70 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] elle de les reprendre ; c’est celui de l’insurrection. Gardons-nous, sans doute, Messieurs, d’établir un ordre de choses tel que l’insurrection en puisse être le dernier période ; efforçons-nous de la prévenir par des lois claires et précises ; établissons les limites de tous les pouvoirs ; fixons tous les droits, afin qu’il ne puisse jamais s’élever entre le Roi et le peuple une de ces contestations que la force seule peut terminer. Si donc, ainsi qu’il est impossible de ne pas le faire, nous accordons au pouvoir exécutif la faculté d’appeler à la nation elle-même des décisions de la puissance législative, fixons d’avance les formes par lesquelles la nation pourra juger cet appel, et manifester son vœu sans secousse et sans commotion ; indiquons de quelle manière la nation sera consultée, et établissons l’obligation du pouvoir exécutif de se soumettre à son décret ; songeons, Messieurs, que nous traitons avec le dépositaire de toutes les forces, avec celui à qui vous confiez toute l’autorité active; et n’oublions pas que la Constitution que nous sommes appelés à faire, doit nécessairement empêcher que, dans aucun cas, nul pouvoir ne puisse s’armer contre la nation. Sans doute, il résulte tacitement de l’ordre même des choses, que le veto royal ne peut être que suspensif; mais cela n’est pas suffisant, et il faut le déclarer. Une doit rien y avoir de tacite dans la Constitution d’un peuple libre, et il ne faut pas laisser au Roi des prétextes même injustes de l’enfreindre. Sans doute, un Roi tel que le nôtre n’aura jamais la pensée d’affaiblir une liberté qui est son propre ouvrage; mais si le ciel, dans son amour, donne quelquefois des Louis XII et des Louis XVI, il peut aussi dans sa colère nous soumettre à des Louis XI. Je désirerais donc, Messieurs, que vous bornassiez le veto du Roi à pouvoir faire renvoyer la loi jusqu’à la prochaine création du Corps législatif, en arrêtant que les assemblées d’élection seraient tenues d’exprimer leurs vœux sur la loi que le monarque aurait suspendue, et que cette nouvelle composition législative, conformément au vœu de ses commettants, constatât ou rejetât la loi d’une manière définitive. Il résulte de ce que j’ai dit, et des principes que j’ai posés, qu’ainsi le pouvoir exécutif peut opposer un veto aux déterminations du pouvoir législatif, lequel n’est comme lui qu’un pouvoir constituant, ou contre l’Assemblée qui en exerce le droit ; qu’ainsi toute Convention nationale doit être libre dans ses décisions, et souveraine dans ses décrets ; qü’ainsi la Constitution arrêtée par l’Assemblée actuelle doit être acceptée par le pouvoir exécutif, sans aucune sorte de discussion; qu’ainsi la Constitution peut et doit même, suivant mon opinion, assurer au Roi le veto , mais non pas[y être subordonnée. M. de Polverel (1). Observations sur la sanction royale et sur le droit de veto. I. Messieurs, les lois, dit Rousseau, ne sont proprement que les conditions de l’association civile. Le peuple soumis aux lois, en doit être l’auteur; il n’appartien' qu’à ceux qui s’associent de régler les conditions de la société. (1) Les observations de M. de Polverel n’ont pas été insérées au Moniteur. Les lois, dit-il encore, sont des actes de la volonté générale (1). C’est donc dans le peuple que réside essentiellement la puissance législative. II. Comme dans un État libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre, doit être gouverné par lui-même ; il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative. Mais comme cela est impossible dans les grands Etats, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits ; il faut que le peuple fasse, par ses représentants, tout ce qu’il ne peut faire lui-même (2). C’est ainsi que la nation française vient de déléguer sa puissance législative à l’Assemblée de ses députés. III. La loi ordonne ou défend. Mais ce serait en vain qu’elle ordonnerait ou qu’elle défendrait si elle n’était pas armée de tout ce qui peut assurer son exécution. On appelle sanction ce qui assure l’exécution de la loi. IV. Pour la sanction de la loi, il faut trois choses : 1° Déclaration d’une peine contre les infracteurs de la loi. 2° Certitude que les actions des hommes seront jugées conformément à la loi, et que la peine déclarée par la loi sera infligée aux infracteurs. 3° Certitude d’une force suffisante, pour faire exécuter le jugement qui aura déclaré la peine encourue. V. La déclaration de la peine fait partie de la loi. C’est un acte de la volonté générale. Elle ne peut appartenir qu’à la puissance législative. VI. Pour avoir la certitude que les jugements seront conformes à la loi, il faut l’engagement du pouvoir judiciaire. VII. Pour avoir la certitude d’une force suffisante pour faire exécuter la loi, il faut l’engagement du pouvoir exécutif, dépositaire de la Torce publique. VIII. L’enregistrement de la loi dans les tribunaux, forme l’engagement du pouvoir judiciaire. IX. La promulgation de la loi par le Prince, ou le (1) Contrat social } liv. II, chap. VI. (2) Esprit des Lois, liv. XI, chap. VI. 71 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] magistrat dépositaire de la force publique, forme l’engagement du pouvoir exécutif. C’est ce qu’on appelle sanction royale dans les gouvernements monarchiques. X. Le droit de veto serait, dans le pouvoir exécutif, le droit de refuser la promulgation de la loi, le droit de refuser l’emploi de la force publique à l’exécution de la loi. Le droit de veto serait, dans le pouvoir judiciaire, le droit de refuser l’enregistrement de la loi, le droit de refuser de juger conformément à la loi. XI. Si l’on attribue le droit de veto au pouvoir exécutif, il faut le donner aussi au pouvoir judiciaire. Il n’y a pas de raison pour le refuser à l’un, tandis qu’on le donnerait à l’autre. Il y aurait même plus d’apparence de raison de donner ce droit de veto au pouvoir judiciaire qu’au pouvoir exécutif ; car les dépositaires du pouvoir judiciaire peuvent dire qu’on n’a pas le droit de les forcer à trahir leur conscience, en se conformant dans leurs jugements à la loi qui leur paraît injuste. Au lieu que le dépositaire du pouvoir exécutif n’a point de jugement à porter. Sa fonction se borne à employer la force publique à l’exécution des actes de la puissance législative et de la puissance judiciaire, sans examiner s’ils sont justes ou injustes. XII. Si vous donnez le droit de veto, soit au pouvoir exécutif, soit au pouvoir judiciaire, soit à l’un et à l’autre, ils sont donc au-dessus de la puissance législative, puisqu’ils peuvent faire rentrer dans le néant toutes les lois qui leur déplaisent. La volonté d’un seul, ou la volonté d’un petit nombre d’individus, l’emportera donc sur la volonté générale. La loi ne sera donc plus un acte de la volonté générale. La puissance législative ne résidera donc plus dans la nation. La nation rentrera donc dans l’esclavage. Elle perdra sa liberté politique ; car il n’y a point de liberté politique, là où la volonté générale ne peut pas faire la loi. Elle aura bientôt perdu sa liberté civile; car la liberté civile n’est autre chose que le droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. Or, si vous donnez à un seul individu le droit de veto sur les lois qui gêneraient le moins possible la liberté civile, il vous forcera bientôt de lui proposer ou d’adopter les lois les plus contraires à la liberté. XIII. Il faut donc bien se garder de donner le droit de veto, soit au pouvoir exécutif, soit au pouvoir judiciaire. XIV. On confond mal à propos la sanction royale avec le droit de veto. Ges deux choses n’ont rien de commun. Non-seulement elles sont différentes, mais encore la sanction royale exclut nécessairement le droit de veto. Pourquoi la sanction royale est-elle nécessaire aux actes de la volonté générale ? Parce que le Roi, par la sanction royale, s’engage à exécuter et à faire exécuter les actes de la volonté générale. Pourquoi cet engagement est-il nécessaire ? Parce que le Roi est le dépositaire de la force publique, parce que le pouvoir exécutif réside dans sa main. Pourquoi lui a-t-on confié ce pouvoir exécutif et cette force publique? Pour assurer l’exécution de la volonté générale, jamais pour la contrarier. Gomment pourrait-il avoir le droit de la contrarier ? La force qu’il exerce n’est point la sienne; c’est celle de la nation : or, il est évidemment impossible qu’il ait le droit de tourner la force de la nation contre la nation ; impossible par conséquent qu’il ait le droit de refuser son consentement, sa sanction, à ce qui a été résolu par la volonté générale de la nation ; impos-sibe par conséquent qu’il ait le droit de veto contre les actes de la volonté générale. XY. Ce que j’ai dit du pouvoir exécutif s’applique également à l’enregistrement de la loi, qui est la sanction du pouvoir judiciaire. Par cet enregistrement, le pouvoir judiciaire s’engage à juger conformément aux actes de la volonté générale. Get engagement est nécessaire pour assurer à la nation que les actes de la volonté générale seront toujours fidèlement exécutés, et ne seront jamais impunément violés. Le pouvoir judiciaire n’a été établi qne pour cela. II est donc impossible que le pouvoir judiciaire ait le droit de refuser son consentement aux actes de la volonté générale; impossible qu’il ait le droit de veto contre les actes de la volonté générale. Il est évident que ce droit serait contraire à l’objet de l’institution du pouvoir judiciaire. XVI. Si l’on reconnaît la nécessité de mettre lune ligne de démarcation entre le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire; si l’on convient que ces trois pouvoirs ne doivent jamais se rencontrer en aucun point, il faudra bien que l’on convienne aussi que ni le pouvoir exécutif, ni le pouvoir judiciaire, ne peuvent jamais avoir le droit de veto contre les actes de la puissance législative ; car il est évident que le droit de veto leur subordonnerait le pouvoir législatif. XVII. Si les dépositaires du pouvoir exécutif ou du pouvoir judiciaire, sentent leur conscience gênée par l’exécution d’une loi qui leur paraît injuste, il leur reste une ressource, c’est d’abdiquer leurs fonctions ; comme il reste à tous les individus mécontents des conditions de l’association, le droit de renoncer à la société, en abdiquant leur patrie. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] XVIII. Ceux qui cherchent le droit des hâtions dans les monuments de l’histoire, ceux qui disent : « Tel droit appartient aü Roi, parce que les Rois l’ont autrefois exercé », ne sont pas dignes de travailler à la régénération de la liberté publique. C’est dans la nature qu’il faut chercher les droits de l’homme. On ne trouvera dans l’histoire, que les titres des oppresseurs de l’humanité. XIX. Ceux qui disent que Charlemagne a joui du droit de veto ont mal lu ses Capitulaires. Qu’ils relisent celui de Worms, de l’année 803 ; ils y trouveront une pétition qui ne s’accorde guère avec leur système du droit de veto. « Si vous voulez que nous vous soyons ■ fidèles , disait le peuple à Charlemagne, aéeordez-nous nos demandes ; et pour que toutes ces choses soient désormais inviolablement observées par vous, et par nous, et par vos successeurs et les nôtres, ordonnez qu’elles soient insérées dans les lois ecclésiastiques et parmi vos capitules.» Le peuple Croyait donc que Charlemagne n’avait pas le droit de Veto contre la loi qui lui était proposée, puisqu’il se croyait lui-même délié du serment de fidélité, si Charlemagne refusait sa sanction à la loi proposée. Charlemagne ne regarda pas lui-même cette pétition comme séditieuse. Il ne crut pas que ce fut un attentat à sa prérogative royale. 11 promit de faire ce qu’on lui demandait; et il fit ce qu’il avait promis (1). M. de PoIverel(2). Développement des observations sur la sanction royale et le droit de veto. Messieurs, les partisans du veto royal, soit absolu, soit suspensif, partent tous, pour accréditer leur système, des mêmes principes dont je me sers pour le combattre-. I. Ils conviennent tous: 1° Que la loi est un acte de la volonté générale. 2° Que le Roi ne peut avoir le droit de veto contre la volonté nationale. 3° Qu’il faut que le pouvoir législatif soit à jamais séparé du pouvoir exécutif, et qu’ils ne puissent jamais se réunir en aucun point. J’ai conclu de ces principes, que le Roi ne peut avoir, en aucun cas, aucune espèce de veto contre la loi. Et ils en concluent, eux, que le Roi doit avoir, dans tous les cas, le droit de veto contre la loi. Les uns veulent le lui donner absolu ; les autres ne veulent le lui donner que suspensif. Ma conséquence dérive immédiatement des principes avoués. La leur ne peut être exacte, qu’au moyen de quelques idées intermédiaires qui modifient les principes, ou qui en détournent l’application. II. Ils disent : 1° Que ce n’est pas la nation qui fait la loi ; (1) Collect. de Baluze, Edit, de 1677, tom. 1, pages 405 et suivantes. (2) L’opinion de M. de Polverel n’a pas été insérée au Moniteur. que c’est l’Assemblée des représentants delà nation ; que par conséquent la volonté générale de l’Assemblée des représentants pourrait ne pas être toujours la volonté générale de la: nation ; que les représentants delà nation peuvent errer; que l’ambition, l’intérêt personnel, l’intrigue, l’enthousiasme du moment, l’éloquence des orateurs peuvent déterminer de mauvaises lois, 2° Que ce Corps législatif pourrait même anéantir ou changer la Constitution. 3°-Qu’iI pourrait usurper le pouvoir exécutif ; et que de cette réunion des deux pouvoirs résulterait inévitablement le despotisme aristocratique, bien plus terrible que le despotisme d’un seul. Leur préservatif unique, contre tous ces inconvénients possibles, est le veto royal absolu ou suspensif. III. Sauvons d’abord la Constitution. Il ne faut pour cela ni de grands remèdes, ni beaucoup de paroles, ce qui est aujourd’hui, ne sera ni toujours, ni souvent. Il fallait à la nation une Constitution’ nouvelle, et de nouvelles lois. La nation a confié à ses représentants : 1° Le pouvoir constituant; 2° Le pouvoir législatif; Pour former la Constitution, le pouvoir exécutif n’est rien : car il n’existe que par la Constitution. Celui à qui l’on confie le pouvoir exécutif est bien le maître d’accepter ou de refuser la Constitution; Mais s’ilrefase, il n’est rien. Et s’il accepte, il n’est que le mandataire de la nation aux conditions que le pouvoir constituant lui a imposées. IY. Quand la Constitution est faite et acceptée par la nation, le pouvoir constituant cessé d’exister. 11 ne reste plus que : 1* Le pouvoir législatif� 2° Le pouvoir judiciaire ; 3° Le pouvoir exécutif. Et par-dessus eux tous, le droit de souveraineté, dont ces trois pouvoirs ne sont que des émanations. Ce droit de souveraineté appartient à la nation, et en est inséparable. Dans ce droit de souveraineté, sont compris : 1° Celui de changer la Constitution; 2° Celui de modifier ou d’organiser différemment les trois pouvoirs qui lui sont subordonnés ; 3° Celui de dissoudre la société. Y. Quand le pouvoir constituant a disparu, les trois pouvoirs qui prennent sa place, sont subordonnés à la Constitution ; aucun d’eux ne peut rien faire contre elle, et tous sont obligés de s’y conformer. VI. De là, il résulte que le pouvoir législatif ne peut rien faire, rien ordonner, qqi soit contraire à la Constitution. ‘ ? 73 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] S’il le fait, il sort des bornes de sa mission : il n’était délégué que pour le pouvoir législatif, et il usurpé les fonctions du pouvoir constituant. De là, il résulte encore que le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ne peuvent rien souffrir, rien exécuter qui soit contraire à la Constitution. G’ést le seul cas où le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif doivent avoir le droit d’arrêter les actes du pouvoir législatif. C’est pour eux un devoir plutôt qu’un droit. Lèur première missionest de maintenir le droit de souveraineté, qui réside toujours dans le corps de la nation. Cette résistance de leur part n’est point une entreprise contre le Corps législatif, puisqu’on suppose que le Corps législatif a lui-môme usurpé le pouvoir constituant. VII. Ce droit de résistance que j’attribue, dans ce seul cas, au pouvoir judiciaire et au pouvoir exécutif, n’est point un droit de veto non motivé. Je n’ai jamais compris pourquoi la prérogative royale devait consister dans ces réponses * laconiques qui n’expliquent rien : le Roi s'avisera, le Roi examinera. Quand le Roi devrait avoir le droit de veto dans tous les cas, il conviendrait encore qu’il expliquât les motifs qui le déterminent à en user. Mais lorsque je restreins ce droit de veto au seul cas où le Corps législatif attaquerait la Constitution, et usurperait les fonctions du pouvoir constituant, il me semble d’une nécessité indispensable, que le Roi explique au pouvoir législatif, les motifs qui le déterminent à refuser sa sanction à la loi proposée. Et si, malgré cet avertissement, le Corps législatif persiste, je conçois qu’alors le veto du Roi doit suspendre l’exécution de la loi. Dans ce cas, la volonté nationale est manifestée d’avance par l’acceptation de la Constitution. Il n'y a que la volonté contraire de la nation qui puisse changer cette Constitution. Jusqu’à ce qu’elle ait manifesté cette volonté contraire, la Constitution doit être maintenue. VIII. Je n’ai donc pas besoin de déroger aux principes pour sauver la Constitution. IX. Maintenant, je demande si le Roi est plus infaillible que les représentants de la nation ; s’il est plus impassible qu’eux, si les ministres et les courtisans qui l’obsèdent sont moins dangereux auprès de lui, que ne le sont dans une Assemblée nationale l’ambition, l’intrigue, l’enthousiasme et l’éloquence des orateurs ; s’il n’est pas à craindre que l’abus du veto anéantisse plus de bonnes lois, que la précipitation et le tumulte des Assemblées nationales n’en déterminent de mauvaises. J’ai entendu de très-belles choses là-dessus. On pourra m’en dire encore de plus belles ; mais ma raison rie sera jamais convaincue que la nation puisse gagrier quelque chose à accorder au Roi le veto, soit absolu, soit suspensif. On parviendrait à m’effraver par le tableau des inconvénients, et je me méfierais encore de l’orateur, je me méfierais de moi-même, je me tiendrais toujours aux principes; et le plus grand de tous lés inconvénierits, serait toujours à nies yeux, celui qui empêcherait l’effet de la volonté générale, soit de la nation, soit des représentants qu’elle aurait librement élus. X. La volonté des représentants peut ri’être pas toujours celle des représentés ; mais c’est un malheur inévitable pour toutes les grandes nations ; elles ne pourront jamais être parfaitement libres, parce q,u’elles ne peuvent jamais s’assembler pour exercer par elles-mêmes le pouvoir législatif. Leurs représentants sont de leur choix, ont consulté leur vœu, ont reçu leurs instructions ; il est donc au moins probable que la volonté des représentants sera la volonté générale de la nation. Le Roi n’est presque jamais du choix de la nation. Eut-il été choisi par elle, il rie l’aurait jamais été que pour exercer le pouvoir exécutif. Il est donc au moins probable que la volonté du Roi, contraire à celle du Corps législatif, serait aussi contraire à la volonté générale de la nation. Et vous voulez donner au Roi le droit de veto, contre la volonté générale du Corps législatif choisi par la nation ! XI. Les délibérations de votre Corps législatif peuvent être tumulteuses, précipitées et erronées ! Cela est vrai ; mais que résulte-t-il de tout cela? que vous devez chercher, dans l’organisation de votre Corps législatif, les moyens les plus propres à diminuer ces inconvénients. Ne les cherchez jamais dans la prépondérance que vous donneriez au pouvoir exécutif sur le Corps législatif. Le remède serait pire que le mal. XII Pour multiplier les discussions, pour garantir la maturité et la sagesse des délibérations dë votre Corps législatif, vous le divisez en deux Chambres ! c’est déjà rouvrir la porte au despotisme. Deux Chambres amènent le partage, c’est-à-dire le veto de l’une sur l’autre ; le partage entre les deux Chambres nécessite l’intervention et le veto du pouvoir exécutif. Vous croyez être politiques, et vous n’êtes qu’anglomanes. Vous voulez uri Corps législatif triparti, lorsque la loi n’est que l’expression de la volonté générale, et que la volonté générale est nécessairement une ! Vous faites consister la perfection de la Constitution dans la balance des trois parties du pouvoir législatif! Mais cette balance, qu’est-elle autre chose qu’un combat perpétuel d’un pouvoir législatif avec lui-même ? Est-il donc de l’essence du pouvoir législatif, d’être obligé de combattre perpétuellement avec lui-même, pour assurer la paix publique ? Et cette trinité de pouvoirs pour composer un ]Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] seul pouvoir! cette trinité, dans laquelle un seul individu peut autaot que toute une nation, dans laquelle le non-vouloir d’un seul individu arrête et réduit à l’inaction la volonté de toute une nation; qu’en diriez-vous, si on vous Ja présentait aujourd’hui pour la première fois, si vous n’étiez pas accoutumé à l’admirer sur la foi de Delol-me et de Montesquieu ? XIII. Parlerai-je de ce Sénat législateur et juge, composé de membres inamovibles, choisis par le Roi sur trois sujets que la nation lui présentera ? Quoi, vous voulez abattre l’aristocratie, et vous nous donnez un Sénat inamovible, membre nécessaire du Corps Législatif 1 Quoi, vous convenez que le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire doivent être à jamais séparés, et vous voulez qu’une de vos deux Chambres de législation exerce le pouvoir judiciaire ! Quoi, vous voulez être libres, et vous proposez de donner au Roi, dont vous faites une partie intégrante de la législation, le droit de nommer les membres de votre Sénat, qui sera aussi partie intégrante de votre législation ! XIV. La critique est aisée et l’art est difficile. Je vais peut-être en donner la preuve. Mais la crainte d’un ridicule ne doit pas empêcher un bon citoyen de mettre au jour des idées qu’il croit utiles à la chose publique. XV. Le tumulte et la précipitation sont deux écueils inséparables de toute grande Assemblée. Pour assurer à l’Assemblée nationale des discussions paisibles et de mûres délibérations, je voudrais la diviser, non en deux Chambres, mais en trois. Aucune de ces trois Chambres ne serait composée de membres nommés par le Roi : elles ne seraient pas non plus distinguées par ordre. A chaque session, après la véritication des pouvoirs, on formerait ces trois Chambres d’uû nombre égal de députés, par la voie du sort, et sans distinction d’ordre. Chacune des trois discuterait et délibérerait séparément sur chaque proposition. Le décret ou l’arrêté de l’Assemblée serait formé, non par la pluralité de deux Chambres contre une, mais par la pluralité numérique des suffrages des trois Chambres. Ceux qui ont voulu diviser l’Assemblée en deux Chambres, ont prouvé, avant moi, les avantages qui résulteraient de ces délibérations séparées. Je préfère trois Chambres à deux, pour multiplier les épreuves, et pour éviter les partages. Je préfère la pluralité numérique des suffrages individuels des trois Chambres à la pluralité des deux Chambres contre une, parce que cette dernière méthode pourrait souvent faire prévaloir le vœu de la minorité sur celui de la pluralité. Supposons, par exemple, que, sur trois Chambres composées de cent membres chacune, le oui ait passé dans deux Chambres à la pluralité de 51 voix contre 49, et que le non ait passé dans la troisième Chambre à l’unanimité. Si l’on détermine la pluralité par Chambre, il est évident que 102 voix l’emporteront sur 198. Au lieu que, si l’on compte les suffrages par tête, ce sera la pluralité effective qui l’emportera. Cette manière de recueillir les suffrages, exclue-rait nécessairement la délibération par assis et levé, puisqu’il faudrait que les secrétaires des trois Chambres écrivissent les noms de tous les votants, et que la pluralité ne pourrait être déterminée que par la comparaison des trois plumitifs. XVI. Ges premières précautions pourraient ne pas suffire encore pour garantir la sagesse et l’utilité de tous les actes du pouvoir législatif. J’admettrais donc un veto suspensif ; mais ce serait dans le Corps législatif même que je placerais ce droit de veto. A chaque session, après la vérification des pouvoirs et la distribution des députés en trois Chambres, je formerais par la voie du scrutin, un conseil de révision, composé de quinze membres, ou de tel autre nombre impair qu’on voudrait déterminer ; et j’attribuerais à ce conseil de révision le droit de veto suspensif jusqu’à la prochaine Assemblée. Ce droit de veto produirait tous les avantages que l’on croit trouver dans le veto royal, et n’en aurait pas les inconvénients. XVII. Quand on avoue que le pouvoir législatif doit être à jamais séparé du pouvoir exécutif, et que ces deux pouvoirs ne peuvent jamais se réunir en aucun point, comment peut-on proposer de donner un veto quelconque au pouvoir exécutif ? Ne sent-on pas que, par ce veto même, le pouvoir législatif est l’esclave du pouvoir exécutif ? XVIII. On paraît regarder ce veto comme une barrière nécessaire pour empêcher les usurpations du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. Comment le pouvoir législatif pourrait-il usurper, lorsque la Constitution aura tracé la ligne de démarcation entre ces deux pouvoirs, lorsque le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire auront le droit de veto motivé et suspensif, sur tout ce que le pouvoir législatif pourrait faire contre la Constitution ? Gomment le pouvoir législatif, qui est sans force physique, pourrait-il faire des usurpations sur le pouvoir exécutif qui réunit dans ses mains toute la force publique ? XIX. Si le décret de l’Assemblée nationale est contraire à mon opinion, je me serai certainement trompé ; mais cette erreur est encore à mes yeux une vérité démontrée ; je ne crois pas pouvoir la dissimuler sans crime.