BAILLIAGE DE MELUN. CAHIERS De Tordre du cierge' des bailliages de Melun et Moret [ 1). Les membres qui composent l’ordre du clergé des bailliages de Melun et Moret, convoqués par ordre du Roi pour envoyer des députés aux prochains Etats généraux et pour coopérer, dans cette illustre assemblée, à la régénération de la félicité publique, s’empressent d’exprimer à la nation les sentiments qui les animent au moment où la France entière va reprendre son ancienne énergie, trop longtemps ensevelie sous les ruines de sa liberté. Ils ne doutent pas que les Français, rétablis dans leurs pratiques, droits de voter eux-mêmes leurs subsides, de réformer les abus de l’administration et de prescrire l’établissement des lois qui doivent assurer les propriétés et protéger également toutes les classes de citoyens, ne consacrent par leur amour et par leur reconnaissance le souvenir du plus juste des rois. Ils ne doivent pas oublier que Louis XVI s’est fait gloire de régner sur un peuple libre ; qu’il a voulu sonder devant tous ses sujets les plaies de l’Etat, afin de trouver dans leur sollicitude les moyens de faire revivre cette prospérité nationale, à laquelle son cœur aspire depuis qu’il est assis sur le trône. L’ordre du clergé des bailliages de Melun et Moret, persuadé qu’il faut surtout accélérer le moment heureux où les représentants d’une grande nation vont se concerter ensemble, pour trouver dans leur zèle et dans leur patriotisme les ressources qui peuvent rendre à cet Etat son ancienne splendeur, n’a voulu déterminer que les points essentiels qui doivent à jamais établir notre constitution sur des bases inébranlables. L’ordre du clergé, après avoir consolidé cet édifice national que le despotisme ministériel travaillait à détruire depuis cent soixante-quinze années, proposera ensuite à la chambre ecclésiastique des Etats généraux de s’occuper des différents objets qui intéressent la religion et tout le clergé du royaume; il se bornera à fixer son attention sur plusieurs réformes à faire dans l’administration et dans la législation. Le Roi a daigné assurer l’établissement des administrations provinciales ; c’est au milieu des Etats généraux qu’il en fera sentir toute l’importance ; et comme elles remédieront plus immé-, diatement aux maux dont elles seront témoin, il ' semble qu’il suffira d’en tracer l’esquisse dans . l’assemblée de la nation qui ne portera que rapi-' dement ses regards patriotiques sur les objets qui n’auront pas un rapport direct avec le grand ensemble de l’administration. En conséquence, l’ordre du clergé des bailliages de Melun et Moret estime que la première chose dont l’assemblée des Etats généraux doive s’oc-(11 Nous publions ce document d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. cuper, c’est de concerter et d’arrêter avec Sa Majesté un corps de lois constitutionnelles formellement inscrites, clairement énoncées et consignées immuablement dans un registre national; à quel effet les Etats généraux ne s’occuperont d’aucun autre objet, et notamment ne consentiront à aucune levée d’impôts, que toutes les parties constituantes de ce code ne soient définitivement arrêtées, rédigées et promulguées comme la base de la constitution française. Art. 2. Qu’après avoir posé pour maximes fondamentales que le gouvernement du royaume est monarchique, que la couronne est héréditaire et que les filles sont exclues du trône, il serait statué que le pouvoir souverain n’existant dans un seul que pour le bonheur de tous, il ne peut bien remplir cette destination qu’autant que la nation sera consultée sur tout ce qui l’intéresse; qu’en conséquence, les assemblées nationales sont de l’essence du gouvernement ; que ces assemblées seront et demeureront composées des trois ordres distingués entre eux, et que leur retour périodique sera invariablement fixé tous les trois ans. Art. 3. Que'Iesdites assemblées détermineront pour toujours, sauf à faire elles-mêmes parla suite les changements que le temps aurait rendu nécessaires, la forme de leur convocation, le nombre des députés de chaque province dans chacun des trois ordres, enfin, tout ce qui tient à leur organisation. Art. 4. Que toutes provinces ayant le plus grand intérêt à s’administrer elles-mêmes, afin de mieux connaître leurs facultés, leurs besoins et l’étendue de leurs charges, et s’assurer de l’égalité proportionnelle dans la répartition des impositions, il leur sera accordé des assemblées provinciales ou Etats provinciaux, composés d’un nombre de représentants suffisants, pris dans chaque ordre et par eux librement élus, conformément au plan qui en sera tracé, avec la restriction, néanmoins, qu’ils ne pourront consentir hors de l’assemblée des Etats généraux aucune imposition, dont tous les deniers ne tourneraient pas au seul profit et pour le seul besoin de la province, ou de la partie d’icelle sur laquelle elle serait assise. Art. 5. Qu’aucune loi ne prendra le caractère et le rang de la loi constitutionnelle qu’avec le consentement de la nation, et que, quand elle aura ce caractère et ce rang, il ne pourra plus y être dérogé, changé ni ajouté, sans ce même consentement. Art. 6. Que quoiqu’il y ait d’excellentes dispositions dans les codes civil et criminel, plusieurs articles cependant ayant besoin d’être corrigés, redressés et perfectionnés, le Roi sera supplié de faire travailler incessamment à la réformation desdits codes civil et criminel, demandant surtout, à l’égard du dernier, que les projets en soient faits et mis sous les yeux de rassemblée générale suivante. Et cependant, l’ordre du clergé des bailliages de 734 [Étais gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Melun. J Meulun et Moret, considérant combien jusqu’à pré-sent la vie et l’honneur des citoyens ont été com-l promis par le défaut de ces mêmes lois, demande qu’il soit déclaré constitutionnellement que l’instruction de la procédure criminelle ne sera plus secrète, mais publique, et qu’il sera permis aux accusés de prendre des conseils pour défendre leurs causes. Art. 7. La promulgation et la vérification des lois, par un usage aussi antique et aussi sage u’il a été utile, appartenant à ceux qui, chargés e leur exécution, en sont les dépositaires naturels , et leurs personnes, dans le rapport de ces nobles fonctions, devant être aussi sacrées que la loi même, il sera constitutionnellement établi qu’aucun magistrat ne pourra être destitué de sa charge que par jugement de ses pairs, ou pour cause de forfaiture. Art. 8. Ces objets préliminairement réglés et établis, les Etats généraux s’occuperont de ce gui concerne les droits de tous et de chaque individu. Ges droits sacrés au livre de la nature et de l’humanité , ainsi qu’au code de la justice et de la raison, sont les droits de liberté, les droits de propriété, les droits de tranquillité ou de sûreté personnelle. L’ordre du clergé des bailliages de Meulun et Moret demande d’abord l’abolition de toutes lettres de cachet, que Sa Majesté a bien voulu déjà promettre ; qu’en conséquence, il sera constitutionnellement établi que nulle personne en France ne pourra être arrêtée ou emprisonnée qu’en vertu d’un jugement légal ou de la loi du pays ; que si quelqu’un est privé de sa liberté par ordre ou par décret illégal, même par commandement direct de Sa Majesté royale, ou de son conseil, il obtiendra dans les vingt-quatre heures une comparution formelle, à l’effet de se présenter en personne devant le tribunal ordinaire et compétent, lequel décidera si l’emprisonnement est juste ; et il pourra même, après ce jugement, à moins qu’il ne soit arrêté pour crimes capitaux, demander d’être élargi provisoirement, en prêtant caution suffisante, sur quoi le tribunal prononcera ce qu’en justice appartiendra. Art. 9. La liberté morale et des facultés intellectuelles étant encore plus précieuse à l’homme que celle du corps et des facultés physiques, toute violation du sceau des lettres sera interdite; et il sera constitutionnellement défendu aux ministres, et à toute personne sans exception, d’en ordonner, permettre ou faire l’ouverture ; et toute transgression de cette défense sera déclarée punissable, comme crime de lèse-foi publique. Il sera en outre libre de faire imprimer et publier tout ouvrage, sans avoir besoin préalablement de censure et de permission quelconque ; mais les peines les plus sévères seront portées contre ceux qui écriraient contre la religion, les mœurs, la personne du Roi, la paix publique, et contre tout particulier : ordonnant aux gens du Roi et aux cours d’y tenir la main, permettant à tout citoyen d’en poursuivre la punition ; à quel effet, le nomde l’auteur et del’imprimeur devra se trouver en tête du livre. Art. 10. Les droits de propriété étant aussi sacrés que ceux de la liberté, il en résulte que tout ce qui porte atteinte, directement ou indirectement, à ces droits, doit être proscrit constitutionnellement. Or, c’est une dépendance du droit de propriété qu’il ne soit établi ni prorogé aucun impôt sans le consentement de la nation ; qu’il soit réparti dans une juste proportion sur toutes les propriétés généralement quelconques et sans exception. G’esl pourquoi le clergé des bailliages de Melun et Moret déclare consentir à payer comme tous les autres sujets du Roi, et de lar même manière, proportionnellement à leurs revenus. Art. 11. Que toutes les conventions contractées ci-devant, ou qui, du consentement de la nation, toujours nécessaire à l’avenir, seront dorénavant contractées avec ceux qui ont prêté ou prêteront leurs fonds pour les ;hesoins de l’Etat, seront exactement remplies, leurs créances étant de vraies propriétés. Qu’en conséquence les rentes viagères ou perpétuelles, créées pour tenir lieu de l’intérêt des fonds prêtés à l’Etat, ne pourront, en aucun cas, subir de réduction; que leur acquittement ne pourra pas être suspendu ni retardé, et que les payements en seront faits en espèces sonnantes et non en papier, si ce n’est avec le consentement du créancier. Art. 12. Pour qu’on ne soit plus à l’avenir ex-, posé à des augmentations d’impôts, il sera demandé que la dépense ordinaire de chaque département soit fixée, en sorte qu’on ne puisse jamais l’outre-passer que pour des besoins extraordinaires, tels sont ceux qu’une sage et prévoyante politique peut exiger ; auquel cas le ministre, dans le département duquel elle aura eu lieu, sera obligé d’en déduire les motifs et d’en rendre compte à la première tenue des Etats généraux. Et afin qu’en tout temps les trois ordres puissent connaître la véritable situation des finances de la nation, les comptes effectifs de chacune des années qui se seront écoulées dans l’intervalle d’une assemblée à l’autre seront rendus aux Etats généraux, dans la forme per eux adoptée. Enfin, pour que les ministres ne puissent jamais oublief que la nation aura sans cesse l’œil ouvert sur leur conduite, tant pour approuver les bons services qu’ils auraient rendus que pour les empêcher de se départir des règles établies, il doit être statué constitutionnellement, indépendamment du principe de droit naturel qui les y oblige, que tout administrateur, pour son département, sera responsable de sa gestion auxdits Etats généraux. Toutes et chacune de ces dispositions, qui ne tendent qu’à affermir les antiques bases de la constitution, à régénérer la monarchie française, à assurer le bonheur et la tranquillité publique et resserrer les liens qui attachent les sujets à leur souverain, sont les principales des lois que le clergé des bailliages de Melun et Moret a jugé devoir entrer dans la composition du code constitutif de la nation. Pour achever de satisfaire aux intentions de Sa Majesté, relativement à l’Etat des finances, à l’amélioration de toutes les parties du gouvernement et à la réformation des abus, le même clergé estime : Art. 13. Qu’on doit songer principalement aux moyens d’obtenir une diminution prompte, graduelle et sûre des impositions déjà trop onéreuses. Il demande, en conséquence, qu’il soit établi une caisse d’amortissement nationale dont les de-, niers ne puissent être détournés sous aucun pré-, texte, et dont le fonds progressif, par le résultat! des différentes extinctions, soit continuellement ! et invariablement employé à sa destination jusqu’à la libération totale de l’Etat. Art. 14� Que comme les premiers désordres dans les finances se sont manifestés par l’abus des anticipations, le retour au bon ordre doit [États gén. 1789. Cahiers.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Bailliage de Melun.] 735 s’annoncer, chaque anné, par une diminution successive de leur masse actuelle, que la prudence exige. Art. 15. Que la malheureuse situation des finances ne permettant pas d’espérer la diminution des impôts, lorsqu’au contraire elle en paraît exiger l’augmentation, les Etat généraux sentiront qu’il est indispensable de procurer quelques soulagements au peuple, du moins par la révocation de ceux de ces impôts que leur nature, la forme de leur perception, les frais qu’elle exige, les condamnations qu’elle entraîne, ont rendus plus onéreux que la charge elle-même. Qu’en conséquence, ils s’occuperont d’alléger le fardeau, en substituant aux aides et gabelles, soit une imposition territoriale, soit des abonnements pour chaque province proportionnés aux produits nets entrant dans le trésor royal, soit de toute autre manière qu’ils jugeront convenir; gu’ils demanderont la suppression de la taille industrielle, aisément conversible en un impôt sur le luxe; qu’ils arrêteront des règlements pour bannir les voies de rigueur et l’arbitraire de la taille réelle et personnelle, et qu’enfin ils accorderont, conformément aux intentions connues de Sa Majesté, à chaque paroisse des campagnes une somme égale au vingtième de leursdites tailles, pour être distribuée aux habitants d’icelles les plus nécessiteux, le tout provisoirement, et dans le cas où les circonstances n’en permettraient pas l’extinction totale par la substitution d’une autre imposition. Que les droits de contrôle soient réglés de manière à n’être plus susceptibles d’extension à volonté ; que la pauvre succession des journaliers de la ville et de la campagne ne soit plus absorbée par les frais et droits d’huissier-priseur. Art. 16. Que dans la vue d’opérer le mêtie soulagement, la corvée doit être abolie et remplacée par une prestation pécuniaire répartie avec justice et entièrement employée à la confection des chemins, jusqu’à ce que, par ordonnance de Sa Majesté, à la demande des Etats généraux, et par les soins des assemblées provinciales ou Etats provinciaux, des barrières aient pu être établies de distance en distance sur toutes les grandes routes, à l’effet d’y percevoir tel droit qui sera déterminé, et de faire ainsi payer les réparations et entretiens des chemins publics par ceux qui contribueront à leur dégradation. Art. 17. Qu’afin que les domaines du Roi ne soient plus exposés à la cupidité de la faveur ou aux effets de la faiblesse des ministres, et pour prévenir efficacement leur aliénation, leur dégradation et leur mauvaise régie , il faut, conformément à leur destination naturelle, les affecter particulièrement à faire partie des fonds qui seront déterminés pour la dépense de la maison de Sa Majesté. Art. 1 8. Qu’on ne peut trop s’attacher à saisir tous les moyens d’économie que pourront offrir les détails des divers départements, tels que les conditions des régies et entreprises. Que, pour voir diminuer successivement cette masse énorme de pensions sur le trésor royal, sans priver le mérite des récompenses qui lui sont dues , l’arrêt de règlement du 8 mai 1785, doit être exécuté suivant sa forme et teneur, jusqu’à ce qu’ayant obtenu la réduction désirée, il en soit autrement ordonné. Qu’enfin les troupes étrangères étant d’un côté plus dispendieuses que les troupes nationales, et d’un autre côté privant un grand nombre de familles, dans tous les états, des ressources que le service du Roi leur procurerait, il est convenable de les remplacer par des régiments nationaux, excepté néanmoins les régiments suisses qui seront conservés, conformément aux traités faits avec eux, par suite dè notre ancienne alliance avec les Treize-Cantons. Après s’être occupé de tout ce qui lui a paru pouvoir concilier les intérêts du peuple avec ceux de l’Etat, proposant des moyens de supporter la surcharge, lorsque les circonstances du moment la nécessitent, le clergé des bailliages de Melun et Moret a cherché de nouveaux secours pour la misère publique et de nouvelles ressources pour le bien général dans les encouragements à donner à l’agriculture, au commerce et à l’industrie. C’est dans cette vue qu’il demande : Art. 19. Que l’on fasse enfin cesser ces variations continuelles et fréquentes dans les règlements portés sur le commerce des grains, qui ne seraient déjà que trop funestes, quand elles n’auraient d’autre mauvais effet que celui de jeter l’inquiétude et l’alarme dans les esprits; qu’en conséquence, cet objet soit invariablement fixé par une loi mûrement délibérée. Que tous droits de minage qui, par leurs titres, ne sont point devenus de vraies propriétés, soient réellement supprimés, et que ceux qui seront jugés devoir subsister ne puissent être perçus hors des marchés. Qu’il soit cherché des moyens pour multiplier en France le nombre des bestiaux de tout genre. Que dans la même quantité de terres en friche, qui existent dans toutes les parties du royaume, il s’en trouve un très-grand nombre qui seraient susceptibles de culture si elles étaient dans des mains habiles, ce qui augmenterait d’autant plus la richesse de l’Etat; et qu’il devrait être fait une loi pour obliger les propriétaires desdits terrains à les cultiver, ou à les laisser cultiver par ceux qui en auront la volonté, moyennant des conditions justes et raisonnables qui seront déterminées. Que rien n’étant plus contraire à la liberté naturelle et à la prospérité des campagnes que les enrôlements forcés, connus sous le nom de milice, qui frappent de terreur tous les habitants d’une même paroisse,' enlèvent au cultivateur médiocre son fils unique, dans l’instant souvent où ses bras lui deviennent le plus nécessaires dans sa vieillesse; qui déterminent le fermier plus aisé, et par conséquent plus propre à l’agriculture, de fuir un état qui l’expose à un si grand sacrifice ; qui occasionnent des frais énormes et tels qu’ils surpassent en hauteur la taille et la corvée prises ensemble : le clergé insistera vivement sur l’abolition d’un pareil usage, en substituant soit l’obligation, pour chaque paroisse, de fournir un homme qu’elle engagerait volontairement, soit toute autre manière qui sera jugée plus convenable. Art. 20. Que tous les citoyens étant frères, toutes les provinces étant sœurs et parties intégrantes d’unmême empire, ces droitsde passage d’une ville à l’autre, cette diversité d’entrées et de sorties, cette accumulation de règlements bizarres, qui obstruent de tant de manières la circulation et mettent tant d’entraves à la prospérité du commerce intérieur, disparaissent par le reculement de toutes barrières aux frontières du royaume et par Rétablissement d’un tarif uniforme, déjà vivement sollicité par les Etats généraux de 1614 ; qu’en effet tous ces droits qui découragent l’industrie, dont le recouvrement exige des frais excessifs et des préposés Innombrables, font tous 736 [États gén. 1789. Cahiers. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Mehin.| les ans tomber mille citoyens en sacrifice aux lois de la fiscalité. Art. 21. L’ordre du clergé des bailliages de Meulun et Moret, qui connaît par lui-même la désolation que les abus de la capitainerie de Fontainebleau ont répandue dans ses campagnes, qui est journellement le témoin oculaire de la misère affreuse qu’ils occasionnent, ordonne à son député de ne pas cesser d’élever la voix sur cet objet, en faisant valoir tous les motifs contenus au mémoire qu’il a fait rédiger, à quel effet ledit mémoire sera et demeurera joint au cahier pour en faire partie. Art. 22. Considérant que l’impôt mis sur les cuirs et la marque établie pour en constater la perception ont entraîné depuis vingt ans la décadence d’une fabrication déjà pénible et malsaine par elle-même, et dont l’objet cependant est de seconde nécessité pour les laboureurs, les artisans et les pauvres ; que les frais de perception montent à plus de 35 p. 0/0, sans y comprendre la perte du temps, les frais litigieux, suite de l’impostibilité de constater la fraude quand elle est réelle et de ne pas la soupçonner quand elle n’existe pas; d’où il est résulté que les cuirs, en diminuant de qualité, ont augmenté de valeur, ce qui a donné la prépondérance aux fabrications étrangères : le clergé des bailliages de Melun et Moret demande qu’une entière liberté soit rendue à ce genre de commerce, sauf à remplacer le produit du droit existant par d’autres moins fâcheux. Art. 23. Qu’enfin il soit pourvu aux moyens d’empêcher les banqueroutes frauduleuses, devenues si fréquentes, tant par la trop grande rigueur des lois qui, par cette raison, demeurent sans exécution, que par la facilité même des créanciers à les favoriser, sous prétexte de certaines conventions particulières, et par une multitude de lieux privilégiés qui deviennent ainsi des refuges publics de la fraude et de la mauvaise foi. Il serait peut-être même désirable qu’il fût déclaré que les enfants de ceux qui seraient morts insolvables soient exclus de toutes charges de l’Etat, à moins qu’ils n’acquittent les dettes de leur père. Art. 24. Le clergé des bailliages de Melun et de Moret n’ignore pas que, dans aucun royaume, il n’a été porté plus de lois sévères et de règlements sages pour empêcher la mendicité ; il demande qu’il en soit fait un choix, et que les meilleures soient renouvelées. Son zèle lui fait désirer qu’il soit ordonné que chaque paroisse sera chargée du soin de ses pauvres, et qu’en même temps il soit établi des ateliers de charité, sous l’inspection des assemblées provinciales ou Etats provinciaux, le travail étant le moyen le plus sur et le plus facile de bannir ce fléau de la société. Art. 25. Les enfants trouvés sont un objet bien digne d’intéresser la religion, l’humanité et l’Etat; ledit ordre souhaite qu’il soit fondé dans toutes les grandes villes des maisons où lesdits enfants puissent être portés et reçus, en prenant les précautions nécessaires pour que les personnes du sexe non mariées soient sûres qu’elles ne seront pas connues, ou que leur secret sera inviolable-ment gardé; qu’ainsi elles ne succombent plus à la malheureuse tentation d’exposer leurs enfants dans les rues, ce qui en fait périr un très-grand nombre. Il désire pareillement, et pour les mêmes motifs, que, par forme d’essai, il soit ouvert, sous la protection du gouvernement, une souscription volontaire pour fonder quelque hospice où soient admises les femmes en couches, leur misère étant plus grande à l’instant où les secours sont le lus nécessaires, ce qui en fait succomber, faute e cet asile, un très-grand nombre, même avant d’avoir donné un nouveau citoyen à l’Etat; et comme l’expérience a démontré aux pasteurs l’inutilité et les inconvénients de l’édit d’Henri II, renouvelé par Louis XIV, ledit clergé demande sa révocation. Art. 26. En même temps que nombre de tribunaux sont trop multipliés, plusieurs ne le sont point assez, ce qui, concourant à rendre le recours à la loi plus difficile, et les frais de justice plus considérables, exige qu’il y soit apporté un prompt remède. Art. 27. Le Roi sera supplié de supprimer le droit de noblesse attaché à nombre de charges et d’offices, ou de les réduire au moins à la noblesse personnelle, et de ne l’accorder, à l’avenir, que pour récompense d’une longue suite de services rendus à l’Etat. Art. 28. Considérant que les loteries sont un mal d’autant plus dangereux qu’il est public et autorisé par le souverain, le clergé des bailliages de Melun et Moret demande leur destruction, comme tendant à pervertir les mœurs, et devenant la source d’une foule de désordres et de crimes. Art. 29. Enfin, comme le christianisme a fait connaître la véritable dignité de l’homme et ses droits à la liberté ; qu’en conséquence on a vu la servitude disparaître de l’Europe, à mesure que l’Evangile s’est propagé, c’est un devoir pour le clergé de demander que tout le reste de servage soit détruit en France, et particulièrement en Franche-Comté. L’exemple que Sa Majesté a donné «la première l’autorise à penser que tous les propriétaires de ces droits barbares sentiront qu’ils ne peuvent imposer des fers à leurs concitoyens, lorsqu’ils réclament une entière liberté pour eux-mêmes ; et puisqu’aux yeux de la religion la différence des couleurs n’en peut mettre aucune entre ses enfants, ses ministres ne peuvent s’empêcher de réclamer sans cesse contre l’esclavagedes nègres dans les colonies. Tels sont les demandes , les vœux, les conseils que la conviction la plus grande et le zèle le plus pur ont dictés au clergé des bailliages de Melun et Moret, pour répondre à l’attente de la nation et aux intentions bienfaisantes de son souverain. Suite du cahier du cierge' des bailliages de Melun et Moret. RELIGION. Art. 1er. Nous demandons au clergé des Etats généraux, de faire substituer aux assemblées périodiques du clergé, des conciles provinciaux et synodes diocésains : ces assemblées ont toujours été le désir de l’Eglise, le but des saints canons et le vœu du dernier concile général. Nous les regardons comme un des moyens les plus efficaces pour réformer les mœurs, arrêter la corruption et l’impiété. Cette communication fréquente des premiers et seconds pasteurs ne pourrait qu’entretenir l’union entre eux, et ces assemblées légales et canoniques ranimeraient l’émulation, feraient germer les lumières et ressortir le mérite. Art. 2. Les Etats généraux feront renouveler et donner plus de vigueur aux ordonnances qui, de concert avec la puissance ecclésiastique, [Etats gén; 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Melun.] 737 prescrivent la sanctification des dimanches et l'êtes. Dans les campagnes même, ces saints jours sont devenus une occasion de débauches pour la plupart des habitants : les travaux y sont presque aussi suivis que les autres jours : les temples sont déserts pendant les offices, et les cabarets sont remplis. Dans le plus grand nombre des villages, les officiers de justice ne résident point : de là cette licence effrénée des cabare-tiers qui, au mépris des lois divines et humaines, favorisent l’intempérance et la tolèrent même fort avant dans la nuit. Le pasteur ne peut que gémir; il n’a que la voix de représentation, et le plus souvent l’intérêt et la débauche rendent les habitants sourds à sa voix. Sans envier le partage de l’autorité civile sur un point aussi essentiel pour le maintien de l’ordre et la restauration des mœurs, le clergé espère que les Etats généraux y pourvoiront d’une manière efficace. Art. 3. Les plaintes multipliées et les inconvénients réels qui résultent de la diversité des fêtes, bréviaires, rituels et catéchismes, font désirer vivement que tous ces objets soient ramenés à l’uniformité dans tout le royaume, autant qu’il sera possible. Art. 4. En désirant la restauration des mœurs, le clergé ne peut s’empêcher de demander aux Etats généraux qu’ils portent aux pieds du trône, dont la religion est la base la plus solide, le vif désir qu’il a de voir opérer une réforme utile dans l’éducation publique; en vain le clergé se tairait-il sur tes abus dont elle fourmille, sur l’éclat et Futilité dont elle est déchue, sur les vices d'administration des maisons d’éducation, sur la perte d’hommes voués, par état, à de si nobles fonctions, et qui n’ont pu être universellement remplacés depuis, malgré les efforts du gouvernement, le désir des villes où ils existaient; ce sont des vérités notoires et vivement senties, même par les ennemis du bien public. Il est donc de la sagesse du gouvernement de concourir, avec le clergé, à une réforme dont dépend le bonheur des générations futures. Art. 5. Une réforme non moins essentielle que le clergé doit solliciter, est celle de l’administration des hôpitaux. Le gouvernement a paru, depuis quelques années, s’occuper d’en assurer la salubrité dans les grandes villes; les malheurs du temps ont mis et mettront peut-être encore des entraves à de si utiles opérations : mais vainement procurera-t-on aux malheureux, qui sont forcés de s’y réfugier dans leurs infirmités, l’espoir le plus assuré d’y trouver la guérison, si l’administration des hôpitaux n’est pas soumise à des réformes utiles et nécessaires ; en vain les atten-dra-t-on de cette bienfaisance humaine qu’on cherche à substituer à la charité chrétienne. La religion seule peut les opérer d’une manière sûre et constante, et c’est à ses ministres à en suggérer les moyens, que Sa Majesté daignera sans doute accueillir favorablement. Art. 6. Les abus existant depuis longtemps dans l’administration des économats excitent vivement la réclamation de tous les ordres, attendu qu’ils absorbent la plupart du temps la succession des derniers titulaires. Nous croyons donc qu’il est de notre devoir d’engager le clergé à faire choix d’un plan nouveau, pour assurer la répartition des bénéfices et la tranquillité des familles, et solliciter des bontés du Roi de 11e pas laisser des bénéfices sans titulaires, d’après un simple arrêt du conseil. Art.. 7. 11 sera demandé une loi, déjà sollicitée par la dernière assemblée du clergé, pour em-in Sêpie, T. III. pêcher l’aliénation des biens ecclésiastiques et ceux des fabriques, des hôpitaux, sous tel prétexte que ce soit. Que cependant, en faveur des fabriques qui n’ont pas 1,200 livres de rentes, il soit dérogé à l’édit qui défend aux gens de mainmorte d’acquérir. Art. 8. Un abus bien contraire à l’émulation, proscrit par les saints canons, est la pluralité des bénéfices. De bons prêtres vivant dans l’indigence, meurent sans récompense ; beaucoup, qui n’ont d’autres mérites que la protection et leur noblesse, sont chargés des fruits de l’Eglise. Dans un moment où la nation veut se régénérer, où le monarque annonce et pratique pour lui-même la réforme, le clergé doit solliciter Sa Majesté de rendre une déclaration par laquelle, sous tel prétexte que ce soit, aucun ecclésiastique ne pourra posséder deux bénéfices à la fois, lorsque l’un des deux suffira à une honnête existence relative à son état. Une telle loi multipliera les récompenses, fera cesser le scandale, ranimera l’émulation, fera germer les talents par l’espoir et ramènera les choses à leur vrai principe. Art. 9. Les bénéfices-cures à portion congrue, même celles de l’ordre de Malte, et autres cures qui, sans avoir la portion congrue, n’ont que des gros modiques, ou ne sont pas suffisamment dotées, seront portées à 2,000 livres. Le clergé ne peut se dissimuler que c’est le vœu général ; l’insuffisance du revenu d’un très-grand nombre de cures est démontrée ; l’augmentation progressive des choses nécessaires à la vie et à l’entretien doit les faire porter de prime-abord à une valeur qui mette le pasteur à l’abri des besoins, et lui facilite les moyens de secourir les pauvres. Art. 10. Pour procurer cette augmentation de revenu, si les curés ne sont pas mis en possession de la totalité ou partie des dîmes de leur paroisse, ce qui ne paraît pas se concilier avec les droits sacrés d’une propriété présumée, il y sera pourvu par tels autres moyens que la sagesse du clergé des Etats généraux jugera convenir, et il sera enjoint à l’ordre du clergé d’y pourvoir dans l’année, conformément à l’article 5 de la déclaration du Roi du 2 septembre 1786. Art. 11. La perception des dîmes, leur division en solites et insolites, étant une source de discordes et de procès entre les décimateurs et les contribuables, depuis la substitution des différents objets de culture, le clergé des Etats généraux sera prié de réclamer l’axiome de droit : Mutatâ superficie soli, non mutatur jus decimandi. Art. 12. Etant de toute justice d’assurer aux curés et prêtres qui ont passé de longues années dans le saint ministère, ou qui deviennent infirmes, une retraite honnête, le clergé des Etats généraux est supplié de prendre en considération particulière cet article comme étant l’expression d’une réclamation universelle. Art. 13. Le clergé des Etats généraux sera supplié d’aviser aux moyens d’établir un vicaire dans les paroisses de trois cents communiants à desservir, à cause des écarts ; et dans toutes les paroisses, des maîtres et maîtresses d'école où il n’y en a point. Art. 14. Les curés de campagne ne peuvent trop solliciter de la bonté paternelle du Roi,. l’établissement d’un hospice, lequel serait desservi par des Sœurs de Charité qui , par leurs soins et leur dévouement , rendraient à l’agriculture de bons ouvriers qui périssent victimes de l’ignorance et du défaut de soins. L’administration de cet hospice serait confiée aux curés, seigneurs et syndics des paroisses qui auraient le 47 738 [États *én. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Bailliage