SÉANCE DU 2 VENDÉMIAIRE AN III (MARDI 23 SEPTEMBRE 1794) - N° 43 383 Citoyens, si l’histoire ne fournit pas d’exemple du mécanisme atrocement inventé par nos ennemis pour aggraver la captivité de notre collègue, elle n’en fournit pas non plus de l’action sublime du vertueux Meunier, qui l’a préservé des horreurs de la faim, de la soif, et lui a procuré les choses les plus nécessaires à la vie. Il faut le répéter à l’univers entier ; non, la tyrannie la plus oppressive ne se montra jamais plus raffinée en supplices, tant est implacable la haine des rois contre la liberté du peuple ! l’instrument fatal enchaînait à la fois la tête et les mains de Drouet (74) qui dans cet état d’immobilité, ne pouvait exister que par la main hardie et bienfaisante du brave Meunier. Voilà donc encore une fois les dons exécrables que prodiguent les rois, en parallèle avec les douces vertus que professent les républicains. Combien il était important que vous fissiez connaître aux partisans de la tyrannie l’infernale machine crée par le tyran d’Autriche, comme Guillaume Tell avait publié celle dans laquelle le tyran autrichien l’avait retenu si longtemps enlacé ! L’histoire s’effraiera de ce nouveau forfait royal, en même temps qu’elle burinera honorablement l’action sublime du généreux Meunier. Mais, citoyens, il s’agit de la récompenser cette action, et votre bienfaisance a encore à apprécier le désintéressement de Meunier, car il vous a dit «qu’il trouvait dans son cœur la véritable récompense de son action ». Sans doute, par le décret qui déclare que « ce citoyen a bien mérité de l’humanité» vous avez proclamé la récompense la plus glorieuse ; et ce titre honorable est bien capable d’ajouter à son désintéressement un plus grand oubli du besoin. Mais si les sentiments de Meunier sont satisfaits les vôtres ne le sont point ; vous ne voulez pas et vous le prouvez tous les jours, que l’homme vertueux soit dans la souffrance ; ce n’est que dans les gouvernements tyranniques que l’homme de bien, l’ami de la philosophie et de l’humanité est voué à la plus profonde misère ; et que le crime seul y conduit à l’élévation et à l’opulence. L’action de Meunier l’eût précipité dans les fers, si le tyran d’Autriche en eût eu connaissance ; la République française l’aura récompensé par une déclaration que l’histoire recueillera, et par des secours qui arracheront le bienfaiteur de Drouet à l’infortune et à l’ingratitude de son pays. Nous trouvons à placer une autre réflexion bien importante dans ce rapport, c’est que ce qui fut sous la tyrannie la classe la plus indigente et la plus opprimée est celle qui produit partout les plus grands actes de vertu et de dévoûment aux sincères amis de la révolution. Pourquoi, citoyens? parce que celui sur qui pesait le plus la tyrannie doit aussi plus profondément sentir le prix de la liberté, et s’il l’a une fois essayée il ne s’en dessaisit ja-(74) Le schéma de l’instrument de torture est donné dans Bull., 29 fruct. mais : tel est le brave Meunier, portier d’un hospice. Il avait vu nos républicains sur son territoire ; il dut s’attacher à leurs principes ; et la forte compression qu’il a dû éprouver pendant dix-huit mois n’a pas été capable de l’en séparer : il l’a prouvé par les soins et les aliments qu’il a fournis à ses frais à notre collègue, au péril de sa vie et du sacrifice de dix enfants, que le tyran autrichien aurait immolés à sa rage, s’il eût découvert son action courageuse. Mais, tandis que le spectacle de l’abominable machine attachée au piédestal de la statue de la Liberté, montre aux hommes les bienfaits que leur préparent les tyrans ; tandis que cet infâme instrument va presser tous les peuples de sortir enfin du sommeil léthargique dans lequel la servitude les a plongés, que l’ami des Français libres, que ses dignes enfants jouissent des récompenses que les hommes vertueux, que les ennemis prononcés de la tyrannie éprouveront toujours d’une nation grande, puissante et généreuse. Votre comité a pensé que par une somme une fois payée, vous deviez d’abord gratifier Gérard Meunier des dépenses qu’il peut avoir faites, et des soins qu’il a donnés à notre collègue Drouet; il a pensé que vous deviez en outre lui assurer une pension viagère qui le mit en état de soutenir sa nombreuse famille, et que ce double secours lui serait accordé à titre de récompense nationale. Il a encore pensé que si Meunier, déjà âgé de soixante-un ans, venait à manquer à sa famille, la pension devait être transmise, par portions égales, aux enfants qui lui survivront, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, à laquelle époque il leur sera payé une somme fixe, pour leur faciliter les moyens d’un établissement. Enfin, citoyens, votre comité propose que le décret que vous allez rendre, ainsi que celui du 24 fructidor soient adressés à Meunier, avec une lettre du président de la Convention nationale, en reconnaissance du peuple français, pour les soins généreux qu’il a eus d’un de ses représentants tombé au pouvoir des féroces Autrichiens. Ce projet a paru remplir vos vues, car inutilement chercheriez-vous à proportionner une récompense à l’action d’autant plus méritoire qu’elle a été périlleusement exercée à côté de la barbarie et de la férocité des satellites du despotisme : vous pourrez bien amender le projet, mais je vous répondrai qu’il est de ces actes extraordinaires que l’intérêt ne récompense jamais. Tels sont ceux des Meunier, des Geffroy qui ont conservé la vie à deux représentants d’un peuple libre, au risque de la leur : tel serait celui de l’homme énergique et audacieux qui braverait tout pour l’arracher à un tyran. Ducos présente un projet de décret, qui est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Roger Ducos, au nom de] son comité des Secours publics, décrète ce qui suit : Article premier. - La trésorerie nationale fera payer à Gérard Meunier une 384 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE somme de 6 000 livres. Ce généreux citoyen jouira en outre d’une pension annuelle et viagère d’une somme de 1 500 L, à titre de récompense nationale. Art. II. - Cette pension sera réversible par portions égales sur la tête des enfans survivans dudit Meunier. Art. III. - Les enfans de Meunier jouiront de cette survivance jusqu’à l’âge de dix-huit ans, à laquelle époque il sera payé à chacun d’eux une somme de 1 000 L. Art. IV. - Le présent décret, ainsi que celui du 24 fructidor, seront adressés à Meunier. Le président de la Convention nationale est chargé de lui écrire au nom du peuple français, en reconnoissance des soins généreux qu’il a eus d’un de ses re-présentans tombé au pouvoir des féroces Autrichiens. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance. Sur la motion d’un membre, la Convention décrète que le rapport sera également inséré au bulletin de correspondance (75). b La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de Roger Ducos, au nom] de son comité des Secours publics, sur la pétition des citoyens Joseph-Michel Pellerin, René Estourbeillon, Jean Alloneau, François Chere et Pierre-Alexandre-Martial Latour, domiciliés à Nantes, département de la Loire-Inférieure; lesquels après une détention, savoir : Pellerin, Estourbeillon, Alloneau et Chere, de dix mois, et Latour de neuf mois et demi, ont été acquittés et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 28 fructidor. Décrète que, sur le vu du présent décret, la trésorerie nationale paiera à chacun desdits Pellerin, Estourbeillon, Alloneau et Chere, une somme de mille livre ; et audit Latour, celle de 950 L, à titre de secours et indemnité, et pour les aider à retourner dans leur domicile. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (76). (75) P.-V., XLVI, 37-39. C 320, pl. 1327, p. 14. Décret non numéroté, minute de la main de Roger Ducos, rapporteur. Bull., 2 vend, (suppl.) et 3 vend. ; Moniteur, XXII, 61 ; Débats, n° 732, 26-27 ; J. Fr., n° 728 ; M.U., XLIV, 25 ; Mess. Soir, n° 766 ; F. de la Républ., n° 3 ; J. Mont., n° 147 et 152 ; J. Paris, n° 3. (76) P.-V., XLVI, 39. C 320, pl. 1327, p. 15. Décret non numéroté, minute de la main de Roger Ducos, rapporteur. Bull., 2 vend, (suppl.). C La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Roger Ducos, au nom de] son comité des Secours publics sur la pétition du citoyen Antoine Rigoulet, sergent des canonniers du douzième bataillon de Seine-et-Oise, lequel a été congédié à raison de la perte presque totale de la vue, qui le met hors d’état de continuer son service. Décrète que, sur le vu du présent décret, la trésorerie nationale paiera audit Rigoulet une somme de 300 L, à titre de secours, imputable sur la pension à laquelle il pourra avoir droit. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (77). d La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Roger Ducos, au nom de] son comité des Secours publics, relatif aux secours réclamés par la citoyenne veuve de Louis Berry, tué par la chûte d’une auge de métal destinée à des machines pour la fabrication des poudres, laquelle est chargée d’un enfant en bas âge, décrète ce qui suit : Article premier. - La trésorerie nationale paiera, sur le vu du présent décret, à la veuve Berry, une somme de 300 L, qui, ainsi que les cinquante livres qu’elle a déjà reçues, lui est accordée à titre de secours provisoire. Art. II. - La veuve Berry et son enfant sont assimilés aux veuves et enfans des défenseurs de la patrie, et auront droit à la pension conformément aux lois. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (78). e La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Roger Ducos, au nom de] son comité des Secours publics sur la pétition du citoyen Antoine Ozam, journalier, domicilié à Saint-Just, district de Sauveterre, département de l’Aveyron, lequel après cinq mois de détention, a été mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, de la quatrième sans-culottide, l’an II de la République française. Décrète que, sur le vu du présent décret, la trésorerie nationale paiera audit Ozam une somme de cinq cents livres, à (77) P.-V., XLVI, 39-40. C 320, pl. 1327, p. 16- Décret non numéroté, minute de la main de Roger Ducos, rapporteur. Bull., 2 vend, (suppl.) (78) P.-V., XLVI, 40. C 320, pl. 1327, p. 17. Décret non numéroté, minute de la main de Roger Ducos, rapporteur. Bull., 2 vend, (suppl.).