iAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 avrii 1191.1 335 de verser sur vous l'abondance de ses bénédictions, et de couronner, par une félicité à jamais durable, des peines et des soins qui nous préparent les jours heureux que nous allons couler sous le ciel de cet Empire, que nous nous acquitterons envers les auteurs d’une Constitution qui, en assurant le bonheur du peuple français, sera un sujet d’envie pour tous les peuples de l’Europe. « Mes coopérateurs et moi sommes pénétrés de soumission pour vos lois, de respect et d’amour pour les législateurs; et je n’imprimerai jamais d’autres sentiments aux peuples confiés à mes soins; ce sera dans l’exacte exécution des lois qu’ils trouveront cette paix, ce calme si nécessaires à leur tranquillité età leur bonheur. L’obéissance aux lois sera commandée par la charité, et celle-ci sera sans cesse l’objet de mon zèle, et le sujet de mes instructions et de mon exemple. « La satisfaction de voir les membres de mon conseil partager mon zèle et mes principes ; la con-solationque me donnent la confiance et la piété de la portion de mes ouailles, dont jusqu'ici j’ai été environné, et qui composent la paroisse de. l’église métropolitaine; l’attention et le recueillement avec lesquels elles ont assisté en foule à la publication de la lettre pastorale, prémices de mon ministère épiscopal, dont j’ai l’honneur, Messieurs, de vous faire hommage, sont pour moi des présages d’autant plus heureux, que des progrès dansle sentierde la religion sont à la fois des progrès dans celui qui conduit à l’observance de la loi, et à la soumission envers l’autorité temporelle. « Gomme premier pasteur de ce département, j’en dois l’exemple, ainsi que les membres de mon conseil. Recevez donc ici, Messieurs, l’assurance de notre zèle pour le maintien de la fidélité, de l’obéissance et du respect dus aux loR que vous nous donnez. La satisfaction que vous font goûter les nouveaux événements, qui viennent de succéder à quelques moments d’orage, m’assurent de la bonté avec laquelle vous voudrez bien accueillir ce respectueux hommage; et la consolation infiniment douce dont je jouis, dans les premiers moments de mon nouvel épiscopat, vous est garante de la sincérité de mes expressions ». (Vifs applaudissements.) i\l. le Président répond : « Monsieur, Les décrets éternels de la providence, qui a voulu rétablir notre sainte religion dans tout son éclat, vous ont placé sur un des principaux sièges de la chrétienté. Si votre élection nous retrace le premier fige de l’Église, des mœurs saintes et pures, une piété douce et une charité sans bornes, nous rappelant les vertus des premiers pasteurs, désarmeront l’envie, et vous concilieront tous les cœurs; une fermeté noble et soutenue en imposera aux méchants qui voudraient vous traverser dans vos travaux apostoliques. Aidé des secours d’un clergé éclairé et infatigable, vous devez triompher de tous les obstacles; et si, après le sentiment que le roi vient de manifester, il pouvait encore exister des résistances à la loi, insurmontables sans l’intervention de l’Assemblée nationale, j’ose vous promettre son appui, et je m’estime heureux d’être l’organe de ses sentiments pour vous. » ( Applaudissements .) M. de Folleville. Monsieur le Président, j’ai l’honueur de vous demander si vous laisserez au journal logographique l’avantage de nous communiquer seul le discours de M. l’évêque. Je demande l’impression du discours et de la réponse. (L’Assemblée consultée ordonne l’impression du discours de l’évêque de Paris et de la réponse du Président et leur insertion dans le procès-verbal; elle accorde en outre à l’évêque de Paris et à ses vicaires les honpeurs de la séance.) M. le Président annonce l’ordre du jour de la semaine et de la séance de demain. M. le Président. Je viens de recevoir la lettre suivante de M. le ministre de la marine. « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur de vous adresser un paquet de Saint-Domingue, à l’adresse de l’Assemblée nationale, qui m’a été remis par le commandant d’une corvette, que M. de Village, commandant la station des îles sous le Vent, a expédiée pour rendre compte des événements qui ont eu lieu à l’arrivée dans la colonie, des forces de terre et de mer, parties de Lorient le 3 février dernier. J’y joins, Monsieur le Président, la copie des lettres qui m’ont été écrites par ce chef de division, et par M, de Courvoyer, lieutenant-colonel du régiment du Port-au-Prince, dont il a pris le commandement après la mort de M. Mauduit, son colonel. « Je suis avec respect, etc. « Signé : de FLEURIEU. » Plusieurs membres demandent la lecture des lettres jointes à la lettre de M. Fleurieu. (L’Assemblée ordonne la lecture.) Un de MM. le secrétaires donne lecture de ces lettres qui sont ainsi conçues : 1» Lettre de M. de Village. 8 mars 1791. « Monsieur, « J’ai l’honneur de vous rendre compte que je suis arrivé à la vue du cap Français, le 1er de ce mois. J’eus des nouvelles de la ville du Cap, par les pilotes qui vinrent à ma rencontre. J'appris d’eux que M de Blanchelande était au Port-au-Prince. Je fis route sur-le-champ pour m’y rendre, selon la teneur de mes instructions. J’arrivai au Port-au-Prince le 2 mars, à environ 2 heures. Au moment oq j’allais mouiller, le capitaine du port arriva, et me remit une lettre de M. de Blanchelande, qui me priait de débarquer les troupes au môle de Saint-Nicolas. « Dès que mon vaisseau fut amarré, je me rendis auprès de ce gouverneur général, qui me témoigna combien il aurait désiré que les troupes ne fussent pas venues au Port-au-Prince, n’ayant pas où les loger, et craignant que le repos de la colonie ne fût troublé. Il me demanda si je ne pouvais pas appareiller dès le soir. Je ne lui cachai pas que je craignais que mes soldats ne s’y opposassent. J1 me proposa de leur parler. Nous partîmes ensemble. 11 monta à bord du Fougueux, et parla aux soldats de Normandie qui ne lui témoignèrent aucun mécontentement de ce départ précipité. « Il n’en fut pas de même à bord de V Uranie. Les soldats d’Artois refusèrent de mettre sous voiles; il y eut même des motions pour arrêter le général ; ils demandèrent d’envoyer 4 homqies 336 lAssemLlée nationale.] par compagnie en députation à la ville : les mêmes demandes me furent faites sur-le-champ par le régiment de Normandie, les vaisseaux étant assez près pour qu’ils communiquassent à la voix. Cette députation débarqua à onze heures du soir. M. de Gers, capitaine deNorman-die, se mit à la tête pour tâcher de maintenir l’ordre. Pendant ce temps-là, tout mon monde élu it dans la plus grande fermentation. Je ne pus jamais l’arrêter, ma voix étant étouffée par celle de 500 à 600 hommes. La députation revint à deux heures après minuit; et M. de Gers me dit tout ce qui s’était passé. « Le 3, mon équipage entra en insurrection : les matelots voulurent qu’on leur livrât les clefs de la soute aux poudres, ce qu’ils ne purent obtenir. Ils me demandèrent de faire passer des coffres d’armes sur le gaillard d’avant : je m’y opposai, parce que je sentis que les demandes se succéderaient les unes aux autres. Ils ne tinrent aucun compte de mes défenses, et s’emparèrent des coffres d’armes. « Dans ce moment* une députation de la compagnie des volontaires de Port-au-Prince arriva à mon bord. Ces messieurs me demandèrent la permission de communiquer avec mon cquipage : ils exhortèrent mes gens à la tranquillité, leur lurent le décret de l’Assemblée nationale du 12 octobre, les engagèrent par toutes sortes de raisons à le prendre pour guide; et ils proposèrent aux soldats de Normandie d’en prendre chacun un nombre considérable dans leurs maisons, leur promettant de les traiter en frères. « Je pris le moment où ils cessèrent de parler pour dire à mon équipage que, puisqu’il m’avait formellement désobéi, je ne pouvais plus me flatter de faire exécuter les ordres du roi à burd du Fougueux , et qu’en conséquence, je me démettais du commandement du vaisseau. Tout le monde cria que, si je m’en allais, ils s’en iraient aussi, qu'ils ne souffriraient jamais que je les abandonnasse; et qu’ils me promettaient de m’obéir jusqu’à la mort. Quel fonds puis-je faire sur votre promesse, leur répondis-je, tant que je verrai les coffres d’armes sur le gaillard d’avant. Dans l’instant, ils furent replacés dans la dunette. Alors je leur promis de ne pas les quitter. « Je reçus dans la journée l’ordre de M. de Blanchelande pour débarquer le régiment de Normandie et celui d’Artois. Le lendemain, entre 8 et 9 heures du matin, un capitaine d’Artois vint me dire, de la part du général, que je pouvais leur donner des cartouches. A 9 heures après midi, une députation du district de Port-au-Prince arriva. Un de ces messieurs me harangua et me montra des craintes sur le péril imminent où ils allaient se trouver pendant la nuit qui s’approchait. Je leur répondis par la lecture que je leur fis du décret du 12 octobre, en leur disant qu’il devait être notre point de ralliement et notre seule règle ; que toutes les fois quenous nous en écarterious, nous tomberions dans des inconvénients incalculables; que, quant au danger qu’ils craignaient, il me semblait que rien ne pourrait y donner lieu. « Dans ce moment, tous les soldats crièrent qu’ils voulaient descendre à terre, et défendre ces braves citoyens s’ils étaient attaqués. Il me fut impossible de les ramener à l’ordre; enfin j’obtins qu’ils m’écoutassent : Je dis, au nom de la députation, que je ne voulais pas m’opposer plus longtemps au vœu de ces braves gens, et qu’ils pouvaient de scendre en tel nombre qu’ils voudraient. Je priai MM. les députés du dis-|25 avril 1191.] trict de veiller à ce que leur zèle malentendu ne les entraînât pas; ils me jurèrent qu’ils en répondaient. Il fut à terre environ 300 hommes de démon bord avec leurs armes et 12 cartouches; ils avaient avec eux 9 officiers. Je me rendis sur-le-champ chez le gouverneur général, et je lui rendis compte de ce qui venait de se passer. La nuit fut fort tranquille. Le 4, entre 8 et 9 heures du matin, je débarquai ce qui me restait du régiment et le drapeau du bataillon. v Les équipages se ressentaient de ce qui se passait : nous ne pouvions pas les empêcher d’aller à terre; enfin tout était dans la plus grande confusion. A quatre heures et demie du soir, j’appris que M. Mauduit, colonel du régiment de Port-au-Prince, avait été massacré et sa tête mise au bout d’un fusil; sa maison avait été mise au pillage. M. de Blanchelande avait quitté la ville de Port-au-Prince dès le matin; et plusieurs autres officiers avaient suivi son exemple: tout était dans le plus grand désordre. J’écrivis aux commandants des bâtiments du commerce que je leur offrais tout ce qui dépendait des vaisseaux du roi dans les circonstances présentes : La nuit se passa sans tumulte, tant à terre que sur les vaisseaux. « Le 5, j’écrivis au chef du pouvoir exécutif, pour le prier de prendre les moyens convenables pour arrêter et réprimer les désordres que les matelots commettaient à terre, étant essentiel pour le salut public d’y apporter un prompt remède. M. de Villeneuve, lieutenant-colonel d’Artois, me répondit qu’il allait se rendre à une assemblée générale de citoyens à laquelle il ferait part de ma demande. Je lui écrivis de nouveau à midi que je le priais d’arrêter et de faire conduire au corps de garde tout marin qui n’aurait pas une permission par écrit, signée du lieutenant en pied, pour aller à terre. « Je ne sais ce qu’est devenu M. de Blanchelande; je n’ai reçu ni ordres ni nouvelles de lui. Si je n’en reçois pas, je ferai partir ce soir la corvette la Favorite , pour porter mes paquets. « Du 5 mars, à une heure après midi. « Le feu a pris à bord d’un navire de Marseille. Malgré tous les soins et les secours possibles, on n’a pu sauver ce navire; mais on a empêché que le feu se communiquât à ceux dont il était entouré. J’espère que sous peu je rétablirai une espèce d’ordre. « L’autorité n’est plus en ce moment dans les mains de la municipalité ; elle a passé entre celles du district : le général vous rendra des comptes plus certains de ce qui concerne l’intérieur de la colonie. « Dans l’état actuel des choses, il semble que les vaisseaux que je commande sont inutiles à Saint-Domingue : je vous demande sur cela les ordres du roi. Quant à ce qui m’est particulier, je vous supplie d’engager Sa Majesté à permettre que je retourne en Europe, ma santé ne me permettant pas de rester ici, et la besogne éiant au-dessus de mes forces. « Du 6 mars. « Je reçois dans ce moment une lettre de M. de Paroy, commandant YAglaé, et une lettre de M. de Montmr, commandant ie Serin, au Gap. Ils demandent tous les deux leur retour en France, vu le peu de subordination de leurs équipages. J’attendrai ce que vous m’ordonnerez à cet égard. « La municipalité m’a prié de retarder l’envoi de la corvette en France pour qu'elle pùt rendre AKClilVES PARLEMENTAIRES. [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l2'3 avril 1791.] 337 compte elle-même de ce qui s’est passé : Je lui ai accordé jusqu’au 8 au soir. « J’ai reçu dans la journée une députation pour me remercier des s* cours que les vaisseaux de guerre avaient envoyés pour arrêter l’incendie. « La conduite de M. de La Salle, lieutenant de vaisseau sur YUrnnie, dans ces événements malheureux, mérite les plus grands éloges. Je ne lui ai pas laissé ignorer les témoignages llatieurs que je vous transmets, en vous priant de les faire parvenir au roi. Du 7 mars. « J’ai appris que les différents corps avabnt fait des visites au maire et aux ofticiers municipaux. Je leur ai écrit pour savoir à quelle heure on pourrait nous recevoir. On m’a répondu que ce serait à cinq heures du soir : nous nous y sommes rendus; une garde d’honneur dous a accompagnés depuis la mer jusqu’à la maison commune où nous avons trouvé la municipalité rassemblée. Quand nous sommes sortis, la même garde, M. le maire et la municipalité nous ont accompagnés jusqu'à la mer. J’entre dans tous ces détails, monsieur, pour vous prouver que je n’ai rien pégligé de ce qui pouvait faire naître la confiance et procurer la tranquillité, dans ces moments de troubles. On a appris ce matin que M. de Blanchelande était au Gap. On lui a envoyé des officiers municipaux pour l’engager à revenir ici. Du 8 mars. « Des recrues du régiment du Port-au-Prince sont débarquées hier. J’ai fait passer celles du régiment du Gap sur l’aviso qui partira ce soir pour les y porter. Voilà, monsieur, où en sont les choses aujourd’hui à midi : la municipalité sort de son côté pour venir nous rendre visite. « Tout paraît plus tranquille. Je tâche de ramener l’ordre; j’espère y réussir. Soyez certain que je ne négligerai rien; mais soyez-le aussi que nous sommes de toute inutilité ici. M. de Rivière que je charge des paquets aura l’honneur de vous rendre un compte verbal de beaucoup de choses dont il a été témoin. Vous pouvez lui accorder toute confiance. « Je suis avec respect, etc. « Signé : DE VILLAGE. » 2° Lettre de M. de Courvoyer. « Monsieur. « J’ai l’honneur de vous informer des événements arrivés dans le régiment du Port-au-Prince, dont M. Mauduit a été la victime. << Jusqu’alors, l’ordre et la discipline y avaient été maintenus dans toute leur rigueur; mais la station, arrivée le 2 mars, a tout détruit, et cela en persuadant aux sous-officiers et soldats du régiment, et principalement à la compagnie des grenadiers, que le décret du 12 octobre avait été annulé par un autre en date du 17 décembre, par lequel le régime nt, et surtout son chef, sont blâmés d’avoir opéré la dissolution de la ci-devant assemblée coloniale; qu’en conséquence la station a été envoyée à Saint-Domingue à l’effet de punir les coupables; que M. Mauduit, étant reconnu pour avoir seul induit en erreur son régiment, la station ne fraterniserait avec ledit régiment, qu’après qu’il se serait lavé par une punition exemplaire des torts de ce colonel. « Les grenadiers prirent la résolution de s’as-lre Série. T. XXV. surer de la personne du sieur Mauduit; et, sous le prétexte honorable de veiller à ce que personne n’attentât à ses jours, ils le gardèrent dans les pavillons jusqu’au moment où il fut question de reporter au comité le drapeau du district, enlevé audit comité dans lanuit du 29 au 30 juillet 1790. Arrivés en face de cette maison, M. Mauduit fut assassiné à coups de sabre. « G’est ainsi que nous avons perdu ce brave chef. Ce funeste événement fut précédé et s ivi d’orgies continuelles, et cela par le moyen d’un grand nombre de barriques de vin que les bourgeois lirent conduire à la caserne ; les soins que j’ai apportés, ainsique ceux des ofticiers qui m’ont secondé autant qu’il est en eux, ont fait que l’ordre commence un peu à se rétablir. « J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’arrivée de 250 recrues qui sont en bon état. L’officier commandant m’en a dit beaucoup de bien ce matin. « Je suis avec respect, etc... « Signé : de Courvoyer. » 3* Première lettre de la municipalité de Port-au-Prince. « Monsieur, « Le premier devoir des représentants du peuple est sans doute de vous instruire des événements dont le Port-au-Prince vient d’être le théâtre, et qui ont été occasionnés par l’arrivée de la station envoyée à Saint-Domingue, en exécution de votre décret du 12 octobre; mais, avant d’entreprendre ce récit, il est indispensable de vous apprendre quelle était avant ce moment la situation de la partie de l’ouest et du sud de la colonie. « Depuis l’instant que l’assemblée coloniale s’était embarquée pour vous soumettre ses travaux, et surtout depuis que l’on a eu connaissance de votre décret du 12 octobre qui casse toutes ses opérations, les colons de Saint-Domingue vivaient sous un empire plus despotique que celui dont nous venions de sortir. La Révolution, qui assure à la France tant d’avantages et de bonheur, n’avait fait encore parmi eux que des sujets de deuil et de tristesse. « Deux partis qui s’étaient voués une haine irréconciliable divisaient tous les esprits, l’un tenant à l’ancien régime et voulant le maintenir, l’autre accusé faussement de viser à une indépendance aussi coupable qu’impossible, et qui n’a jamais désiré autre chose quede voir la Révolution s’opérer à Saint-Domingue; l’un triomphant, quoiqu’on petit nombre, parce qu’il était appuyé par les forces militaires; l’autre écrasé, quoique nombreux, parce que l’on interprétait contre lui les dispositions de votre décret; l’un s’assemblant librement pour délibérer et concerter avec le pouvoir exécutif les moyens de réaliser ses projets; l’autre n’ayaut pas même la liberté d'épancher ses désirs dans le sein de l’amitié, espionné à chaque pas, emprisonné, décrété, condamné, flétri pour le moindre propos qu’on taxait d’incendiaire, de révolte et d’insurrection. * Quel était le but de cette persécution pros-erite partout, hors en ces lieux où régnait encore la tyrannie? C’était d’éloigner par la terreur la majorité des colons de former l’assemblée coloniale que vous avez ordonnée, et de les dépouiller ainsi du plus beau de leurs droits, de celui qui leur assure à jamais que les lois qui les régiront seront conformes à 1 urs convenances locales, 22 338 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 125 avril 1791.] appropriées au genre de leur culture et de leurs habitudes; de celui enfin qui les garantit des entreprises du pouvoir exécutif, en leur accordant une autorité surveillante qui pourra toujours en arrêter les progrès : ou bien c’était d’écarter de cette assemblée coloniale tous ceux à qui l’on connaît de l’énergie et du patriotisme, tous ceux qui, sentant le prix de la Révolution, désiraient que Saint-Domingue jouît de ces avantages, afin ne faire tomber le choix des députés, dans presque toutes les paroisses, sur des personnes vouées au gouvernement, sur des personnes qui, par état, désirent la continuation de l’ancien régime oppressif, sur des personnes chez qui un intérêt puissant étouffe la voix de la vérité, et qui n’eussent pas craint de vous assurer que ce régime était le seul qui convenait aux colonies, que tout changement en bien était impolitique et dangereux, et que la meilleure de toutes les lois était de maintenir l’exécution de celles qui ont régi jusqu’à présent Saint-Domingue. « Geplan eùtincontestablement réussi, du moins quant au projet d’écarter de l’assemblée coloniale tous les amis des réformes. Quel citoyen bien intentionné eût osé en effet accepter une pareille mission, dans un temps où il eut couru risque de perdre sa liberté personnelle en usant de la liberté de son opinion; dans un temps où les dépositaires de l’autorité venaient, à l’abri de la force militaire dont ils disposaient arbitrairement, faire en quelque sorte, des abus dont ils profitaient, une arche sacrée à laquelle on ne pouvait toucher sans être puni de mort? Ainsi l’assemblée coloniale se fût trouvée par là soumise aux partisans de l’ancien régime, qui n’eussent rien négligé pour le maintenir. « Grâce aux sages précautions prescrites par votre décret du 12 octobre, les colons sont délivrés de toute inquiétude à cet égard. Ils commencent à voir briller l’aurore du beau jour que l’exécution de ce décret leur fait espérer. « Mercredi dernier, 5 de ce mois, la station, depuis longtemps annoncée, est arrivée portant un bataillon du régiment de Normandie, un bataillon du régiment d’Artois, un détachement du corps royal d’artillerie. M. de Blanchelande, lieutenant général au gouvernement, et remplissant les fonctions de gouverneur, depuis le départ de M. de Peynier, s’est aussitôt rendu à bord pour s’opposer au débarquement des troupes, en assurant que la ville était parfaitement tranquille, et n’avait pas besoin de secours, et que d’ailleurs il n’existait aucun logement pour eux en cemoment. Il lesinvitait à se rendre au môle Saint-Nicolas; mais une illumination générale les avait avertis et de l’empressement avec lequel iis étaient attendus, et de la joie avec laquelle ils seraient reçus. « Eu conséquence, des députes des compagnies se sont rendus à terre pour connaître la situation de la ville et le vœu des citoyens sur leur débarquement. Us n’ont pas tardé longtemps à s’apercevoir de l’état de contrainte, ou plutôt d’esclavage, dans lequel la majorité des citoyens était plongée. Ils n’ont pas tardé à s’apercevoir de la coalition que les partisans de l’ancien régime avaient faite entre eux. pour le maintenir; et vous jugez quelle impression cette vue a produite sur des hommes vraiment libres, sur des soldats citoyens qui ont combattu pour la liberté, et qui ont remporté la victoire. Ils ont senti que la tentative faite pour les éloigner n’avait eu d’autre but que de perpétuer nos fers; et ils ont juré de les briser. « Leurs dispositions ont été aussitôt connues; et dès cet instant la coalition des soutiens du despotisme s’est elle-même dissoute et anéantie. La conduite de ces braves guerriers a fait sortir le régiment du Port-au-Prmce de l’erreur et de l’aveuglement où il avait été plongé. Combien n’était-il pas à désirer que ce retour au patriotisme n’eût coûté ni sang ni regrets ! « Vendredi matin, 4 du mois de mars, ils se sont emparés de M. Mauduit, leur colonel, sur lequel ils rejettent tout le blâme de leur conduite, et l’ont gardé à vue devant, leur caserne. Le même jour, à 4 heures du soir, ils l’ont conduit devant le corps de garde patriotique, ayant à leur tête les drapeaux des citoyens, enlevés dans la nuit du 29 au 30 juillet. Arrivés dans ce lieu, où ils se sont rappelés sans douie d’avoir surpris des citoyens paisibles, au milieu de cette nuit fatale, de lès avoir attaqués, d’avoir versé leur sang, ils ont cru ne pouvoir mieux expier leur faute qu'en sacrifiant celui qui les avait excités à la commettre. ( Mouvement d'horreur.) « Ils se sont jetés sur leur chef. Au même instant les citoyens, accourus pour assister à la cérémonie de la remise des drapeaux, oubliant tous les torts de M. Mauduit, ont crié unanimement : Grâce! Grâce ! et se sont précipités au milieu des soldats pour l’arracher de, leurs mains. Inutiles efforts : il est tombé percé des coups de ses soldats. M. le gouverneur, le commandant de l’Ouest, plusieurs officiers du régiment et quelques citoyens se sont éloignés. « A cette nouvelle la paroisse s’est assemblée ; et attendu l’abandou de la chose publique parles officiers préposés pour commander, elle a décidé de procéder sur-le-champ à la nomination d’une municipalité, mais provisoirement seulement. Elle a pensé qu’en se renfermant dans les fonctions décrétées par l’Assemblée nationale, cette municipalité pouvait d’abord être mise en activité ; et que dans un temps où il n’existaitaucune autorité, il était pressant de créer un corps capable de rétablir l’ordre et la paix dans la ville. « Dans la même séance, la paroisse a arrêté une proclamation qui a été imprimée, publiée et affichée sur-le-champ, pour inviter les citoyens qui avaient été, quelques instants, divisés d'opinion avec la majorité, et que la crainte pouvait, avec raison, avoir éloignés, à se reunir de bonne foi à leurs frères, promettant, sous le sceau du patriotisme et de l’uouneur, de les recevoir avec cordialité, et de leur donner la sûreté, l’appui et la protection qui est due à tous les citoyens par la loi. « Plusieurs personnes se sont détachées à l’instant de l’assemblée pour aller chercher ceux qui pouvaient être restés, et les ont conduits à la paroisse oùils ont été reçus avec applaudissements et embrassés par tout* le monde. Ceux qui se sont présentés depuis ont reçu un semblable accueil ; et successivement jusqu’aux derniers, ceux qui se présenteront seront traités de même. fies fêtes se sont succédé : des illuminations ont eu lieu pendant 7 jours de suite. On a chanté un Te Deum solennel (Murmures), en réjouissance de l’heureuse réunion. « Signé : Les membres de la municipalité du Port-au-Prince, « Ile de Saint-Domingue. « Signé : Lerembourg, maire. » (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (25 avril 1791. | 339 4° Deuxième lettre de la municipalité de Port-au-Erince. « A Messieurs les membres de l’Assemblée nationale. « Port-au-Prince, île de Saint-Domingue, le 8 mars 1791. « Messieurs, « Il y a trois jours qu’il existe une municipalité au Port-au-Prince, et depuis trois jours seulement, nous sommes libres, tranquilles et heureux. A l’arrivée de la station envoyée de France, pour faire exécuter le décret du 12 octobre, de grands mouvements ont eu lieu; la lettre que nous adressons à M. le ministre de la marine, et dont nous nous empressons de vous envoyer un exemplaire, en contient les détails; nous ne vous les répéterons pas. >< La chose publique délaissée par le représentant du roi, la confusion pouvait s’établir; dans ces moments critiques les citoyens se sont assemblés, et ils ont cru ne pouvoir ramener l’ordre et la paix, qu’en établissant un corps représentatif à l’mstant même, et le 5 de ce mois, une municipalité a été établie : elle est provisoire seulement et conforme en tous points aux décrets nationaux, jusqu’à ce que la nouvelle assemblée coloniale, qui doit être formée d’après le décret du 12 octoDre, ait décidé les modifications dont cet établissement est susceptible. » Nous touchons maintenant au moment où les députés vont être nommés, quelque rapproché qu’il soit, nous nous empresserons toujours, Messieurs, de vous faire connaître notre situation et notre existence politique. « L’ordre règne ici et nous désirons le voir affermir, tout y concourt, tout s’y porte avec joie. MM. les officiers de la station, ceux des bataillons de Normandie, ceux du bataillon d’Artois, ceux du corps royal d’artillerie, ceux du régiment du Port-au-Prince, ceux des troupes nationales, ceux de l’administration, MM. les capitaines marchands et autres corps, tous se sont réunis à la municipalité, lui ont fait des adresses et des félicitations, tous ont promis de concourir à maintenir l’ordre, et nous n’avons d’autres désirs que de le voir durer toujours. « Les intérêts de la colonie vont être pesés et discutés par la nouvelle assemblée coloniale qui doit ouvrir sa première séance le 20 de ce mois à Léogane, comme le prescrit le décret de la nation. La colonie, n’en doutez pas, va remplir vos espérances; elle connaît les liens, les rapports politiques et dé commerce qui l’unissent à la France et ces liens seront raffermis pour toujours. Des plans seront faits par l’assemblée coloniale, ils seront soumis au Sénat de la France et décrétés par lui ; nous ne reconnaîtrons jamais d'autres lois. « Loin de vous, Messieurs, l’idée que la colonie ait jamais visé à l’indépendance et à rompre avec ses amis, vos parents, vos frères; nos cœurs désavouent ce sentiment et s’en offensent ; nous connaissons toute l’importance des colonies, nous connaissons aussi tous les droits du commerce de France; ils seront sacrés pour nous; vos intérêts, vos propriétés, tout sera ménagé par des lois sages et mesurées, décrétées par l’Assemblée nationale, et qui régleront l’équilibre de vos intérêts et des nôtres. Voilà quels sont nos sentiments et nous n’en changerons jamais. C’est pour vous donner une assurance qui doit vous flatter autant pour vous-mêmes que pour nous, que nous nous empressons d’envoyer à toutes les chambres de commerce un exemplaire de cette lettre. x Signé : Pour les membres du conseil général de la municipalité, « LEREMBOURG, maire. » 5° Adresse de la municipalité de Saint-Domingue au roi. « Sire. ». De tous les Français qui avaient des droits à la régénération, nous étions les seuls que des événements trop malheureux en avaient privés jusqu’à ce jour. Les premiers élans de notre patriotisme avaient été calomniés auprès de vous ; on avait voulu vous persuader qu’au delà des mers, des Français voulaient faire scission avec leur mère patrie, et se séparer à jamais de leurs amis, de leurs parents, de leurs frères, pour vivre isolés et coupables d’ingratitude envers leurs auteurs. Une aussi noire calomnie a été trop longtemps accréditée, et les suggestions denos ennemis