62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il employa cependant tous les moyens possibles pour y parvenir : il a fait distribuer de l’argent, donner des comédies gratis, où il se trouvait pour sottiser ceux qui auraient pu prendre la place qu’il se destinait; il a fait donner aussi des bals publics. Il faisait tous les deux jours assembler le peuple, le pérorait comme faisaient autrefois les Oratoriens, et répétait sans cesse ces mots : Citoyens, je dirai comme Saint-Just : « La révolution est un coup de foudre, il faut frapper... point de pitié... ». Ces mots, pour lui chéris, de Robespierre et de Saint-Just, lui venaient continuellement à la bouche. Nous ne parlerons pas de la conduite qu’il a fait tenir à son tribunal révolutionnaire; nous nous bornerons à dire que, s’il avait suivi les lois, bien des têtes seraient encore sur les épaules; mais il lui fallait du sang... Il fut supprimé, ce tribunal, et il le remplaça, en quelque sorte malgré la loi, par une commission inquisitoriale, qu’il prit parmi les membres qui le composaient. Quelques patriotes se soulevèrent contre cette commission, et ne voulurent pas la regarder comme autorité constituée. Que fit Le Bon ? Il la supprima et plaça plusieurs de ses membres dans le comité révolutionnaire; il est aisé de voir qu’il voulait toujours se réserver un parti. Nous tranchons sur les détails de la conduite indigne et tyrannique qu’il a tenue envers les citoyens Burard, officier de santé en chef à l’hôpital de la Montagne; Leroi, dit Unité, et Brabant, tous deux membres du conseil général de la commune de Cambrai, et autres dont il pourrait vous être donné les preuves les plus convictives : nous parlerons de celle qu’il a tenue décadi dernier, fête célébrée en l’honneur des jeunes Barra et Viala, martyrs de la liberté, jour où les têtes des triumvirs tombèrent sous le glaive de la loi. Au temple dédié à l’Etre suprême, il balbutia quelques mots relatifs à cette fête, et, à la fin de sa péroraison, il invita toutes les autorités civiles et militaires, ainsi que le peuple, à se réunir le lendemain, deux heures de relevée, pour quelque chose d’intéressant qu’il avait à leur communiquer. Il croyait sans doute leur apprendre que la faction du triumvirat l’avait emporté; il attendait cette nouvelle avec impatience, sans quoi il aurait pu annoncer ce qu’il avait à dire au moment même, puisque les autorités s’y trouvaient réunies. Cette époque, citoyens, doit vous faire ouvrir les yeux, et ne vous laisser aucun doute qu’il trempait dans ce complot infâme et liberticide. Frappez, législateurs, frappez, comme vous l’avez fait, ces têtes coupables... et la république est sauvée (1). (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 382; Débats, nu 681, 268. Sur quoi la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale renvoie au comité de sûreté générale la dénonciation faite à la barre par les citoyens Courtecuisse et Mahieux, habitans de la commune de Cambrai, contre Joseph Le Bon, représentant du peuple (1). Un membre [André DUMONT] demande le rapport du décret d’ordre du jour rendu sur les accusations ci-devant portées contre Joseph Le Bon; il conclut en outre à son arrestation provisoire et à sa prompte punition. Un autre membre [CLAUZEL] appuie ces propositions, et demande que préalablement Joseph Le Bon soit entendu (2). [Applaudissements]. André Dumont : Citoyens, vous venez d’entendre des vérités déchirantes. La justice fut longtemps outragée dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord; ce bourreau, choisi par Robespierre, y faisait ruisseler le sang. Le Bon, cet homme sanguinaire, que nous avons le malheur de voir parmi nous; Le Bon, ce monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale, vous le voyez salir cette tribune, et y exhaler le venin de son âme infernale. Il n’existe pas une minute où il ne médite un nouveau crime, où il ne prépare un assassinat. C’est bien à lui qu’on peut adresser ce discours : « Monstre ! va dans les enfers cuver le sang de tes victimes ». Sans doute, citoyens, ce grand scélérat va expier ses crimes; sans doute il va disparaître de la société. Le jour est venu où ces assassins vont recevoir le salaire de leurs forfaits; le règne des fripons, des buveurs de sang, des traîtres, est passé; l’innocence va triompher; les bons citoyens se sentent renaître. Leurs âmes se dilatent : la mort d’un de ces scélérats est le triomphe des républicains. Poursuivons avec acharnement tous les ennemis de la patrie. Faisons tomber leurs têtes coupables, mais respectons l’innocence; faisons aimer et chérir la révolution par la justice, et remplaçons le système odieux de la proscription par celui de la punition des coupables. Je demande le rapport du décret par lequel vous passez à l’ordre du jour sur les accusations dirigées contre Le Bon; je demande son arrestation et sa prompte punition. Ne laissons pas plus longtemps ce monstre dégouttant de sang siéger parmi nous; purgeons-en la société. Clauzel : Je suis persuadé aussi que Le Bon est un scélérat; mais je demande qu’il soit entendu (3). Joseph Le Bon à la tribune obtient la parole : il parle pour sa justification, répond à plusieurs faits, et termine par demander d’être interrogé sur tous les faits sur lesquels on veut qu’il réponde, ou que la (1) Décret n° 10 216, sans nom de rapporteur. (2) P. V., XLII, 305. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. 62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il employa cependant tous les moyens possibles pour y parvenir : il a fait distribuer de l’argent, donner des comédies gratis, où il se trouvait pour sottiser ceux qui auraient pu prendre la place qu’il se destinait; il a fait donner aussi des bals publics. Il faisait tous les deux jours assembler le peuple, le pérorait comme faisaient autrefois les Oratoriens, et répétait sans cesse ces mots : Citoyens, je dirai comme Saint-Just : « La révolution est un coup de foudre, il faut frapper... point de pitié... ». Ces mots, pour lui chéris, de Robespierre et de Saint-Just, lui venaient continuellement à la bouche. Nous ne parlerons pas de la conduite qu’il a fait tenir à son tribunal révolutionnaire; nous nous bornerons à dire que, s’il avait suivi les lois, bien des têtes seraient encore sur les épaules; mais il lui fallait du sang... Il fut supprimé, ce tribunal, et il le remplaça, en quelque sorte malgré la loi, par une commission inquisitoriale, qu’il prit parmi les membres qui le composaient. Quelques patriotes se soulevèrent contre cette commission, et ne voulurent pas la regarder comme autorité constituée. Que fit Le Bon ? Il la supprima et plaça plusieurs de ses membres dans le comité révolutionnaire; il est aisé de voir qu’il voulait toujours se réserver un parti. Nous tranchons sur les détails de la conduite indigne et tyrannique qu’il a tenue envers les citoyens Burard, officier de santé en chef à l’hôpital de la Montagne; Leroi, dit Unité, et Brabant, tous deux membres du conseil général de la commune de Cambrai, et autres dont il pourrait vous être donné les preuves les plus convictives : nous parlerons de celle qu’il a tenue décadi dernier, fête célébrée en l’honneur des jeunes Barra et Viala, martyrs de la liberté, jour où les têtes des triumvirs tombèrent sous le glaive de la loi. Au temple dédié à l’Etre suprême, il balbutia quelques mots relatifs à cette fête, et, à la fin de sa péroraison, il invita toutes les autorités civiles et militaires, ainsi que le peuple, à se réunir le lendemain, deux heures de relevée, pour quelque chose d’intéressant qu’il avait à leur communiquer. Il croyait sans doute leur apprendre que la faction du triumvirat l’avait emporté; il attendait cette nouvelle avec impatience, sans quoi il aurait pu annoncer ce qu’il avait à dire au moment même, puisque les autorités s’y trouvaient réunies. Cette époque, citoyens, doit vous faire ouvrir les yeux, et ne vous laisser aucun doute qu’il trempait dans ce complot infâme et liberticide. Frappez, législateurs, frappez, comme vous l’avez fait, ces têtes coupables... et la république est sauvée (1). (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 382; Débats, nu 681, 268. Sur quoi la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale renvoie au comité de sûreté générale la dénonciation faite à la barre par les citoyens Courtecuisse et Mahieux, habitans de la commune de Cambrai, contre Joseph Le Bon, représentant du peuple (1). Un membre [André DUMONT] demande le rapport du décret d’ordre du jour rendu sur les accusations ci-devant portées contre Joseph Le Bon; il conclut en outre à son arrestation provisoire et à sa prompte punition. Un autre membre [CLAUZEL] appuie ces propositions, et demande que préalablement Joseph Le Bon soit entendu (2). [Applaudissements]. André Dumont : Citoyens, vous venez d’entendre des vérités déchirantes. La justice fut longtemps outragée dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord; ce bourreau, choisi par Robespierre, y faisait ruisseler le sang. Le Bon, cet homme sanguinaire, que nous avons le malheur de voir parmi nous; Le Bon, ce monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale, vous le voyez salir cette tribune, et y exhaler le venin de son âme infernale. Il n’existe pas une minute où il ne médite un nouveau crime, où il ne prépare un assassinat. C’est bien à lui qu’on peut adresser ce discours : « Monstre ! va dans les enfers cuver le sang de tes victimes ». Sans doute, citoyens, ce grand scélérat va expier ses crimes; sans doute il va disparaître de la société. Le jour est venu où ces assassins vont recevoir le salaire de leurs forfaits; le règne des fripons, des buveurs de sang, des traîtres, est passé; l’innocence va triompher; les bons citoyens se sentent renaître. Leurs âmes se dilatent : la mort d’un de ces scélérats est le triomphe des républicains. Poursuivons avec acharnement tous les ennemis de la patrie. Faisons tomber leurs têtes coupables, mais respectons l’innocence; faisons aimer et chérir la révolution par la justice, et remplaçons le système odieux de la proscription par celui de la punition des coupables. Je demande le rapport du décret par lequel vous passez à l’ordre du jour sur les accusations dirigées contre Le Bon; je demande son arrestation et sa prompte punition. Ne laissons pas plus longtemps ce monstre dégouttant de sang siéger parmi nous; purgeons-en la société. Clauzel : Je suis persuadé aussi que Le Bon est un scélérat; mais je demande qu’il soit entendu (3). Joseph Le Bon à la tribune obtient la parole : il parle pour sa justification, répond à plusieurs faits, et termine par demander d’être interrogé sur tous les faits sur lesquels on veut qu’il réponde, ou que la (1) Décret n° 10 216, sans nom de rapporteur. (2) P. V., XLII, 305. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 376.