{Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 374 vocation des commis appartienne à l’archiviste. M. de Foucault propose de donner annuellement à l’archiviste la somme de 6,000 livres, moyennant laquelle il sera tenu des frais de commis et de bureau. Plusieurs membres demandent à aller aux voix. L’article 8 est décrété comme suit : «Art. 8. Le nombre des commis aux archives sera, provisoirement, de quatre personnes nommées et révocables par l’archiviste. Ils auront le titre de secrétaires-commis. L’un des quatre sera employé à travailler avec l’archiviste à l’enregistrement, au classement et à la communication des actes déposés dans les archives. Les trois autres travailleront aux répertoires, et feront les expéditions des actes qui seront demandés par l’Assemblée ou par ses comités. « Dans le cas d’un travail extraordinaire, l’archiviste pourra, de concert avec les commissaires, prendre le nombre de copistes qui seront nécessaires, et qui se retireront aussitôt qu’un travail forcé n’exigera plus leur présence ». M. le President. J’ai reçu de M. l’abbé Ray-nal une lettre dont l’un de MM. les secrétaires va donner lecture. « Monsieur le Président, « Oserais-je vous supplier de porter les témoignages de mon respect et de ma reconnaissance à l’Assemblée nationale? Son décret finit mes infortunes et fera la consolation de mes derniers jours. « L’ami courageux, qui a bien voulu vous exposer mes peines, vous a dit à la tribune qu’il s’était glissé des erreurs dans mes écrits. Cet hommage rendu publiquement à la vérité était dans mon cœur, et je rétracte sincèrement ce qui pourrait m’être échappé de répréhensible. « J’ai voulu poser, autant que mes faibles talents le permettaient, les bases d’une société bien ordonnée. La souveraineté dans le corps collectif d’une nation, la soumission entière à l’autorité légitimement établie par elle, la répartition égale et proportionnelle des contributions aux dépenses publiques, l’obligation commune à tous les citoyens d’y satisfaire, la modération dans les lois*, l’égalité des peines et des récompenses, la tolérance universelle pour les opinions religieuses, tels sont les principes que j’ai toujours avoués et toujours soutenus. « 11 n’y a que des hommes trompés ou de mauvaise foi qui aient pu attribuer à des maximes aussi saines les désordres qui causent les malheurs publics et qui font le tourment de ma vieillesse. Ils n’ont pu naître que des mauvaises mœurs, et leur durée ne dépend peut-être que de l’insuffisance des moyens pour les réprimer. « J’aime à penser que les Français, quels que soient leurs préjugés, ne tarderont pas à se rallier au véritable intérêt de la patrie, à une Constitution vainement désirée depuis les premiers siècles de la monarchie. A cette époque finiront nos calamités, à cette époque commenceront notre bonheur et notre gloire. « La renaissance des systèmes oppresseurs ne sera plus à craindre, le progrès des lumières et les profondes combinaisons de nos législateurs [4 septembre 1790.] ôteront tout espoir d’un succès momentané à l’ambition la plus effrénée. Je suis avec un profond respect, Monsieur le Président, Votre très humble et très obéissant serviteur, Raynal. » L’Assemblée ordonne l’insertion dans son prdcès-verbal de la lettre de M. l’abbé Raynal. M. le Président lève la séance à dix heures du soir. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 SEPTEMBRE 1790. Motion par M. Gossin, député de Bar-le-Duc, sur la nécessité d'établir des écoles nationales (1). Messieurs, lorsque de grands législateurs voulurent réformer un peuple, ils ne se contentèrent point d’avoir donné et fait adopter une Constitution, ils pensèrent que leur édifice s’écroulerait bientôt, s’ils ne l’appuyaient sur un fondement solide, sur l’éducation des enfants qui devaient vivre et se conduire selon les principes nouvellement reçus; ils savaient qu’il faut de nouvelles mœurs pour de nouvelles lois; que c’est l’éducation qui forme les mœurs, qui prépare une génération d’hommes disposés à chérir et à respecter le nouveau régime. Les enfants furent arrachés des bras paternels pour recevoir dans des écoles publiques, sous les yeux de la patrie, une éducation commune. Là, tous les exercices du corps et de l’esprit tendaient à former des hommes sains et robustes, des hommes sincèrement attachés à la Constitution de l’Etat; on leur apprenait la justice par une pratique habituelle, plus que par d’importunes et ennuyeuses leçons. Voilà ce que pensaient, voilà ce que faisaient d’anciens législateurs : que ferons-nous, à leur exemple ? Arracherons-nous les enfants à leurs parents , pour les transporter dans des écoles publiques, où la patrie se charge de les instruire? Non ; mais nous créerons une éducation nationale, pour fixer les principes que nous a fait saisir avec avidité le généreux enthousiasme d’une liberté nouvelle. La simple aurore d’un plus parfait gouvernement, d’un gouvernement fondé sur la loi, semble déjà avoir changé nos mœurs: mais ces mœurs s’effaceraient bientôt, et les anciennes habitudes, reprenant leurempire, viendraient assaillir le gouvernement et parviendraient à le renverser, si nous ne changions irrévocablement les caractères par une éducation faite pour la nouvelle Constitution. Jusqu’à présent nous n’avons pas eu d’éducation nationale; une volonté arbitraire et absolue nous gouvernait tous : on ne parlait au peuple que de nouvelles impositions à supporter, que de nouveaux droits à payer, et jamais des vrais principes du gouvernement. Loin de procurer les moyens de s’intruire, on les interdisait même : se réunir avec d’autres hommes pour raisonner sur les opérations politiques, était un crime ; il était défendu de parier, à peine était-il permis dépenser. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1790.] 575 Nous avons enfin secoué un joug odieux, nous nous sommes rendus libres, nous sommes devenus une nation; il nous faut donc une éducation nationale, il faut établir des écoles élémentaires, où le principal objet de l’enseignement sera celui des principes de la nouvelle Constitution, des droits et des devoirs de l’homme. Là les enfants apprendront, par les leçons les plus simples et les plus lumineuses, à être religieux, citoyens, fidèles à la loi et au roi, amis de la liberté, ennemis de la licence, attachés au gouvernement, opposés à l’anarchie. Des assemblées solennelles, présidées par les personnes les plus instruites du lieu, des jeux et exercices publics où les jeunes gens se jugeront entre eux sous l’inspection de citoyens plus avancés en âge, viendront à l’appui de ces écoles, ou même pourront y suppléer. Les lois, les usages, les peines, les récompenses, les jeux, les spectacles, les images, les monuments publics, les murs dans lesquels le peuple s’assemblera pour se délasser ou se distraire de ses travaux; la pierre, le marbre, l’airain, tout prêchera la nouvelle Constitution et la gravera dans les cœurs en traits ineffaçables. L’éducation nationale, telle que nous venons de l’indiquer dans une esquisse rapide, est nécessaire et elle suffirait absolument. A ne consulter qu’une rigide et saine philosophie, les sciences et les lettres sont-elles nécessaires pour être heureux et bien gouvernés ? Mais n’oublions pas que nous sommes environnés de peuples qui estiment les sciences et les lettres, et que parmi ces peuples nous sommes distingués également dans une littérature profonde ou légère : nous avons à soutenir une gloire à laquelle il ne nous est plus possible de renoncer. Les sciences et les lettres doivent donc entrer dans notre éducation, il faut donc ajouter aux écoles élémentaires nationales des écoles dont les études soient beaucoup plus étendues. Le but de toute bonne éducation est de former "ensemble le corps, l’esprit et le cœur, de sorte que la culture de l’une de ces trois parties de notre être ne nuise pas à la culture de l’autre. Les exercices de l’esprit et du corps doivent donc être mêlés avec sagesse et habilement tempérés les uns par les autres. Ne pensons pas à la gymnastique des anciens ; les anciens, pour la guerre, avaient besoin de force, d’agilité et de souplesse. Il fallait être en état de parer les coups de son adversaire et de lui en porter soi-même, de le poursuivre et de fuir sa poursuite. L’usage delà poudre a tout changé parmi nous : un fusil dans la main d’un homme, pesant ou faible, produit le même effet que dans la main d’un homme agile ou’ robuste. Cependant ne négligeons pas le corps de l’enfant, travadlonsà le rendre sain, fort et bien constitué. Laissons-lui la liberté de ses mouvements, et abandonnons-lui le choix de la plupart de ses exercices et de ses jeux. La nature, qui lui fait un besoin de se mouvoir, les lui enseignera elle-même; ayons seulement attention à ce que des agitations trop violentes ne puissent pas lui occasionner des blessures ou des maladies. On formera le cœur du jeune élève, en lui inspirant les vertus religieuses et morales : la pratique et de simples conversations lui enseigneront ces vertus plutôt que de beaux sermons et des leçons magnifiques. Par exemple, sans entrer dans les détails, vous voulez lui apprendre que tous les hommes sont égaux; qu’il vive avec ses camarades, de manière que tout lui prêche cette vérité, que tout lui annonce qu’il n’y a et ne doit y avoir entre les hommes d’autre différence réelle que par les talents et les vertus. Mais que lui apprendrons-nous, et quel sera l’objet de ses études littéraires ? Les Grecs n’avaient que leur langue à apprendre ; ce qui abrégeait beaucoup et simplifiait leurs études. Les Romains apprenaient la langue grecque outre la leur; nous, nous apprenons les langues grecque et latine, outre la nôtre. Continuerons-nous à étudier ces langues mortes, ou leur préférerons-nous l’étude des langues vivantes étrangères ? Nous avons beaucoup plus de rapports avec des peuples existants, qu’avec des peuples qui ne sont plus; les connaissances s’étant beaucoup plus étendues dans ces derniers siècles, il y a plus d’idées et de science dans les ouvrages modernes que dans les écrits anciens : il semble donc, d’après cette double considération, que l’un doit préférer l’étude des langues modernes à celle des laugues anciennes. Mais ces grandes et superbes formes, ces formes simples et naturelles qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de transporter dans une autre langue, tandis que les idées et la science sont de tous les idiomes, on peut assurer qu’ils se trouvent plus qu’ailleurs dans les anciens Romains et surtout dans les anciens Grecs. Le climat, le gouvernement, l’avantage d’être plus près de la nature, ont imprimé à leur poésie et à leur éloquence un caractère qui doit nous rendre leurs ouvrages fort précieux. Etudions les anciens , dit Rousseau : quand Us n'auraient que cet avantage, ils étaient plus près de la nature. Nous devons avoir la noble ambition de l’emporter sur tous les peuples de l’Europe, pour le goût de la bonne littérature. En nous bornant à l’étude de leur langue, nous ne marcherons jamais qu’après eux ; c’est en étudiant les premiers et grands modèles que nous pourrons avoir la gloire de surpasser les peuples qui nous environnent. Plusieurs de ces peuples nous reprochent la faiblesse de nos études grecques : donnons-leur une nouvelle activité, et faisons marcher de front l’enseignement des langues grecque, latine et française. La lecture des auteurs grecs et latins doit nous intéresser aujourd’hui plus que jamais. Nous pouvons y puiser de grands principes d’administration, de très belles maximes de morale publique et particulière, de nobles sentiments qu’inspirent l’amour de la patrie et la passion de la liberté. Nous les avons étudiés, ces auteurs, pour y chercher la superbe harmonie et les nobles figures de l’éloquence, les grâces ou la hardiesse d’une poésie légère ou sublime; nous ne les abandonnerons pas sans doute, aujourd’hui qu’en les étudiant, nous aurons l’avantage de converser avec des peuples libres, qui nous fortifieront dans la volonté de rester libres, qui nous apprendront à l’être par leurs sages règlements, par de grandes actions, ou même par leurs erreurs et leurs fautes. Notre éducation se trouvera enfin d’accord avec notre régime; car, auparavant, il était inconséquent et ridicule d’occuper notre jeunesse à la lecture de ces écrivains sublimes qui exaltent avec un si noble enthousiasme une liberté dont il nous était défendu de prononcer le nom, qui s’élèvent avec tant de force contre une servitude dont il nous était ordonné de chérir et de bénir le joug. Nos études doivent être solides et sérieuses, propres à corriger cette légèreté et cette frivolité qu’on reproche à notre caractère. Ne craignons pas d’y employer trop d’années ; quand nous consacrerions la moitié de notre Vie pour bien user de l’autre, croirons-nous avoir perdu notre 576 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 septembre 1790. temps? Les grandes productions de la nature, les plus durables productions sont lentes : prenons garde de trop nous hâter en formant l’homme, ce chef-d’œuvre de l’univers, le premier des êtres mortels. Ne soyons pas empressés, comme autrefois, de jeter un jeune homme dans le monde ; soyons jaloux qu’il y paraisse le corps fortifié, le cœur plein de généreux sentiments, l’esprit orné de belles et solides connaissances. Il faut qu’il étudie sérieusement1 les langues anciennes, ou il vaudrait mieux qu’il les abandonnât absolument : une étude superficielle de ces langues serait un temps perdu. Réformons l’université de Paris qui a besoin de réforme; mais conservons soigneusement ce qu’elle a reçu de bon de nos excellents esprits, et établissons une correspondance entre les études delà capitale et celles des provinces; afin qu’elles soient partout uniformes. Les provinces enverront leurs meilleurs sujets dans les écoles de Paris, et les écoles de Paris fourniront des maîtres aux principales écoles distribuées dans le royaume, qui en donneront à celles de leur arrondissement. Les excellentes études de la capitale y jetteront une splendeur qui attirera de toutes parts les habitants de nos provinces, et même les étrangers. L’empire que la ville d’Athènes s’était acquis par les armes, n’a duré que deux siècles, avec assez peu d’étendue; l’empire dont elle a été redevable à son goût pour les sciences, les lettres et les arts, a subsisté bien avant le siècle d’Alexandre, jusque sous les derniers empereurs. Elle voyait accourir chez elle, de toutes les parties du monde, des hommes faits, et des jeunes gens qui s’empressaient d’y venir pour y acquérir des connaissances, ou pour y perfectionner leurs talents. Grâce à l’esprit et au goût qui la distinguaient mille provinces lui payaient tribut et lui rendaient hommage. On croyait n’avoir reçu une belle éducation que quand on avait passé plusieurs années à Athènes. Nous pourrons prétendre à ce glorieux empire : le Français est naturellement vif et ardent; la Révolution actuelle lui a imprimé un nouveau degré d’activité; qu’il soit dirigé par de bonnes études, et il peut espérer plus de succès et de gloire qu’il n’en a obtenu sous le plus fastueux et le plus absolu des monarques. Au lieu d’amuser et de corrompre, comme autrefois, les peuples de nos provinces et de l’Europe entière, par un cercle mobile de fêtes et de modes passagères, par les futiles productions d’un luxe frivole, le Parisien fera chérir partout son caractère aimant et vertueux. Des études propres à fortifier ce caractère et convenables à une nation libre ; des sources fécondes ouvertes de toutes parts pour le progrès des [sciences et des arts, embelliront à tous les yeux le séjour de la capitale. Sa gloire présente est d’avoir produit la Révolution, et son plus beau triomphe sera de la faire aimer et adopter par toute la terre. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 SEPTEMBRE 1790. Vœu de la commune de Tours sur l'émission de deux milliards d'assignats non-monnaie (1). Du 3 septembre 1790. Extrait du registre des délibérations du conseil général de la commune de Tours. Le secrétaire-greffier a rendu compte qu’en conséquence de la délibération du conseil municipal du 31 août dernier, il a fait et envoyé des lettres et billets d’invitation pour se trouver aujourd’hui à cet hôtel, deux heures de relevée, à MM. les membres composant le conseil général de la commune de cette ville; à MM. du bailliage et siège présidial, bureau des finances, eaux et forêts, élection, grenier à sel, consuls, marchands, fabricants d’étoffes d’or et soie ; et à MM. de cette ville, ces différents corps, avec prière de nommer des députés pour assister à ladite assemblée; à M. Huet de Vaudour, inspecteur des manufactures de Touraine; et à MM. de l’état-major de la garde citoyenne de cette ville, avec indication, par lesdites lettres et billets d’invitation, de l’objet de ladite assemblée. Après rappel fait, tant des membres du conseil général de la dite commune, que de MM. les députés des corps et autres ci-dessus dénommés, M. le président a dit : que la présente assemblée avait été convoquée à l’effet d’y donner lecture d’une lettre écrite par MM. Gauthier et Valette, députés de la province à l’Assemblée nationale, à M. de Fontenay, chargé de la correspondance de la municipalité auprès de mesdits sieurs les députés, icelle datée du 29 août dernier, par laquelle ils lui mandent que la question ayant été agitée dans l’Assemblée nationale, sur les moyens de rembourser la dette exigible de l’Etat, montant à près de deux milliards, il a été proposé de les payer en quittances de finance, transmissibles de gré à gré ; et 2° en as -ignats-mon-naie, ce qui a d’abord donné lieu à deux autres questions; l’une de savoir si l’on admettrait les quittances de finance ou les assignats-monnaie. 2° Si ces effets auraient intérêts et quels ils seraient; que ces questions ont ensuite été réduites au point de savoir si on adopterait ou non les assignats-monnaie; que cette décision ayant paru de la plus grande importance à l’Assemblée nationale, elle n’a point voulu la porter sans une longue et préalable discussion à laquelle elle a fixé pour terme le 10 septembre, dans l’intention qu’elle pût connaître l’opinion publique à cet égard, et même consulter-quelques unes des principales villes du royaume; en conséquence, mesdits sieurs Gauthier et Valette, terminent leur lettre par engager la municipalité de convoquer le conseil général et autres personnes qu’elle croirait convenable, notamment dans le commerce et les manufactures, afin qu’elle pût manifester l’opinion de la ville de Tours sur cette question; pourquoi M. le président, après lecture donnée par le secrétaire-greffier de ladite lettre, a prié l’assemblée de délibérer et donner son avis sur le contenu d’icelle. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.