612 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 août 1791.] çaise qu’il n’y a plus, « pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège, ni exception aux droits communs des Français, qu’il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de profession, arts et métiers. » Ils ont lu votre décret du 26 mai, qui consacre une partie du Louvre aux établissements de l’instruction publique et aux monuments des arts; et ils ont espéré des succès auprès de l’Assemblée nationale. Aussitôt trois pétitions vous ont été adressées; l’une par des artistes non titrés, non privilégiés, qui sollicitent de vous la confirmation de vos principes, l’admission égale de tous les artistes au concours pour l’exposition des tableaux, et autres ouvrages d’art dans les salons du Louvre. La seconde pétition est celle de plusieurs artistes, membres de l’Académie de peinture, qui, indignés de ce que les prétentions des privilégiés cherchent encore à survivre à vos décrets constitutionnels, demandent que l’arène soit ouverte à tous les artistes indistinctement. La troisième pétition fait honneur à un autre membre de l’Académie, à ce peintre célèbre qui s’occupe dans le moment de transmettre à la cstérité l’immortelle séance du Jeu de paume. e vrai talent ne craint pas la concurrence. M. David vous dénonce lui-même l’abus dont ce qu’on appelle orgueilleusement le peuple des artistes se plaint. « Les artistes non privilégiés réclament, vous dit-il, la conséquence et l’application des principes constitutionnels, conséquences qui doit les faire jouir des avantages résultant d’une exposition commune. Cependant l’Académie de peinture s’occupe encore des moyens d’éluder les conséquences de vos lois. Et malgré la pénurie des ouvrages faits par ses membres dans le cours de ces deux dernières années, malgré le vide inévitable qui en résulterait dans ce salon, elle a résolu d’accaparer toutes les places eu reproduisant de nouveau des ouvrages déjà vus dans les précédentes expositions, pour se ménager une espèce d’impossibilité de partager l’emplacement avec les artistes non privilégiés. J’ai déjà annoncé publiquement la répugnance que j’avais à m’associer à ces vues particulières, et je forme des vœux pour que tous les artistes soient également admis dans l’exposition qui doit avoir lieu cette année. » Tout réclame donc l'association des artistes aux bienfaits de la liberté et de l’égalité des droits. Les trois pétitions ont été renvoyées à vos comités de Constitution et des domaines. Leur opinion est facile à pressentir ; ils ont pensé que, là où il n’y a plus de privilège, comment pourrait-on en invoquer ; et que, quand même votre Constitution en laisserait exister quelques-uns, les arts ne doivent connaître que les privilèges décrétés par la nature. Le procédé exclusif de l'Académie pour l’exposition des tableaux est, aux artistes, ce que la censure était aux gens de lettres, une entrave odieuse. L’égalité des droits qui fait la base de la Constitution a permis à tout citoyen d’exposer sa pensée ; cette égalité légale doit permettre à tout artiste d’exposer son ouvrage; son tableau, c’est sa pensée; son exposition publique, c’est la permission d’imprimer. Le salon du Louvre est la presse pour les tableaux, pourvu qu’ou respecte les mœurs et l’ordre public. L’Angleterre, plus sage, admet aux expositions publiques, même dans le salon royal de Londres, les ouvrages indistinctement de tous les artistes, anglais ou étrangers. La patrie des arts est partout où il y a des hommes et des assemblées dignes de les apprécier. Ne craignez pas, en admettant tous les artistes à cette exposition publique, de préjuger la destruction de l’Académie. Le comité de Constitution va vous présenter incessamment un plan d’organisation pour toutes les Académies des sciences et des arts, et les comités ne veulent aujourd’hui vous rien faire préjuger sur cette organisation. Observez d’ailleurs que les fonctions de l’Académie sont l’enseignement de la peinture et de la sculpture, et le jugement pour décerner les prix. Or, vous nelenr ôtez pas ces fonctions; la faculté de l’exposition n’est pas une partie de l’institution académique ; c’est un simple usage abusif que vous pouvez, que vous devez rendre inutile, en ouvrant la lice à tous les artifices. Par ce moyen, vous allez voir sortir des réduits les plus obscurs une foule d’hommes à talents, et des ouvrages précieux que les privilèges éloignaient des regards publics. L’époque de l’exposition est prochaine, vous n’ignorez pas combien les orages de la liberté naissante sont peu favorables aux paisibles travaux des arts. Vous vous flatteriez peut-être en en vain de devoir, aux seuls efforts des artistes privilégiés, une collection, une exposition aussi complète que celle des années précédentes. Déjà, pour dissimuler la pénurie des ouvrages et remplir les places vides du salon, ils ont résolu de reproduire des tableaux déjà connus, plutôt que de céder une partie du terrain à des peintres qui ne sont pas même académiciens. Non, Messieurs, vous ne souffrirez pas cette double injure, faite à l’égalité des droits des citoyens et à la liberté, mère des arts. En détruisant toutes les futiles distinctions qui isolaient et classaient les hommes par la vanité plus que par le talent, vous rendez un service signalé aux arts et à un/grand nombre de citoyens trop longtemps éloignés d’une arène qu’ils peuvent rendre célèbre. Une jurande royale faisait seule les honneurs du salon quand le roi seul en disposait : mais aujourd’hui que le Louvre est à la disposition de la nation et du roi, c’est à la liberté à ouvrir ce temple des arts à tous les citoyens qui les cultivent. . Combien d’avantages vont résulter de votre décision, quoique simplement provisoire. En ouvrant à tous les talents cette carrière immense, qui n’a été jusqu’à présent qu’un champ clos exclusivement réservé aux combats singuliers de la vanité et des titres, vous fondez une institution dont les effets seront inappréciables pour l’émulation et pour le progrès de la peinture et de la sculpture ; vous préparez les moyens si naturels des encouragements publics, trop bornés jusqu’à présent par les formes exclusives qui les dispensaient. Ils deviendront le prix du plu3 • beau concours que la liberté ait jamais ouvert aux talents et au génie. N’oubliez pas surtout que Paris doit être la patrie des arts, et que les arts ne prospèrent que par la liberté. Voici le projet de décret gue vos comités vous proposent : « L’Assemblee nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Constitution et des domaines ; « Considérant que, par la Constitution décrétée, il n’y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privi- 613 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 121 août 179I.J lège ni exception aux droits communs de tous les Français; qu’il n’y a plus ni jurandes ni corporations de profession, arts et métiers; « Et se conformant aux dispositions du décret du 26 mai dernier, qui consacre le Louvre à la réunion des monuments des sciences et des arts; « Décrète provisoirement, et en attendant qu’il soit statué sur les divers établissements de l’instruction et de l’éducation nationale, ce qui suit : « Art. lor. Tous les artistes français ou étrangers, membres ou non de l’Académie de peinture et de sculpture, seront également admis à exposer leurs ouvrages dans la partie du Louvre destinée à cet objet. « Art. 2. L’exposition ne commencera cette année que le 8 septembre. « Art. 3. Le directoire du département de Paris fera diriger et surveiller, de concert avec le ministre de l’intérieur, ladite exposition, quant à l’ordre, au respect dû aux lois et aux mœurs, et quant à l’emplacement qui pourra être nécessaire. » (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. De Croix. Je pense que, le salon employé jusqu’ici à l’exposition, des tableaux de l’Académie de peinture étant un établissement national, on est maître de n’en accorder la jouissance qu’aux artistes qui ont donné des preuves de talent; il est donc nécessaire de prendre des précautions pour que les murs de ce salon ne soient pas salis par toutes les croûtes, tous les barbouillages des peintres des rues. Un membre : L’opinion publique parera beaucoup mieux à ces inconvénients que toute espèce de précaution censoriale. M. Belzais-CourinéiiII. Je sens que la liberté est un besoin pour les arts, mais je vous prie de considérer que, dans ce moment-ci, il s’instruit devant vous un très grand procès entre l’Académie de peinture et les autres artistes, qui sont dans un véritable état d’insurrection les uns contre les autres. Plusieurs mémoires vous ont été présentés sur l’importante question de savoir si vous devez ou non conserver les académies. Puisque vous n’avez pas en le temps de vous occuper de cet objet, il ne peut être question dans ce moment, où on ne traite pas le fond, que d’un provisoire, parce que vous ne prendrez pas sur vous de juger définitivement une très grande question sans l’avoir mise au moins à l’ordre du jour. Il ne faut pas que le provisoire puisse anticiper sur le fond du jugement définitif que vous aurez à prononcer; et je soutiens que le seul provisoire que vous puissiez ordonner, c’est qu’il en sera usé cette année, comme par le passé, pour l’exposition des tableaux. M. Alexandre «le Beauliarnais. J’ai demandé la parole pour appuyer le projet de décret qui vous est présenté, et qui ne me paraissait pas devoir souffrir de difficultés. Il me semble qu’il renferme des dispositions conformes à vos vues, et des principes semblables à ceux qui ont servi de base à vos travaux. En effet, Messieurs, l’Assemblée nationale a, dans toutes les circonstances, senti la nécessité d’abolir tout ce qui pouvait metire une sorte de gêne ou à l’activité du commerce, ou à l’industrie, ou au libre exercice de toutes les facultés individuelles; elle a en tout temps détruit tous ces obstacles, comment se refuserait-elle à accorder aux arts cette môme liberté protectrice? Les entraves qu’ils éprouvent nuisent évidemment aux développements des talents, et portent une atteinte manifeste à la prospérité nalioftale, sur laquelle les arts ont une influence si puissante. A l’appui du projet de décret et de mon opinion particulière, j'appelle surtout un témoignage qui vous a été cité, et qui mérite d’être pris en considération, c’est celui de cet homme célèbre qui a obtenu l’avantage d’être dans la classe des artistes privilégiés, et qui n’en sont pas moins, le prix de l’égalité des droits; de cet artiste académicien, qui met en ce moment le eomble à sa gloire, en consacrant son pinceau à tout ce qui a servi au succès de la Révolution, à tout ce qui a contribué à la liberté de son pays; j’appelle le témoignage de M. David, qui dit, et avec tous ceux qui aiment les arts et recherchent ceux qui les cultivent, qu’il existe des talents hors des académies; qu’il existe un grand nombre d’artistes auxquels il n’a manqué que cette émulation qui s’acquiert par la censure ou les éloges du public, pour devenir des hommes très distingués. Il me paraît donc convenable et juste de stimuler les hommes modestes, d’encourager les hommes timides, en leur facilitant les moyens de recevoir les suffrages du public, qui sont la récompense la plus flatteuse aux artistes français. {Vifs applaudissements .) Le préopinant vous a parlé de la question des académies, je sens comme lui toute l’importance de cette partie de l’instruction publique; je sens qu’elle exigera dans l’Assemblée une discussion approfondie; aussi, quoique je présume n’êtrepas absolument de son avis sur cette question, ce n’est que parce que la proposition qui vous est faite ne la préjuge point, que j’appuie le projet de décret, et que je prie M. le président de le mettre aux voix. Un membre demande que, dans le dernier article du projet, les mots « de concert avec le ministre de l’intérieur » soient remplacés par ceux-ci : « sous les ordres du ministre de l’intérieur. » (Cet amendement est adopté.) Le projet de décret modifié est mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Constitution et des domaines, considérant que, par la Constitution décrétée, « il n’y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception aux droits communs de tous les Français » ; qu’il n’y a plus ni jurande, ni corporation de professions, arts et métiers ; « Et se conformant aux dispositions du décret du 26 mai dernier, qui consacre le Louvre à la réunion des monuments des sciences et des arts; « Décrète provisoirement, en attendant qu’il soit statué sur les divers établissements de l’instruction et de l’éducation publique, ce qui suit : Art. 1er. « Tous les artistes français ou étrangers, membres ou non de l’Académie de peintureetde sculpture seront également admis à exposer leurs ouvraaes dans la partie du Louvre destinée à cet objet. » Art. 2. « L’exposition ne commencera, cette année, que le 8 septembre. «