[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 641 M. le Président a annoncé, ce malin, qu’il n’avait pu exécuter ce décret, l’Assemblée n’ayant rien arrêté sur la manière dont cette présentation serait faite à Sa Majesté ; qu’en conséquence il lui paraissait nécessaire, avant de passer à l’ordre du jour, de délibérer sur le mode d’exécution de ce décret. Cette motion a été appuyée, livrée à la discussion : plusieurs projets d’arrêté ont été proposés ; et les voix ayant été recueillies par assis et levé, l’Assemblée a porté un décret en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété que M. le président se retirera par devers le Roi, pour présenter à Sa Majesté les arrêtés des 4, 6,7,8 et 11 août dernier, ainsi que celui par elle porté relativement aux subsistances, pour lesdits décrets être sanctionnés. » M. le Président a ensuite donné lecture à l’Assemblée de deux lettres, l’une à lui adressée par M. Gilbert, professeur à l’école vétérinaire . d’Alfort, qui envoie quatre médailles, dont trois en or, à lui données par différentes académies, et 125 exemplaires d’un mémoire couronné, sur les prairies artificielles, en demandant que le prix qui proviendra de la vente de ses mémoires, et les médailles, soient versés dans la caisse patriotique ; l’autre, du sieur Harmand, garde national, et commissionnaire au Mont-de-Piété de Versailles, qui envoie, pour la même destination, une somme de 120 livres formant le cinquante-unième de ses propriétés. L’Assemblée a applaudi au patriotisme de ces deux citoyens. L’ordre du jour n’ayant pas pu être repris, attendu qu’il était trop tard, il a été arrêté que la séance de demain soir commencera, exclusivement à tout autre objet, par la discussion de l’arrêté proposé par le comité des subsistances. Le comité des rapports et celui des recherches ont fait deux rapports relatifs à des émotions populaires arrivées précédemment dans la ville de Massiac en Auvergne, et dans celle de la Rode en Guyenne : l’Assemblée a arrêté que les accusés, constitués prisonniers à l’occasion de ces troubles, doivent être renvoyés aux juges à qui la connaissance en appartient, et les procédures adressées au pouvoir exécutif. M. le Président a invité le nouveau comité destiné à s’occuper de la réforme des lois criminelles à s’assembler demain à huit heures du matin ; les membres de ce comité sont, MM. de Beaumetz, Fréteau, Tronchet, Le Berthon, Thou-ret, Target, et Lally-Tollendal. La séance a été indiquée pour demain neuf heures et demie du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du mardi 15 septembre 1789, au matin (1). M. le Président a rendu compte à l’Assemblée du résultat des scrutins relatifs au choix des huit membres qui doivent composer le nouveau comité de Constitution. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. lre Série, T. VIII. MM. Thouret, l’abbé Sieyès, Target, de Tal-leyrand-Périgord, évêque d’Autun, Démeunier, Rabaud de Saint-Etienne, Tronchet et le Chapelier ont obtenu la majorité des suffrages ; sur le refus de M. Tronchet, M. de Lally-Tollendal a été déclaré avoir réuni le plus grand nombre de voix, M. Bergasse, qui avait cet avantage sur lui, ayant donné sa démission. Un de MM. les secrétaires a fait la lecture des procès-verbaux des deux séances du lundi 14. Il a été fait quelques observations sur la rédaction: l’une portait sur une erreur relative à l’ordre du jour, et l’autre sur le renouvellement des législatures, énoncé, prétendait-on, de manière à faire préjuger la question de savoir si les mêmes membres pourraient être réélus. La première erreur a été corrigée, et il a été reconnu par l’Assemblée que rien n’était préjugé relativement à la seconde. On a fait ensuite lecture de plusieurs adresses de félicitation, remerciement et adhésion des bailliages de Montrichard, de Viverols en Auvergne, du bourg de Rumigny en Thiérache, de la ville de Grécy, de celle de Montfaucon, de celle d’Yssingeaux de Tance, et de Saint-Didier en. Velay, d’Éclairon en Champagne, de Nantua en Bugey, toutes du même genre ; d’une lettre pseudonyme, désavouée par M. Anson, dont elle portait la signature ; des adresses des villes et communautés de Toulon, Yauvenargue, Porières, Moustiers, Lauris, Forcalquier, Aubagne, Périôres en Provence, contenant toutes adhésion et félicitation ; déclaration de la ville d’Hennebon en Bretagne, qui offre l’avance de ses impositions réelles et personnelles, et annonce l’ouverture d'un don patriotique ; de la ville de Grécy, qui demande un siège royal ; de celle d’Arles, qui annonce la renonciation à ses privilèges ; délibération de la ville de Sept-Fonds, par laquelle les habitants offrent de consacrer leur fortune et leur vie au soutien des intérêts et la gloire du Roi ; déclaration de M. Raffatin, doyen des conseillers du bailliage d’Autun, qui fait l’abandon de la finance de sa charge, et offre de rendre la justice gratuitement. Quelques adresses ayant paru renfermer des termes peu convenables à la dignité de l’Assemblée, M. le Président a demandé si le bureau serait autorisé à l’avenir à écarter celles qu’il croirait dans le même cas : la question préala-! ble a été demandée, et l’épreuve douteuse, on a requis l’ajournement, et l’Assemblée a décidé par assis et levé que l’ajournement aurait lieu. M. Rousselet, membre de l'Assemblée nationale , avocat du Roi au présidial de Provins , prononce son adhésion à l’arrêté pris par sa compagnie, en son absence, pour rendre la justice gratuitement. M. le Président dit que Vordre du jour appelle l'Assemblée à statuer sur la motion faite hier par M. Barnave. M. Le Chapelier. Je crois devoir présenter cette proposition sous un autre point de vue. Ce sera abréger nos occupations que d’ajourner la motion sur laquelle on veut délibérer ; par ce moyen, l’on passera à la Constitution. Je propose donc d’examiner les questions suivantes : 1° De combien de membres l’Assemblée natio-i nale sera-t-elle composée ? 41 642 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1789.] 2o Quelle sera la durée de chaque session ? 3° A quelle époque l’Assemblée nationale se réunira-t-elle? 4° Quelle qualité faudra-t-il avoir pour être électeur et éligible ? M. de Cazalès. Cette motion est la même que celle que M. Barnave a proposée hier, et sur laquelle l’Assemblée a été aux voix ; je demande à M. le président quel est le résultat des voix sur la question de savoir si l’on délibérera ou non, et je réclame l’appel nominal, comme il a été arrêté hier, dans le cas où l’appel par assis et levé aurait été incertain. L’ajournement de M. Le Chapelier est appuyé par d’autres membres. Qn va aux voix sur la motion de M. Le Chapelier par assis et levé ; la majorité est en sa faveur ; mais jl s’élève des réclamations, on demande l’appel nominal. Un membre de la noblesse observe que la majorité étant évidente, elle ne peut être contestée ; qu’hier on a eu la mauvaise foi de demander l’appel nominal, parce que la majorité était contraire; mais qu’on ne doit pas suivre un mauvais exemple. M. Guillotin rappelle la série des questions qu’il a présentées la semaine dernière, et que l’Assemblée a adoptées. 11 propose de discuter la cinquième question, qui consiste à définir la sanction. M. Guillotin en donne la définition suivante : « La sanction royale consiste dans l’apposition du sceau royal, qui donne l’authenticité aux actes émanés soit du Corps législatif constituant, soit du Corps législatif constitué. » On ne s’occupe ni de l’objet proposé par M. Guillotin, ni de ceux proposés par M. Le Chapelier. M. le baron de Juigné détourne les regards de l’Assemblée pour les porter sur des questions plus grandes, mais plus faciles à décider, puis-ue la solution en a déjà été prononcée par la rance entière. Il propose à l’Assemblée de consacrer les principes de l’hérédité de la couronne et de l’inviolabilité de la personne du Roi. A peine ces deux objets sont-ils énoncés, que l’Assemblée les proclame d’un mouvement unanime. M. le duc de La Ilochefoucauld propose d’ajouter un article sur la majorité et la régence. Cette motion n’est pas appuyée en ce moment. Un autre membre propose de déclarer inviolable la personne de l’héritier présomptif du trône. M. le duc de Mortemart. J’observe qu’il y a eu des fils de Rois qui ont détrôné leur père ; cette inviolabilité mettrait à couvert de la sévérité des lois ceux qui par la suite pourraient se porter à de pareils attentats. M. de Custine propose de porter ces articles dans la déclaration des droits. Cette proposition est rejetée. Ici la discussion change. On s’occupe de la grande question de savoir s'il faut prononcer l’exclusion de la maison d’Espagne à la succession du trône de France. M. Arnoult, qui a élevé cette question, demande qu’il soit décidé, qu’attendu que la branche régnante en Espagne a renoncé, par le traité d’Utrecbt, à ses droits au trône de France, elle ne pourra être admise à l’hérédité de cette couronne, le cas arrivant où elle voudrait y prétendre. M. «le la Luzerne, évêque de Langres. La solution de cette question pourrait donner à l’Europe une commotion générale. En admettant la branche d’Espagne au trône, ce serait mécontenter toutes les nations voisines, qui ne verraient pas sans crainte l’équilibre entre les puissances de l’Europe rompu. En déclarant la maison d’Espagne exclue, ce serait perdre le seul allié attaché à la France. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le comte de Mirabeau. Sans doute il faudra bien s’occuper un jour de cette question, ne fût-ce que pour substituer à cette expression trop longtemps consacrée de pacte cle famille celle de pacte mtional. Mais les circonstances ne nous permettent pas de nous occuper de nos relations extérieures, et je propose que l’affaire soit ajournée. Cette proposition de la succession d’Espagne jette le trouble dans l’Assemblée. 11 y règne jusqu’à la fin de la séance. On prétend qu’en parlant de l’hérédité de la couronne, c’est rappeler la maison d’Espagne. Cependant cette motion n’est point appuyée : elle n’a été qu’époncée. L’auteur veut la retirer; mais plusieurs membres s’y opposent inutilement. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau dit que c’est le seul moyen de terminer une discussion aussi sérieuse. On demande avec opiniâtreté la question préalable; d’autres: Y a-t-il lieu à délibérer? Un membre veut qu’on ajoute : quant à présent. M. le comte de Mirabeau persiste dans l’ajournement. M. le comte de Wirieu dit qu’il faut l’ajournement à trois siècles. M. le Président ne sait comment poser la question ; il prétend que M. le comte de Mirabeau se désiste de son ajournement. M. le comte de Mirabeau l’interrompt et se contentede répondre que cette question, qui paraît indifférente à l’Assemblée, ne l’est pas à l’ambassadeur du roi d’Espagne. M. Bouche observe qu’il est fort inutile de délibérer, puisqu’il faut faire une loi pour déclarer que, dans le cas où la maison de Bourbon viendrait à s’éteindre, la nation se rassemblerait par ses représentants pour se choisir un Roi, pourvu qu’il soit Français. Il y avait deux questions à décider : Y a-t-il lieu à délibérer, ou faut-il ajourner? A laquelle de ces deux motions doit-on donner la priorité ? M. le président, embarrassé, interroge le règlement; mais le règlement est muet ; il interroge l’Assemblée, mais elle est divisée dans ses opinions. Enfin on va aux voix, et la question préalable obtient la priorité. Alors la motion sur l’exclusion de la branche espagnole est retirée, et aussi celle de l’ajournement.