554 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ROBESPIERRE ; Je saurai l’y ramener. (Murmures) (l). - A bas le tyran. Robespierre : Je réclame, mes ennemis abusent la Convention nationale. - A bas, à bas (2). La Convention accorde la parole à Tallien. TALLIEN : Citoyens, ce n’est pas en ce moment sur des faits particuliers que je dois porter l’attention de la Convention. Les faits qu’on a dits ont de l’importance sans doute, mais il n’est pas dans cette assemblée un membre qui ne pût en alléguer autant, qui ne pût se plaindre d’un acte tyrannique. C’est sur le discours prononcé hier à la Convention, et répété aux Jacobins, que j’appelle toute votre attention. C’est là que je rencontre le tyran; c’est là que je trouve toute la conspiration; c’est dans ce discours qu’avec la vérité, la justice et la Convention, je veux trouver des armes pour le terrasser, cet homme dont la vertu et le patriotisme étaient tant vantés, mais qu’on avait vu, à l’époque mémorable du 10 août, ne paraître que trois jours après la révolution; cet homme qui, devant être dans le comité de salut public le défenseur des opprimés, qui, devant être à son poste, l’a abandonné depuis quatre décades : et à quelle époque ? lorsque l’armée du Nord donnait à tous ses collègues de vives sollicitudes. Il l’a abandonné pour venir calomnier les comités, et tous ont sauvé la patrie. (Vifs applaudissements). Certes, si je voulais retracer les actes d’oppression particuliers qui ont eu lieu, je remarquerais que c’est pendant le temps où Robespierre a été chargé de la police générale qu’ils ont été commis, que les patriotes du comité révolutionnaire de la section de l’Indivisibilité ont été arrêtés. Robespierre interrompt par des cris. (Il s’élève de violents murmures) (3). [Robespierre : Je demande la mort. André Dumont : Tu la mérites mille fois (4)]. [Robespierre : Je demande la mort. Qu’on me délivre du spectacle du crime. - L’arrestation ! aux voix ! (5)] LOUCHET : Je demande le décret d’arrestation contre Robespierre. LOZEAU : Il est constant que Robespierre a été dominateur; je demande par cela seul le décret d’accusation. LOUCHET : Ma motion est appuyée; aux voix l’arrestation. ROBESPIERRE jeune : Je suis aussi coupable que mon frère; je partage ses vertus. Je demande aussi le décret d’accusation contre moi (6). [Robespierre jeune : je demande aussi la mort ; je veux mourir pour la liberté; je suis aussi coupable que mon frère : j’ai voulu faire le bien de mon pays; je veux aussi périr de la main du crime (7)]- (1) Voir (2). (2) Ann. patr., DLXXIV. 3 Voir (2). (4) Rép., Suppl1 au n° 220; J. Fr., n° 672. (5) C. Eg., n°709; Mess. Soir, n° 708; Ann. patr., n° DLXXIV; Ann. R.F., n° 239. (6) Voir (2). (7) Ann. patr., n° DLXXIV. Robespierre apostrophe le président et les membres de l’assemblée dans les termes les plus injurieux (l). [Il se fait un grand tumulte. Le président se couvre : le calme renaît. Le président veut rappeler les diverses propositions. Robespierre : De quel droit, président, soutiens-tu les assassins ? Mouvement d’indignation générale. Un nouveau tumulte oblige le président à se couvrir une seconde fois. Tallien : Vous l’entendez, le monstre, il nous traite d’assassins ! - Aux voix l’arrestation (2)]. Charles DUVAL : Président, est-ce qu’un homme sera le maître de la Convention ? LOZEAU : Aux voix l’arrestation des deux frères ! BILLAUD-VARENNE : J’ai des faits positifs que Robespierre n’osera pas nier. Je citerai d’abord le reproche qu’il a fait au comité d’avoir voulu désarmer les citoyens. ROBESPIERRE : J’ai dit qu’il y avait des scélérats... (On murmure). BILLAUD-VARENNE : Je disais qu’il a reproché au comité d’avoir voulu désarmer les citoyens. Eh bien, c’est lui seul qui a pris cet arrêté. Il a accusé le gouvernement d’avoir fait disparaître tous les monuments consacrés à l’Etre suprême; eh bien, apprenez que c’est par Couthon... COUTHON : Oui, j’y ai coopéré. (Nouveaux murmures). Plusieurs membres : Aux voix l’arrestation ! Elle est décrétée à l’unanimité. Tous les membres se lèvent et font retentir la salle des cris de vive la liberté ! vive la république ! LOUCHET : Nous avons entendu voter pour l’arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just et de Couthon. LEBAS : Je ne veux pas partager l’opprobre de ce décret, je demande aussi l’arrestation (3). C1 ELIE LACOSTE : Je demande l’arrestation de Robespierre jeune; il est un de ceux qui ont sonné aux Jacobins le tocsin contre les comités. Il finissait son discours par ces paroles mémorables ; « On dit que les comités ne sont pas corrompus; mais si leurs agents le sont, les comités le sont aussi ». [L’arrestation de Robespierre jeune est décrétée (Vifs applaudissements)]. FRERON : Citoyens collègues, la patrie, en ce jour, et la liberté vont sortir de leurs ruines. ROBESPIERRE : Oui, car les brigands triomphent. [Mouvement d’indignation et d’horreur]. (l) Voir (2). (2) J. Sablier, n° 1464; C. Eg., n° 709; Rép., suppl1 au n° 220; Mess Soir, n° 708; J. Perlet, n°674; Ann. R.F., n° 239; M.U., XLII, 152. (3) Voir (2). Voir P.V., nos 4 et 6. 554 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ROBESPIERRE ; Je saurai l’y ramener. (Murmures) (l). - A bas le tyran. Robespierre : Je réclame, mes ennemis abusent la Convention nationale. - A bas, à bas (2). La Convention accorde la parole à Tallien. TALLIEN : Citoyens, ce n’est pas en ce moment sur des faits particuliers que je dois porter l’attention de la Convention. Les faits qu’on a dits ont de l’importance sans doute, mais il n’est pas dans cette assemblée un membre qui ne pût en alléguer autant, qui ne pût se plaindre d’un acte tyrannique. C’est sur le discours prononcé hier à la Convention, et répété aux Jacobins, que j’appelle toute votre attention. C’est là que je rencontre le tyran; c’est là que je trouve toute la conspiration; c’est dans ce discours qu’avec la vérité, la justice et la Convention, je veux trouver des armes pour le terrasser, cet homme dont la vertu et le patriotisme étaient tant vantés, mais qu’on avait vu, à l’époque mémorable du 10 août, ne paraître que trois jours après la révolution; cet homme qui, devant être dans le comité de salut public le défenseur des opprimés, qui, devant être à son poste, l’a abandonné depuis quatre décades : et à quelle époque ? lorsque l’armée du Nord donnait à tous ses collègues de vives sollicitudes. Il l’a abandonné pour venir calomnier les comités, et tous ont sauvé la patrie. (Vifs applaudissements). Certes, si je voulais retracer les actes d’oppression particuliers qui ont eu lieu, je remarquerais que c’est pendant le temps où Robespierre a été chargé de la police générale qu’ils ont été commis, que les patriotes du comité révolutionnaire de la section de l’Indivisibilité ont été arrêtés. Robespierre interrompt par des cris. (Il s’élève de violents murmures) (3). [Robespierre : Je demande la mort. André Dumont : Tu la mérites mille fois (4)]. [Robespierre : Je demande la mort. Qu’on me délivre du spectacle du crime. - L’arrestation ! aux voix ! (5)] LOUCHET : Je demande le décret d’arrestation contre Robespierre. LOZEAU : Il est constant que Robespierre a été dominateur; je demande par cela seul le décret d’accusation. LOUCHET : Ma motion est appuyée; aux voix l’arrestation. ROBESPIERRE jeune : Je suis aussi coupable que mon frère; je partage ses vertus. Je demande aussi le décret d’accusation contre moi (6). [Robespierre jeune : je demande aussi la mort ; je veux mourir pour la liberté; je suis aussi coupable que mon frère : j’ai voulu faire le bien de mon pays; je veux aussi périr de la main du crime (7)]- (1) Voir (2). (2) Ann. patr., DLXXIV. 3 Voir (2). (4) Rép., Suppl1 au n° 220; J. Fr., n° 672. (5) C. Eg., n°709; Mess. Soir, n° 708; Ann. patr., n° DLXXIV; Ann. R.F., n° 239. (6) Voir (2). (7) Ann. patr., n° DLXXIV. Robespierre apostrophe le président et les membres de l’assemblée dans les termes les plus injurieux (l). [Il se fait un grand tumulte. Le président se couvre : le calme renaît. Le président veut rappeler les diverses propositions. Robespierre : De quel droit, président, soutiens-tu les assassins ? Mouvement d’indignation générale. Un nouveau tumulte oblige le président à se couvrir une seconde fois. Tallien : Vous l’entendez, le monstre, il nous traite d’assassins ! - Aux voix l’arrestation (2)]. Charles DUVAL : Président, est-ce qu’un homme sera le maître de la Convention ? LOZEAU : Aux voix l’arrestation des deux frères ! BILLAUD-VARENNE : J’ai des faits positifs que Robespierre n’osera pas nier. Je citerai d’abord le reproche qu’il a fait au comité d’avoir voulu désarmer les citoyens. ROBESPIERRE : J’ai dit qu’il y avait des scélérats... (On murmure). BILLAUD-VARENNE : Je disais qu’il a reproché au comité d’avoir voulu désarmer les citoyens. Eh bien, c’est lui seul qui a pris cet arrêté. Il a accusé le gouvernement d’avoir fait disparaître tous les monuments consacrés à l’Etre suprême; eh bien, apprenez que c’est par Couthon... COUTHON : Oui, j’y ai coopéré. (Nouveaux murmures). Plusieurs membres : Aux voix l’arrestation ! Elle est décrétée à l’unanimité. Tous les membres se lèvent et font retentir la salle des cris de vive la liberté ! vive la république ! LOUCHET : Nous avons entendu voter pour l’arrestation des deux Robespierre, de Saint-Just et de Couthon. LEBAS : Je ne veux pas partager l’opprobre de ce décret, je demande aussi l’arrestation (3). C1 ELIE LACOSTE : Je demande l’arrestation de Robespierre jeune; il est un de ceux qui ont sonné aux Jacobins le tocsin contre les comités. Il finissait son discours par ces paroles mémorables ; « On dit que les comités ne sont pas corrompus; mais si leurs agents le sont, les comités le sont aussi ». [L’arrestation de Robespierre jeune est décrétée (Vifs applaudissements)]. FRERON : Citoyens collègues, la patrie, en ce jour, et la liberté vont sortir de leurs ruines. ROBESPIERRE : Oui, car les brigands triomphent. [Mouvement d’indignation et d’horreur]. (l) Voir (2). (2) J. Sablier, n° 1464; C. Eg., n° 709; Rép., suppl1 au n° 220; Mess Soir, n° 708; J. Perlet, n°674; Ann. R.F., n° 239; M.U., XLII, 152. (3) Voir (2). Voir P.V., nos 4 et 6. SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - D 555 FRÉRON : On voulait former un triumvirat qui rappelait les proscriptions sanglantes de Sylla; on voulait s’élever sur les ruines de la république, et les hommes qui le tenaient sont Robespierre, Cou-thon et Saint-Just. Plusieurs voix : Et Lebas. FRÉRON : Couthon est un tigre altéré du sang de la représentation nationale. Il a osé, pour passe-temps royal, parler dans la Société des Jacobins de cinq ou six têtes de la Convention [Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Ce n’était là que le commencement, et il voulait se faire de nos cadavres autant de degrés pour monter au trône. COUTHON : Je voulais arriver au trône, oui ! FRÉRON : Je demande aussi le décret d’arrestation contre Saint-Just, Lebas et Couthon. ELIE-LACOSTE : J’appuie cette proposition. C’est moi qui ai dit le premier au comité de salut public que Couthon, Saint-Just et Robespierre formaient un triumvirat. Saint-Just a pâli et s’est trouvé mal. Lorsqu’il arriva de l’armée du Nord, après qu’il nous eut parlé de l’état et de la position de cette armée, il nous rapporta qu’un officier suisse, fait prisonnier lui avait dit que nous ne devions pas compter sur nos succès, que l’ennemi était instruit de nos ressources, et qu’il espérait une scission dans le gouvernement, à l’aide de laquelle il traiterait de la paix avec une faction quelconque. Ce sont eux, les scélérats, qui ont voulu produire la scission. Depuis quelque temps nous étions tranquilles; les conjurations étaient déjouées ; ceux qui les avaient formées périssaient sous le glaive de la loi, et les armées avaient mis la victoire à l’ordre du jour, lorsque ces hommes perfides ont tenté d’étouffer la liberté. Je demande le décret d’accusation contre Couthon, Saint-Just et Lebas. [Cette proposition est décrétée au milieu des plus vifs applaudissements] (l). D BARÈRE, au nom du comité de salut public : Citoyens, un de mes collègues, revenant de l’armée du Nord, a rapporté au comité qu’un officier ennemi, fait prisonnier dans la dernière action qui nous a donné la Belgique, avait dit : « Tous vos succès ne sont rien; nous n’en espérons pas moins traiter de la paix avec un parti, quel qu’il soit, avec une fraction de la Convention, et de changer bientôt de gouvernement ». Saint-Just nous a apporté, comme instruction, ces nouvelles. Ce moment, prédit par l’officier autrichien, ne serait-il pas venu pour le parti de l’étranger et pour les ennemis de l’intérieur, si vous n’aviez pris des mesures rigoureuses ? (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 335; Débats, n°677; J. Mont., n°93bis; Ann. R.F., n°239; Ann. patr., n° DLXXIV ; J. Sablier, n° 1464; C. Eg., nos 708, 709; Mess. Soir, n° 708; Rép., Suppl1 au n°220; -J. Perlet, n° 674; J. Fr., n°672; C. Univ., n° 939. Voir P.V., nos 5 et 6. Les deux comités ne peuvent plus se dissimuler cette vérité : le gouvernement est attaqué, ses membres sont coupables d’improbations et d’injures, ses relations sont arrêtées, la confiance publique est suspendue, et l’on a fait le procès à ceux qui font le procès à la tyrannie. On parle de la persécution des patriotes; mais les comités n’ont-ils pas aussi à réclamer contre lui la même oppression ? Et depuis quelques jours on ameute de tous les côtés les citoyens, on les égare contre le gouvernement révolutionnaire : les Anglais, les Autrichiens, veulent-ils autre chose ? On cherche à produire des mouvements dans le peuple, on cherche à saisir le pouvoir national au milieu d’une crise préparée, et l’on sait que tout Etat libre où les grandes crises n’ont pas été prévues, est à chaque orage en danger de périr. Il n’y a que vous, citoyens, qui, de ces crises mêmes, ayez su tirer un nouveau moyen de maintenir le gouvernement révolutionnaire. La même occasion s’est présentée aujourd’hui à votre courage civique, et vous l’avez saisie. Vous ne pouvez en douter : sans les comités réunis, il y a longtemps que le gouvernement révolutionnaire et la république seraient bouleversés. Jetez les yeux sur ce qui s’est passé depuis dix-huit mois : sans la centralité du gouvernement, la France était subjuguée par les rois; la liberté était pour jamais anéantie, et les vrais patriotes égorgés. Qui voudrait donc ici ôter à la République la ressource et les institutions qui l’on sauvée tant de fois ? et ceux qui font des efforts contre ces institutions, ne sont-ils pas les ennemis du peuple ? Eh ! qu’on ne pense pas qu’après avoir renversé quelques patriotes ardents et purs, quelques hommes puissent régir les affaires publiques : ce n’est pas par des discours qu’on gouverne, ce n’est pas par des plaintes perpétuelles qu’on bâtit une république. Les comités sont le bouclier, l’asile, le sanctuaire du gouvernement central, du gouvernement unique, du gouvernement révolutionnaire : tant qu’ils subsisteront, il est impossible que la royauté se relève, que l’aristocratie respire, que le crime domine, que la république ne soit pas triomphante. On veut détruire tous ceux qui ont de l’énergie ou des lumières; on veut anéantir tout ce qui est pur et vrai républicain, et ces propos sont sortis, non pas du tribunal révolutionnaire, qui fait son devoir, mais de quelques membres de ce tribunal, sur le patriotisme desquels vous devez prononcer aujourd’hui. Il faut se prononcer sur plusieurs individus qui exercent des fonctions importantes ; il n’y a que les entreprises violentes qui mettent dans la nécessité de vous dévoiler tant de vérités, parce qu’alors le gouvernement n’a plus d’autre secret que celui de sauver la république, et ce secret appartient au peuple. La forme établie se trouve altérée, l’activité du gouvernement est suspendue, la liberté des citoyens est compromise, la sûreté publique est ébranlée, l’opinion est chancelante. Des gouvernants uniques et des peuples libres sont deux antipodes, des contraires absolus; des réputations énormes et des hommes égaux, ne peuvent longtemps exister en commun ; des inquiétudes factices et des travaux réels ne marchent point ensemble; il faut modestement servir la patrie pour elle, et non pas pour nous. SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - D 555 FRÉRON : On voulait former un triumvirat qui rappelait les proscriptions sanglantes de Sylla; on voulait s’élever sur les ruines de la république, et les hommes qui le tenaient sont Robespierre, Cou-thon et Saint-Just. Plusieurs voix : Et Lebas. FRÉRON : Couthon est un tigre altéré du sang de la représentation nationale. Il a osé, pour passe-temps royal, parler dans la Société des Jacobins de cinq ou six têtes de la Convention [Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Ce n’était là que le commencement, et il voulait se faire de nos cadavres autant de degrés pour monter au trône. COUTHON : Je voulais arriver au trône, oui ! FRÉRON : Je demande aussi le décret d’arrestation contre Saint-Just, Lebas et Couthon. ELIE-LACOSTE : J’appuie cette proposition. C’est moi qui ai dit le premier au comité de salut public que Couthon, Saint-Just et Robespierre formaient un triumvirat. Saint-Just a pâli et s’est trouvé mal. Lorsqu’il arriva de l’armée du Nord, après qu’il nous eut parlé de l’état et de la position de cette armée, il nous rapporta qu’un officier suisse, fait prisonnier lui avait dit que nous ne devions pas compter sur nos succès, que l’ennemi était instruit de nos ressources, et qu’il espérait une scission dans le gouvernement, à l’aide de laquelle il traiterait de la paix avec une faction quelconque. Ce sont eux, les scélérats, qui ont voulu produire la scission. Depuis quelque temps nous étions tranquilles; les conjurations étaient déjouées ; ceux qui les avaient formées périssaient sous le glaive de la loi, et les armées avaient mis la victoire à l’ordre du jour, lorsque ces hommes perfides ont tenté d’étouffer la liberté. Je demande le décret d’accusation contre Couthon, Saint-Just et Lebas. [Cette proposition est décrétée au milieu des plus vifs applaudissements] (l). D BARÈRE, au nom du comité de salut public : Citoyens, un de mes collègues, revenant de l’armée du Nord, a rapporté au comité qu’un officier ennemi, fait prisonnier dans la dernière action qui nous a donné la Belgique, avait dit : « Tous vos succès ne sont rien; nous n’en espérons pas moins traiter de la paix avec un parti, quel qu’il soit, avec une fraction de la Convention, et de changer bientôt de gouvernement ». Saint-Just nous a apporté, comme instruction, ces nouvelles. Ce moment, prédit par l’officier autrichien, ne serait-il pas venu pour le parti de l’étranger et pour les ennemis de l’intérieur, si vous n’aviez pris des mesures rigoureuses ? (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 335; Débats, n°677; J. Mont., n°93bis; Ann. R.F., n°239; Ann. patr., n° DLXXIV ; J. Sablier, n° 1464; C. Eg., nos 708, 709; Mess. Soir, n° 708; Rép., Suppl1 au n°220; -J. Perlet, n° 674; J. Fr., n°672; C. Univ., n° 939. Voir P.V., nos 5 et 6. Les deux comités ne peuvent plus se dissimuler cette vérité : le gouvernement est attaqué, ses membres sont coupables d’improbations et d’injures, ses relations sont arrêtées, la confiance publique est suspendue, et l’on a fait le procès à ceux qui font le procès à la tyrannie. On parle de la persécution des patriotes; mais les comités n’ont-ils pas aussi à réclamer contre lui la même oppression ? Et depuis quelques jours on ameute de tous les côtés les citoyens, on les égare contre le gouvernement révolutionnaire : les Anglais, les Autrichiens, veulent-ils autre chose ? On cherche à produire des mouvements dans le peuple, on cherche à saisir le pouvoir national au milieu d’une crise préparée, et l’on sait que tout Etat libre où les grandes crises n’ont pas été prévues, est à chaque orage en danger de périr. Il n’y a que vous, citoyens, qui, de ces crises mêmes, ayez su tirer un nouveau moyen de maintenir le gouvernement révolutionnaire. La même occasion s’est présentée aujourd’hui à votre courage civique, et vous l’avez saisie. Vous ne pouvez en douter : sans les comités réunis, il y a longtemps que le gouvernement révolutionnaire et la république seraient bouleversés. Jetez les yeux sur ce qui s’est passé depuis dix-huit mois : sans la centralité du gouvernement, la France était subjuguée par les rois; la liberté était pour jamais anéantie, et les vrais patriotes égorgés. Qui voudrait donc ici ôter à la République la ressource et les institutions qui l’on sauvée tant de fois ? et ceux qui font des efforts contre ces institutions, ne sont-ils pas les ennemis du peuple ? Eh ! qu’on ne pense pas qu’après avoir renversé quelques patriotes ardents et purs, quelques hommes puissent régir les affaires publiques : ce n’est pas par des discours qu’on gouverne, ce n’est pas par des plaintes perpétuelles qu’on bâtit une république. Les comités sont le bouclier, l’asile, le sanctuaire du gouvernement central, du gouvernement unique, du gouvernement révolutionnaire : tant qu’ils subsisteront, il est impossible que la royauté se relève, que l’aristocratie respire, que le crime domine, que la république ne soit pas triomphante. On veut détruire tous ceux qui ont de l’énergie ou des lumières; on veut anéantir tout ce qui est pur et vrai républicain, et ces propos sont sortis, non pas du tribunal révolutionnaire, qui fait son devoir, mais de quelques membres de ce tribunal, sur le patriotisme desquels vous devez prononcer aujourd’hui. Il faut se prononcer sur plusieurs individus qui exercent des fonctions importantes ; il n’y a que les entreprises violentes qui mettent dans la nécessité de vous dévoiler tant de vérités, parce qu’alors le gouvernement n’a plus d’autre secret que celui de sauver la république, et ce secret appartient au peuple. La forme établie se trouve altérée, l’activité du gouvernement est suspendue, la liberté des citoyens est compromise, la sûreté publique est ébranlée, l’opinion est chancelante. Des gouvernants uniques et des peuples libres sont deux antipodes, des contraires absolus; des réputations énormes et des hommes égaux, ne peuvent longtemps exister en commun ; des inquiétudes factices et des travaux réels ne marchent point ensemble; il faut modestement servir la patrie pour elle, et non pas pour nous.