[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 septembre 1790.] La discussion des autres articles est renvoyée au surlendemain. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur un plan général de liquidation de la dette publique. M. Malouet (1). Messieurs, la discussion du rapport de votre comité des finances vous en a fait perdre de vue les détails et les développements (2). A peine le rapporteur, vous eut-il rendu compte des considérations graves qui avaient embarrassé et suspendu, entre trois partis différents, la décision de votre comité, qu’il s’éleva une opinion entraînante pour le plus hasardeux des partis proposés, et nous avons bientôt entendu dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, ces flots orageux de motionnaires ambulanis, commander l’émission de deux milliards d’assignats, comme la mesure la plus patriotique. Déjà les écrivains et les crieurs publics, qui disposent avec eux de la renommée, l’ont chargée de marquer du sceau de la réprobation tous les adversaires des assignats. J’attendais en silence le résultat de vos opérations, lorsque ces mouvements ont excité mon attention.... J’ai été interrompu par un de ces incidents qui résultent trop souvent de l’opposition des principes (3). Il serait raisonnable de ne voir, dans tous les systèmes, que des conceptions libres, qui appartiennent alternativement à l’erreur et à la vérité : mais un des dangers de notre position, c’est de ne rien voir froidement; c’est de nous irriter, comme Xerxès contre les flots ; c’est de transporter nos préventions dans nos jugements; Pour moi, je l’avoue, Messieurs, c’est l’impression que j’ai reçue de tout ce que j’ai vu et entendu d’extraordinaire sur la question qui vous occupe, c’est, dis-je, cette impression qui m’a décidé à la traiter. J’étais embarrassé, et je ne le suis plus; car je n’avais rien à opposer aux assignats employés avec circonspection par la nécessité : mais lorsqu’on nous présente une grande émission de papier-monnaie comme une source de richesses et de prospérité, j’attaque ce système : car je n’ai jamais vu sortir une opération pure et saine des exagérations, des mouvements passionnés, dans lesquels on entraîne le peuple. La discussion qui avait eu lieu au comité des finances, l’art, la méthode, la circonspection du rapport m’avaient fait pencher pour l’expédient mitoyen, proposé par M. de Montesquiou. Payer la dette, au choix 'des créanciers, en assignats-monnaie, sans intérêts ou en quittances de finance portant intérêt, me paraissait une mesure sage et adroite qui ménageait l’opinion, et pouvait mantenir le crédit de l’un et l’autre papier. Mais que faire d’un expédient raisonnable, lorsqu’on ne peut en diriger l’emploi qu’au milieu des inquiétudes, des alarmes etdes mouvements les plus impétueux ? Tout ce qui paraît sage et praticable dans le silence du cabinet, se désordonné dans le tumulte qui nous environne ; et de même que poursefaireentendredans une foule bruyante il faut obtenir le silence, de même pour opérer, avec succès, au milieu de tant d’hommes inquiets, qui s’attribuent toutes les fonctions, l’autorité du (1) Le Moniteur de donne qu’une courte analyse du discours de M. Malouet. (2) Voy. plus haut le rapport de M. de Monlesquion sur la dette publique, séance du 27 août 1790. (3) Voy. plus haut la séance du 3 septembre 1790. 27 gouvernement, il faudrait en obtenir quelque tranquillité. Cette considération m’a fait voir, avec effroi, les effets probables de la proposition qui paraît avoir le plus de partisans, celle de payer en assignats-monnaie toute la dette exigible. J’ai réuni, sous un même point de vue, les embarras des finances et tous ceux de notre position ; j’ai vu une masse d’obstacles, qui ne pouvaient être brisés que par une force et une raison supérieures. Je vais vous rendre compte de mes aperçus. Je ne sais point séparer ce qui est indivisible; toutes les opérations partielles me paraissent ce qu’elles sont, inutiles ou dangereuses. Voulez-vous rétablir l’ordre dans les finances? Vous en avez les moyens : vous pouvez payer, vendre, imposer, satisfaire les créanciers; mais rien de tout cela n’est possible si leur sécurité ne devient commune à tous les citoyens. La dette exigible s’élève à 1,900 millions, sans compter les assignats actuellement en émission; vous pouvez la payer par l’aliénation des domaines nationaux, si cette opération s’exécute avec l’ordre qui peut seul la rendre utile. Déjà les moyens, les conditions de vente, les formes à employer sont arrêtés; si l’on pouvait diviser celte masse de fonds territoriaux en autant de portions que vous avez de créances à acquitter, votre libération s’opérerait sans tous les préalables, devenus nécessaires, sans aucun des obstacles que vous avez à vaincre : chaque créancier recevrait une valeur égale à son titre, et comme les biens-fonds sont les véritables richesses, que l’argent n’en est que le signe, celui qui, pour le prix d’un office ou d’un contrat quelconque, recevrait un champ ou une maison d’un prix équivalent, n’aurait point à se plaindre, car ce qui forme aujourd’hui son hypothèque, deviendrait sa propriété. Il est malheureusement impossible de procéder à cette distribution, simple et immédiate, des domaines nationaux en faveur de vos créanciers; ils ne peuvent devenir propriétaires d’un fonds équivalent à leur titre qu’en se présentant aux concours des enchères, et vous êtes obligés de les payer pour leur donner les moyens d’acheter. Un signe quelconque, pourvu qu’il représente certainement la valeur d’une partie de vos domaines, devient alors un payement légitime, car vous ne pouvez ni n’entendez donner des métaux, mais seulement le fonds que vous avez assigné pour hypothèque à la créance. Si ce signe arrive sans écart à sa destination, s’il n’est et ne peut être qu’un moyen d’échange d’un contrat contre une portion de terre, vous remplissez sans troubles et sans obstacles vos engagements; vous faites ce que vous voulez faire, qui est de vous acquitter. Il n’en résulte aucun engagement; la masse du numéraire destinée au commerce n’est point accrue, les changes avec l’étranger ne reçoivent aucune commotion défavorable. Il y aura un mouvement sensible, mais point convulsif, dans les propriétés et la valeur des denrées; celle des salaires restera toujours en proportion avec les espèces circulantes. Si, au contraire, le signe que vous emploierez en payement devient universel et propre à toute espèce d’échange, il faut, pour lui conserver la valeur, qu’il puisse se convertir à volonté, non seulement en domaines nationaux mais en argent, mais en toute espèce de denrées ou marchandises; et s’il existe un autre signe avec lequel on puisse avoir à meilleur prix tous les travaux, tous les salaires, tous les objets de consommation ; dès