[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er mai 1790.] 353 trairont sans cesse, en courant la poste sans cesse. Mais on dit que l’ambulance des tribunaux assure l’impartialité des juges. Vous verrez qu’il est impossible qu’on sache quels juges le sort aura donnés ; vous verrez qu’il est impossible que les plaideurs aillent faire leurs compliments aux nouveaux juges; vous verrez qu’il est impossible que les juges, dans leur voyage, trouvent dans les lieux où ils s’arrêteront, d’aimables solliciteuses prêtes à affaiblir leur impartialité échauffée par le voyage. Rien n’empêche qu’il ne s’en trouve de soudoyées pour cela, et s’il y en a une qui soit protégée de M. le juge voyageur?... En un mot, nos intendants, dans leurs tournées, sont des modèles de juges ambulants ; voyez donc comme ils accréditent les vôtres. M. Tronchet (au moment où il parait à la tribune , des applaudissements universels se font entendre). La discussion est fermée. On a demandé la division, dans la crainte qu’on ne préjugeât de grandes questions. Je regarde ces questions comme aussi importantes que celle des jurés au civil. Je ne me sentirais pas le talent d’improviser sur des questions d’où dépend le maintien des propriétés; j’insiste donc sur la division, et je pense qu’on pourrait éviter toute difficulté en posant ainsi la question : « Y aura-t-il des jurés sédentaires ou des juges d’assises?» Si l’on croyait qu’il reste encore quelque équivoque, on pourrait proposer ainsi le décret : « Les juges de première instance seront sédentaires. L’Assemblée nationale se réserve de statuer ultérieurement si l’appel sera admis, et si les juges d’appel et de révision seront sédentaires. » M. le Président consulte l’Assemblée qui rend un décret ainsi conçu : « L’Assemblée nationale décrète que les juges de première instance seront sédentaires, l’Assemblée nationale se réservant de statuer ultérieurement si l’appel sera admis et si les juges d’appel ou de révision seront sédentaires. » M. le Président annonce qu’on va passer à l’examen de la question suivante : Y aura-t-il plusieurs degrés de juridictions ou bien l’usage de l’appel sera-t-il aboli? M. Pison du Galand. L’appel a existé chez toutes nations où il a existé des tribunaux; il était regardé comme le moyen le plus sûr d’arriver à une justice exacte. Je ne croyais pas qu’il pût y avoir sur cela le moindre doute ; mais, dès qu’il s’élève une question ce n’est plus l’expérience seule qu’il faut consulter, il faut entendre la raison. Sous les rapports moraux, l’appel est avantageux aux citoyens ; il amène à la conviction, donne moins l’air de la contrainte aux jugements. Le juge met plus d’attention dans l’instruction et dans les jugements de procès : le juge supérieur, voyant dans l’appel une espèce de dénonciation, examinera l’affaire avec un respect pour ainsi dire religieux. En cause d’appel, l’affaire se réduit, elle ne présente plus que des faits simples ; la décision des juges est portée d’une manière plus parfaite... Je conclus à ce que l’appel soit admis. M. de La Rochefoucauld. Vous avez hier décidé les jurés au criminel; il ne peut y avoir d’appel avec les jurés; décidez donc qu’il n’y lre SÉRIE. T. XV. aura pas d’appel au criminel, ou plutôt réservez la question, puisque vous avez ordonné la formation d’une nouvelle procédure criminelle. Je me restreindrai donc aux causes civiles : Qu’est-ce qu’un jugement? C’est l’opinion des hommes chargés de juger ; il se prononce d’après la pluralité des opinions. Le jugement rendu en dernier ressort pourra être prononcé à la minorité des suffrages des deux tribunaux réunis. Il faudrait d’ailleurs supposer que les juges d’appel seront plus éclairés que les juges d’instance : pourra-t-on le penser, si ceux-ci ont obtenu la confiance publique ? Je crois donc qu’il ne doit pas y avoir d’appel. M. Barnave. Je ne crois pas que l’appel puisse être une question sérieuse après que vous avez rejeté les jurés en matière civile. Les premiers juges, plus rapprochés des justiciables, pourront avoir des motifs d’intérêt, de préférence ou de haine, et vous livreriez sans retour les citoyens aux effets que ces motifs pourraient produire. Le juge d’appel, plus éloigné d’eux, échappera plus aisément à la séduction. L’instruction des affaires se fera d’une manière plus exacte quand le juge d’instance craindra la censure du tribunal d’appel. La voie de la révision ne supplée pas au second degré de juridiction; elle n’aura d’effet que sur l’application de la loi au fait reconnu et sur la forme. Le juge pourra, en observant les formes, échapper à la révision, et l’injustice triomphera. L’objet direct du tribunal de cassation ou de révision est d’assurer l’uniformité de la loi, et d’empêcher ces interprétations qui varient avec les juges et avec le pays. Ce tribunal sera nécessairement unique, et il serait physiquement impossible qu’on y portât toutes les" causes d’appel. On demande si les juges en seconde instance seront plus éclairés que les autres. On craint l’aristocratie des tribunaux; mais, sans doute, d’après l’organisation que vous donnerez à l’ordre judiciaire, les juges auront seulement la supériorité de l’âge, de l’expérience et des lumières, et cètte supériorité ne peut humilier personne... Vous ne pouvez donc pas vous dispenser, soit pour la liberté individuelle, soit pour l’unité de jurisprudence, d’admettre l’appel. Le jugement par jurés au criminel rend en cette matière l’appel impossible. Jamais on n’appellera du jugement des jurés sur le fait : les formes et l'application de la loi appartiennent aux juges, et cette partie dépend du tribnuai de révision. Ainsi, je pense qu’il faut décréter l’appel au civil, sauf les exceptions particulières qui pourront être jugées nécessaires, et sans rien préjuger en matière criminelle. M. Pétlon de Villeneuve. On vous a dit que les premiers juges seraient plus circonspects quand iis craindraient la censure des juges supérieurs. Les premiers juges, a-t-on dit encore, seront plus rapprochés des justiciables, et ne pourront se défendre d’influences étrangères. Les juges d’appel seront-ils exempts de passions? Les appels multiplieront les frais, favoriseront l’homme riche, écraseront le pauvre, et tous ces malheurs vous les consacrerez par une institution parfaitement inutile. Est-il nécessaire, en effet, de faire rendre des jugements qui ne jugeront qu’avec la volonté des parties? Je pense donc qu’il ne doit pas y avoir deux degrés de juri-I diction. On pourrait obtenir les avantages qui J faisaient désirer un tribunal d’appel, en établis-23 �Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l«>r mai 1790]. 354 santdes juges d’instruction qui décideraient provisoirement les affaires sommaires; les autres affaires ainsi instruites seraient portées aux tribunaux. (On ferme la discussion.) M. le Président met aux voix le décret suivant qui est adopté. « L’Assemblée nationale décrète qu’il y aura deux degrés de juridiction en matière civile, sauf les exceptions particulières qu’elle pourra déterminer, et sans entendre rien préjuger en matière criminelle. » M. le comte de l�atonclie, député de Montar-gis , demande à s’absenter pendant huit jours pour affaires importantes. Ce congé est accordé. M. le Président annonce l’ordre du jour pour ce soir et pour demain et lève la séance à deux heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du samedi 1er mai 1790, au soir (1). La séance est ouverte à 6 heures du soir. Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses suivantes : Délibération de la communauté de Saint-Laurent de Chamousset en Lyonnais, qui fait le don patriotique de la contribution des six derniers mois des privilégiés. Adresses de félicitation, adhésion et dévouement des nouvelles municipalités de la communauté d’Esquioule, diocèse d’Oléron, en Béarn, Vibrac, de Charente en Angoumois, de Saint-Martin d’Albert, district de Nérac, des villes de Tartas, de la Cépède et de Périgueux ; De la communauté du comté a’Albon en Dauphiné ; elle supplie l’Assemblée de lui accorder un canton, dont le chef-lieu serait Saint-Romain, et de comprendre ce canton dans l’arrondissement du district de Romans ; De la ville de Saint-Sauveur en Puisaye; elle fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Adresses des gardes nationaux de la ville d’Orléans, de la garde nationale parisienne, bataillon de l’Abbaye Saint-Germain-des-Prés, bataillon des Filles-Saint-Thomas, et bataillon de Po-pincourt, contenant l’expression d’une adhésion absolue aux décrets de l’Assemblée nationale, et d’un dévouement sans bornes pour leur exécution. Les bataillons de la garde nationale parisienne déclarent que, quelque parti que prenne l’Assemblée sur la permanence ou la non-permanence des districts de la capitale, ils emploieront toutes les forces qui sont en leur pouvoir, et verseront jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Adresse d’un soldat vétéran du régiment d’Auvergne, domicilié à Brie en Provence; il supplie (i) Cette séance est incomplète au Moniteur. l’Assemblée de lui permettre de s’associer au serment civique, prêté par le régiment d’Auvergne. « Je mourrai, dit-il, content au milieu de mes nouveaux camarades de la garde nationale, qui, d’une ardeur sans pareille, se sont dévoués au soutien de la Constitution, à la défense de tous vos décrets, au maintien de la tranquillité, qui, par leurs soins vigilants, n’a jamais été troublée dans cette ville. » Adresse des habitants de l’île d’Arvert. Ils sollicitent avec instance l’établissement d’un tribunal de district dans la ville d’Arvert. Adresses des nouvelles municipalités des communautés de DommarieetCulmont en Lorraine, de Saint-Marcellin en Forez, de Peyrieu, d’Arbigneux , Premeysel, Saint-Bois, de Gonzieu, d’Ambléon, de Viriguin, de Natage et de Colomieux, district de Beliey enBugey, delà ville de Saint-Dizier ; De la communauté des Tourettes en Dauphiné ; elle offre d’acquérir tous les biens ecclésiastiques qui sont dans son tinage, lesquels ont une valeur d’environ 80,000 livres ; De la communauté de Germigny, département de l’Yonne : elle offre d’acquérir des biens ecclésiastiques situés dans son territoire, pour la somme de 11,500 livres; De la ville de Vissembourg, département du Bas-Rhin : elle annonce que les déclarations patriotiques des citoyens s’élevant à la somme de 21,188 livres dont '4,113 liv. 14 s. sont déjà réalisées, et qu’outre cette somme, plusieurs citoyens ont fait le don pur et simple de la somme de 500 livres ; De la communauté de Saint-Sauveur-en-Rue, district de Saint-Etienne en Forez; elle fait des observations sur la répartition de l’impôt ; De la ville de Belgenties; elle annonce que la garde nationale, composée de 200 volontaires, a prêté le serment civique, ainsi que tous les autres habitants ; De la ville de Saint-Marcellin en Forez, et de Saint-André en Beauchêne, département des Hautes-Alpes ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés. Toutes ces municipalités, à l’exemple des précédentes, présentent à l’Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement. Adresse de la commune de Saint-Cyprien en Périgord, diocèse de Sarlat, qui demande rétablissement d’un collège que sa position et des circonstances locales peuvent exiger, comme un dédommagement pour la perte qu’elle éprouve du prieuré de Saint-Cyprien, qui était la seule ressource de cette ville. Don patriotique de la communauté des maîtres et marchands tailleurs d’habits et fripiers de la ville de Reims, qui offre une somme de onze cent cinquante-quatre livres deux sols six deniers, fruit de ses économies, et qui regrette que l’état de sa caisse ne permette pas de donner une somme plus considérable. Don patriotique de la ville de Pau en Béarn; qui offre une somme de 4,468 liv. 18 sols, 9 d. Adresse des habitants du Mont-Jura, de la commune de Morcy, qui, après avoir exprimé les sentiments de reconnaissance dont ils sont pénétrés pour la liberté qui leur a été rendue, jurent de maintenir et de défendre la Constitution, déclarent qu’ils ont soumis tous leurs procès à l’arbitrage et à la décision de leurs officiers municipaux, nouvellement élus, et offrent, pour leur don patriotique, une somme de 8,416 livres. L’Assemblée, après avoir entendu la lecture de cette dernière adresse, charge sou président d’é-