroy, peupler la Répubüque de demi-savants... et puis, commande-t-on au génie et aux talents de naître pour les placer à des postes qu’on leur a destinés d’avance. » A entendre Fourcroy, il faudrait tous hommes de génie pour instituteurs. Cependant un homme de génie est souvent moins capable d’enseigner aux jeunes gens qu’un homme d’un talent ordinaire. Il consent difficilement à dèscendre des hauteurs de la science, à se rapetisser, si je puis m’exprimer ainsi, pour se mettre à la portée des ignorants. Son imagination active s’irrite des obstacles, et a peine à dévorer les difficultés. Des mœurs, du patriotisme, voilà les pre¬ mières qualités d’un instituteur républicain; qu’il aime le travail et qu’il veuille fortement le bien, et il sera suffisamment instruit. Eh quoi ! cette jeunesse qui s’endurcit aux fatigues de la guerre, ne sera-t-elle pas une pépinière de bons instituteurs? Ils seront plus clairs dans leur démonstration, plus éloquents, plus précis que nos anciens professeurs; ils auront vu. « Les plus belles écoles, dit Bouquier, et les plus utiles, les plus simples, où la jeunesse puisse prendre une éducation vraiment républicaine, sont, n’en doutez pas, les séances publiques des départements, des districts, des municipalités, des tribunaux, et surtout des Sociétés popu¬ laires. » L’assistance aux séances dont on vient de parler doit faire partie de l’instruction, mais elle ne la constitue pas. Jugeons de l’avenir par le passé. Quels sont les jeunes gens qui assistaient aux séances des Corps administratifs avant leur départ pour les frontières? Cependant nous sommes en révo¬ lution, et les séances devraient offrir un plus grand intérêt. Il faut l’avouer, les détails de l’administration sont fastidieux, et peu propres à fixer l’attention de la jeunesse. Les Sociétés populaires, plus peuplées que toutes les adminis¬ trations, seront, dans tous les temps, d’excel¬ lentes écoles; mais ces moyens d’instruction n’existent pas pour tous les citoyens. Beaucoup de communes, surtout dans les campagnes, n’ont pas l’avantage des Sociétés populaires. Thibeaudeau qui s’était déjà signalé dans cette discussion par la manie des sophismes, Thibeau¬ deau reproduit les objections de Fourcroy. « Il est impossible, ajoute-t-il, d’éclairer les ténèbres de l’ignorance sur le sol de la République fran¬ çaise... L’on n’a pas encore découvert la pos¬ sibilité de faire désapprendre à l’homme ses connaissances, ou de faire rétrograder ses pen¬ sées. » Cette idée neuve pour Thibeaudeau lui paraît juste et profonde, applicable aux peuples comme aux individus. Mais les individus comme les peuples ont leur décrépitude. Ils oublient : aurais-je besoin d’in¬ voquer le témoignage de l’histoire de la Grèce et de l’Italie pour prouver que des peuples entiers ont été tout à coup plongés dans les ténèbres de l’ignorance? A une génération éclairée a souvent succédé une génération sau¬ vage, barbare. « La nation privée depuis quatre ans d’écoles, de collèges et de professeurs, dit alors Bouquier car ils ont été paralysés par la Révolution), a plus acquis de lumières et de connaissances, que pendant les siècles de 1 . plus brillante existence des universités et des académies. » Il ne vous en a rien coûté pour cela ; mais n’en a-t-il donc rien coûté au peuple pour apprendre et reconquérir ses droits? Il n’avait pas besoin de livres, sans doute; il était à l’école des événements les plus extraordinaires dont les fastes de l’histoire fassent mention. Est-il bien vrai qu’én même temps que le peuple français est devenu plus éclairé sur les droits des nations, qu’il n’ait pas rétrogradé dans quelques autres parties des sciences? « Abandonnez tout à l’influence salutaire de la liberté, continue-t-il. . . >, raignez d’étouffer l’essor du génie par des règlements. » Mais, est-ce étouffer l’essor du génie que de le diriger et d’alimenter son activité par des leçons utiles ? Craignez que sans ces précautions, cette énergie, développée et entretenue aujour¬ d’hui par une suite d’événements plus intéres¬ sants les uns que les autres, ne s’énerve avec le temps, et que cetto chaleur ne s’affaiblisse au sein de la paix. Je compte pour beaucoup l’amour du bien général, les progrès de l’esprit public; mais craignez à votre tour la force d’iner¬ tie, l’isolement de l’égoïsme et les petits calculs de l’intérêt personnel. La déclaration des droits est intelligible pour tout homme dont le bon sens n’est pas obscurci par les passions, parce que la déclaration des droits est une simple énonciation des principes éternels de justice que tout homme trouve dans son cœur. Mais il n’en est pas de même des lois de détail du Code pénal, du Code civil ou des matières d’administration. Comment savoir si la loi est bien ou mal appliquée, si on ne con¬ naît pas la loi, si on ne saisit pas le véritable sens? et comment le savoir si on ne l’a pas appris? Il ne s’agit donc pas ici d’apprendre aux jeunes républicains français à combiner “des mots, à cadencer.des phrases, à arrondir des périodes, mais bien d’acquérir des connaissances réelles, des choses pratiques. 164 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES i 2 nivôse an II ( 22 décembre 1193 Ce n’est même pas telle science qu’il importe de donner aux jeunes gens ; mais c’est la méthode qui simplifie les opérations et ménage le temps, c’est cette aptitude qui rend propre à tout, c’est le goût des arts et des sciences qu’il faut ins¬ pirer, c’est le désir de connaître, de s’instruire, c’est cet amour du travail qui s’irrite et s’en¬ flamme, et triomphe de tous les obstacles. C’est cette application infatigable à poursuivre la vérité; car si la liberté est placée au sommet d’une montagne il faut gravir, la vérité est cachée au fond d’un puits, qu’il ne faut pas moins de courage pour sonder la profondeur. C’est ce coup d’œil qui perce à travers les traits du visage composé d’un fourbe et ht dans le cœur humain; en un mot cette habitude de la réflexion, si nécessaire dans tous les instants de 1 a vie, habitude qui se contracte par l’exercice, et la triture des affaires et de l’étude. Enfin cette disposition qui fait son profit de tout, tel¬ lement que chaque objet porte à l’esprit un tribut d’idée utile au cœur, au sentiment. Si vous ne formez dans tous les départements des écoles qui, rapprochées et comme sous les mains des jeunes Français, les invitent et leur fassent une sorte de violence pour apprendre, plusieurs départements seront privés des moyens d’instruction absolument indispen¬ sable. Les habitants des diverses parties de la République se livreront aux sciences et aux arts les plus appropriés au climat qu’ils habitent. Dès lors je ne vois plus cette uniformité, ce grand caractère de généralité que vous portez dans toutes vos lois. Je ne vois plus cette har¬ monie désirable dans cette intéressante partie, cette unité de sentiments qui doivent animer tous les Français, régler leurs mœurs et diriger la conduite de l’habitant du midi et de l’habi¬ tant du nord. Ici Fourcroy et Bouquier croient voir une corporation, des espèces, de canonicats, de brevets d'immortalité. Pourquoi donc se défier du légis¬ lateur et croire qu’il ne préservera pas l’instruc¬ tion publique des vices de ces créations mons¬ trueuses. Des instituteurs nommés par le peuple et réélus à des époques déterminées, n’àyant aucune correspondance entre eux, ne sont pas redoutables pour la liberté. N 'auront -ils pas intérêt à travailler à mériter la confiance de leurs concitoyens1? La loi ne leur indiquera-t-elle pas la matière de leurs leçons, et ces leçons ne seront-elles pas données sous les yeux du public et jugées par l’opinion? Chaque instituteur, sur¬ veillé par tous les citoyens, ne sera-t-il pas sous la surveillance spéciale et directe du comité d’instruction publique du Corps législatif qui, renouvelé comme lui chaque année, ne peut rappeler les gothiques universités et les aristo¬ cratiques académies? L’enseignement doit être libre, dites-vous. Eh ! mais ne l’est-il pas de la part des élèves? Votre fils n’a-t-il pas la liberté de choisir entre tel ou tel instituteur, d’opter entre l’institu¬ teur de tel ou tel département, de suivre son goût pour telle ou telle science? Citoyens législateurs, vous le savez, les deux extrêmes se touchent, et les mêmes effets ont été souvent le produit des causes en apparence opposées. On vous a fait voir dans l'établisse¬ ment des lycées, des académies, l'aristocratie de l’ambition et l’on a eu raison. Mais croyez que si vous ne formez pas des établissements d’instruction autres que les écoles primaires, des charlatans, souvent seuls dans un dépar¬ tement, indépendants des autorités, mettront les citoyens désireux d’apprendre, à contribu¬ tion. Ils feront payer cher à l’élève sans-culotte le privilège de leur savoir. Et cette aristocratie d’un nouveau genre exercera une influence véri¬ tablement dangereuse... Je demande qu’il y ait dans chaque département, suivant le rap¬ port de la population et le besoin des localités, des instituts publics, où la jeunesse française recevra des leçons de législation et de morale publique ; que les instituteurs soient salariés par la nation; que les séances soient publiques; que les leçons soient les mêmes et données d’après les mêmes livres élémentaires; que les écoles n’aient aucun rapport entre elles, et qu’elles soient sous la direction spéciale et directe du comité d’instruction publique des Corps législatifs. Un rapporteur [Barère (1)] propose, au nom du comité de Salut public, divers projets de dé¬ cret qui sont adoptés de la manière qui suit : « La Convention nationale, atrès avoir entendu le rapport du comité de Salut public, décrète : Art. 1er. « Les habitants des communes où il a éclaté des mouvements séditieux seront tenus de dépo¬ ser, dans trois jours, à compter de la publica¬ tion du prisent décret dans le « Bulletin », leurs armes dans leurs municipalités respectives. Art. 2. « Les municipalités seront tenues de les faire transporter, dans le mî me délai, au chef-lieu de district. Art. 3. « Ces armes seront distribuées suivant les ins-truc fions qui seront envoyées par le comité de Salut public. Art. 4. « L’ordre de déposer les armes dans les com¬ mîmes où il a éclaté des mouvements séditieux, ne pourra être exécuté qu’en vertu d’un décret de la Convention qui exprimera nominativement la commune (2). » Compte rendu du Moniteur universel (3). Barère. On fabrique sans cesse des armes, et cependant une partie de la première réquisi¬ tion n’en a pas; c’est parce qu’il en a été beau-(I) D’après la minute du décret qui existe aux Archives nationales, carton C 286, dossier 849. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 47. (3) Moniteur universel [n° 94 du 4 nivôse an II (mardi 24 décembre 1793), p. 379, col, 2]. D’autre part, le Journal des Débals et des Décrets (nivôse an II, n» 460, p. 25) rend compte du rapport de Barère dans les termes suivants : a Barère. On fabrique tous les jours des armes, et