[26 juin 1790. J 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. rault, sollicite de l'Assemblée un congé de quinze jours. M. de Château-Randon. Je demande que votre comité de police soit chargé de vous présenter un règlement sur les cas où il sera permis de s’absenter. On demande l’ordre du jour, et l’Assemblée décide qu’elle y passera immédiatement. M. Iiucas. Je demande la question préalable sur le congé sollicité, si on ne veut point entendre les observations de divers membres. M. Populus. Il y a bien quatre cents membres absents : si vous continuez d’accorder des congés aussi légèrement, vous serez bientôt réduits à la moitié, ou au tiers. Je demande donc qu'il n’en soit plus accordé sans des motifs véritablement légitimes. M. 'Voidel. L’Assemblée a décidé qu’elle passerait à l’ordre du jour ; il ne faut donc point revenir contre ce décret, mais remettre la demande du congé à un autre jour. (Cette proposition est adoptée.) M. le Président. L’cfdre du jour est un rapport du comité de la marine sur les principes constitutionnels de la marine. M. deCurt, rapporteur (1). Messieurs, la force publique a deux branches ; l’une de terre, l’autre de mer. Vous avez déjà décrété les principes constitutionnels de la force de terre, et la nation s’est empressée d’applaudir aux bases que vous avez consacrées. Elles conservent à chaque citoyen le droit de concourrir selon ses talents à la défense commune; elles alimentent l’émulation qui naît du libre exercice de ce droit; elles assurent enfin aux véritables amis de la liberté une organisation de votre armée, tellement combinée avec la constitution de l’Etat, que les ennemis seuls de la chose publique seront dans le cas de craindre le développement de vos forces de terre. La force maritime, devenue la plus importante, depuis que l’art de la navigation a soumis en quelque sorte les autres parties du monde à [ Europe, attend aussi de vous une constitution nouvelle. Il est temps de réformer tout ce que Tan-sienne présente de vicieux, et de diriger vers le plus grand avantage de la nation les moyens et les ressources immenses qu’elle possède. L’Angleterre et la Hollande avaient déjà une marine formidable, etse disputaient l’empire des mers, quand Louis XIV, jaloux de tous les genres de gloire, songea à devenir aussi une puissance maritime. On s’étonne encore de la rapidité avec laquelle il créa des ports, des arseneaux, des flottes, un corps nombreux d’excellents officiers, et surtout une administration aussi utile qu’économique. Bientôt ses escadres couvrirent les deux mers, et le pavillon français obtint partout des succès et des hommages. Colbert vivait alors : ce grand homme qui aurait été digne de la confiance d’un peuple libre, avait osé, sous le règne de la vanité, employer le mérite plutôt que le rang. Il avait su persuader à Louis XIV qu’il fallait composer sa marine militaire de tout ce qui se distinguerait dans (I) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du rapport de M. de Curt. l’école de Malte, dans le commerce ou sur les corsaires. Convaincu lui-même qu’une grande navigation marchande est la seule base solide de la marine guerrière, il voulait donner aux pêcheries, au cabotage, au commerce dés deux Indes toute l’extension dont il les connaissait susceptibles. La mort le surprit au milieu de ses utiles travaux ; il avait assez vécu pour sa propre gloire, mais trop peu pour la grandeur de la nation française. Colbert laissait à son fils un grand exemple à suivre, des mémoires excellents sur la marine , mais il ne lui laissa pas son génie. M. de Sei-gnelai, avec moins de profondeur que Colbert, manquait encore de cette sévérité de principes qui ne fait acception de choses ni de personnes, et qui résiste invinciblement à tout ce qui peut contrarier le bien public. Au lieu d’appeler à la marine guerrière tous les jeunesgens quiannonçaient pour cet art difficile une vocation décidée, il donna l’exclusion à tous ceux qui n'avaient pas l’avantage d’être nés gentilshommes. Au lieu de séparer absolument la partie économique de la partie militaire, il crut tout assurer en combinant les deux fonctions, en faisant coopérer au même but les officiers des deux corps et en les rendant en quelque sorte inspecteurs les uns des autres. Telles furent les erreurs deM. de Seignelai ; et malheureusement il les consacra dans l’ordonnance de 1689 ; ordonnance admirable d’ailleurs dans ses autres principes et dans tous ses détails. C’est en partie à ces vices de constitution que l’on doit attribuer les malheurs et les dépenses de la marine militaire. Détruite presque aussi-tôtque créée, si Duguay-Trouin quin’avait pas été élevé par elle, vint rappeler pendant quelques instants les beaux jours de Tourville ; si les le Tanduaire, les la Galissonnière , soutinrent ensuite avec tant de gloire l’honneur du pavillon français: si cent combats de vaisseau à vaisseau montrèrent à l’Europe ce que pourrait la France avec une marine bien constituée, le patriotisme n’a pas moins à déplorer soixante ans de faiblesse et de revers, la perte de plusieurs possessions importantes, le mauvais emploi de la contribution des peuples, et surtout à chaque guerre la ruine entière de notre commerce. En consultant ainsi l’histoire des temps, et rapprochant des ordonnances de la marine française et anglaise les différents effets qu’elles ont produits, votre comité, Messieurs, s’est pénétré de la nécessité d’établir de nouveaux principes. Facilité dans son travail par le décret que vous avez rendu le 28 lévrier dernier, sur la constitution de la force de terre, il s’est approprié tous les articles de ce décret si important, qui lui ont paru convenir à la constitution de la force de mer. Ce qu’il a ajouté ou modifié n’est que la conséquence nécessaire de la différence qui existe entre l’une et l’autre force. C’est ainsi, Messieurs, qu’après avoir unanimement adopté le principe que le roi est le chef suprême de l’armée; L’attribution aux législateurs, de la fixation des dépenses ; Le droit de chaque citoyen à tous les emplois ; La conservation du domicile, malgré les absences nécessités par le service; La récompense civique accordée à quiconque aura servi sans reproche pendant un temps déterminée; Le serment annuel du 14 juillet, époque si chère aux véritables patriotes ; [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] Enfin, après avoir adopté l’énonciation des objets sur lesquels il appartiendra à chaque législature de statuer; Votre comité, Messieurs, s’est occupé avec la plus sévère attention du complément des principes qui peuvent constituer la marine française, de manière qu’elle tende, dans toutes ses parties, au plus grand bien de la nation. Il a pensé d’abord qu’il était d’une grande importance de déterminer la destination de l'armée navale, et de prévenir par là des maux que d’antiques préjugés ont si souvent occasionnés. Avant la guerre dernière, c’était une opinion presque générale que nos vaisseaux devaient combattre pour l’honneur du pavillon, et non pour des marchands. Aujourd’hui que la jalousie du commerce commence à dominer tous les peuples, et à les éclairer sur leurs véritables intérêts ; aujourd’hui que votre Constitution même doit ouvrir à la navigation et à l’industrife nationales une plus vaste carrière ; aujourd’hui que les seules fonctions utiles seront les seules honorables, il convient de prévenir à jamais le retour d’une erreur aussi funeste, en décrétant le principe que les forces navales sont essentiellement destinées à protéger la marine marchande et les possessions qui la vivifient. Votre comité n’a quitté les intérêts du commerce que pour approfondir une question bien plus intéressante, et surtout plus chère à vos cœurs. Il s’agissait de savoir si l’armée navale pourrait jamais fournir des moyens d’attenter à la liberté française. Après un examen et une discussion dignes* d’un tel sujet, votre comité a reconnu que l’action des forces maritimes n’étant jamais qu’extérieure, il suffisait, pour rassurer sur tous les points les amis de la Révolution, d’exiger le concours des deux pouvoirs, toutes les fois qu’il serait question d’appeler ou de transporter dans nos ports des forces étrangères. La suppression de toute distinction, excepté celle des grades, parmi les officiers civils et militaires de la marine, ne pouvait pas devenir le sujet d’une discussion : et l’on peut en dire autant de la destitution de ces mêmes officiers, qui ne doit être opérée que par un jugement légal. L’une est la conséquence de la déclaration des droits de l’homme, l’autre une précaution efficace contre la faveur, la séduction, ou la vengeance. Mais ce qui a mérité une attention particulière de votre comité, c’est la fixation du temps où vous pourrez accorder le droit de citoyen actif aux services des hommes de mer, et l’âge auquel ce temps commencera à courir. Le décret, du 28 lévrier dernier, exigeant des troupes de terre seize ans de service consécutifs et sans reproches, il était tout simple d’exiger les mêmes conditions des hommes classés qui servent dans les ports, mais soixante-douze mois de campagne ont paru un terme suffisant pour obtenir la même récompense. Quant à l’âge auquel l’État doit commencer à tenir compte de cette espèce de service, votre comité a cru devoir le fixer à dix-huit ans. C’est à cet âge que le matelot est classé, et par conséquent, ce n’est qu’à cet âge qu’il peut être forcé de servir sur les armées navales. Alors seulement son service devient méritoire, parce qu’il cesse d’être volontaire. Alors, il fait à la patrie le sacrifice de la rétribution plus considérable qui lui serait accordée sur les vaisseaux marchands. Ce n’est donc qu’à cette époque que commencent les services dont l’Etat doit lui tenir 469 compte, et pour lesquels il a droit d’attendre un dédommagement. C’est, Messieurs, par de tels principes que votre marine doit reprendre le rang qui lui appartient, et qu’elle ne pouvait obtenir que sous le règne de la liberté. Le crédit, la faveur, les privilèges n’avant plus les moyens de rebuter ou d’étouffer 'les talents, vous ' verrez s’élever sous vos yeux une foule de navigateurs dignes d’illustrer leur patrie. Le célèbre Pitt a pu dire autrefois que la France était un corps vigoureux et puissant qu’il fallait toujours tenir à l’agonie; il a pu se conduire d’après ce principe, parce qu’il comptait sur les obstacles qui s’opposaient au développement de nos moyens. Mais aujourd’hui que vous avez repris toute l’énergie d’un peuple libre, il faudra que la politique change ; et si l’on ne respecte pas votre modération quand vous renoncez à toute guerre offensive, à tout projet de conquête, il faudra bien qu’on respecte les forces que vous serez en état de déployer contre des prétentions injustes. Nous vous présentons le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, ayant entendu le rapport de son comité de la marine, a décrété et décrète, comme articles constitutionnels, les articles suivants : « Art. 1er Le roi est le chef suprême de l’armée navale. « Art. 2. L’armée navale est essentiellement destinée à défendre la patrie contre les ennemis extérieurs, et particulièrement à protéger le commerce maritime et les possessions nationales dans les différentes parties du globe. « Art. 3. Il ne peut être appelé dans les ports français ni employé au service de l’Etat aucunes forces navales étrangères, sans un acte du Corps législatif, sanctionné par le roi. «Art.4.11ne peut être employé sur les vaisseaux, ni transporté par Iesdits vaisseaux dans les ports du royaume et des colonies, aucun corps ou détachement de troupes étrangères, si ces troupes n’ont été admises au service de la nation par un décret du Corps législatif, et sanctionné par le roi. « Art. 5. Les sommes nécessaires à l’entretien de l’armée navale, des ports et arsenaux, et autres dépenses civiles ou militaires du département de la marine, seront fixées par les législatures. « Art. 6. Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois civils et militaires de la marine, et les législatures ni le pouvoir exécutif ne peuvent, ni directement ni indirectement, porter aucune atteinte à ce droit. « Art. 7. Il n’y aura d’autre distinction entre les officiers civils ou militaires de la marine, que celle des grades, et tous seront susceptibles d’avancement selon les règles qui seront déterminées. « Art. 8. Toute personne attachée au service civil ou militaire de la marine conserve son domicile, nonobstant les obstacles nécessités par son service, et peut exercer les fonctions de citoyen actif, s’il a d’ailleurs les qualités exigées par les décrets de l’Assemblée nationale. « Art. 9. Tout militaire ou homme de mer qui, depuis l’âge de dix-huit ans, aura servi sans reproche pendant 72 mois sur les vaisseaux de guerre, ou dans les grands ports l’espace de 16