ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j7 septembre 1789.] 592 [Assemblée nationale.! moment propager le sentiment héroïque dont il procède, et trouver autant d’imitateurs qu’il aura d’admirateurs! Vous serez plus ornées de vos vertus et de vos privations, que des parures que vous venez de sacrifier à la patrie. L’Assemblée nationale s’occupera de votre proposition avec tout l’intérêt qu’elle inspire. Après ce discours, il a été déposé sur le bureau une cassette renfermant les différents objets offerts à la nation; et l’Assemblée, désirant connaître les noms des citoyennes qui donnaient un si noble exemple, a ordonné qu’ils fussent lus et inscrits dans le procès-verbal de ce jour, et ce sont : JJmes Moitte, présidente. Vien. De Lagrenée, la jeune. Berruer. Souvée. Duvivier. Bell. Vestier. jypies Vassé de Bonrecueil. Vestier. Gérard. Mmel Fragonard. Péron. David. Vernet, la jeune. Desmarteaux. Bonvalet. Corne de Cerf, négociante. M'ie» Phitoud. De Viefville. Hotemps. M. MI ou gin s de Roquefort, député de Grasse. Messieurs, l’auguste sénat de Rome regardait comme un devoir sacré de récompenser avec éclat toutes les actions inspirées par l’amour du bien public; c’est dans ces vues qu’il accorda aux daines romaines, pour les récompenser de leurs généreux sacrifices, des distinctions honorables ; et lorsque des dames françaises nous rappellent la générosité des dames romaines, les représentants de la nation ne seront ni moins justes, ni mbins grands que ces anciens maîtres du monde. Je propose donc : 1° que l’Assemblée vote des remerciements en faveur de ces citoyennes pour l’exemple de patriotisme qu’elles viennent de donner à la nation; 2* qu’elle décrète que leurs noms seront inscrits dans le procès-verbal ; 3° qu’il leur sera permis ainsi qu’à celles qui suivront leur exemple de porter une marque patriotique telle qu’elle sera déterminée. L’Assemblée ne donne pas suite à la dernière de ces propositions, mais elle décide que les citoyennes composant la députation conserveront, pendant le reste de la séance, la place d’honneur qui leur a été accordée. La discussion sur la permanence et V organisation du Corps législatif et sur la sanction royale est ensuite reprise. M. l’abbé Sieyfes (1). Messieurs, j’applaudis à la sagesse de l’Assemblée, qui n’a rien voulu décider sur la question de la sanction royale, avant d’avoir éclairci les questions voisines et dépendantes de la permanence des états généraux et de l’unité du Gorps législatif. Peut-être ces questions elles-mêmes ne peuvent pas tellement s’isoler qu’elles n’aient encore besoin, pour être parfaitement éclairées, d’emprunter toutes les lumières qui appartiennent à l’organisation entière de la (1) Le discours de M. l’abbé Sieyès est incomplet au Moniteur. représentation nationale ; mais ce qui convient le mieux n’échappera pas à votre sagacité. L’Assemblée paraît avoir abandonné l’idée d’attacher au pouvoir royal une part intégrante dans la formation de la loi ; elle a senti que ce serait altérer et dénaturer même l’essence de fa loi que d’y faire entrer d’autres éléments que des volontés individuelles. La seule définition raisonnable qu’on puisse donner de la loi, est de l’appeler l’expression de la volonté des gouvernés. Les gouvernants ne peuvent s’eu emparer en tout ou en partie, sans approcher plus ou moins du despotisme. Il ne faut pas souffrir un alliage aussi dangereux dans ses effets. Que si, considérant la personne du Roi sous la qualité qui lui convient le mieux, c’est-à-dire comme chef de la nation, comme premier citoyen (1), vous voulez faire une exception en sa faveur, vous vous rapellerez les belles paroles que Sa Majeté a prononcées au milieu de vous, avant même la réunion des ordres : Moi, a-t-elle dit, qui ne suis qu'un avec la nation. En effet, le prince, le chef de la nation ne peut être qu’un avec elle; si vous l’en séparez un seul instant, si vous lui donnez un intérêt différent, un intérêt à part, dès ce moment vous abaissez la majesté royale : car il est trop évident qu’un intérêt différent de l’intérêt national ne peut jamais lui être comparé; que, dans une nation, tout fléchit et doit fléchir devant elle. Ainsi le Roi ne peut jamais être séparé, même en idée, de la nation dont il représente toute la majesté. Lorsque la nation prononce son vœu, le Roi le prononce avec elle. Partout il est chef, partout il préside; mais tous ses actes le supposent présent au milieu de vous. Entin ici seulement peuvent s’exercer ses droits à la législation. Si l’on est conduit à reconnaître que le Roi ne peut point concourir à la formation de la loi hors de l’Assemblée nationale, il n’est pas encore décidé pour tous quelle est la part d’influence proportionnelle qu’il peut y prendre. Un votant, quel qu’il soit, peut-il, dans une assemblée quelconque, avoir plus de voix que tout autre opinant?... Cette question a ses profondeurs; mais il n’est pas nécessaire de s’y enfoncer eQ entier, pour prononcer que la moindre inégalité, à cet égard, est incompatible avec toute idée de liberté et d’égalité politique. Je me contente de vous présenter le système contraire, comme ramenant à l’instant la distinction des ordres. Car ce qui caractérise la pluralité des ordres est précisément l’inégalité des droits politiques. Il n’existe qu’un ordre dans un Etat, ou plutôt il n’existe plus d’ordres dès que la représentation est commune et égale. Sans doute nulle classe de citoyens n’espère conserver en sa faveur une représentation partielle , séparée et inégale. Ce serait un monstre en politique ; il a été abattu pour jamais. Remarquez, Messieurs, une autre conséquence du système que je combats ici. Si le suffrage (Il Le Roi est citoyen de toutes les municipalités ; il est-seul premier citoyen ; tous les autres citoyens sont égaux. Dans l’ordre même des pouvoirs commis , le pouvoir exécutif n’est pas le premier : aussi ce n'est pas à titre de dépositaire de ce pouvoir, que le Roi est supérieur à tous. Je regarde le premier citoyen comme le surveillant naturel, pour la nation du pouvoir exécutif. J’identifie le Roi avec la nation; ensemble, ils sont cause commune contre les erreurs et les entreprises du ministère, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (7 septembre 1781] 503 [Assemblée nationale.] d’un votant pouvait valoir deux suffrages en nombre, il n’y aurait plus de raison pour que la même autorité, qui lui a accordé ce privilège politique, ne pût lui accorder celui de peser autant que dix, que mille suffrages. Vous voyez, Messieurs, que de là à les valoir tous il n’ÿ a qu’un pas. Si une volonté peut valoir numériquement deux volontés dans la formation de la loi, elle peut en valoir 25 millions. Alors la loi pourra être l’expression d’une seule volonté ; alors le Roi pourra se dire seul représentant de la nation. Nous observions il y «a un instant que l’inégalité des droits politiques nous ramenait à l’aristocratie : il est clair que ce système odieux ne serait pas moins propre à nous prolonger dans le plus absurde despotisme. Il faut donc reconnaître et soutenir que toute volonté individuelle est réduite à son unité numérique; et ne croyez pas que l’opinion que nous nous formons d’un représentant, élu par un grand nombre de citoyens, détruise ce principe. Le député d’un bailliage est immédiatement choisi par son bailliage; mais médiatement, il est élu par la totalité des bailliages. Voilà pourquoi tout député est représentant de la nation entière. Sans cela, il y aurait parmi les députés une inégalité politique que rien ne pourrait jus-tilier ; et la minorité pourrait faire la loi à la majorité, ainsi que je l’ai démontré ailleurs. Le Roi, considère comme individu, est réduit à sa volonté individuelle; à ce titre seul, il ne peut voter que dans une des premières assemblées élémentaires où tout citoyen est admis à porter son suffrage. Le Roi, considéré comme premier citoyen, comme chef de la nation, est censé représentant de la nation dans toutes les Assemblées graduelles, jusqu’à. l’Assemblée nationale. Partout il a droit de voter; partout il peut présider; partout il est légalement le premier, parce qu’il ne peut y avoir de premier que par la loi ; mais nulle part sou suffrage ne peut en valoir deux. Ce principe est assez démontré, en ce moment, par les inconvénients du système contraire, tels que je viens de le présenter. Actuellement, Messieurs, si vous voulez considérer le Roi comme dépositaire de toutes les branches du pouvoir exécutif, il est évident qu’il ne s’offre plus rien dans son autorité, quelque étendue, quelque immense qu’elle soit, qui puisse entrer, comme partie intégrante, dans la formation de la loi. Le serait oublier que les volontés individuelles peuvent seules entrer, comme éléments, dans la volonté générale; l’exécution de la loi est postérieure à sa formation ; le pouvoir exécutif et tout ce qui lui appartient n’est censé exister qu’après la loi toute formée. Auparavant, toutes les volontés individuelles avaient été consultées, ou plutôt avaient concouru à la confection de la loi. Donc il n’existe plus rien qui doive être appelé à y concourir. Tout ce qui peut y être s’y trouve déjà ; rien ne lui manque : il ne pouvait y avoir que des volontés; elles y sont toutes ..... Si donc l’exercice du pouvoir exécutif donne une expérience, procure des lumières qui peuvent être utiles au législateur, on peut bien écouter ses conseils, l’inviter à donner son avis; mais cet avis est autre chose qu’une volonté. Il ne doit point, je le répète, entrer dans la formation de la loi, comme partie intégrante; en un mot, si le pouvoir exécutif peut conseiller la loi, il ne doit point contribuer à la faire. Le droit d'empêcher n’est point, suivant moi, différent du droit de faire. D’abord il est aisé de S’apercevoir que le ministère royal fera proposer î" série, t. vm, par des députés, et soutenir par un parti, toutes les lois qui lui conviendront. Si elles passent, tout est fait à sou gré. Si elles sont rejetées, il rejettera à son tour toutes les décisions contraires. On n’a besoin que de ce premier aperçu pour sentir qu’un tel pouvoir est énorme, et que celui qui l’exerce est à peu près le maître de tou.t Persistera-t-on à dire qu’empêcher n’est point faire? Je ne sais; mais, dans cette Assemblée même, 'ce n’est pas autre chose que fait la majorité, à qui pourtant vous ne refusez pas le droit de faire. Lorsqu’une motion est soutenue seulement par la minorité, la majorité exprime le vœu national en la refusant ; elle exerce son pouvoir législatif sans limites. En cela, il est permis de le demander : Que fait-elle de plus qu’un acte dont on veut attribuer l’exercice au pouvoir exécutif? Je dis que le droit d’empêcher que l’on veut accorder au pouvoir exécutif est bien plus puissant encore; car enfin, la majorité du Corps législatif n’arrête que la minorité, au lieu que le ministère arrêterait la majorité elle-même, c’est-à-dire le vœu national, que rien ne doit arrêter. Je suis tellement frappé de cette différence, que le veto suspensif ou absolu, peu importe, ne me paraît plus qu’un ordre arbitraire; je ne puis le voir que comme une lettre de cachet lancée contre la volonté nationale, contre la nation entière. Je sais qu’à force de distinctions d’une pan, et de confusion de l’autre, on en est parvenu à considérer le vœu national comme s’il pouvait être autre chose que le vœu des représentants de la nation, comme si la nation pouvait parler autrement que par ses représentants. Ici les faux principes deviennent extrêmement dangereux. Ils ne vont à rien moins qu’à couper, qu’à morceler, qu’à déchirer la France en une infinité de petites démocraties, qui 11e s’uniraient ensuite que par les liens d’une confédération générale, à peup rès comme les 13 ou 14 Etats-Unis d’Amérique se sont considérés en convention générale. Ce sujet mérite la plus sérieuse attention de notre part. La France ne doit point être un assemblage de petites nations qui se gouverneraient séparément en démocraties; elle n’est point une collection d’Etats ; elle est un tout unique, composé de parties intégrantes; ces parties ne doivent point avoir séparément une existence complète, parce quelles ne sont point des tout simplement unis, mais des parties ne formant qu’un seul tout. Cette différence est grande ; elle nous intéresse essentiellement. Tout est perdu, si nous nous permettons de considérer les municipalités qui s’établissent, ou les districts, ou les provinces, comme autant de républiques unies seulement sous les rapports de force ou de protection commune. Au lieu d’une administration générale, qui, partant d’un centre commun, va frapper uniformément les parties les plus reculées de l’empire; au lieu de cette législation, dont les éléments fournis par tous les citoyens se composent en remontant jusqu’à l’Assemblée nationale, chargée seule d’interpréter le vœu général, ce vœu qui retombe ensuite avec tout le poids d’uue force irrésistible sur les volontés elles - mômes qui ont concouru à la former, nous n’aurons plus dans Fiutérieur du royaume, hérissé de barrières de toute espèce, qu’un chaos de coutumes, de règlements, de prohibitions particulières à chaque localité. Le beau pays deviendra odieux aux voyageurs et aux habitants. Mais mon intention ne peut pas être de vous présenter les inconvénients innombrables qui 38 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [T septembre 1789.] o94 accableraient la France, si elle se transformait jamais en une confédération de municipalités ou de provinces. Ce n’est point là, Messieurs, votre projet : il suffit donc de remarquer que, si nous n’y prenons garde, les principes que nous paraissons adopter, aidés déjà par des circonstances beaucoup trop influentes, pourraient bien nous mener à une situation politique qui n’est point dans nos vues, et dont nous aurions ensuite bien de la peine à sortir. En conséquence de ces courtes réflexions, qu’il serait inutile aujourd’hui d’étendre davantage, je crois qu’on pourrait demander dès à présent, en forme d’amendement à la question qui nous occupe : « Qu’il soit formé dès ce soir un comité peu nombreux, pour présenter à l’Assemblée, sous deux ou trois jours, un plan de municipalités et de provinces , tel que la France ainsi organisée ne cesse pourtant point de former un tout soumis uniformément à une législation, à une administration commune. » Je ne sors point de la question, Messieurs : il est impossible de constituer la législature ordinaire sans connaître les éléments dont elle se compose, et les canaux par lesquels les volontés individuelles arrivent au rendez-vous commun où elles doivent se concerter pour former le vœu général. Le sujet qui vous occupe tient certainement, tient essentiellement au système de représentation que vous voudrez adopter. Vous ne pouvez en fonder les bases que dans les municipalités ; vous ne pouvez en proportionner les parties qu’en déterminant d’avance ce que vous entendrez par provinces dans votre nouvelle langue politique. Il est ptu> pressant encore de connaître quel degré d’influence vous voulez donner à ces assemblées commettantes sur les députés nationaux. Je ne parle pas de l’influence sur les personnes, elle doit être entière; mais de l’influence des commettants sur la législation elle-même. On voit que si la volonté nationale peut se manifester dans les municipalités ou dans les bailliages, et qu’elle ne fasse que se répéter dans 1’asseinblée générale, on voit, dis-je, que le veto suspensif , ou plutôt V appel au peuple , à quoi nous semblons aujourd’hui vouloir réduire Je droit d’empêcher, prend un tout autre caractère. De même, s’il ne faut qu’énoncer un vœu déjà formé par le peuple dans les bailliages ou dans lés municipalités, qu’est-il nécessaire, pour un énoncé qui ne peut pas varier, de former deux ou trois Chambres ? Qu’est-il nécessaire de les rendre permanentes? Des porteurs de votes, ou bien, en se servant d'une expression déjà connue, des couriers politiques n’ont pas besoin d’être permanents. Il faut donc convenir que le système de représentation et les droits que vous voulez y attacher dans tous ses degrés doivent être déterminés avant de rien statuer sur la division du Corps législatif et sur ['appel au peuple, de vos décisions. Les peuples européens modernes ressemblent bien peu aux peuples anciens. Il ne s’agit parmi nous que de commerce, d’agriculture, de fabriques, etc. Le désir des richesses semble ne faire de tous les Etats de l’Europe que de vastes ateliers : on y songe bien plus à la consommation et à la production qu’au bonheur. Aussi les systèmes politiques aujourd’hui sont exclusivement fondés sur le travail ; les facultés productives de l’homme sont tout; à peine sait-on mettre à profit les facultés morales, qui pourraient cependant devenir la source la plus féconde des plus véritables jouissances. Nous sommes donc forcés de ne voir, dans la plus grande partiedes hommes, que des machines de travail. Cependant vous ne pouvez pas refuser la qualité de citoyen, et les droits du civisme, à cette multitude sans instruction qu’un travail forcé absorbe en entier. Puisqu’ils doivent obéir à la loi tout comme vous, ils doivent aussi, tout comme vous, concourir à la faire. Ce concours doit être égal. * Il peut s’exercer de deux manières. Les citoyens peuvent donner leu r*fcon fiance à quelques-uns d’entre eux. Sans aliéner leurs droits, ils en commettent l’exercice. C’est peur l’utilité commune qu’ils se nomment des représentations bien plus capables qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général, et d’interpréter à cet égard leur propre volonté. L’autre manière d’exercer son droit à la formation de la loi est de concourir soi-même immédiatement à la faire. Ce concours immédiat est ce qui caractérise la véritable démocratie. Le concours médiat désigne le gouvernement représentatif. La différence entre ces deux systèmes politiques est énorme. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très-grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France; leur avis est donc de se nommer des représentants; et puisque c’est l’avis du grand nombre, les hommes éclairés doivent s’y soumettre comme les autres. Quand une société est formée, on sait que l’avis de la pluralité fait loi pour tous. Ce raisonnement, qui est bon pour les plus petites municipalités, devient irrésistible quand on songe qu’il s’agit ici des lois qui doivent gouverner vingt-six millions d’hommes; car je soutiens toujours que la France n’est point, ne peut pas être une démocratie; elle ne doit pas devenir un Etat fédéral , composé d’une multitude de républiques, unies par un lien politique quelconque. La France est et doit être un seul tout, soumis dans toutes ses parties à une législation et à une administration communes. Puisqu’il est évident que cinq à six millions de citoyens actifs, répartis sur vingt-cinq mille lieues carrées, ne peuvent point s’assembler , il est certain qu’ils ne peuvent aspirer qu’à une législature par représentation. Donc les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes immédiatement la loi : donc ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. Toute influence, tout pouvoir leur appartiennent sur la personne de leurs mandataires; mais c’est tout. S’ils dictaient des volontés, ce ne serait plus cet état représentatif; ce serait un état démocratique. On a souvent observé dans cette Assemblée que les bailliages n’avaient pas le droit de donner des mandats impératifs; c’est moins encore. Relativement à la loi, les Assemblées commettantes n’ont que le droit de commettre. Hors de là, il ne peut y avoir entre les députés et les députants directs que des mémoires, des conseils, des instructions. Un député, avons-nous dit, est nommé parmi bailliage, au nom de la totalité des bailliages ; un député l’est de la nation entière; tous les citoyens sont ses commettants ; or, puisque dans une Assemblée bailliagère, vous ne voudriez pas que celui qui vient d’être élu se chargeât du vœu du petit nombre contre le vœu de la majorité, vous ne devez pas vouloir, à plus forte rai- [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1789.] son, qu’un député de tous les citoyens du royaume écoute le vœu des seuls habitants d’un bailliage ou d’une municipalité, contre la volonté de la nation entière. Ainsi, il n’y a, il ne peut y avoir pour un député de mandat impératif, ou même de vœu positif, que le vœu national ; il ne se doit aux conseils de ses commettants directs qu’autant que ces conseils seront conformes au vœu national. Ce vœu, où peut-il être, où peut-on le reconnaître, si ce n’est dans l’Assemblée nationale elle-même? Ce n’est pas en compulsant les cahiers particuliers, s’il y en a, qu’il découvrira le vœu de ses commettants. 11 ne s’agit pas ici de recenser un scrutin démocratique, mais de proposer, d’écouter, de se concerter, de modifier son avis, enfin de former en commun une volonté commune. Pour écarter tout reste de doute à cet égard, faisons attention que même dans la plus stricte démocratie cette méthode est la seule pour former un vœu commun. Ce n’est pas la veille, et chacun chez soi, que les démocrates les plus jaloux de la liberté forment et fixent leur avis particulier, pour être ensuite porté sur la place publique, sauf à rentrer chez soi pour recommencer toujours solidairement, dans le cas où l’on n’aurait pas pu tirer de tous ces avis isolés une volonté commune à la majorité. Disons-le tout à fait : cette manière de former une volonté en commun serait absurde. Quand on se réunit, c’est pour délibérer, c’est pour connaître les avis les uns des autres, pour profiter des lumières réciproques, pour confronter les volontés particulières, pour les modifier, pour les concilier, enfin pour obtenir un résultat commun à la pluralité. Je le demande à présent : ce qui paraîtrait absurde dans la démocratie la plus rigoureuse et la plus déliante doit-il servir de règle dans une législature représentative ? Il est donc incontestable que les députés sont à l’Assemblée nationale, non pas pour y annoncer le vœu déjà formé de leurs commettants directs, mais pour y délibérer et y voter librement d’après leur avis actuel, éclairé de toutes les lumières que l’Assemblée peut fournir à chacun. Il est donc inutile qu’il y ait une décision dans les bailliages ou dans les municipalités, ou dans chaque maison de ville ou village ; car les idées que je combats ne mènent à rien moins qu’à cetie espèce de Chartreuse politique. Ces sortes de prétentions seraient plus que démocratiques. La décision n’appartient et ne peut appartenir qu’à la nation assemblée. Le peuple ou la nation ne peut avoir qu’une voix, celle de la législature nationale. Ainsi, lorsque nous entendons parler d’un appel au peuple, cela ne peut vouloir dire autre chose, si ce n’est que le pouvoir exécutif pourra appeler de la nation à elle-même, et non pas des représentants à leurs commettants , puisque ceux-ci ne peuvent se faire entendre que par les députés nationaux. L’expression d'appel au peuple est donc mauvaise, autant qu’elle est impoliliquement prononcée. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. De toutes les observations que je viens de vous soumettre, il faut donc conclure, relativement au droit d'empêcher, qu’on ne doit pas entendre par ce mot un droit de participer à la législature, ni un droit d 'appel au peuple ; et comme j’ai prouvé en même temps qüe le droit d'empêcher ne différait point le plus souvent du droit de fairex U me 595 semble que je pourrais déjà en tirer telle conséquence, que le veto, s’il est nécessaire, ne peut être confié qu’à ceux qui ont le droit de faire ; c’est-à-dire à ceux qui participent déjà activement à la formation de la loi. Il est certain, et nous l’avons aussi prouvé, que le pouvoir exécutif n'a aucune espèce, de droit à la formation delà loi. Si donc vous vouliez accorder le veto au Roi, ce ne pourrait pas être à titre de dépositaire du pouvoir exécutif-, ce ne serait qu’à titre de chef de la nation ou de premier citoyen. A ce titre, avons�-nous dit, le Roi peut avoir le droit de voter à toutes les assemblées qui sont dans l’ordre de la représentation nationale. A ce litre seul le Roi n’a point de supérieur; la majesté royale éclipse tout, parce qu’elle est la majesté nationale elle-même. Au terme où je suis arrivé, la question présente change d’aspect; elle se réduit à savoir si le droit d’empêcher est utile, quand et en quoi ; et, dans le cas où on le croirait utile, s’il faut le faire exercer par le chef de la nation, votant dans l’Assemblée législative, ou par toute autre partie de la législature. Je crois inutile de prévenir que le veto, dont je cherche Futilité, ne peut pas être le veto qui s’est présenté d’abord, sous Je nom de veto absolu, et qu’on espère aujourd’hui faire plus facilement adopter sous la dénomination adoucie de veto indéfini ou illimité. J’ignore quelle idée on se forme de la volonté d’une nation, lorsqu’on a l’air de croire qu’elle peut être anéantie par une volonté particulière et arbitraire. Il ne s’agit ici que du veto suspensif. L’autre, il faut le dire, ne mérite pas qu’on le réfute sérieusement. Le décret national dont vous craignez les effets, et que vous croyez bon de suspendre jusqu’à un nouvel examen, regarde la Constitution, ou bien il appartient simplement à la législation. Tels sont les deux points de vue sous lesquels nous allons considérer l’action du veto. En Angleterre on n’a point distingué le pouvoir constituant du pouvoir législatif; de sorte que le parlement britannique, illimité dans ses opérations, pourrait attaquer la prérogative royale, si celle-ci n’était armée du veto et du droit "de dissoudre le parlement. Ce danger est impossible en France. Nous aurons pour principe fondamental et constitutionnel, que la législature ordinaire n’aura point l’exercice du pouvoir constituant, pas plus que celui du pouvoir exécutif. Cette séparation de pouvoirs est de la plus absolue nécessité. Si des circonstances impérieuses, si le mandat spécial de nos commettants nous obligent à remplir simultanément ou successivement des fonctions constitutives et législatives, nous reconnaissons au moins que cette confusion ne pourra plus avoir lieu après cette session; l’Assemblée nationale ordinaire ne sera plus qu’une Assemblée législative. Il lui sera interdit de toucher jamais à aucune partie de la Constitution. Lorsqu’il sera nécessaire de la revoir et d’en réformer quelque partie, c’est par une convention expresse, et bornée à cet unique objet, que la nation décrétera les changements qu’il lui paraîtra convenable de faire à sa Constitution. Ainsi, la constitution de chaque pouvoir sera immuable jusqu’à une nouvelle Convention nationale. Une partie quelconque de l’établissement public c’aura point à craindre l’entreprise d’une autre. Elles seront toutes indépendantes dans leur constitution. Il suit de ceg observations que, si le vélo royal 59G l Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. est nécessaire eu Angleterre, il serait inutile et déplacé en France. Le Roi n’aura rien à défendre contre le Corps Législatif, parce qu’il sera impossible au Corps législatif d’attenter à la prérogative royale. Je conviens qu'un pouvoir, quel qu’il soit, ne se contient pas toujours. dans des limites qui lui sont prescrites par sa constitution, et que les corps publics peuvent, ainsi que les particuliers, cesser d’être justes les uns envers les autres. Sur cela, je remarque à mon tour que l’histoire nous apprend à redouter les attentats du pouvoir exécutif sur les Corps législatifs bien plus que ceux du pouvoir législatif sur les dépositaires de l'exécution. Mais n’importe, l’un et l’autre de ces inconvénients méritent qu’on y apporte remède ; et puisque le danger menace egalement tous les pouvoirs, la défense doit être la même pour tous. Je dis donc que, puisqu’il est possible que les pouvoirs publics, quoique séparés avec soin, quoique indépendants les uns des autres dans leur organisation et dans leur prérogative, entreprennent néanmoins l’un sur l’autre, il doit se trouver dans la constitution sociale un moyen de remédier à ce désordre. Ce moyen est tout simple. Ce n’est point l' insurrection, ce n'est point la cessation des impôts , ce n’est pas non plus le veto royal. Tous ces remèdes sont pires que le mal ; c’est le peuple qui en est toujours la véritable victime, et nous devons empêcher le peuple d’être victime. Le moyen que nous cherchons consiste à réclamer la délégation extraordinaire du pouvoir constituant. Gette convention est en effet l’unique tribunal où ces sortes de plaintes puissent être portées. Cette marche paraît si simple et si naturelle, tant en principe qu’en convenance, que je crois inutile d’insister davantage sur ce véritable moyen d'empêcher qu’aucun des pouvoirs publics n’empiète sur les droits d’un autre. On remarque sans doute qu’au moins cette espèce de veto est impartiale ; je n’en fais pas un privilège exclusif pour les ministres : il est ouvert, comme il doit l’être, à toutes les parties du pouvoir public. Je viens de prouver que la constitution du pouvoir exécutif et la prérogative royale n’ont rien à craindre des décrets du pouvoir législatif, et que si les différents pouvoirs se mettent à usurper l’un sur l’autre, le vrai remède à ce désordre public n’est point le veto royal , mais un véritable appel au pouvoir constituant, dont la partie lésée a droit alors de demander la convocation ou la délégation nationale. Permettez-moi d’ajouter en passant que cette convocation extraordinaire ne peut être que paisible dans un pays dont toutes les parties seront organisées par un sytème de représentation générale, où l’ordre des députations sera bien réglé et les députations législatives seront fréquentes. Je viens, Messieurs , de vous présenter les moyens de garantir toutes les parties de la constitution des coups qu’elles pourraient se porter les unes aux autres, il faut maintenant examiner la prétendue nécessité du veto royal, relativement à la législation. Ici je cherche avec soin ce qu’il peut y avoir de raisons, au moins spécieuses dans les arguments de ceux qui croient à Futilité du veto, et j’avoue que je ne trouve rien. Lorsque le Corps législatif se bornera à faire des lois tutélaires ou directrices, lorsque le pouvoir exécutif, lorsque le chef de la nation n’auront point à se plaindre ni dans leurs droits, ni dans leur* fonctions, ni dans leurs prérogatives; [7 septembre 1789.] enfin lorsqu’on se bornera à demander au pouvoir exécutif l'exécution du vœu national dans l’ordre législatif, je ne conçois pas sur quel prétexte on voudrait que le pouvoir exécutif se dispensât d 'exécuter et pût opposer à la loi un veto suspensif : autant vaudrait dire que lorsque les peuples demandent des lois à leur Assemblée législative, il est bon qu’elle puisse s’empêcher de les faire. 11 me semble que chaque pouvoir doit se borner à ses fonctions, mais qu’il doit les remplir avec zèle et sans retard, toutes les fois qu’il en est requis par ceux à qui cette réquisition appartient. Hors de ces principes, il n’y a plus de discipline sociale dans aucune partie de l’établissement public. Dira-t-on que l’expérience fournit aux agents publics des lumières qu’il est bon de consulter avant de faire les lois? Soit ; que la législature prenne conseil de tous ceux qui sont en état de lui en donner ; mais, du moment que la loi est faite, on ne me persuadera jamais qu’il appartienne au bon ordre que ceux qui ont à la faire exécuter puissent exercer un veto contre le législateur, sous prétexte que le législateur a pu se tromper, ü’abord celui à qui vous accordez le veto peut se tromper aussi ; et si l’on veutcomparer les chances d’erreur auxquelles il est sujet, aux chances d’erreur qui menacent la législature elle-même, il me semble qu’il n’y a pas à balancer entre eux. Le Corps législatif est choisi, il est nombreux, il a intérêt au bien, il est sous l’influence du peuple. ... Au contraire, le dépositaire du pouvoir exécutif est héréditaire, inamovible ; ses ministres savent lui faire un intérêt à part.... Comment, dans une telle inégalité de chances, a-t-on toujours l’air de s’effrayer des erreurs possibles de la législature, et craint-on si peu les erreurs probables du ministère ? Cette partialité, il faut en convenir, n’est pas naturelle. .. . Mais enfin, direz-vous encore, la précipitation et l’erreur ne sont pas impossibles dans les opérations du Corps législatif. . . 11 est vrai, et quoique ce danger soit infiniment plus rare que dans le ministère même le mieux composé, il est néanmoins bon de s’en garantir autant qu’on le peut. Dès qu’on ne me présente plus le veto suspensif que comme un moyen de diminuer en faveur de la nation les chances d’erreur dans les délibérations de ses représentants, loin de m’y opposer, je l’adopte de grand cœur; mais il faut me donner un veto qui ait véritablement ce caractère ; il faut le placer dans les mains qui doivent le manier le plus avantageusement pour le peuple. Far exemple, lorsqu’il est nécessaire de faire ou de réformer une loi, comment me prou-vera-t-on qu’il puisse être utile au peuple d’en renvoyer la révision ou le nouvel examen à un ou deux ans? Ce n’est point là une suspension utile. Pourquoi la prolonger au delà du terme nécessaire ? Est-ce que dans ce long intervalle il serait indifférent de se passer d’une bonne loi, ou d’être tourmenté par une mauvaise ? On prétend que les mêmes personnes peuvent tenir mal à propos à leurs premières idées, et qu’il faut attendre de nouveaux députés. Je répondrai d’abord que ce n’est pas toujours mal à propos que l'on tient à ses premières idées ; et d’ailleurs, je n’abandonne pas facilement la persuasion où je suis que la législature, pour peu qu’elle soit bien organisée, sera bien moins sujette à se tromper, en faisant la loi, que le ministère en la suspendant. Je réponds, en second lieu, qu’on peut ne point renvoyer la seconde discussion à un temps trop éloigné, sans être [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. obligé pour cela d’interroger les mêmes députés. Ce moyen, qui concilie tous les intérêts, tient à former, non pas deux ou trois Chambres, mais deux ou trois sections de la même Chambre. Souvenez-vous, Messieurs, de votre arrêté du 17 juin; il est fondamental, puisque c’est de ce jour que date votre existence en Assemblée nationale; vous y avez déclaré que l’Assemblée nationale est une et indivisible. Ce qui fait l’unité et l’indivisibilité d’une Assemblée, c’est Y unité' de décision , ce n’est pas l’unité de discussion. Il est évident qu’il est bon quelquefois de discuter deux et même trois fois la même question. Rien n’empêche que cette triple discussion se fasse dans trois salles séparées, devant trois divisions de l’Assemblée, sur lesquelles dès lors vous n’avez plus à craindre l’action de la même cause d’erreur, de précipitation ou de séduction oratoire. Il suffira que la détermination ou le décret 11e puisse être que le résultat de la pluralité des suffrages recueillis dans les trois sections, de la même manière qu’ils le seraient si tous les députés se trouvaient réunis dans la même salle; c’est-à-dire, pour me servir du langage usité, pourvu que les suffrages soient pris par têtes et non par Chambres. En admettant la triple discussion ainsi que je la propose, on remplirait l’intention de la plupart de ceux qui réclament le veto suspensif, de tous ceux au moins qui ne veulent du veto que ses avantages. Ou n’aurait plus même besoin d’accorder le veto à personne, car il se trouve naturellement dans la division indiquée, puisque si une section de l’Assemblée juge à propos de retarder sa discussion, vous avez, par cela même, tout l’effet du veto suspensif. Que s’il arrive à chacune des trois sections de vouloir, sur un point, terminer promptement, c’est une grande preuve, à mon avis, qu’ainsi le demande l’intérêt général, et que, dans ce cas, l’usage d’un veto suspensif serait nuisible. Dans le plan infiniment simple qui vous est présenté, il se trouve donc un veto suspensif, calculé au juste degré d’utilité qu’il doit avoir, sans entraîner aucun inconvénient. C’est donc à celui-là qu’il faut s’en tenir. Je ne vois pas, en effet, pourquoi, si l’exercice d’unoeto suspensif est bon et utile, on le sortirait de la place que la nature des choses lui a destinée dans la législature elle-même. Le premier qui, en mécanique, fit usage du régulateur, se garda bien de le placer hors de la machine dont il voulait modérer le mouvement trop précipité. D’ailleurs, nous avons prouvé, nous avons reconnu plus haut que le droit d’empêcher ou de suspendre n'est souvent que le droit de faire ; qu’il répugne de vouloir les séparer; que, surtout, il ne faut, dans aucun cas, en confier l’usage au pouvoir exécutif. En le faisant donc exercer d’une manière naturelle par' les différentes sections de l’Assemblée législative elle-même, nous n’ôtons rien aux droits du chef de la nation. Il aura sur ce veto la même influence que sur la loi; et dans mes idées, c’est toujours lui qui est censé la prononcer au milieu de nous. Il est vrai que ceux qui cherchent dans le veto autre chose que ses avantages; ceux qui, au lieu de consulter les vrais besoins d’un établissement, dans sa nature même, cherchent toujours, hors de leur sujet, des copies à imiter, ne voudront pas reconnaître dans le veto naturel que j’indique celui qu’ils ont dans leurs vues. Mais, dès que nous serons assurés d’avoir établi tout ce qu’exige l’intérêt de la nation, et par conséquent [7 septembre 1789.] 597 l’intérêt du Roi, est-il permis d’aller plus loin? Opposera-t-on enfin que, malgré toutes nos précautions, il n’est pas absolument impossible que l’erreur se glisse dans un décret de la législature? je répondrai, en dernier résultat, que j’aime mieux, dans ce cas infiniment rare, laisser l’erreur à réformer au Corps législatif lui-même, dans les sessions suivantes, que d’admettre dans la machine législative un rouage étranger, avec lequel on suspendra arbitrairement l’action de son ressort. Avant de finir, je dirai un mot sur la permanence de l’Assemblée nationale, non pour en prouver la nécessité ; elle est trop impérieusement commandée par les principes, par les circonstances, par les plus puissantes considérations, pour craindre qu’elle n’ait pas en sa faveur, à peu près, l’unanimité des suffrages. Je me permettrai seulement d’observer que ceux-là se trompent, à mon avis, qui veulent renouveler tous les membres de la législature à chaque session. 11 faut éviter avec soin tout ce qui tend à établir l’aristocratie ; mais, quand on a pris des précautions plus que suffisantes, il ne faut pas qu’une peur chimérique nous fasse tomber dans le malheur très-réel de ne faire les lois que par saccades; il ne faut pas rendre impossibles celte identité de principes et cette uniformité d’esprit qui doive se trouver dans toutebonne législation. Enfin, il ne faut pas que l’expérience des uns soit perdue pour les autres. Quand on voudra bien ne pas perdre de vue qu’il ne s’agit pas d’exercer le pouvoir constituant (ce pouvoir, à la vérité, exigerait, à chaque session, un renouvellement total de ses membres), mais qu’il s’agit seulement de décréter les lois et les règlements nécessaires au maintien journalier de la liberté, de la propriété, de la sécurité, et de surveiller la recette et la dépense des deniers publics ; on se convaincra sans doute que le renouvellement des députés peut, sans danger, être partiel, et se faire annuellement par tiers, de sorte qu’il y ait toujours un tiers des membres avec l’expérience de deux ans, un tiers avec les lumières d’une année de travail, .et enfin un nouveau tiers arrivant annuellement des provinces, pour entretenir toujours le Corps législatif des besoins et des dernières opinions du peuple. Un corps ainsi constitué ne deviendra jamais aristocratique, si nous décidons en même temps qu’il faudra un intervalle quelconque pour être de nouveau éligible. Je finis par proposer à l’Assemblée l’amendement que j’ai annoncé dans le courant de mon opinion. Je ne le présente que parce que je le crois d’une nécessité pressante. S’il n’est pas appuyé, ou s’il est rejeté, j’aurai du moins acquitté ce que je crois de mon devoir, en prévenant sur le danger qui menace la France, si on laisse les municipalités s’organiser en républiques complètes et indépendantes. Voici l’avis que je propose : « Qu’il soit nommé dans la journée un comité de trois personnes pour présenter, le plus tôt possible, à l’Assemblée u a plan de municipalités et de provinces , tel qu’011 puisse espérer de ne pas voir le royaume se déchirer en une multitude de petits Etats sous forme républicaine; et qu’au contraire, la France puisse former un seul tout, soumis uniformément, dans toutes ses parties, à une législation et à une administration communes. » 598 |Assembléô nationale.] ÀUC1HYES PARLEMENTAIRES . M.le marquis de Siïlery(l). Messieurs, votre attention doit être fatiguée d’une aussi longue discussion. Je crains d’abuser de vos moments après les développements profonds que vous venez d’entendre. 11 reste peu d’épis à glaner dans un champ moissonné avec, autant d’exactitude ; cependant si vous daignez m’accorder quelques moments d’attention, je tâcherai d’ajouter à toutes les raisons qui vous ont été données quelques exemples à l’appui des réflexions; et je ne vous cacherai pas que, craignant de vous ennuyer par de continuelles répétitions de principes, j’âi changé la forme de la discussion que je comptais faire, et j’ai mis en action quelques-unes de mes t aisons. Après dix siècles d’outrages faits à la liberté de la nation française, elle connaît enfin ses droits; et l’heureuse Révolution qui vient d’arriver prouve que nos malheurs étaient à leur dernière période ; et la nullité des moyens oppressifs que l’on a voulu employer confirme encore plus victorieusement cette grande vérité. Vous avez commencé un grand ouvrage ; votre fermeté a déjà triomphé des nombreux obstacles que les ennemis du bien public avaient cherché à vous opposer. Mais, Messieurs, vous n’avez encore qu’entrevu l’aurore de la liberté que la France attend de vous, et c’est à votre constance et à votre énergie qu’elle va devoir ce bienfait. Ils ont déjà cessé, ces moments honteux pour la nation ! où l’on taxait de licence la moindre réflexion contre les abus; et l’on est criminel à cette époque, si de vaines considérations, ou des respects stériles pour d’anciens usages, empêchent un orateur d’obéir à sa conscience, et de dire ce que son devoir lui prescrit. Le sacrifice patriotique de ces vertueuses citoyennes exige, avant que je parie, le tribut des éloges qu’il mérite; et leur dévouement prouve victorieusement l’énergie de la nation française, et combien elle mérite d’être heureuse. L’organisation du pouvoir législatif est maintenant soumise à notre délibération. Cette grande question est sans doute la plus intéressante que nous aurons à traiter. Elle est la base de la Constitution, elle est le rempart de la liberté publique. L’Assemblée nationale sera-t-elle permanente? Sera-t-elle composée d’une ou de deux Chambres ? Les lois seront-elles sanctionnées parle Roi? Ces trois questions ont un tel rapport les unes avec les autres qu’il était très-difficile de les discuter en les isolant ; et je profiterai, Messieurs, de la permission que vous m’avez donnée pour vous faire part de quelques réflexions sur chacune d’elles. Examinons premièrement si l’Assemblée nationale sera permanente. L’uniformité des avis sur cette question ne laisse aucun doute sur son absolue nécessité. Oui, la liberté est le vœu commun de tous les Français. Je pourrais me dispenser de discuter cette question, mais nous devons compte aux peuples de nos délibérations ; il faut leur apprendre les dangers qui les environnent par le récit de ceux qu’ils ont déjà approuvés, et c’est eux qui m’ordonnent en ce moment de parler. Daignez, Messieurs, jeter les yeux sur le peu de fruit que la France a retiré de ses précédentes tenues d’Etats généraux ; considérez combien le peuple français était encore loin de mériter la liberté en 1614, puisque les séances de cette Assem-(1) Le discours de M. le marquis de Sillery est incomplet au Moniteur. [7 septembre 1789. j blée se passèrent en de vaines discussions théologiques pour la plupart, et que les représentants de la nalion, jouets du despotisme ministériel, oublièrent le grand caractère qu’ils avaient, pour se soumettre aveuglément aux impulsions qui leur furent données par tous Jes fauteurs de l’au-toiité arbitraire. Ils ne firent aucunes lois qui soient restées, et la puissauce royale, à cette époque, crut même pouvoir se dispenser de répondre aux demandes des peuples et à leurs doléances. Doléances!.. Cette expression honteuse pour une nation libre et souveraine prouve victorieusement l’idée que les r.ois et leurs ministres se faisaient de la liberté des peuples. On leur permettait de se plaindre, et on se réservait le droit de les asservir davantage. Parcourez les différentes époques qui se sont passées depuis 1614. Richelieu se servant de son ascendant sur l’esprit du monarque qu’il gouvernait pour bouleverser tout le royaume, son système aurait peut-être contribué au bonheur delà France, si, en écrasant les hauts barons, il avait compté les peuples pour quelque chose, et si le résultat de ses opérations n’avait pas tourné au profit du despotisme. Ce Roi auquel on a décerné le nom de grand, despote ambitieux, qui ne regarda jamais ses peuples que comme les instruments serviles de son ambition, et ruinant son pays par son luxe et sa fausse politique. La France épuisée et déchirée de nouveau par le système inouï de Law, opération qui auiait peut-être sauvé l’Etat, si elle eût été administrée avec sagesse, mais qui causa dans ses mains inhabiles cette banqueroute frauduleuse, qui peut-être se serait renouvelée de nos jours sans les talents du ministre qui dirige les finances, et sans la fermeté et la loyauté de l’Assemblée nationale. Le dernier règne ne nous offre-t-il pas le tableau le plus révolta'nt de la puissance ministérielle, sans cesse active et vigilante pour s’opposer à tous les règlements qui pouvaient diminuer son pouvoir, sacrifiant les plus grands intérêts aux plus misérables intrigues de la cour? Un général d’armée (1) recevant l’ordre de son rappel par le seul caprice d’une favorite, au milieu de soixante-seize drapeaux ennemis qu’il venait d’enlever...; un pays immense et florissant (la Louisiane) cédé aux Espagnols ; six Français innocents (2) immolés à la vengeance d’Oréili, sans que la nation ait été consultée ni vengée. Une inquisition rigoureuse; un espionnage continuel ; cette fameuse Bastille sans cesse remplie de malheureuses victimes du pouvoir arbitraire. Le conseil des Rois presque toujours composé de ministres qui, par la nature des détails qu’ils avaient surveillés, étaient incapables de conduire l’administration qui leur était confiée. Au moment où je vous parle (car c’est l’époque où il faut tout dire), n’est-il pas honteux pour la nalion française d’avoir perdu dans l’Europe l’influence et la prépondérance qu’elle devrait avoir? La Pologne abandonnée aux usurpateurs qui l’entourent et la partagent. Les privilèges ae la Hollande trahis et sacrifiés. Les Ottomans sans protection, et peut-être à l’instant d’être relégués dans l’Asie. De toutes les (1) M. le maréchal d’Estrées après la bataille d’Has-tenbek. (2) M. de la Fresnière, procureur général de la colonie, MM. de Noian, Caresse, Yilleret, Marquiz, Jtfillel, tous officiers, fusillés par l’ordre de M. Oreilli, général espagnol, {1 septembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 599 fautes politiques que la France pouvait commettre, en est-il une dont les conséquences puissent être aussi funestes pour elle que la prise du Bosphore et de Constantinople? En effet, Messieurs, si ce malheur arrive, bientôt l’Europe étonnée verra deux nations rivales se disputer l’empire de la Méditerranée, le commerce du Levant perdu et anéanti, et l’Italie et le royaume de Naples, apanage de la maison de France, devenir des provinces de ces nouveaux conquérants. Les cours souveraines consentant et enregistrant cette multitude d’impôts onéreux dont les peuples sont à présent surchargés, et ne reconnaissant leur incompétence en matière d’imposition qu’au moment où il n’était plus possible de les imposer. Maintenant, Messieurs, croyez-vous que si l’Assemblée nationale avait existé, qu’elle eût été permanente, que chaque année les ministres eussent été obligés de rendre compte de leur conduite, nous serions dans la situation humiliante où nous sommes, et que les finances de l’Etat seraient dilapidées au point où elles le sont ? 11 est difficile de concevoir que la patience des Français ait pu souffrir aussi longtemps de pareils outrages ; et si l’on veut réfléchir sur l’événement qui arrive maintenant, on verra que cette indolence politique nous a accablés jusqu’au moment où il n’y avait plus aucun moyen delà supporter davantage. Tant que les peuples ont pu fournir aux déprédations de la cour, ils ont été tranquilles, et ils ne sont sortis de leur léthargie qu’à l’époque où il était impossible de les opprimer davantage. J’ose dire que c’est une grande leçon pour la nation, et il ne lui faut pas moins d’énergie pour se relever avec la splendeur qui lui convient, qu’elle a eu de patience dans l’esclavage où elle était assujettie. Ainsi que Varus, ne désespérons pas du salut de l’Etat : il nous reste de grandes ressources, mais nous ne pouvons eu faire usage qu’autant qu’il y aura une permanence de soins et de vigilance pour remédier aux abus. Vous le savez ainsi que moi, Messieurs, ceux qui ont, pour ainsi dire, envahi l’autorité du trône par les différentes branches du pouvoir exécutif qu’ils ont usurpées, sont nombreux et puissants. Ils n’osent dans ce moment faire entendre leurs voix, et le patriotisme de l’Assemblée leur en impose. Mais vous ne devez pas vous flatter que cette hydre que vous avez déjà combattue soit entièrement vaincue. A peine serez-vous séparés qu’elle paraîtra avec la fureur d’avoir été captive pendant quelque temps ; et si vous ne lui opposez pas l’égide redoutable de l’Assemblée nationale, les peuples n’ont rien gagné et retomberont dans l’esclavage. La permanence de vos Assemblées sera la base du crédit national, sans lequel tout est bouleversé, et vous n’avez aucun moyen de vous garantir des mauvais citoyens, qu’en portant sans cesse sur eux le regard sévère de la justice. Nous ne pouvons nous flatter, Messieurs, que, dans cette première session, nous puissions connaître et réformer tous les abus qui existent dans l’administration actuelle. Quelque instruits que nous puissions être , nous le serons davantage; et ce n’est pas dans un temps limité de quelques mois que nous pourrons parvenir à réformer des siècles d’abus. Songez que tous les agents subalternes dé cette administration vicieuse sont encore en place ; et avant d’éjever un jtemple à la liberté, il faut enlever les décoqahres dju monument du despotisme. Je conclus que l’Assemblée nationale doit être permanente, qu’elle sera chaque année assemblée quatre mois, et que pendant chaque session elle fera rendre compte à tous les agents de l’autorité de leur administration. Maintenant, Messieurs, une autre question très-compliquée est également soumise à notre examen : l’Assemblée nationale sera-t-elle composée d’une ou de deux Chambres ? Examinons premièrement la situation où nous sommes encore à présent ; nous ne faisons que de concevoir le grand projet de la réforme et de la régénération de l’Etat, mais nous n’avons pas encore écarté les abus sans nombre qui obstruent toutes nos opérations. Nous sommes à peu près dans la même situation où nous étions avant la convocation de l’Assemblée, et à peine avons-nous débrouillé le chaos immense des différents changements que nous devons opérer. Vous étiez convaincus, Messieurs, à l’époque où nous nous sommes rassemblés, qu’il ne fallait qu’une seule Glidftibre, qu’une seule volonté, pour parvenir à ce but si désiré; à peine avez-vous entrevu les moyens de sortir d’embarras que vous allez vous y replonger de nouveau, si vous adoptez fa formation d’une seconde Chambre, qui, animée de principes différents, sera sans cesse en garde contre toutes les propositions qui seront faites par les représentants de la nation ; et, aucun des abus n’étant encore réformé, je ne conçois pas celte dictature que l’on voudrait établir sur la volonté générale de la nation. Lorsque la Constitution sera parfaitement établie, lorsque les différents pouvoirs seront parfaitement établis, lorsque tous les abus seront abolis, et qu’il ne s’agira plus que de maintenir, de conserver la Constitution, et de la garantir de toute atteinte, pour lors on pourra discuter si l’on fera l’établissement d’une seconde Chambre; mais, dans la position où vous êtes, dans un moment où les esprits n’ont point encore assez réfléchi sur l’espèce des abandons qu’ils ont faits, croyez-vous que lorsque vous isolerez dans une chambre séparée un corps dont les intérêts et les prérogatives seront différents, croyez-vous, dis-je, que l’harmonie s’établira facilement? Car enfin, Messieurs, si la seconde Chambre que l’on vous propose s’établit, elle serait entièrement inutile, si la composition était absolument la même que celle des représentants de la nation; elle ne serait qu’un grand bureau qui recevrait presque toujours l’influence de la Chambre des représentants, et elle manquerait l’objet pour lequel vous désirez l’établir. Si cette seconde Chambre était formée à l’instar de celle d’Angleterre, calculez dans voire sagesse tous les obstacles que vous rencontrerez pour la régénération de l’ordre. D’ici à dix années peut-être ne pourrez-vous opérer tous les changements que vous avez à faire. Je connais toutes les objections qui seront faites sur les dangers de l'influence d’une seule Chambre; mais croyez-vous possible d’arri� ver à votre but si vous établissez le Sénat qui vous a été proposé ? Le choix des sénateurs accordé au pouvoir exécutif m’a paru une de ces idées effrayantes que je ne croyais plus devoir entendre au milieu de l’Assemblée nationale. Leur inamovibilité m’a paru encore plus étonnante. À peine échappés aux serres cruelles de l’aristocratie, serions-nous les premiers à y retomber par notre faute? IL n’y a pas de milieu à prendre : ou les Français veulent être libres, ou rester esclaves ; s’ils Veulent la liberté, aucune 600 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 17 septembre 1789.] considération quelconque ne peut les empêcher de s’affranchir; et vous n’avez plus, Messieurs, le choix de votre conduite : si à la suite de cette Révolution, vous n’ètes pas le peuple le plus libre de la terre, l’Europe vous taxera de rebelles et de pusillanimes. Achevez votre ouvrage, et vous êtes le premier peuple du monde. Une Assemblée nationale composée de membres élus librement dans les provinces, renouvelée tous les trois ans par de nouvelles élections (car, Messieurs, je désapprouve les élections annuelles à cause de l’effervescence des peuples au moment des élections) ; cette Assemblée réunie pendant quatre mois chaque année, ne sera-t-elle pas la sauvegarde de la liberté publique? Une sage Constitution établie, dans laquelle les droits de la nation et ceux du monarque seront irrévocablement fixés, ne sera-t-elle pas le rempart assuré du bonheur des peuples? C’est ici principalement leur cause que nous avons à défendre : ces distinctions d’ordres n’existent plus; dans dix ans d’ici on�ura l’heureuse habitude de l’égalité. Nous ne pouvons espérer que du temps l'oubli total de ces antiques privilèges ; et un Sénat en ce moment réveillerait le germe destructeur des prétentions, qui dans une nation libre ne peuvent exister que par la supériorité des talents et des vertus. Je conclus, Messieurs, que jusqu’à ce que l’ordre soit parfaitement établi dans tous les points, l’Assemblée nationale doit être composée d’une seule Chambre. Maintenant, Messieurs, je sens parfaitement qu’il faut un modérateur dans vos délibérations, et c’est ici le moment où je ne puis me dispenser de vous faire voir les avantages de la sanction royale. Plusieurs savantes discussions nous ont déjà éclairés sur cette question intéressante, et j’en ai conclu les réflexions suivantes. Un grand peuple est assemblé, il a choisi des représentants; ils ont reçu les pouvoirs de créer et d’établir une Constitution : elle doit être inébranlable et assurer à jamais la tranquillité des peuples. Us ont commencé par discuter quel était le gouvernement Je plus favorable à un peuple nombreux. La raison leur a démontré que les affaires d’un grand empire exigeant impérieusement J’ordre, le secret et la diligence dans les exécutions, on ne pouvait espérer ces grands effets que lorsqu’un seul était chargé de donner l’impulsion générale : ils en ont conclu que le gouvernement monarchique devait être préféré ; ils en ont prononcé le décret. Ils ont ensuite examiné quelle forme ils donneraient à l’organisation des différents pouvoirs : ils crurent qu'il était de leur devoir d’éclairer les peuples sur leurs véritables intérêts, qu’il fallait leur apprendre que les pouvoirs sagement distribués se maintenaient l’un par l’autre, et que, lorsque la balance vient à perdre son heureux équilibre, si les prétentions des peuples n’ont plus de bornes, il n’en résulte que l’anarchie, et que si le pouvoir exécutif cesse d’être contenu par les lois, les peuples ne tardent pas à être asservis et à retomber sous le fléau du despotisme. Enfin, après avoir balancé les avantages et les inconvénients des différents systèmes, ils furent en droit de dire à leur monarque : « Nous vous avons choisi pour nous gouverner ; vous avez signé la Charte nationale qui vous instruit des conditions auxquelles nous consentons de vous obéir : n’oubliez jamais que la Constitution à laquelle vous avez adhéré comme citoyen est l’acte solennel auquel vous êtes soumis ainsi que nous, et que vous n’avez aucun droit de modifier ni de changer ce garant de la liberté publique. « Nous le déposons entre vos mains ; vous devez vous opposer avec courage contre toutes les infractions que l’on voudrait y faire, et un des articles de cette Constitution vous donne le droit de sanctionner les lois subséquentes que nous jugerons nécessaires; elles n’auront leur exécution que lorsqu’elles auront été sanctionnées par vous, et nous allons vous donner les raisons qui nous ont déterminés à vous accorder cette grande prérogative. « Nous vous croyons juste, puisque vous avez eu notre suffrage. Vous n’ignorez pas qu’une de nos lois fondamentales, c’est que vous ne devez nous commander qu’au nom de la loi, et que noire obéissance n’est qu’à ce prix. Nous vous avons remis entre les mains le pouvoir exécutif; le pouvoir judiciaire n’en étant qu’une émanation, nous vous présentons les lois que nous avons rédigées pour le bonheur public, et votre sanction va leur donner la force et l’authenticité qu’elles doivent avoir. En vous accordant le veto, ce ne sont pas de nouvelles chaînes que nous avons voulu nous forger : nous regardons, au contraire, cette attribution comme le rempart de la liberté. Quoique nous ayons pesé ces lois dans notre sagesse, il est possible que nous nous soyons trompés; examinez-les : vous avez le droit de rejeter celles dont l’exécution vous paraîtrait dangereuse. Cependant le veto que nous vous accordons ne peut être absolu. Cette prérogative serait absolument contre tous les principes que nous avons établis et auxquels vous avez vous-même consenti. Nous sommes ici les représentants de la nation; mais la nation vous ayant choisi pour monarque, il en résulte que chaque individu a concouru à vous confier le pouvoir exécutif : vous êtes donc l’intermédiaire entre la nation et ses représentants, et si vous croyez que la loi que nous vous proposons soit contraire aux intérêts de la nation, vous devez vous y opposer jusqu’à ce qu’elle vous ait manifesté s