[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1790.] 713 pour douter , à cette époque, du rétablissement de l’ordre dans le royaume , et de l’action qu’aura la force pnblique , soutenue de la réunion de toutes les volontés. Alors, sans doute, des revenus bien liquides suffiront à toutes nos dépenses ; mais il n’en est que plus instant de sortir d’une crise qu’il est encore aisé de prévenir, etqueles ennemis de la patrie verraient avec tant de plaisir mettre obstacle au succès de vos travaux. Votre comité ne fait ici que vous rappeler des vérités, qui ne vous auraient pas échappé, mais sur lesquelles il n’est plus permis de rester sans détermination. 11 aurait regardé comme le premier devoir de vous présenter, à cetégard ses idées et ses moyens; mais le ministre des finances, que vous honorez d’une juste confiance, n’a pu. ni ignorer le mal, ni en négliger le remède. C’est lui qui doit rassurer l’Assemblée nationale en lui présentant le tableau de ses moyens. C’est l’Assemhlée qui doit l’aider de sa force, en atténuant les dépenses et en soutenant la perception des revenus. En conséquence, votre comité a l’honneur de vousproposer le projet de décret suivant. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : » 1° Il sera fait une réduction provisoire de 60 millions sur le montant des dépenses du Trésor public, dont l’état est annexé au présent décret; laquelle réduction aura lieu, à compter du 1er avril prochain, sans préjudice du décret relatif aux Haras. « 2° L’Assemblée nationale se réserve de statuer définitivement et en détail sur chacun des articles contenus dans ledit état annexé au présent décret, d’après le compte détaillé qui lui en sera rendu par le comité des finances et ses autres comités, mais de manière que la masse ordinaire des dépenses de l’administration générale ne puisse excéder les bornes prescrites par l’article précédent, et qu’il ne puisse être proposé ni adopté à cet égard que des réductions nouvelles. « 3° L'Assemblée ordonne que le tableau des besoins de tout genre de l’année 1790, et des fonds destinés au service de ladite année, soit mis incessamment sous les yeux du premier ministre des finances. La discussion est immédiatement ouverte sur le projet de décret proposé par le comité des finances. M. l’abbé Maury. Dans le dernier rapport du comité des finances. M. Anson vous a annoncé et certifié que les économies sur lesquelles nous pouvions compter s’élevaient à 100 millions. On ne nous propose aujourd’hui que 60 millions de réduction. Je pense que la première espérance qu’on nous avait donnée était trop importante pour que nousne devions pas nous en occuper en ce moment. M. le marquis de Montesquiou. Le préopi-naut n’a pas porté son attention ordinaire sur les objets dont il vient de nous parler. Le comité des finances a eu l’honneur de vous dire que, par la snitede l’organisation des départements, une partie de dépenses de 35 à 40 millions, qui se faisit autrefois pour les provinces, serait administrée par les départemnets eux-mêmes, et qu’ainsi les fonds ne devraient plus en être faits au trésor public. Avec 60 millions d’économies effectives, il sortira du trésor public 100 millions de moins par année. M. d’Epresmenil demande lecture de l’état de réduction indiqué dans le décret. On observe que depuis longtemps cet état a été imprimé et distribué à tous les membres de l’As-semblé. Cependant un de MM. les secrétaires en fait lecture, ainsi qu’il suit : État des dépenses publiques, sur lesquelles V Assemblée nationale déerète provisoirement une réduction de 60 millions. 1 . Dépenses générales de la Maison du roi, de celle de la reine et de la famille royale. 2. Les Maisons des princes frères de Sa Majeslé, y compris les enfants de M. le comte d’Artois. 3. Les affaires étrangères et les lignes suisses. 4. Départements de la guerre. 5. Marine et colonies. 6. Ponts et chaussées. 7. Haras. 8. Pensions. 9. Gages du conseil et traitement particulier de la magistrature. 10. Gages, traitements et gratifications à diverses personnes. 11. Intendants des provinces et leurs bureaux. 12. Police de Paris. 13. Quais et Garde de Paris. 14. Maréchaussée de lTle de France. 15. Pavé de Paris. 16. Travaux dans les carrières sous Paris. 17. Remise en moins imposé, décharges et modérations sur les impositions. 18. Traitements aux receveurs, fermiers et régisseurs-généraux et autres frais de recouvrement. 19. Administrateur du Trésor royal, payeurs des rentes. 20. Bureau de l’Administration générale. 21. Traitement et dépense de la caisse du commerce, de celle des Monnaies et de la liquidation de la Compagnie des Indes. 22. Fonds réservés pour des actes de bienfaisance. 23. Secours aux Hollandais réfugiés en France. 24. Communautés, maisons religieuses et entretien d’édifices sacrés. 23. Dons, aumônes, secours, hôpitaux et enfants trouvés. 26. Travaux de charité. 27. Destruction du vagabondage et de la mendicité. 28. Primes et encouragements pour le commerce. 29. Jardin royal des plantes et cabinet d’histoire naturelle. 30. Bibliothèque du Roi. 31. Universités, académies, collèges, sciences et arts. 32. Passe-ports et exemptions de droits. 33. Entretien, réparation et construction des bâtiments pour la chose publique. 34. Diverses dépenses de plantations dans les forêts. 33. Dépenses de procédures criminelles et de prisonniers. 36. Dépenses locales et variables dans les provinces. 37. Dépenses imprévues. M. Duport propose cet amendement au projet de décret : « Que le comité soit tenu de présenter incessamment un projet de remplacement pour l’année de la gabelle, de la partie des aides qui se perçoit par l’exercice et des droits réunis. M. le comte de Mirabeau. On ne peut certainement qu’applaudir au comité pour avoir déterminé 60 millions de réductions ; mais on peut espérer qu’el es s’élèveront encore plus haut. Qu’il f me soit permis de faire une observation générale. 714 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES., [26 février 1790.] On parle beaucoup des comptes rendus : on nous en montre en effet quelques-uns; mais sans doute on peut douter, on peut examiner et rechercher si ce sont là les comptes que l’on doit rendre à une grande nation. En dernière analyse, je n’en-ténds que ceci : fai tant , il me faut tant et L’ Assemblée demande : pourquoi avez-vous tant? 'pourquoi vous faut-il tant? Lorsqu’on se trouve dans cet embarrassant passage du désordre à l’ordre, c’est au ministre à faire des propositions sur cet ordre de passage, et le ministre n’en afait aucune, et nous sommes bien arriérés sur les moyens à prendre. Nul de nous ne connaît l’état de cette année; malgré notre activité, nous ne connaissons que notre confiance dans le ministre et le malaise que nous éprouvons : nous ne dormons que parce qu’on dort au pied du Vésuve. Il est un mot que je n’ai jamais oublié, et dont je vous laisse l’application. « Le cheval de Caliguia fut consul, et cela ne nous étonne que parce que nous n’en avons pas été témoins ..... » La caisse d’escompte ayant, dans les derniers temps, constaté qu’elle verserait un secours sur les pauvres, le relevé des pauvres de la capitale a été fait par district, et le nombre s’est trouvé monter à cent-vingt mille. Nous ne pensons point assez que nous sommes au milieu d’une ville immense, qui n’a d’autre commerce que celui des consommations et des fonds publics; nous ne songeons pas que cette énorme population a été longtemps entretenue, comme en serre chaude, par l’ancien ordre de choses; il me semble que l’amaigrissement de cette population doit être progressif, si nous craignons une paralysie réelle. Je reviens à ma première observation, et je dis que, lorsque vous avez voulu être libres, ce n’a pas été pour laisser à un seul l’administration de la partie la plus importante de votre administration ; car si la constitution seule peut ordonner la finance, la finance seule peut laisser achever la constitution. La nation ne peut abandonner la dictature en finance, et un homme exercerait une véritable dictature s’il pouvait se soustraire à l’obligation de venir apporter à une nation l’état de sa situation. La plus belle mission, fùt-elle marquée par des miracles, n’exempterait pas de ce devoir celui à qui elle aurait été confiée; à plus forte raison, si, au lieu de succès miraculeux, cette mission ne s’était signalée que sous de funestes calamités. Je demande donc que le décret soit adopté, avec cet amendement, que le ministre des finances vienne nous présenter, non-seulement l’état de notre situation, mais encore ses ressources, ses conseils et son expérience sur la situation critique où nous nous trouvons, et que nous ne pouvons nous dissimuler. M. Duport. Votre comité des finances ne s’est pas cru simplement obligé à faire des recherches sur la situation où les finances se trouvent, mais il a pensé qu’il devait aussi réunir des vues qui se conciliassent avec celles du premier ministre, et avec les points constitutionnels que vous avez décrétés. Il a vu qu’il est facile de sauver les finances en y donnant beaucoup de1 courage, de suite et de travail... Le comité s’est occupé du remplacement de la gabelle et des impositions qui emportent violation de domicile; il présentera incessamment ses vues à ce sujet. H croit qu’il faudra s’occuper sans délai de cet objet important, afin que les instructions qui y seront relatives parviennent aux administrations de département immédiatement après leur installation. M. le duc de La Rochefoucauld appuie l’amendement de M. Duport. M. Barnave. Je suis éloigné de partager les profondes terreurs qu’on a voulu nous inspirer; elles ne peuvent faire naître que le désespoir, qui détruirait le désir de remédier à nos maux. Je ne saurais voir, dans la position où nous sommes, que le résultat inévitable d’un choc violent; maigi lorsque je considère les opérations de l'Assemblée: nationale, l’immensité des valeurs qu’elle a mises à la disposition de la: nation, je trouve le sentiment de l’espérance à la suite de l’inquiétude que le premier regard avait donnée. Quand vous avez décrété le don du quart du revenu, vous avez dû prévoir que la jouissance n’en serait pas prompte. Peut-être le retard qu’elle éprouve paraît-il un motif de découragement et d’effroi. Mais j’observerai à. ceux qui se plaignent de ce retard et de la modicité dui produit de cette: contribution que vous n’avez pas assigné de termes prochains pour l’entier paiement, et que la modicité des sommes touchées en ce moment vient uniquement d’un défaut de confiance passager, résultant d’une crise momentanée. Sitôt que les administrations de districts et de départements seront organisées, vous verrez s’accroître rapidement le produit de cette ressource importante : le résultat de ces diverses opérations et de celle que vous vous proposez de faire encore est infaillible... Le seul moyen d’empêcher le rétablissement des finances serait d’arrêter l’établissement de la constitution. Tout ce que l’Assemblée a fait pour la constitution a été fait pour les finances. Il vous faut rétablir sur-le-champ l’équilibre entre la recette et la dépense pour cette année; il se présente deux moyens : 1° détruire rinégalite des dépenses de chaque département; le comité vous propose, en faisant cette opération, des réductions dont l’effet inévitable serait de ranimer1 le crédit; 2° faire rentrer dans le Trésor des recettes interrompues. Si donc vous voulez rapprocher la recette de la dépense, il ne suffît pas de1 diminuer les dépenses, mais il faut encore assurer la recette. Il faut concerter le remplacement des impositions, dont la perception odieuse au! peuple ne peut plus se faire. Lorsqu’on vous engage à appeler le ministre des finances dans cette Assemblée, on ne songe pas qu’il vous dira : « Vous n’avez pas fait des réductions sur les dépenses, quoique je vous eusse dénoncé ces réductions; vous avez laissé subsister des impôts dont la perception était impossible, tandis que* vous pouviez les percevoir en les remplaçant. » Vous n’obtiendrez pas de lui des secours, mais des arguments et des reproches. Je conclus en vous proposant d’adopter le projet de décret présenté par le comité des finances et l’amendement de M. Duport. M . de Custlne propose de remplacer par des assignats sur le clergé, portant intérêts, le produit de la gabelle, etc., jusqu’à l’époque où les assemblées de département pourront verser le* produit du remplacement de ces impositions. M. de Cazalès. Je pense avec M. Duport que les impôts de la gabelle, etc., sont mauvais, qu’ils doivent être détruits ou convertis ; mais je suis loin de penser qu’ils puissent l’être isolément. Vous n’avez qu’une manière d’éviter les erreurs et les faux calculs, c’est de fixer la dépense du gouvernement. Quand vous connaîtrez ses besoins, vous saurez quelle doit être la masse des impositions, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 février 1790.] 71& et vous pourrez établir la proportion entre l’impôt direct et l’impôt indirect; mais si vous faites un remplacement partiel, vous serez hors de mesure, et vous trouverez des mécomptes auxquels il ne vous sera pas facile de remédier. M. le duc de CroS. Ce que dit M. de Gazalès est parfait pour 1791, et serait fort dangereux pour 1790. M. Anson. J’observe, sur l’amendement de M. Duport, que vous avez rendu un décret par lequel vous avez chargé votre comité de faire un plan de remplacement de la gabelle : il s’en est occupé, et il reconnaît la nécessité de vous présenter très promptement son travail. La perception des aides et des droits réunis n’a pas éprouvé le même échec que la gabelle; si vous vous occupiez en ce moment de leur remplacement, vous verriez bientôt que le peuple, pressé de jouir du bienfait qui lui serait offert, ne voudrait plus se soumettre à ces impôts. Vous avez jusqu’à la récolte pour préparer le remplacement des droits d’aides. Je pense donc qu’il faut borner à la gabelle l’amendement de M. Duport. Cet avis est adopté. L’Assemblée ferme la discussion. M. le Président met aux voix le décret tel qu’il résulte de la discussion. Il est adopté en ces termes : DECRET SUR LES FINANCES. L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. 11 sera fait une réduction provisoire de 60 millions sur le montant des dépenses du Trésor public, dont l’état est annexé au présent décret, laquelle réduction aura lieu, à compter du 1er avril prochain. Art. 2. L’Assemblée nationale se réserve de statuer définitivement et en détail sur chacun des articles contenus dans ledit état annexé au présent décret, d’après le compte détaillé qui lui en sera rendu par le comité des finances et ses autres comités; mais de manière que la masse des dépenses ordinaires de l’administration générale ne puisse excéder les bornes prescrites par l'article précédent, et qu’il ne puisse être proposé ni adopté, à cet égard, que des réductions nouvelles. Art. 3. L’Assemblée ordonne que le tableau des besoins de tout genre de l’année 1790, et des fonds destinés au service de ladite année, soit mis incessamment sous ses yeux, par le premier ministre des finances; Art. 4. Que le comité des finances soit tenu de présenter, sous huitaine, à l’Assemblée, le projet de remplacement, pour l’année, de la gabelle. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de décret proposé par le comité féodal M. Merlin, rapporteur, donne lecture des trois articles suivants : TITRE IL DES DROITS SEIGNEURIAUX SUPPRIMÉS SANS INDEMNITÉ. « Art. 1er. La mainmorte personnelle, réelle ou mixte, ainsi que la servitude d’origine, la servitude personnelle du possesseur d’héritages tenus en mainmorte réelle, celle de corps et de poursuite, les droits de taille, de corvée personnelle, d’échute, de vide-main, le droit prohibitif des aliénations et dispositions à titre de vente, de do-: nations entre-vifs ou testamentaires, et tous les | autres effets de la mainmorte réelle, personnelle ou mixte, qui s’étendaient sur les personnes ou les biens, sont abolis sans indemnité. « Art. 2. Néanmoins tous les fonds, ci-devant as-, sujettis à la mainmorte réelle ou mixte, conti-' nueront d’être assujétis aux autres charges, redevances, tailles ou corvées réelles dont ils | étaient précédemment chargés. : » Art. 3. Lesdits héritages demeureront pareillement assujétis aux droits dont ils pouvaient être tenus en cas de mutation par vente, pourvu néanmoins que lesdits droits ne fussent pas des compositions à la volonté des propriétaires du fief dont ils étaient mouvants, et que lesdits droits n’excédassent point ceux qui ont accoutumé d’être dûs par les héritages non mainmortables, tenus en censive dans la même seigneurie, ou suivant la coutume. » La discussion est ouverte. M. Merlin, rapporteur. Plusieurs difficultés se sont présentées : la première est de savoir précisément quelle a été votre intention, en abolissant la mainmorte réelle. Avez-vous par là affranchi de tous droits et la personne et le fonds du mainmortable? OU bien, en faisant jouir la personne d’une liberté entière, et en effaçant du fonds même les traces de la mainmorte, avez-vous laissé subsister sur ce fonds les droits qui n’ont par eux-mêmes rien de servile? En un mol, la condition du possesseur de fonds mainmortable est-elle aujourd’hui meilleure, que si originairement il lui avait été fait une concession en censive, au lieu d’une concession en mainmorte? Le comité a pensé qu’en abolissant et en affranchissant des droits qui en étaient la suite, tous les fonds mainmortables, vous n’aviez pas touché aux droits qui ne tiennent point à la mainmorte elle-même, et dont les fonds mainmortables partagent le fardeau avec les fonds libres. La seconde difficulté s’est élevée sur l’abolition prononcée des droits représentatifs de la mainmorte. Vous avez décrété l’abolition pure, simple et sans indemnité, de tous les droits qui représentent la mainmorte, et en cela vous n’avez fait que suivre le fil des principes éternels qui assurent à l’homme une liberté toujours inaliénable et que jamais ne peuvent atteindre, ni l’esprit commercial, ni les transactions qu’il produit. Sous ce rapport votre décret est souverainement juste et il n’y a que la cupidité en délire qui puisse le censurer; mais si la justice de ce décret est au-dessus de toute critique relativement aux droits représentatifs de la mainmorte personnelle, il n’en serait pas de même par rapport aux droits représentatifs de la mainmorte réelle, si à cet égard votre décret était entendu à la lettre. (M. Merlin explique ensuite les raisons qui ont détermine le comité. Il dit qu’il n’y a dans les traités qui ont substitué la lenure en censive à la tenure en mainmorte, rien qui ne s’accorde parfaitement avec les principes de la justice ; rien qui ne dérive directement du droit de propriété, rien par conséquent qu’il ne soit dans le devoir, comme dans l’intention de l’Assemblée