[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.] 316 nal sur la question principale, ainsi posée : t La dette non constituée de l’Etat et celle du ci-devant clergé seront remboursées, suivant l’ordre qui sera indiqué, en assignats-monnaie, sans intérêts. » L’amendement de M. Camus est joint à cette proposition. On invoque le règlement contre la demande de l’appel nominal. Un de MM. les secrétaires lit les dispositions suivantes : Les voix seront prises par assis et levé, et s'il y a du doute elles seront recueillies par appel nominal. M. de Crillon le jeune. Je déclare que mon opinion personnelle étant qu’il doit y avoir en circulation 1,200 millions d’assignats, par l’ambiguité du décret proposé par M. Camus, il m’est impossible de voter. On croirait, ce qui n’est pas, que l’Assemblée décrète plus de 1,200 millions, et que ces assignats feront la roue. Il faut dire qu’il sera fait une émission de 800 millions d’assignats qui, réunis aux 400 millions déjà décrétés, formeront la somme de 1,200 millions; qu’il ne pourra être fait une autre émission que par un décret de l’Assemblée nationale, et d’après les renseignements qui seront donnés par les départements. M. de Mlenon. Nous appuyons l’amendement de M. de Crillon. Un de MM. les secrétaires fait lecture de la motion principale avec l’amendement décrété : « Art. 1er La dette non constituée de l’Etat, et celle du ci-devant clergé, sera remboursée, suivant l’ordre qui sera indiqué, en assignats-monnaie, sans intérêts. « Art. 2. Il n’y aura pas en circulation au delà de 1 ,200 millions d’assignats, compris les 400 millions déjà décrétés. «* Art. 3 Les assignats qui rentreront dans la caisse de l’extraordinaire seront brûlés; et il ne pourra en être fait une nouvelle fabrication et émission sans un décret du Corps législatif, toujours sous la condition qu’ils ne puissent ni excéder la valeur des biens nationaux, ni se trouver au-dessus de 1,200 millions en circulation. » On applaudit. — On demande à aller aux voix. L’appel nominal est de nouveau réclamé. M. de Folleville. M. le président, vous devez exécuter le règlement, il ordonne qu’on aille aux voix par assis et levé. La motion principale est mise aux voix. M. de Folleville réclame le doute, et demande l’appel nominal. — La droite l’appuie. M. le Président. Je ne crois pas qu’il y ait du doute, cinq de MM. les secrétaires sont du même avis. M. de Folleville et la partie droite renouvellent la demande de l’appel nominal. Après de longues agitations, M. le président propose de faire une seconde épreuve, ou de consulter l’Assemblée pour savoir s’il y a du doute. M. de Folleville. Le règlement dit positivement que s’il y a du doute on procédera à l’appel nominal. M. de Mirabeau demande la parole. M. de Faucigny. Si l’on ne procède pas à l’appel nominal, j’invite tous ceux de mon opinion à manifester demain leur vœu par écrit. (Une partie du côté droit se lève pour répondre à cette invitation.) M. de Montlosier. L’appel nominal éclairera les consciences. La partie gauche demande l’appel nominal, et l’on y procède. La motion principale amendée est adoptée à une majorité de 508 voix contre 423. (On applaudit de toutes parts.) La séance est levée à huit heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 29 SEPTEMBRE 1790. Des assignats, par M. Duport, député de Paris (1). Lorsqu’on vous proposa, Messieurs, il y a 3 mois, le projet d’une vente de 400 millions aux municipalités, j’osai la combattre dans cette tribune, comme présentant une manière partielle et dangereuse de disposer des biens nationaux. Aujourd’hui l’on soumet à votre délibération une idée vaste et grande, la seule, à mon sens, qui soit en proportion avec nos besoins et les circonstances, qui arrive jusqu’à la racine de nos maux, qui rétablisse nos finances, notre agriculture, qui ranime partout le travail , ce premier besoin de tous les pays policés, ce principe unique de la richesse, de là prospérité et de la tranquillité publique; la seule enfin qui soit le sceau et comme la garantie de notre heureuse Révolution. Ce n’est pas ici le lieu de savoir si la France même, sans les propriétés immenses qu’elle possède, ne devrait pas créer un papier circulant, pour suppléer à la rareté des espèces : il n’est pas temps d’examiner si, au sortir d’une Révolution aussi complète, après la réunion de tant de causes naturelles et forcées de la disette numéraire, il ne serait pas nécessaire de créer un papier circulant qui pût rendre inutiles les efforts de nos ennemis, en soutenant notre commerce, notre agriculture, et nous aider à franchir, sans désastre, le court intervalle qui nous sépare encore des jours de la paix et de la prospérité. Mais vous refuseriez d’entrer dans tous les détails longs et abstraits de cette importante question, et vous désirez que la discussion se resserre dans les bornes que lui assigne la situation actuelle des choses. Je vais donc examiner la question des assignats, en la liant aux différentes circonstances qui les accompagnent, et aux diverses conditions sous lesquelles on propose qu’ils existent. Quelle est notre position actuelle? nous avons des dettes exigibles, et pour les payer, nous n’avons que deux moyens : vendre des biens qui sont en régie, et établir des impositions. Quel (1) J’ai cru qu’il était utile de présenter les idées suivantes avant la décision de l’Assemblée nationale, et que, celte opinion étant trop longue pour lui être présentée à la tribune, je pouvais espérer qu’elle serait lue, moins pour la manière dont la question est traitée que pour son importance. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.] 317 est notre désir, notre devoir? De payer nos dettes, de nous libérer entièrement, de vendre nos biens promptement et à bon prix, de soulager le peuple d’impositions. Or, je prétends que les assignats réunissent seuls ces trois avantages. I. — Avec des assignats, nous payons nos dettes avec justice; car nous devons de l’argent à nos créanciers, à défaut d’argent nous leur remettons un effet qui a toutes les propriétés de l’argent, et une de plus, celle de faire vendre les biens nationaux. Le créancier immédiat peut, avec des assignats, acheter des terres, placer ses fonds dans le commerce, les prêter à un acheteur, payer ses dettes, ou en faire tel usage qu’il lui plaît. 11 n’est pas lésé. Le créancier de celui-ci a les mêmes moyens, et l’assignat parcourt ainsi toutes les transactions, opère toutes les soldes, jusqu’à ce qu’il arrive dans les mains de celui qui veut l’employer réellement, c’est-à-dire à acheter une terre. Là il se repose, il s’arrête, et bientôt il est anéanti. Personne n’est donc lésé, à moins que les assignats ne viennent à perdre, mais outre les moyens que je vous proposerai, par la suite, pour empêcher cet effet, la valeur de l’assignat n’est point idéale et de pure convention; elle est l’effet d’une contre-valeur solide de la terre qui lui donne la propriété d’une véritable lettre de change, payable en terre au dernier porteur. 2° Avec des assignats nous sommes entièrement libérés, car, certains une fois de la justice de votre payement, et de l’impossibilité du retour contre vous, vous ravez de votre liste vos créanciers et leurs titres. Vous dites à tous ceux à qui vous devez : prenez mes terres, en voilà le moyen; vous dites à tous ceux qui veulent acheter des terres : en acheter des assignats, voilà le moyen. Dès lors, plus de cet arriéré scandaleux, plus de cet exigible si embarrassant, plus de soupçon d’injustice dans l’opération sublime de l’abolition de la vénalité des offices, plus de prétextes et de ressources à la mauvaise foi des ministres et de leurs agents; plus de mélange d’ordinaire et d’extraordinaire plus d’enchevêtrement d’exercice, tout est soldé sur-le-champ ou dans l’année, nos comptes sont clairs et simples, notre crédit est assuré, motif bien puissant dans ces conjonctures où les ennemis du dehors voudraient peut-être profiter du moment où nous nous livrons à l’arrangement de nos affaires. II. — Il faut vendre nos biens promptement à un bon prix. Pour cela, deux choses sont nécessaires : 1» Donner aux citoyens un grand intérêt à les acheter ; 2° leur en faciliter les moyens. Il n’est qu’une manière d'intéresser tous les citoyens à acheter et par conséquent de vendre, c’est d’intéresser l’existence et la fortune de tous à cette vente. Qu’elle devienne le principe du bonheur général, si elle a lieu, ou qu’elle cause un malheur général, si elle ne se fait pas. Voilà Je secret de l’opération. Il est hardi, mais sûr et indubitable. Demandez aux anciens possesseurs des biens, s’ils veulent des assignats. Demandez aux ennemis de notre Constitution s’ils veulent des assignats, et jugez sur leur réponse s’ils ne les regardent pas comme l’arrêt de leur dépossession. Les assignats comptent, je le sais, des patriotes parmi leurs adversaires; mais cela tient à des causes que je discuterai plus bas. 2° Il faut faciliter aux citoyens le moyen d’acheter, sans quoi vos biens ne se vendront pas, ou se vendront mal, et vous manquez la plus essentielle de vos vues, celle de multiplier les propriétaires et de diviser les propriétés. Cette vérité a été portée jusqu’à l’évidence par un honorable membre, M. de Gernon, qui a démontré qu’il fallait chercher moins à vendre pour payer, qu’à payer pour vendre. Ce qui signifie qu’il faut fondre dans la circulation tous ces capitaux impropres aux transactions, les diviser, les répandre, afin de les proportionner avec toutes les divisions possibles des biens nationaux, et que partout où ie désir d’acheter se trouve rapproché du besoin de vendre, cette double volonté puisse s’effectuer par l’intermédiaire d’un effet sans cesse apporté par le cours naturel de la circulation auprès de chaque individu, et qu’il peut ainsi se procurer sans effort et sans perte. On ne fait pas d’attention, je trouve, à la situation de nos biens, dans la main et sous l’administration des directoires, et au spectacle scandaleux de tant de propriétés dans l’état de saisie réelle, et loués par baux judiciaires. On connaît les abus de cette espèce de gestion où tout est absorbé par les frais. On ne calcule pas non plus combien il sera difficile de retirer les biens de cette administration. On ne peut nier que les membres des directions, même sans un motif honteux ne forment bientôt secrètement des vœux pour voir se prolonger dans leurs mains une régie opulente qui ajoute à l’importance de leur place, qui augmenté et fortifie les liens de tout genre qui leur attachent leurs concitoyens, en les mettant à même de leur être utiles. Ajoutez le désir des fermiers d’acheter les terres avec des termes, ou de se voir continuer après l’expiration de leurs baux, ajoutez l’intérêt du peuple qui les entoure, les efforts des anciens possesseurs et des mécontents et vous verrez quelle masse de résistance s’élèvera contre vos intentions, si vous ne parvenez à associer tous les citoyens au désir de voir la vente s’opérer, et si vous ne prenez courageusement une mesure qui, contenant en elle-même 1e principe de son action, brave la malveillance des hommes, trompe leurs efforts ouverts ou secrets, tourne en notre faveur tous les intérêts qui maintenant militent contre vous, qui prévienne la dilapidation de nos biens, en faisant cesser la régie des directoires, en même temps à ces institutions naissantes l’espoir de la régénération de l’esprit public et des mœurs, les travaux, les difficultés, les séductions de tout genre et la calomnie qui ne manquerait pas de s’attacher à leurs opérations. Décrétez qu’il sera fait des assignats et confiez ensuite à l’intérêt le soin de se faire payer. C’est un allié sûr et puissant, que l’intérêt. Il ne trompe jamais. Il ne vous trahira point, lorsque vous lui remettrez le succès de votre opération. III. Je ne m’arrêterai pas longtemps à vous prouver combien est sage et juste une opération qui permet de soulager le peuple de 100 millions d'impositions. Mais je vous prierai . d’observer que cela est absolument nécessaire dans notre position actuelle et qu’avec des assignats vous avez Davantage de faciliter le payement des contributions qui restent, d’abord par la diminution même, ensuite parce que la matière imposable s’augmentera de tous les secours donnés au travail et à l’agriculture, et que la circulation ramenant plus promptement les moyens de vivre et de payer, rend moins sensible la charge des impositions. Enfin, Messieurs, vous facilitez le moyen d’acquitter les droits féodaux et d’en rembourser le capital, et cette liquidation a cet avantage heureux qu’elle ranime la fortune déjà affaiblie des anciens seigneurs, qu’elle ramène la tranquillité dans les campagnes et qu’on fieut 318 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.1 entrevoir le moment où le sol ne sera plus grevé d’aucune charge que de l’impôt. Enfin, partout les affaires languissent ; on cherche en vain à emprunter; on demande en vain ce qui est dû, on désire en vain de se libérer, rien ne se fait, tout est en stagnation par le défaut de moyen et de signe d’echange ; les assignats vont tout ranimer, tout revivifier. Qui peut contrebalancer tant d’inappréciables avantages? Discutons un moment les autres plans de délibérations proposés. 11 n’y a que deux manières de rembourser la dette exigible, de même qu’il n’y a que deux espèces de biens meubles et immeubles. Si vous ne donnez pas en remboursement un effet mobilier, vous donnerez un immeuble; aussi vous propose-t-on des quittances de finance. Or, c’est une chose bien remarquable que l’opération des quittances réunit sans exception tous les inconvénients que nous devons éviter; car elles ne payent pas avec justice les créanciers de l’Etat, elles ne nous libèrent pas, elles ne font pas vendre les biens, elles nous forcent à mettre des impositions. I. — Elles ne payent pas avec justice ; car, des sommes qui ont sur la nation une créance exigible à qui elle doit de l’argent, doivent recevoir de l’argent ou un effet qui en ait toutes les propriétés, avec lequel on [misse acquérir, payer des dettes, faire toutes sortes de placements, ou même pourvoir aux besoins journalier, de la vie. Mais donner à des créanciers d'une dette exigible un parchemin qui n’est bon qu’à acheter des terres, c’est les forcer à recevoir une Constitution, opération trouvée si injuste sous l’ancien régime, ou les forcer à acheter des terres, lorsqu’ils ne veulent ou ne peuvent pas le faire. II. — La nation n’est pas libérée, cela est évident; car elle n’a fait que donner un titre nouvel contre elle. Elle doit toujours des capitaux, et toujours des intérêts, jusqu’au moment indéfini et impossible à prévoir où ses biens seront vendus. Comment peut-on vous proposer comme un moyen de libération, une nouvelle charge qui n’est compensée que par le produit des biens nationaux, produit presque nul, et qui nécessite le plus embarrassant, le plus obscur, et le plus ridicule de tous les comptes entre les directoires et l’Assemblée nationale ? III. — Nos biens ne seront pas vendus. Cela me paraît facile éprouver; car, voici ce qui arrivera. Si par l’opération des quittances de finance, vous restez chargés de 100 millions d’intérêts, vous mettrez 100 millions d’impositions pour les fonder, votre loyauté ne permet pas d’en douter ; alors ou les impôts seront payés ou ils ne le seront pas. S’ils n’étaient pas payés, votre Constitution serait détruite. S’ils le sont, comme tout bon citoyen doit le croire, vos biens ne seront pas vendus; car, des particuliers qui jouiront de 5 0/0 d’intérêts, ne s’empresseront pas à acheter des biens qui ne leur en rapporteront pas 3, puisqu’ils seront sûrs d’être payés, que la force publique est prêle à se développer en faveur de leur propriété, et qu’en général les capitalistes sont moins touchés de la simplicité et de la vérité des plaisirs de la campagne que de l’exacte et périodique rentrée de leur argent. Je sais bien que l’on a proposé deux choses pour remédier à ce terrible inconvénient. On a proposé de réduire à 1/2 0/0 l’intérêt des quittances de finance. On a proposé aussi d’imputer l’intérêt sur le pied de la vente; mais ceux qui ont appris de l’abbé Terrai cet expédient de réduire pour se libérer, devraient être plus hardis et demander la suppression entière des intérêts ; car une fois que l’on n’est plus retenu par la justice, je ne vois plus rien qui puisse empêcher de faire (ou t ce qui plaît ou convient. Jusqu’alors on avait pensé que la loi même ne devait pas fixer l’intérêt de l’argent, encore moins le placer pour son avantage au-dessous du taux commun, et qu’il n’y avait pas de milieu, ou de rendre un capital ou d’en payer l’intérêt courant. Mais d’autres idées s’établissent, ou plutôt sont mises en avant tous les jours sur la morale et l’honnêteté. On ne sait plus bientôt où est la vertu, lorsque les actions les plus répréhensibles en prennent hardiment le nom. Des hommes qui ont prêché le papier-monnaie véritable, au moment où il n’avait ni fondement, ni excuse, viennent ici jeter les hauts cris, lorsqu’un papier soutenu d'une valeur territoriale est présenté à ia France comme sa seule ressource. Il est des hommes à qui les contradictions ne coûtent point, et qui n’ont rien de constant que leur opposition à la raison et à l’intérêt public. Mais malheureusement ces moyens injustes sont encore funestes, car l’intérêt de la quittance de finance s’accroît tous les jours, jusqu’au moment où il est absorbé dans la vente ; il est évident que le dernier porteur, loin d’être pressé d'acheter, a intérêt à garder un papier dont la valeur augmente avec le temps, parce que les billets nationaux loin de se précipiter vers les terres, sont encore ralentis dans leur course. Ajouter que vos porteurs d’effets ont encore l’intérêt de laisser dépérir les biens dans l’espérance de les acquérir à meilleur marché. Mais, tranchons le mot. Qu’est-ce pour opérer cette vaste opération que quelques centaines d’hommes qui seuls aux yeux de la nation entière disposeraient du sixième peut-être de son territoire? n’est-ce pas donner à tous les citoyens un penchant pour contrarier Invente? Quoi 1 dans la plus vaste, la plus importante de toutes les opérations nationales, les citoyens y seront étrangers, leur argent même sera repoussé par des titres civils? Gomment des biens seront-ils vendus avec des capitaux qui ne se prêtent à aucune division qui ne circulent pas, qui sont susceptibles de hausse et de baisse dans ce marché étroit et resserré de la place, où l’intérêt, la méchanceté, toutes les passions ont des effets si sensibles? Quelle est cette nouvelle et absurde mesure d’échange qui est raide et inflexible, et qui n’est propre à rien mesurer? Qu’est-ce que des immeubles pour acheter d’autres immeubles? Appelez tous les Français, même les étrangers à se procurer vos billets d’achats, ayez les Français pour acheteurs, et la France entière pour marché, et vous vendrez mieux, plus sûrement et plus noblement. On a tout dit aux hommes honnêtes, aux bons citoyens, aux hommes qui usent de la raison, lorsqu’on leur a démontré la nécessité d’adopter une mesure. Il n’est ni d’un bon esprit, ni d’un cœur droit, de chercher à se débattre contre un irrésistible pouvoir; et les efforts qu’on oppose à ce qui doit nécessairement arriver, ne sont pas seulement inutiles, ils sont encore dangereux. Néanmoins, Messieurs, c’est un avantage qu’il ne faut pas négliger que de résoudre, lorsqu’on le peut les difficultés qu’on présente. Il est heureux de pouvoir attribuer à la raison seule un parti que ia nécessité avait commandé avant elle. Je ne les parcourai pas toutes, je m’arrête à celle qui posait le plus important, le surhaus-, .sement des denrées. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.] 319 On a cherché, pour vous effrayer, Messieurs, à vous rappeler les temps du système de Law, et de ranimer cette terreur héréditaire qu’il a transmise jusqu’à nous. Ceux qui ont bien lu l’histoire du système, savent bien qu’il n’avait rien de commun avec ce qu’on propose : eh bien 1 moi, j’admets l’objection. Vous vous souvenez en même temps, Messieurs, d’avoir lu avec quels séduisants dehors de richesses et de prospérité il s’annonça; l’agriculture se ranima, le commerce fleurit, tout concourut à l’ivresse dans laquelle la France fut plongée, quelques opérations trop hardies, des mesures mal prises, commencèrent à donner de l’inquiétude : peu à peu, la confiance se refroidit; tes billets revinrent en foule, on ne put les solder. Or, Messieurs, si à cette époque le Mississipi avait pu paraître, vous ne doutez pas qu’il n’eût été vendu en trois mois. Eh bien ! ce Mississipi imaginaire existe ici; ce sont les biens nationaux. Nous voyons ce que nous devons craindre de la plus terrible comparaison à laquelle on ait osé soumettre les assignats. Je pourrais dire à mes adversaires que cent millions d’impositions que remplacent les assignats augmenteraient bien davantage le prix des denrées, surtout celles de première nécessité, à moins que le propriétaire déjà surchargé ne plie entièrement sous le fardeau et n’abandonne le sol au percepteur. Mais je vais directement au fait. Expliquons-nous. Vous n’entendez pas dire, j’espère, que les denrées ne sauraient être à trop bas prix. Vous ne faites pas consister en cela la richesse et le bonheur d’une nation. Vous n’ignorez pas que si les denrées sont à trop bas prix, les propriétaires sont ruinés, quoique les commerçants puissent momentanément s’enrichir. Vous ne voulez pas non plus que le prix des journées ne payent qu’un pain bien sec à l’homme qui travaille, et que ses enfants et sa femme meurent de faim. Ce n’est pas là votre manière d’enrichir et de rendre heureux une nation. Sans cela vous ne m’inspireriez qu’horreur et mépris. Vous convenez que les denrées doivent payer le prix de leur production avec cette générosité qui engage le propriétaire à doubler ses avances, à multiplier ses efforts et son industrie, à augmenter la part et la masse qui va se partager entre tous. Vous convenez encore que dans cette société entre le propriétaire et le journalier, dans laquelle l’un met son capital et l’autre son travail, chacun doit en tirer de quoi vivre honnêtement. Qu’il faut surtout animer le travail, cette source unique, je le répète, de subsistance, de prospérité et de paix ; que tout est bien ordonné dans un pays, lorsqu’on y travaille beaucoup, car l’intérêt particulier sait bien ensuite rendre utile ce travail. Ainsi, ce n’est point en soi le haut prix des denrées ni l’augmentation qu’elles peuvent recevoir de la richesse et de l'aisance générale qu’il faut craindre, mais seulement le surhaussement soudain et factice qui serait causé par une masse évaluée de numéraire mise dans la circulation ; or, je prétends que, celle-là ne saurait avoir lieu. Car lorsque les assignats seront dans le public, il arrivera de deux choses l’une : ou qu’ils perdront contre l’or et l’argent, et alors il s’établira deux prix dans le commerce, l’un contre les assignats et l’autre contre l’argent, ou ils auront une valeur égale entièrement à l’argent et à l’or, les denrées augmenteront et contre les assignats et contre l’argent. • Si les denrées n’augmentent que contre les assignats, nécessairement ils sont repoussés de la circulation, il n’y entrera que la quantité qui loi est strictement nécessaire, car personne ne consent à perdre sur un effet lorsqu’il peut le placer ailleurs au pair : or, pendant que le marchand ou le manufacturier repousseront l’assignat, ou le prendront avec perte, le propriétaire qui veut s’arrondir, ou l’homme qui veut acheter des terres, recherche l’assignat, le demande comme l’intermédiaire nécessaire entre son argent et la terre. Il résulte de cette double action que l’assignat va aussi promptement qu’il est possible à la destination, puisqu’il est poussé par le marchand et attiré par le propriétaire. Il ne peut pas exister de mouvements mieux appropriés à leur but, puisque tout concourt à les y diriger. Remarquons en passant que, dans cette hypothèse, les denrées ne surhaussent pas, puisqu’elle restent constamment dans la même proportion avec l’argent ; seulement, dans leur rapide passage au travers de la circulation , les assignats éprouveraient une légère et insensible diminution de valeur. Mais ce n’est qu’une hypothèse dont nous allons voir la fausseté. Si les assignats conservent, dans toutes les transactions, une valeur égale à l’argent, s’ils roulent avec lui dans la circulation, alors ce n’est plus par leur nature ou leur qualité, mais par leur masse qu’ils peuvent agir, et alors, dit-on, les signes d’échange devenant plus communs, ils s’aviliront, et les denrées, conséquemment augmenteront. Il est aisé de démontrer la fausseté de cet effet; mais pour cela, il faut remonter un moment aux principes élémentaires de la question. Dans tout pays civilisé, le travail des habitants produit toujours au delà de leurs besoins, et de l’excédant accumulé d’années en année se forment ce qu’on appelle des capitaux : ces capitaux devenus durables par l’invention du numéraire, reversés sur la terre et dans le commerce, servent à y faire naître de nouveaux produits, et la société s’enrichit sans cesse par cette formation successive de produits. Ces vérités sont�nonnues. Ces capitaux n’entrent point directement dans. la circulation des meubles, ils ne servent point à acheter des objets de consommation ; car, à moins de se ruiner, personne ne vend un contrat, un fonds, pour acheter un habit, du blé, du vin, etc. Il est bien vrai que l’agriculteur qui emprunte un capital l’emploie eu achat d’instruments et d’avances mobilières qui augmentent le prix de ces objets; mais aussi, ils sont, de leur nature, destinés à former de nouveaux produits en améliorant la terre et sa culture. Ainsi, l’augmentation des denrées qui s’opère de cette manière est à la.fois l’effet et la cause de la richesse et de l’aisance, elle est le partage des pays riches et florissants; ce n’est pas, je. pense, celle qu’on redoute ici. Il y a toujours, dans chaque pays, un nombre plus ou moins grand de capitaux qui, pour devenir productifs, cherchent à se placer, soit dans les entreprises du commerce ou d’agriculture, soit dans les fonds publics, partout enfin où la certitude de revoir son fonds, ou, du moins d’en toucher exactement les intérêts leur est offerte. Ces capitaux roulant, s’il est permis de parler ainsi, dans un lit qui leur est propre, ne se mêlant point dans la circulation des meubles, ne peuvent y porter aucun surhaussement sur aucun renchérissement; or, si les assignats ne diminuent point la masse des capitaux, s’ils servent à en former de nouveaux et à les rendre plus productifs, U 320 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1790.] estévident qu’ils ne causent aucun surhaussement comme augmentation factice et forcée dans les prix. En effet, dans le projet de donner des quittances de finance aux créanciers de l’Etat, voici comme on raisonne. On dit, il y a des terres à vendre, il y a *des capitaux à rembourser. Il faut donner les terres pour les capitaux. Je dis de même il faut donner des assignats pour les capitaux. Mais vous craignez si fort que du payement que vous allez faire, il ne s’en répande une goutte dans la circulation, que vous croyez devoir l’enfermer dans un immeuble solide, afin qu’il puisse ainsi traverser la route du Trésor national aux terres et biens nationaux ; vous croyez que la moindre extravasion dans la circulation, semblable à un poison funeste, y porterait le trouble et le désordre. Suivons cette marche et les motifs qui vous guident : 1° D’abord tous ceux de vos créaaciess qui auraient acheté directement des terres avec vos quittances de finance en achèteront de même avec des assignats, et beaucoup mieux, car la concurrence de l’argent et l’avilissement de la quittance de finance feraient payer les terres au moins le double de leur valeur aux créanciers porteurs de ces dernières ; 2° Si vos créanciers payent les leurs en leur remboursant des capitaux, vous conviendrez encore que les assignats font l’office d’immeubles, excepté que la liquidation du premier créancier s’opère ici avec justice, et de l’autre manière, elle s’opère avec une effroyable perte. 3° Mais voici que vous croyez avoir raison. Si le premier créancier ou le second ont des dettes mobilières, tout est perdu, car ils payent leurs dettes avec des assignats, la circulation en est inondée, et le numéraire s’accroît d’abord : on raisonne sur cela par analogie avec ceux qui existent, sans réfléchir qu’ils ont été donnés pour des arrérages ou intérêts; qu’ainsi ils ont été mis dans la circulation tout de suite; que loin d’avoir fait enfouir le numéraire, il était plus rare avant leur émission. Mais reprenons votre raisonnement. Un particulier dont vous faites cesser les bénéfices et qui, au moyen de cela, se trouve dans la nécessité de se liquider, au moment où il cherche à vendre ses terres, à fondre ses capitaux, pour satisfaire ses créanciers, où trente individus attendent leur existence du payement de leurs créances, vous, précisément pour empêcher ce payement que vous regardez comme la ruine de l’Etat, vous remettez au particulier en question un ou plusieurs immeubles, qu’il ne puisse subdiviser, avec lesquels il lui soit impossible de payer ses dettes mobilières ; vous donnez de la terre à celui qui vend les siennes pour se libérer. Ainsi, entre un débiteur et des créanciers malheureux, par votre opération, vous parvenez à les mécontenter tous, lorsque vous pourriez les satisfaire tous. Eh bien ! ce n’est pas cette effroyable injustice, cette barbare spéculation que jecombats : je dis que les assignats qui auraient servi aux créanciers successifs à se libérer de leurs dettes mobilières, ainsi répandus dans la circulation, y auraient formé de nouveaux capitaux. En effet, lorsque je paye à un débiteur 1,200 livres que je lui dois, cet homme doit nécessairement en épargner une partie quelconque, sans quoi, il se ruine; cette partie épargnée forme un capital, ou ajoute à des capitaux déjà formés. Il en est de même de tous les payements qui seront faits ; l’ouvrier ou le fournisseur en retirent toujoi rs une portion qui forme entre ses mains une épargne, et ces capitaux ainsi formés sont les véritables, ceux qui naissent du mouvement progressif de la société et de l’excédent du travail sur les besoins : vos immeubles, au contraire, sont des capitaux factices et forcés, qui ne tirent leur nature des capitaux que delà violence et de l’autorité arbitraire, et ceux qui trouvent mauvais que la société appelle monnaie du papier, comment ne voient-ils pas qu’elle n’a pas plus droit d’appeler capitaux des sommes mobilières? Ainsi, par le moyen des assignats, se formeront dans toute la France de nouveaux capitaux qui seront promptement entraînés vers la terre, parce que les assignats ne sont pas propres à la thésaurisation. Mais ce n’est pas tout, les capitaux, pour être utiles à la société, ont besoin de devenir productifs, et pour cela d’être subdivisés dans la main de celui qui les a empruntés. Ainsi, si je prête à un agriculteur ou à un commerçant 10,000 écus, il les emploie en journées ou en achat d’avances mobilières qui doivent augmenter la richesse nationale, en forçant la terre à donner de nouveaux produits. Voilà ce qui résultera de l’opération des assignats, ils feront baisser le taux de l’argent, ils auront fertilisé dans leur passage le sol de l’industrie et de l’agriculture, ils auront animé le travail, ce seul élément de la richesse, je le répète, ils auront arrosé dans sa racine cet arbre qui produit toute l’aisance sociale, l'agriculture , et qu’on semble vouloir arroser par les feuilles, lorsque, prêtant l’oreille aux discours intéressés des ouvriers de luxe ou des commerçants, on veut voir le bonheur ou le malheur des peuples dans leurs seules relations extérieures et les mesures avec cette fautive et trop vantée balance du commerce. Messieurs, soignez l’agriculture, encouragez le travail ; tout le reste ira de lui-même. On dira peut-être que pour encourager le travail, il faut de l’urgent, je réponds que les assignats, s’ils sont reçus comme intermédiaires nécessaires entre l’argent et la terre, ramèneront nécessairement le premier dans la circulation, tandis qu’ils iront se perdre dans la terre. On vous a présenté les assignats comme favorisant l’agiotage. Gela dépend de l’idée qu’on attache à ce mot. Sans doute, les effets remonteront, il faut s’y attendre, où est le mal pour la nation? Des débiteurs payeront toutes leurs dettes en assignats. Gela n’est malhonnête qu’autant qu’ils perdraient ; ce qui, comme on va le voir, ne saurait arriver ; mais si la Bourse, déjà chargée de capitaux qui perdent 20 0/0 contre des assignats, en est encore inondée, nul doute qu’ils ne s’avilissent au point de perdre 50 0/0 de leur valeur, est-ce là une belle spéculation d’agioteurs ? Je ne les blâme point ; que leur importe que nos biens restent invendus, que notre agriculture soit écrasée, que nos bras soient sans travail, ont-ils une patrie ? des concitoyens ? Non, iis ont gagné : voilà tout ce qu’il leur faut. Mais, vous, les représentants d’un grand peuple, vous, chargés de la gloire de la nation, consen tirez-vous de prêter à un tel projet de discrédit et d’avilissement ? Quoi ! vous qui êtes venu examiner, venger, punir les opérations funestes des ministres, vous en feriez une plus funeste encore ? Le premier titre que donne sur elle une nation qui reprend ses droits, comme dans le monde par sa loyauté et sa bonne foi, riche de plusieurs millions de biens-fonds , ira se dégrader à la Bourse, et se placer dans l’estime publique au-dessous des effets les plus décriés 1 Non, Messieurs, l’honneur, votre crédit, vos intérêts yous le défendent 1 Daas une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [30 septembre 1790.] 321 dégénération aussi complète que celle-ci, tous vos travaux se tiennent, et ne peuvent être séparés dans la pensée des biens ; la confiance ne peut s’éloigner d’une, sans s'affaiblir par les autres ; et si vos effets perdent 50 0/0, votre Constitution perdra nécessairement dans l’esprit des peuples : aussi l’instinct du patriotisme et de l’intérêt général semblent déjà avoir rallié partout autour de cette idée, les meilleurs amis de la Constitution. Mais, en vous pressant, Messieurs, de toute la chaleur d’un homme fortement convaincu, d’adopter cette mesure, en vous priant de ne pas croire que la grandeur et la hardiesse des vues soient des signes de réprobation, lorsqu’au contraire, les remèdes qui conviennent à ces maux doivent avoir surtout ce caractère. Je sens combien il est sage de donner attention aux moyens d’adoucir les effets violents d’une émission subite et excessive, voici les moyens que je propose pour les tempérer ' 1° Ne négliger aucun moyen de faciliter la vente. On se plaint de toutes parts qu’elles ne soient pas plus avancées. Je suis loin d’inculper en cela le comité; mais je crains que, formé pour une opération partielle, il n’ait pas l’organisation la plus convenable. Trouveraient-ils mauvais que je leur propose l’adjonction de six nouveaux membres, parmi lesquels je voudrais voir un homme dont le courage, la sévérité et le travail opiniâtre ne sont au-dessous d’aucun obstacle, et mon respectable collègue, M. Camus, à qui désormais les travaux du comité des pensions ne paraissent avoir permis une autre occupation? 2° Je propose qu’il soit attribué aux assignats, une prime de 2 0/0 pour la vente. L’argent n’étant admis que pour l’enchère, et non pour la vente, l’assignat obtient, par là, sur lui, un avantage dont l’effet est de le porter plus sûrement à la terre, et de le retirer encore de la circulation; 3° Qu’il soit ouvert un emprunt de 300,000 livres à 3 0/0 d’intérêt dont les effets soient reçus à l’enchère; cette mesure qui vous a été proposée avant moi, me paraît remédier à tout. Elle prévient la trop grande quantité du numéraire; elle empêche la crainte de l’avilissement de ce numéraire, et, par là, le surhaussement des denrées; car celles-ci ne peuvent augmenter que si les assignats perdent. Gela est évident, elle agit toujours avec cette flexibilité qui suit les mouve-vements naturels; elle ne force rien; elle s’unit à tous les intérêts, et prévient toutes les craintes; 4° Enfin, il me paraît que pour donner encore un frein capable d’arrêter les inactions faibles, il convient que le même comité soit chargé de surveiller à la fois la vente des biens nationaux et l’émission des assignats. Par là, vous serez toujours averti des différences trop marquées de l’une de ces opérations sur l’autre, et vous pourrez conserver contre elles le parallèle nécessaire, avec la légère compression que les assignats doivent opérer pour cette vente. Voilà, ce me semble, de quoi calmer toutes les inquiétudes. Mais, Messieurs, prenez enfin un parti. C’est en finances surtout que la lenteur à nous décider peut nous perdre. Déjà beaucoup de maux se font sentir, dont le plus funeste, est que nous dissipons nos capitaux pour des besoins journaliers. Je finis par cette réflexion. On vous a dit, Messieurs, qu’il fallait attacher, par leur intérêt, tous les individus à la Constitution; mais un exemple pourra bien aisément faire sentir toute la force de cet argument. L’Angleterre n’ose tenter au-i" SEME. T. XIX. cun changement dans une Constitution dont chacun reconnaît les vices. Ce qui en est la cause principale est bien connue, c’est que presque tous ies individus sont médiatement ou immédiatement intéressés à la chose publique, et que le moindre choc dans la fortune publique ébranlerait toutes les fortunes particulières. Voilà le ciment qui lie entre elles toutes les parties de l’édifice politique anglais. Jugez, Messieurs, de la force de ce lien, autour d’une Constitution libre, déjà favorable à tous les intérêts, à la raison et à la justice. Walpole fit contracter des dettes aux Anglais, pour les attacher à la maison de Brunswick, et nous, Messieurs, nous payerons les nôtres pour attacher les Français à l’ouvrage de leurs représentants, nous aurons uni ainsi, d’une manière indissoluble, la politique et la justice. Pour moi, qui sacrifierais tout ce que je possède au monde, hors la liberté, au bonheur de voir les Français réunis, je me plais à les voir au moins jurer la paix sur l’autel de l’intérêt. Vous craignez ce mouvement rapide et général dans la circulation qui va agiter la société, moi, je le désire comme la plus précieuse et la plus douce des institutions. C’est lui qui placera l’espérance auprès de tous ceux qui, maintenant sont abattus; c’est lui qui deviendra le principe d’une activité bienfaisante. Au lieu de ces sentiments aigres et violents qui maintenant nous agitent, il donnera le change, il dénaturera toutes ces passions haineuses qui nous tourmentent même dans le sein de nos familles et de nos amis, pour y faire naître un intérêt commun, fruit du besoin et de l’intérêt particulier : c’est ainsi que la chose publique acquerra de nouveaux défenseurs et de nouveaux appuis. Après avoir donné des lois à la France, vous donnerez à ses habitants tout ce qui les fait chérir, la richesse et la paix. Après la physionomie toujours austère de la liberté, vous leur montrerez la riante image de la prospérité, d’une agriculture florissante, d’un commerce animé, d’impôts diminués. Tant de biens émousseront enfin la pointe des malheurs inséparables d’une Révolution. Ils embelliront la fin de vos travaux. Ainsi, il ne sera pour aucun citoyen, même pour vos ennemis aucun bien, aucune jouissance dont l’origine ne remonte jusqu’à vous. Vous aurez ainsi parcouru avec succès la carrière louable où le choix du peuple vous avait placés, et dans laquelle il vous a si généreusement soutenus. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. EMMERY. Séance du jeudi 30 septembre 1790, au matin, La séance est ouverte à dix heures du matin. M. Bouche, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Ce procès-verbal est adopté. M. de Beauharnais ( ci-devant le vicomte). J’ai reçu du collège de Pontlevoy un mémoire qui présente un nouveau système d’éducation publique. Il m’a paru d’autant plus important que l’Assemblée nationale a le projet de s’occuper de cet intéressant objet. Ce collège a joint à ce mé-21