[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mars 1790.] 203 « Art. 10. Les ordres arbitraires emportant exil, et tous autres de la même nature, ainsi que toutes les lettres de cachet sont abolis, et il n’en sera plus donné à l'avenir. Ceux qui en ont été frappés sont libres de se transporter partout où ils le jugeront à propos. « Art. 11. Les ministres seront tenus de donner aux citoyens ci-devant enfermés ou exilés, la communication des mémoires et instructions sur lesquels auront été décernés contre eux les ordres illégaux qui cessent par l’effet du présent décret. « Art. 12. Les mineurs seront remis ou renvoyés à leurs pères et mères, tuteurs ou curateurs, 'au moment de leur sortie de prison ; les assemblées de district pourvoieront à ce que les religieux ou autres personnes qui, à raison de leur sexe, de leur âge ou de leurs infirmités, ne pourraient se rendre sans dépense à leur domicile ou auprès de de leurs parents, reçoivent en avance sur les deniers appartenant aujégime de la maison où ils étaient renfermés, ou sur les caisses publiques du district, la somme qui sera jugée nécessaire et indispensable pour leur voyage, sauf à répéter ladite somme sur le couvent dont les religieux étaient prefès, ou sur leurs familles ou sur les fonds du domaine. « Art. 18. Les officiers municipaux veilleront à ce que les personnes mises en liberté, qui se trouveraient sans aucune ressource, puissent ob� tenir du travail dans les ateliers de charité déjà établis ou qui seront établis à l’avenir. « Art. 14. Dans le délai de trois mois, il sera dressé, par les commandants de chaque fort ou prison d’Etat, supérieurs de maisons de force ou maisons religieuses, par tons détenteurs de prisonniers en vertu d’ordres arbitraires, un état de ceux qui auront été élargis, interrogés et visités, renvoyés par devant les tribunaux, ou qui garderont encore prison en vertu du présent décret. Cet état sera dressé sans frais et certifié. « Art. 15. Get état sera déposé aux archives du district, et il en sera envoyé des doubles en forme, signée dn président et du secrétaire, aux archives du département, d’où ils seront adressés au ministre du roi, pour être communiqués à l’Assemblée nationale. « Art. 16. L’Assemblée nationale rend les commandants des prisons d’Etat, les supérieurs des maisons dq force et maisons religieuses, et tous les détenteurs de prisonniers enfermés par ordre illégal, responsables, chacun en ce qui le touche, de l’exécution du présent décret, et elle charge spécialement les tribunaux de justice, les assemblées adqnnistratives de départements et de districts, et les municipalités, d’y tenir la main chacun en ce qui le concerne. M. Groiipil die Préfeli» fait la motion d’introduire en France une action publique, à l’effet de revendiquer et de tirer de prison tout citoyen illégalement détenu , action qui avait lieu chez les Romains. L’Assemblée charge son comité de constitution de lui présenter un article additionnel à ceux déjà arrêtés par elle, et tendant à assurer à chaque citoyen le droit de réclamer la représentation en justice de tout prisonnier détenu sans décret ni mandement de juge compétent, et l’exhibition des ordres qui ont attenté à sa liberté. M. le Président lève la séance, après avoir annoncé que l’ordre du jour de demain sera la discussion du mémoire présenté par la commune de Paris spp la vente clés biens domaniaux et ecclésiastiques, décrétée dans la séance du 19 décembre dernier. L’Assemblée se sépare à 10 heures du soir. ANNEXE à lasêance de l’ Assemblée nationale du\$març 1790. Motion sur la vente des biens de la nation par M. Aubry du Boche! (1). Messieurs, vous connaissez les conditions que le bureau de la ville propose pour la vente des biens dn clergé ; je ne les rappellerai point ; il me suffira de dire qu’on ne voit dans ces propositions que du papier, un emprunt et une loterie, c’est-à-dire, suivant mes faibles lumières, le cercle étroit et vicieux dans lequel nous vivons depuis si longtemps en matière de finances. Je dirai bien, avec ces Messieurs du bureau de la ville de Paris, que des effets municipaux, représentatifs d’une propriété, seraient bien capables de rétablir lecrédit, maisiine faut pas que ces effets soient du papier-monnaie comme les billets de la caisse, et s’il arrivait que l’Assemblée se vît dans la triste nécessité de les. adopter, dans ce cas, je voudrais que ces effets fussent commerçables, de simples billets à ordre, payables à époques fixes, même en portant intérêt, et dont le propriétaire actuel connût le dernier endosseur, enfin de ces billets qui ont cours dans le commerce. Je voudrais que ces billets ne pussent circuler qu’autant que celui à qui on les donnerait en paiement fût consentant de les prendre ; autrement, qui serait assuré que le billet qu’on présenterait ne serait point contrefait ? H s’agit, Messieurs, de la vente des biens de la nation, jusqu’à la concurrence d’une somme de 400 millions’; mais pourquoi ne point l'effectuer réellement cette vente? et pourquoi fictivement, c’est-à-dire ne point vendre? Qui empêche l’Assemblée de décréter qu’au premier mai prochain, je suppose, il sera procédé à cette vente? L’Assemblée a certainement le droit d’ordonner que, dans tous les, lieux où doivent se tenir les assemblées primaires, au moins, dans toutes les villes au-dessus de deux mille habitants, les officiers municipaux feront un état sommaire des biens de la nation qui se trouveront dans l'étendue de leur ressort. Dans ce cas, que reste-t-il à faire? d’autoriser alors les municipalités des villes à se faire remettre, par les municipalités des lieux de leurs arrondissements, même de cantons voisins, toujours les plus à portée de ces villes, des déclarations des biens du domaine et du clergé, et d’exposer en vente, jusqu’à concurrence d’une dixième partie de ces biens, ou de toute autre partie qu’il plaira à l’Assemblée de fixer, ne fût-ce qu’une vingtième partie. (1) M. Aubry du Bochet, membre du comité des finances, s’était fait inscrire pour parler sur les propositions faites par le bureau de la ville de Paris, à l’effet d’acquérir, jusqu’à concurrence d’une sornrna de 2QO millions, des biens de la nation; mais n’ayant point été appelé et pensant qu’il est de son devoir et de sa conscience de faire connaître son opinion qui est le fruit' de l’expéiience, il a pris le parti de faire imprimer sa motion. {Note de if. Aubry du Bochet.) 204 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 116 mars 1790.] S’il m’était permis, Messieurs, d’entrer dans quelques détails, j’aurais l’honneur de proposer à l’Assemblée d’exposer en vente ceux de ces biens qui sont par petites pièces, jusqu’à quatre arpents, et au-dessus de quatre arpents jusqu’à dix, mais après les avoir préalablement fait diviser. Les avantages d’une telle vente sont grands, sans doute. Pour le prouver, il suffît d’une seule observation. C’est la concurrence qui fait valoir les choses; il y a plus de citoyens jouissant d’une fortune médiocre que d’une grande fortune ; et l’on ne craint pas de dire que, de la première espèce, il s’en trouve souvent cent contre un : dès lors, peut-on mettre en question, si, en vendant en petite partie des biens qui conviennent au plus grand nombre, cette partie ne sera pas mieux vendue? On ne peut en douter : il ne faut pas de logique pour le démontrer. Il en sera de même pour le paiement : le citoyen qui acquiert un bien de mille écus, a son argent prêt, et paiera presque toujours au comptant, surtout si on prenait pour comptant jusqu’à concurrence d’un quart ou d’un tiers telles créances que ce soit sur l'Etat, tandis que l’acquéreur, en grande partie, n’a souvent pasle quart de ce qu’il faut pour rempbr ses engagements -, cette seconde vérité n’a pas plus besoin de preuve que la première. A l’égard des biens consistant en corps de fermes, ou en pièces au-dessus de dix arpents, je pense qu’il n’est pas temps de les vendre, et qu’il faut attendre l’organisation des assemblées de départements et de districts ; mais, quant aux petites parties, je ne vois aucun inconvénient que l’Assemblée, sans autre examen ultérieur, n’en ordonne la vente, jusqu’à concurrence de la portion qu’il convient d’aliéner en exécution du décret du 19 décembre dernier, c’est-à-dire jusqu’à concurrence de 400 millions. A Paris, par exemple, on pourrait vendre toutes les petites parties, comme maisons particulières, jardins et autres héritages servant de magasins, chantiers, etc. ; et, comme il ne faut pas quinze jours pour avoir une connaissance exacte de ces biens, on ne doit pas craindre de rien précipiter en faisant procéder à cette vente, sans avoir recours à aucun intermédiaire. En effet, Messieurs, avons-nous besoin de nous procurer un crédit emprunté, quand nous en avons un réel et au-dessus de tout événement? Les quarante mille municipalités du royaume, réunies à plus de deux mille villes, chefs -lieux de leurs arrondissements, ne valent-elles pas bien toute compagnie quelconque? D’ailleurs, contier à une compagnie, à un seul homme (car une compagnie n’a qu’un même esprit d’intérêt), c'est confier les intérêts de toutes les destinées de la France à un seul. Ce n’est point en proposant éternelLment du papier, des emprunts et des loteries, que nous parviendrons à établir une régénération et l’ordre oans toutes les parties? Ainsi, Messieurs, rejetons ces propositions que nos financiers ne cessent de nous faire depuis qu’il est question de finances, et toutes celles qui peuvent y avoir la moindre analogie , car l’effet de ces propositions ne tend qu’à nous plonger plus profondément dans l’abîme. Oui, Messieurs, tant que notre crédit n’aura d’existence qu’avec l’or des capitalistes, nous ne verrons point d’argent; et quand le citoyen voudra s’en procurer, il n’y parviendra qu’en le payant chèrement. Eh ! Messieurs, laissons à ces capitalistes leur or et leur argent dont ils sont si avides, et dont ils tirent tant de gloire, qu’ils s’en gorgent et regorgent jusqu’à satiété. Nous serions perdus pour jamais, s’il fallait que ce fût à eux que nous dussions notre apparente restauration. Elle est dans nos mains, Messieurs, cette restauration. Veudons nos biens, vendons, sinon au comptant, au moins pour les deux tiers, et l’autre tiers pour des effets royaux, ou autres créances sur l’Etat ; ce sera autant de dettes acquittées. Mais vendons-les surtout, ces biens, par parcelles, pour empêcher les accapareurs. Nous nous procurerons, par cette opération, l’argent dont nous avons besoin, et qui manque partout. Etablissons ensuite l’impôt à sa véritable source; faisons-le surtout payer à nos riches propriétaires, je veux dire dans la proportion des richesses de chacun, et vous verrez si nous ne rétablissons pas bientôt, non pas une fausse abondance, comme celle qui résulte d’un crédit emprunté, mais cette abondance réelle et vivifiante, qui naît toujours des véritables richesses, et qui nous inonde de ses bienfaits, quand les sources n’en sont pas détournées par les ennemis du bien public. Ce sont ces derniers, Messieurs, qui nous arrêtent sans cesse dans notre course, et qui ont déjà obtenu trois mois de retard sur l’année courante, et qui se flattent sans doute d’en obtenir encore par de nouvelles difficultés. Trois mois de perdus ! quand il y va du salut de l’Etat de n'en perdre aucun ! quand tout périt ! O prodige inconcevable de la modération française ! O conduite incroyable d’une nation éclairée et impétueuse ! Elle est sur le bord du précipice, et elle s’y endort ! Elle trouve même des panégyristes de sa propre destruction ! Et quand elle peut sauver la patrie, elle délibère; elle paraît hésiter... Mais non : je m’égare. Le Français a brisé ses fers ; il n’a plus que quelques ennemis à combaltre. Mais l’instant est arrivé. 11 va en triompher pour jamais, en ne souffrant pas que les compagnies de finances, caisse d’escompte ou autres, même en passant par le canal le plus pur sous un masque emprunté, prennent une nouvelle existence. Voici ma motion : J’ai l’honneur de demander à l'Assemblée de renvoyer au comité des finances la rédaction d’un projet de décret, pour la vente en détail d’une partie des biens de la nation par tout le royaume, jusqu’à concurrence d’une somme de 400 millions, dont les deux tiers payables comptant et un tiers en papier ou créances sur l’Etal, de quelque nature que ce soit, et de comprendre dans cette vente la partie de biens que l’Assemblée est disposée à vendre à la municipalité de la ville de Paris, mais aux conditions que la ville de Paris, si elle est autorisée à payer en papier portant intérêt à 4 0/0, sera tenue de ne mettre en circulation que des billets à ordre ou de commerce et non un papier-monnaie, et par conséquent forcé , et que le comité lui en fasse le rapport dans le p’us court délai possible.