[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2i novembre 1790.] finances des offices de magistrature, et j’observerai à ce sujet qu’on fait une application fausse du mot remboursement . On a dit que le Trésor public ne doit rendre que ce qu’il a reçu; mais on ne fait pas attention que l’Assemblée nationale a entendu ce terme dans un sens très différentquand elle a ordonné le remboursement des offices de judicature sur le pied de l’évaluation. Le Trésor public paye donc alors plus qu’il n’a reçu et j’interpelle ici tous les membres de cette Assemblée qui sont revêtus d’offices de judicature. Comment auraient-ils accueilli l’amendement qui aurait eu pour objet de faire ordonner qu’ils ne recevraient que ce qui a été versé par eux ou leur auteur au Trésor public? et qu’on ne dise pas qu’il y a cette différence entre les brevets de retenue et les finances des offices, que les offices payaient un impôt relatif à leur évaluation. Mais, Messieurs, les offices des parlements n’étaient pas imposés et cependant vous remboursez les offices du parlement de Paris quarante fois au delà de ce qu’ils ont rapporté au Trésor public; et ces offices n’étaient assujettis qu’au droit de marc d’or à chaque mutation, comme les offices de secrétaires d’Etat et quelques autres. Permeitez-moi, Messieurs, d’interpeller votre justice rigoureuse, de vous rappeler que toute la nation a reconnu la légitimité des brevets de retenue, puisqu’ils ont été l’objet de toutes les transactions publiques, de tous les actes privés, qu’ils sont dans le commerce, dans les successions. Et quel citoyen, qui de vous, Messieurs, aurait refusé de confier sa fortune à un porteur de brevet de retenue? En prenant la seule précaution de faire insérer dans le brevet la mention de sa créance, il eût été sans inquiétude sur la fortune de ses enfants, et jugez quels désordres vous causez dans les familles! Combien d’actes de toute espèce sont annulés! Quels désordres vous portez dans les fortunes 1 Je vous propose donc, Messieurs, d’ordonner que le Trésor public sera chargé de payer le montant des brevets de retenue sur les offices publics et qu’à l’égard de ceux qui sont imposés sur des charges de la maison privée du roi, ils suient assimilés à ceux qui peuvent avoir été donnés par les princes ou par tous autres particuliers. M. Robespierre. Pour apprécier toutes les propositions qui vous sont faites sur le remboursement des brevets de retenue, il suffirait de vous rappeler la définition qui vous en a été donnée par votre comité des pensions. Ce sont des actes par lesquels le roi ou ses ministres donnaient aux titulaires qu’ils voulaient favoriser l’assurance que la place ne serait point donnée à un autre, à moins que celui-ci ne leur payât une certaine somme. D’après cette définition, trop justifiée par les abus qui vous ont été développés, vous voyez que les brevets de retenue étaient des actes contraires aux lois, des libéralités faites à des courtisans aux dépens des peutdes, un trafic du despotisme ministériel, avec la faveur et avec la cupidité des courtisans. C’en est assez pour conclure qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les divers projets de remboursement qui vous ont été présentés à cet égard. Les titres imprescriptibles du peuple et de l’humanité sont plus sacrés, quoi qu’on puisse dire, que ceux des riches et des courtisans qui ont obtenu ces places et ces libéralités, quelques couleurs que l’on veuille leur donner. Je demande donc que l’on dispense les habitants de nos campagnes et le peuple de 729 nos villes de porter les cent millions d’impôts dont il faudrait les charger pour payer et pour consacrer ces injustes négociations qui leur ont été absolument étrangères et qui doivent être mises au rang des abus les plus révoltants, dont ils étaient les victimes. M. le Président met l’article 2 aux voix. Il est adopté. M. Camus fait lecture de l’article 3. On demande à aller aux voix. M. de Toulongeon. Je demande que l’article ait un effet rétroactif, et que les titulaires d’offices de judicature ne reçoivent que les sommes qu’ils auront versées au Trésor public. Plusieurs membres appuient cet amendement. — On observe que l’Assemblée ne peut pas revenir contre ses décrets. M. de Toulongeon. Je n’ai pas voulu proposer deux injustices, mais j’ai voulu empêcher qu’on en fît une. M. de Crillon le jeune insiste pour que l’amendement proposé par M. d’André soit mis aux voix. M. de Mirabeau. En voyant un très grand nombre de bons citoyens dans les mêmes principes, se partager sur une question qui paraissait simple, j’ai imaginé qu’il y avait quelque difficulté cachée; je l’ai cherchée et je crois l’avoir trouvée. Le premier principe présenté par le comité est tellement sacré que je n’ai pas cru devoir parler sur un article qui le renfermait; maintenant que nous en sommes à l’article de ce qu’on appelle indemnité, je demande la permission d’expliquer ma pensée. La difficulté ne viendrait-elle pas de ce que, dans la même question, on a proposé de statuer sur des brevets de retenue de différente nature, de ce qu’on a voulu appliquer les mômes principes à des choses absolument distinctes? Et c’est là l’erreur. Il est des brevets de retenue qui ne sont autre chose que de véritables offices déguisés. Personne ne peut nier que lorsque, depuis cent ans, on ne pouvait avoir un office de secrétaire d’Etat sans donner 500,000 francs, personne ne peut nier, dis-je, que celui qui a pavé les 500,000 livres a eu la conviction très intime qu’il recevrait ces 500,000 livres en perdant son office. Que cette tradition soit bonne ou mauvaise, ce n’est pas là ce qu’il nous importe desavoir; elle existait sous l’empire de ce qu’on appelait alors autorité légitime, elle était contractée sous la foi publique. Que celui qui a eu des brevets de retenue sans donner d’argent ne soit pas indemnisé, cela me parait très juste : c’est une espèce de simonie politique; mais que l’homme qui a payé ne soit pas remboursé, c’est ce qu’il m’est impossible de ne pas regarder comme souverainement injuste. S’il y a une inj ustice dans l’amendement de M. d’André, c’est dans le mot indemnité; ce n’est pas une indemnité, c’est un remboursement légitime. On élève auprès de moi des doutes qui me font croire que mon élocution n’a pas été assez claire; on demande si celui dont le brevet de retenue est de 200,000 livres, et qui en a déboursé 500, doit en être remboursé? je réponds que non. M. Camus. L’on doit vouloir que ceux qui 730 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 novembre 1790. J ont payé une somme à leurs prédécesseurs soient payés; mais sous ce prétexte l’on ne peut pas vouloir faire payer ce qui ne serait pas légitimement dû. Je demanderais donc que l’on ajoutât à l’article que j’ai proposé ces mots ; « seront indemnisés même, s’il y a lieu, jusqu’à la totalité de la somme qu’ils ont payée. » M. Emmery propose la rédaction suivante: « Néanmoins, ceux qui auront été pourvus d’offices sous la double commission d’acquitter à leurs prédécesseurs le montant d’un brevet de retenue, et d’en être remboursés à leur tour par leurs successeurs, recevront, par forme d’indemnité, l’exact montant de la somme comprise dans leur brevet de retenue, et qui l’était déjà dans celui de leur prédécesseur immédiat. » M. Dubois-Crancé. J’adopte cette rédaction. L’Assemblée adopte à l’unanimité la rédaction présentée par M. Emmery. — Elle remplace l’article 3 présenté par M. Camus. Les autres articles présentés par M. Camus sont adoptés presque sans discussion. M. Audier-llassillon présente un article additionnel portant que le remboursement des brevets de retenue sur les offices militaires n’aura lieu qu’au moment du changement de grade, de démission ou de suppression d’offices. Cet article additionnel est adopté et devient le 4e du décret. M. Camus, rapporteur , fait une lecture générale des articles adoptés après discussion. L’Assemblée ordonne qu’ils seront insérés dans son procès-verbal ainsi qu’il suit : Article premier. « Il ne sera plus, à l’avenir, accordé aucun brevet de retenue sur aucun office, titre ou charge nécessaire pour le maintien de l’ordre public ; et les brevets qui auraient été expédiés précédemment sur lesdites charges ne mettront aucun obstacle à l’expédition des provisions de nouveaux titulaires, sauf aux porteurs des brevets, ou à leurs créanciers, à se pourvoir ainsi qu’il va être dit. Art. 2. « Les sommes portées aux brevets de retenue, qui ont été précédemment accordées, ne seront remboursées qu’autant qu’il sera justifié que lesdites sommes ont été versées au Trésor public, soit par le porteur de brevets de retenue, soit par les titulaires qui font précédé, ou qu’elles ont été employées aux dépenses de l’Etat. Art. 3. « Et néanmoins, ceux qui auront été pourvus d’offices, ou employés sous la double condition d’acquitter à leurs prédécesseurs le montant d’un brevet de retenue, et d’en être remboursés à leur tour par leurs successeurs, recevront, par forme d’indemnité, l’exact montant de la somme comprise dans leur brevet de retenue, et qui l’était déjà dans celui de leur prédécesseur immédiat. Art. 4. « Les remboursements des brevets de retenue sur les offices militaires n’auront lieu qu’au moment du changement de grade, de démission ou de suppression d’office. Art. 5. A l’égard des porteurs de brevets qui les ont obtenus sans avoir payé aucune somme à leurs prédécesseurs, de ceux qui seront porteurs de brevets accordés primitivement et par pur don, à des personnes dont ils sont héritiers, légataires ou donataires; de ceux enfin qui n’ont obtenu des brevets de retenue qu’à un intervalle de temps après leurs provisions, et sans rapport immédiat auxdites provisions, ils ne pourront prétendre à aucune indemnité. Ceux qui auront obtenu des brevets de retenue d’une somme plus forte que celle qu’ils ont payée à leurs prédécesseurs ne pourront prétendre à aucune indemnité pour cet excédant, mais seulement pour la somme réellement payée à leurs prédécesseurs, et suivant ce qui est prescrit par l’article précédent. Art. 6. « Les créanciers dont les privilèges et hypothèques, portant sur des brevets de retenue, sont autorisés par des lettres patentes enregistrées dans les formes qui avaient lieu précédemment, seront remboursés du montant de leur créance.» M. le Président fait lecture d’une lettre de M. le maire de Paris, par laquelle il annonce l’adjudication de trois maisons faisant partie des biens nationaux; Savoir : Le première, rue des Blancs-Manteaux, louée 800 livres, estimée 14,500 livres, adjugée 16,100 livres. La seconde, rue de Sèvres, louée 2,380 livres, estimée 23,775 livres, adjugée 48,000 livres. La troisième, rue de Sèvres, louée 4,148 livres, estimée 40,850 livres, adjugée 99,100 livres. M. Ee Cartier, député du département de l’Aisne, demande et obtient un congé de quinze jours. M. le Président fait donner lecture d’une lettre de M. Amelot, accompagnée d'un mémoire sur l’organisation de la caisse de V extraordinaire . Ces deux pièces sont ainsi conçues : « Monsieur le Président, l’Assemblée nationale ayant décrété, dimanche dernier, que son comité des finances lui ferait incessamment le rapport de l’organisation de la caisse de l’extraordinaire, j’ai cru de mon devoir de présenter, dans le mémoire que je joins ici et que j’ai l’honneur de vous prier de mettre sous ses yeux, quelques réflexions sur les moyens de parvenir au but qu’elle s’est proposée en établissant cette caisse. Mon vif désir de coopérer au bien public, par tous les efforts de mon zèle et par l’intention la plus décidée d’y sacrifier mes veilles et mes soins, a dicté ces réflexions. Esclave des lois que l’Assemblée donne à la nation, et dont Sa Majesté me confie l’exécution, c’est en les respectant le premier que je donne l’exemple du pouvoir qu’elles ont sur des hommes qui sentent que la vraie liberté ne peut exister sans elles; c’est ainsi que je prouverai mon attachement à la Constitution, et que je chercherai à mériter de ma patrie et à justifier la confiance dont le roi m’honore. « Je vous prie, Monsieur le Président, d’observer à l’Assemblée que, d’après ses décrets, le produit des domaines nationaux, depuis le 1er janvier dernier, a dû être touché par les receveurs de districts, et que l'organisation de la caisse de