BAILLIAGE DE DEVIN CAHIER Des plaintes , doléances , remontrances des habitants de la ville de Revin , joint au cahier général du bailliage royal d’Avesnes (1). Depuis le siège de novembre mil sept cent soixante neuf, que la ville de Revin, est passée sous la domination de Sa Majesté, les impositions que les habitants ont supportées ont été un obstacle à la population, qui avant cette époque s’était accrue à la faveur des privilèges dont ils jouissaient sous la puissance des rois de France. Pour être convaincu qu’il est indispensable d’alléger pour cette ville le poids des charges de l’Etat, et même qu’il est intéressant que ses habitants jouissent de certains avantages, il ne faut que se 'former une juste idée de leur position et de la stérilité du sol qu’ils occupent. Revin est situé aux confins du royaume du pays de Liège et du duché du Luxembourg ; il est enclavé dans des montagnes escarpées, couvertes débroussaillés et de bois, dont une partie appartient aux seigneurs du lieu et l’autre à Ja ville ; il n’y a aucune manufacture, une partie des habitants y est seulement occupée pendant six mois de l’année à l’exploitation des bois ; l’autre partie, qui est la majeure, est obligée d’aller dans la Bretagne et dans les provinces voisines y flotter des bois de marine ; les plus riches, et le nombre en est très-petit , ne jouissent pas de 200 livres de revenu : aussi son territoire ne contient que 260 arpents en terres et prairies. De cette observation il résulte: Art. 1er Qu’il faut permettre l’exportation des bois et des marchandises qui en proviennent ; en conséquence révoquer l’arrêt que les tanneurs de Givet ont obtenu l’année dernière, qui défend la sortie des écorces ; car si cette marchandise ne peut être exportée, elle ne pourra être vendue qu’aux tanneurs de Givet qui ne peuvent consommer celles des environs ; conséquemment elle diminuera de prix, et les habitants de Revin ne retireront presque rien de leur production. Art. 2. Que cette ville ne doit et ne peut être incorporée à la province de Hainaut à cause que les forces de ses habitants ne sont nullement comparables à celles des habitants de cette riche province, de sorte que les impôts qui se lèvent seraient une surcharge accablante pour les habitants de Revin. Art. 3. Que les possessions de M. l’électeur de Trêves à Revin, ne doivent plus être affranchies des impositions royal es. Cet affranchissement y a produit une surcharge en ce qu’on n’a pu diminuer sur lesrentes, cens et droits qui lui sont dus, les vingtièmes que l’on a payés sur les biens assujettis à ces rentes, cens et droits. Art. 4. Qu’il faut abolir tous les droits qui y existent et qui sont nés dans le sein du gouver-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire . nement féodal, tels que les droits de sevrage, sai-gnie et autres. Art. 5. Que les habitants de Revin ne doivent plus être imposés pour les frais des réparations des grandes routes, car ils ne doivent pas être de pire condition que les habitants des villes qui en sont affranchis ; d’ailleurs leurs possessions ne sont pas proportionnées à celles des propriétaires de campagne qui supportent cette charge. Art. 6. Qu’il faut y supprimer l’impôt assis sur les bières, parce que les habitants n’ayant pas la faculté de faire de la bière pour leur consommation, et cette ville n’étant pas d’ailleurs un lieu de passage, il en résulte que ce sont ses habitants qui payent seuls cet impôt onéreux, tandis qu’il a été établi à une autre fin. Art. 7. Que lesdits habitants ne doivent plus être empêchés, comme ils l’ont été depuis plusieurs années, de se partager une coupe de bois en nature ; car il en est résulté qu’ils ont payé plus d’un huitième les bois nécessaires à leur consommation que la ville n’en a retiré en les vendant, à cause qu’il est dû à M. l’électeur de Trêves un droit qui équivaut à un huitième de la valeur, lorsque la ville expose une coupe de bois en vente. Art. 8. Qu’il faut abolir les droits de péage qui se lèvent sur le cours de la Meuse qui baigne les murs de Revin, non-seulement parce que les propriétaires de ces droits ne remplissent pas les obligations qui leurs sont imposées , mais encore parce que ces droits sont des entraves au commerce, qu’ils sont plus exorbitants que ceux de la ferme générale, et enfin parce qu’ils ne sont établis que sur une possession usurpée. Art. 9. Que la ville de Revin ne doit plus être assujettie à payer annuellement au subdélégué de M. l’intendant du Hainaut une pension de 400 livres. Les moyens de rendre le sort de ces habitants moins malheureux, seraient encore : Art. 1er. Que la dîme qui s’y perçoit fut, selon sa vraie destination, appliquée aux ministres de la paroisse ; ils seraient plus à même d’en soulager les pauvres ; ou que cette dîme fût abolie , et les ministres de l’autel réduits à une portion congrue. Art. 2. D’abréger le cours de la justice, la rendre moins frayeuse et abolir la justice seigneuriale qui y est établie. Art. 3. Ne plus laisser à la prévôté de Givet la prévention qui lui est attribuée depuis quelques années , parce que d’un côté elle est un appas pour le plaideur de mauvaise foi qui n’a rien à perdre, et d’un autre côté elle occasionne un déplacement ruineux et souvent à pure perte. Demande générale des habitants. Art. 4. Que le corps de l’administration des habitants de Revin soit séparé de celui delà justice, demande faite en 1727, 1736, 1767 et 1788. Art. 5. D’obliger les religieux Dominicains, qui y sont établis, à enseigner les humanités, pour [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Revin.] pouvoir y faire germer les arts et les sciences et y répandre les connaissances utiles. Art. 6. D’établir dans les environs de Revin un présidia], pour juger en dernier ressort jusqu’à la somme de 4,000 livres. Art. 7. D’affranchir à jamais cette ville de la juridiction d’une maîtrise des eaux et forêts, puisqu’elle fait le malheur des habitants des villes, bourgs et villages qui y sont soumis. Si les habitants de Revin sont dans l’impuissance de contribuer par leurs facultés réelles à l’augmentation des finances de l’Etat, ils y suppléeront, autant que la sphère de leurs connaissances peut s’étendre, par les moyens qu’ils vont indiquer. Art. 1er Etablir l’impôt territorial; la répartition en sera plus juste et le produit surpassera tous les autres. Art. 2. Supprimer les intendances et attribuer la connaissance des affaires de leur ressort aux juges royaux qui devront en connaître gratuitement dans l’année. Art. 3. Supprimer le corps des ingénieurs des onts et chaussées et faire faire leur service par es ingénieurs militaires. Art. 4. Supprimer les abbés commendataires et appliquer les revenus qu’ils perçoivent aux besoins de l’Etat. Art. 5. Supprimer les trésoriers de guerre dans les villes, puisque le major de chaque régiment peut remplir les fonctions. Art. 6. Réduire le nombre des personnes qui composent les états-majors des villes ; car les commandants et les majors peuvent faire alternativement le service. •Art. 7. Réduire les revenus des archevêques et des évêques et appliquer le surplus aux besoins de l’Etat. Art. 8. Vendre les biens des ordres mendiants au profit de l’Etat, non-seulement parce que leurs acquisitions sont des tributs qu’ils ont levés sur le peuple, mais encore parce qu'elles ont été faites au mépris de leurs constitutions et même des lois du royaume. Art. 9. Réduire le nombre des religieux et religieuses et ne leur laisser qu’un revenu qui les empêche de violer les vœux qu’ils ont faits. Art. 10. Réduire les pensions que le Roi paye et y suppléer par des marques d’honneur ; ce sont les récompenses qu’on doit seules ambitionner en servant l’Etat. Art. 11. Qu’il ne soit accordé aucun© récompense ni pension aux secrétaires d’Etat, qu’à ceux qui, à l’exemple de M. Necker, auront rempli les vœux du Roi et de la nation. Art. 12. Etablir un équilibre entre le prix des grains et le salaire de l’ouvrier ; en conséquence, empêcher que cette denrée soit désormais un objet de spéculation pour les hommes qui ne fondent leur fortune que sur les variations de son prix, dont ils savent si bien procurer l’augmentation par leur accaparement; il faudrait aussi bannir ces regrattiers, dont les principes sont les mêmes, et qui, par des manipulations obscures, vont vendre à cher prix dans les villages éloignés des marchés publics le rebut de cette denrée ; car ce n’est au profit du propriétaire ni du cultivateur que tourne la cherté des grains, mais uniquement au profit des accapareurs et de ces regrattiers qui spéculent sur le malheur commun, eux qui n’ont ni fermes à payer, ni impôts à craindre, ni industrie effective à entretenir; il v faudrait enfin ne jamais permettre l’exportion de cette denrée indéfiniment, mais seulement aux provinces dont la production d’une année serait justifiée devoir excéder plus que la consommation de deux années. Ainsi fait à Revin, le sixième jour d’avril 1789, paraphé par nous lieutenant général au bailliage royal d’Avesnes, le 17 avril 1789. Signé Pillot.