ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 Juin 1790.1 [Assemblée nationale.] on a dit d’abord que M. d’Aguilar était responsable des drapeaux qu’il gardait; on a dit ensuite que je les avais fait garder par le régiment de Yermandois. J’en avais le droit : M. d’Aguilar n’en était donc pas responsable... (Il s’élève quelques murmures.) Je rappellerai le mot sublime d’un de mes collègues : « Si vous êtes mes adversaires, levez-vous et sortez; si vous êtes mes juges 1 silence, écoutez-moi... » J’abandonnerai ce moyen, si vous le voulez; assurément, il est surabondant. Je le répète, nul que le colonel ne pouvait avoir la garde des drapeaux; ils étaient dans ma chambre. Je donne ma parole que M. d’Aguilar ne m’a jamais dit qu’il en répondît. Mes soldats ont bien pensé que je ne les rendrais pas; on a dit qu’on avait trouvé les cravates dans mes malles ; cela est faux; elles étaient là... sur ma poitrine; on n’aurait pu les avoir qu’en me tuant. On a pris le bon moyen pour les obtenir. La sûreté d’un citoyen étaitcompromise,du citoyen que je respecte le plus ; je les ai données avant même de m'être fait représenter à Gastelnaudary la réquisition de la municipalité de Perpignan. Quant à l’enlèvement de ces cravates, je l’ai fait par des motifs que je croirai bons tant qu’on ne m’aura pas prouvé qu’ils sont coupables. Quant au mode de l’enlèvement, je n’ai point violé l’hospitalité ; j’ai cru faire une action louable en sauvant le noyau du régiment coupable. Je suis innocent ; je crois mon innocence démontrée ; je crois que les preuves relatives à la manière dont mon régiment a été travaillé, payé, soldé, serviront encore à compléter ma justification . Cependant, comme je veux que mon innocence soit authentiquement connue, je serais fâché que l’inviolabilité que vous avez prononcée empêchât de me juger, je demande les seuls juges qui puissent me convenir; je demande un conseil de guerre pour juger le régiment et moi. C’est là que je porterai le calme de l’innocence, le courage qui la suit, et qui, je l’espère, ne m’abandonnera jamais. (On entend quelques applaudissements; il s'élève ensuite quelques murmures qui ne paraissent pas être d’improbation. — M. de Mirabeau le jeune quitte la tribune. — Il y reparaît un moment.) — On me fait ici un reproche : je serais au désespoir qu’on m’accusât d’avoir pris ud ton menaçant dans ma justification. (On entend dans plusieurs partie de la salle, ce mot : Non, non!) L’Assemblée renvoie la justification de M. de Mirabeau le jeune au comité des rapports réuni avec le comité militaire. La séance est levée à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ ASSEMBLÉE NATIONALE DU 27 juin 1790. Nota. Nous avons conservé, p. 509, à cause de son caractère mouvementé, la version du Moniteur relative au compte rendu fait par M. de Mirabeau le jeune sur l’affaire de Perpignan; mais comme le Moniteur est fort incomplet, nous avons pensé qu’il y avait lieu et qu’on nous saurait gré de reproduire ce compte rendu m extenso. Monsieur le Président et Messieurs, J’étais à deux cents lieues, il y a trois jours, lorsque votre décret m’est parvenu. Je désire que mon empressement à me rendre à vos ordres vous prouve le désir que j’ai de soumettre ma conduite à votre jugement. Il était d’autaut plus vif ce désir, que la calomuie m’a précédé ici, et a vomi contre moi une foule delibellesatroces, dont j’ai trouvé un exemplaire à chacune des postes de ma route, que la calomnie m’a accompagné, m’a environné de dangers depuis mon départ de Gastelnaudary, qu’hier encore, sans la présence d’esprit et la fermeté d’un officier municipal, j’aurais peut-être été la victime, à Etampes, d’une effervescence populaire (1). La calomnie dénaturera ces faits, et me suivra jusque dans mes moyens de défense, je m’y attends. Je n’apporte ici d’autres armes pour la combattre que le témoignage de ma conscience, le flambeau de la vérité, et un courage qui ne m’abandonnera jamais. Qu’aurais-je à redouter? Vous êtes mes juges, vous devez être justes, vous le serez: quant au peuple, je viens défaire l’heureuse expérience qu’il est aussi facilement désabusé que trompé. Celui de Gastelnaudary, qui, le quatorze, jour de mon arrestation, me couchait en joue, au moment où je me présentais à la fenêtre, désirant lui prouver que ma contenance et mon maintien n’étaient pas ceux d’un coupable, ce même peuple qui demandait avec acharnement, à cette époque, ma tête, et dont la férocité me rendait un hommage, en disant qu’il fallait me fusiller et non méprendre, m’a témoigné par des cris de joie, le 22 du même mois, jour où votre décret iui a été connu, l’intérêt qu’il prenait à ma délivrance; mes gardes même, sont venus eu foule me complimenter. J’avais passé neuf jours au milieu de ce peuple, il avait été à même de juger si j’étais un monstre capable des crimes les plus horribles. Les paysans, dont j’entendais à peine l’idiome, interprétant à leur manière votre décret, s’écriaient : Nous sommes bien aises qu'il ait sa grâce , car il a l’air d'un bon homme. Je me contenterai d’ajouter une simple observation préalable, pour laquelle je demande votre attention, que je serai dans le cas de réclamer souvent aujourd’hui, d’après la faiblesse de mon organe, qui tient à une grande lassitude, et à une extrêmement longue insomnie. Cette observation porte sur la mauvaise intention qu’on a (1) En passant à Étampes, le sergent d’un corps de garde nationale est venu me demander si j’étais le vicomte de Mirabeau. Sur mon affirmative, une garde de quinze hommes a entouré ma voiture, et m’a dit être chargée de veiller à ma sûreté. J’ai observé au sergent, commandant du poste, que le moyen qu’il employait était le moins propre à remplir le but qu’il s’était proposé. Il m’a montré la lettre de M. de Saint-Priest, la proclamation du roi, l’ordre des officiers municipaux, et m’a dit qu’il faisait son devoir; je me suis résigné : ce que jsavais prévu est arrivé, le peuple s’est amassé et a pressé ma voiture ; arrivé près de la poste, les cris d’avistocrate et de lanterne m’ont ac-cuellis, j’ai mis la tète à la portière et me suis contenté d’observer que j’étais familiarisé avec ces expressions, et que je demandais du neuf. Je suis parvenu à faire rire mes voisins, et c’est beaucoup : mais un officier municipal, qui est accouru à moi, et qui a conservé au milieu du tumulte un courage et un sangfroid auxquels je dois beaucoup, est monté à côté de moi, a ordonné au postillon de me conduire à bride abattue hors de la ville, ce qui a été exécuté : l’officier municipal m’a mis et laissé en sûreté, m’a quitté, et je suis heureux de pouvoir lui payer en cette occasion un nouveau tribut de reconnaissance.