(9 mars 1791. J 743 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Les adjudications d’immeubles et de baux judiciaires, soit en exécution des arrêls, jugements et sentences des ci-devant cours, tribunaux et juridictions de Paris, même des commissions établies en ladite ville; soit en vertu des jugements qui ont été ou seront rendus par la suite dans les 6 tribunaux d’arrondissement, ne seront faites en justice, dans tout le département de Paris, qu’à la seule audience des criées, établie par la loi du 9 février dernier : cette audience sera tenue, aux jours et heures accoutumés, par un des juges de chacun des 6 tribunaux, alternativement de mois en mois, et ledit juge scellera provisoirement les lettres de ratification ; les enchères continueront en conséquence d’être déposées entre les mains des greffiers nommés par ladite loi du 9 février dernier, et publiées par les huissiers de ladite audience des criées, qui sont dépositaires des doubles des enchères ; dans laquelle audience sera aussi exposé le tableau des contrats et autres titres d’acquisition des immeubles situés dans le département de Paris. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur V ornants ati on du Trésor public (1). M. Lebrun, rapporteur . Messieurs, je crois qu’il faut circonscrire la discussion que nous allons continuer. Ce n’est pas la constitution générale du ministère des finances qui a été renvoyée à votre comité des finances; c’est l’organisation pure et simple du Trésor public. Or, le Trésor public est une caisse qui reçoit les contributions publiques, où elles restent déposées, d’où elles se distribuent dans les différents départements; ensuite il faut en rendre compte. C’est donc ce dépôt dans le Trésor public, la distribution dans le département, et enfin la comptabilité, qui constituent l’organisation duTré-sor public dans tous ces objets. Je ne vois ici qu’ùne seule question constitutionnelle, la voici : La gestion du Trésor de la -nation se fera-t-elle sous la direction immédiate du pouvoir exécutif, ou se fera-t-elle sous la direction du pouvoir national? C’est à cette question qu’il faut rappeler toutes les autres. J’indique ici les principales dispositions du décret, afin que l’Assemblée connaisse ce sur quoi porte la discu-sion ; « Il continuera d’y avoir un ordonnateur général du Trésor public, nommé par le roi. « Ses fonctions seront, sous les ordres du roi, de diriger le versement dans le Trésor public des contributions directes on indirectes, et des revenus qui lui seront assignés; de diriger l’administration u u Trésor public, de régler la distribution des fonds et les divers départements et les diverses parties des dépenses, suivant les mesures déterminées par le pouvoir législatif, et en proportion des besoins de faire terminer tes comptes arriérés et de faire mettre en règle les comptes courants. « Il sera établi un comité d’administration des finances composé du ministre de la justice, du ministre de l’intérieur et de l’ordonnateur général du Trésor public. « Il sera nommé par l’Assemblée nationale et successivement par chaque législature des commissaires pour surveiller l’administration et la comptabilité du Trésor public. (1) Voyez ci-dessus, séance du 8 mars 1791, page 736, le commencement de cette discussion. M. Pétion, ci-devant de Ville?ieuve. Messieurs, votre comité des finances nous propose par son projet de faire revivre un ministre absolu des finances, sous le titre modeste d’ordonnateur du Trésor public; si vous avez lu avec attention ce projet, vous avez dù être effrayé de l’étendue et de la délicatesse des fonctions" que l’on confie à cet ordonnateur. Seulement, Messieurs, par un article de ce projet, ou le soumet à une prétendue surveillance qui : en elle-même, serait certainement plus dangereuse qu’utile à la chose publique. Cette surveillance, telle qu’elle nous est proposée, ne tiendrait à autre chose qu’à légitimer les erreurs, les malversations de cet ordonnateur public, à mettre cet ordonnateur public hors de la responsabilité. Les surveillants seraient nommés par l’Assemblée nationale, et ce serait le Corps législatif lui-même qui deviendrait en quelque sorte responsable aux yeux de la nation. de toutes les prévarications qui pourraient se commettre par le ministre des finances, ce qui certes n’est pas admissible. Une idée fort simple s’est présentée à tous les esprits, et elle dérivait de la nature des choses. Il y a le Trésor royal et le Trésor public. D’un côté, il semblait fort simple et naturel que le roi fît résir son trésor particulier à son gré, mais que le Trésor national fut dirigé par des agents qui seraient choisis par la nation. Cette idée fort simple, Messieurs, se fortifie encore lorsqu’on réfléchit aux heureuses conséquences qu’il y aura t à faire régir le travail national par des agents choisis par la nation. Nous avons des exemples si frappants, si effrayants de toutes les déprédations commises par le ministre des finances, que je ne sais pas comment: nous allons encore confier à un seul homme la gestion importante de la propriété publique. Et, Messieurs, ne vous laissez pas abuser par ces vains mots de surveillance : je ne crains pas de le dire, et l’expérience le prouve chez un peuple voisin de nous: toujours la surveillance et la responsabilité dans le ministère des finances est absolument nulle. Messieurs, nous sommes tous convaincus que M. de Calonne, par exemple, a élé certainement le ministre le plus déprédateur. Eh bien ! Messieurs, si tous ses comptes nous étaient remis, si toutes les pièces de sa gestion étaient renvoyées à un comité, vous seriez peut-être dans l’impossibilité la plus absolue de la convaincre de ses malversations. (Murmures.) Un ministre des finances, placé seul, avec un pouvoir absolu, à la tête de cette administration, lié avec les autres ministres, pourra, par le moyen ries avances de fonds, faire un préjudice considérable au Trésor public, sans que, dans cette immense comptabilité, personne n’aperçoive la prévarication. Je vous disais, Messieurs, que dans un royaurpe voisin, où la responsabilité a lieu, le ministre des finances se fait un véritable jeu de la comptabilité. A l’entrée des sessions, ie parlement d’Angleterre nomme ordinairement un comité pour vérifier ses comptes: on apporte à ce comité des monceaux de pièces; mais il est rare qu’il puisse obtenir celles qu’il lui d -mande et qui lui sont nécessaires, et presque toujours les membres de ce comité finissent par être vendus, par être stipendiés (Murmures.) Ce sont là des faits notoires et dont on ne saurait douter. Eh bien ! quoi qu’on puisse dire, nous sommes exposés à pareil inconvénient: votre comptabi- 744 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1791.] li lé Fera nécessairement obscure, parce que le ministère aura’inti rêt qu’elle le soit. Je ne vois pas que le comité vous présente aucune mesure qui puisse vous rassurer sur ces abus: car tant que vous n’aurez qu’un seul ministre des finances, vous ne parviendrez pas à établir un bon ordre de comptabilité. Et voyez, Messieurs, quels dangers vous courez: car, on ne peut pas se le dissimuler, les finances maintenant gouvernent les Etats. C’est avec l’argent que l’on corrompt, c’est avec Pargeut qu’on anéantit la liberté. Mais, dit-on, qui nommera donc les administrateurs? Quoi! la difficulté du choix est ce qui vous écarte d’un principe simple! Eh bien ! mettez les administrateurs hors de la dépendance du pouvoir exécutif : je dis les administrateurs, Messieurs, parce que ce ne doit pas être un seul administrateur. Faites-les nommer par le Corps législatif. Mais les moyens de fai recette nomination? C’est là, vous dit-on, qu’est la difficulté. Il ne s’agit que de prendre des précautions pour éviter les cabales, pour déjouer les intrigues. Voici l’expédient que j’ai l’honneur de vous proposer : Le Corps législatif choisirait au sort dans son sein le corps électoral qui nommerait. Les noms des membres du Corps législatif, seraient tous déposés dans une urne; les 100 membres dont les noms sortiraient les premiers formeraient le corps électoral et seraient tenus de choisir, à l’instant même et sans désemparer, les administrateurs du Trésor public. (Murmures .) Je propose en conséquence ce q i i suit: « Le Trésor public sera administré par trois administrateurs élus à temps, avec faculté d’être réélus. « Un commissaire du roi aura voix consultative dans le bureau d administration. « Les administrateurs seront élus de la manière suivante : « Le Corps législatif nommera parmi ses membres, et au sort, 100 membres, qui formeront un corps électoral qui choisira hors de son sein, et sans désemparer, les trois administrateurs. » M. de Jessé. Un principe incontestable doit nous guider dans la solution de la difficulté qui se pré-ent '. Nous n’avons reconnu dans le corps social que deux pouvoirs : le pouvoir exécutif et Je pouvoir législatif. Nous avons divisé tous les actes de la puissance nationale en volonté et en exécution. Nousavons établi que ce qui n’appanient pas àl’i ne appartient nécessairement à l’autre. Ainsi, quand les r présentants de la nation votent l’impôt, pour des besoins et des emplois déterminés, et que le pouvoir exécutif est chargé de faire ces emplois, tout reste dans les limites naturelles des deux pouvoirs. Introduire un pouvoir nouveau, le pouvoir de la finance, inconnu de tous les poiiiiques anciens et modernes, depuis Zo-roastre jusqu’à l’auteur du Contrat social, c’est renverser, ou du moins compliquer inutilement la machine du gouvernement, et toute complication inutile est dangereuse. L’administration des finances ne peut jamais être un pouvoir distinct. C’est une fonction de l’un de ceux qui divisent le corps social; c’est, par ia nature des choses, une des fonctions du pouvoir exécutif. Ainsi nous ne pouvons reconnaître un pouvoir financier, sans manquer aux principes que nous avons établis; nous ne le pouvons, sans introduire des lenteurs, des réactions continues, des résistances anarchiques dans un gouvernement dont les mouvements ne sauraient être trop simples ei trou rapides. Le rapporteur a si bien senti que si l’impôt était une loi, l’exécution appartenait au roi, qu’il s’est cru forcé de chercher à établir que voler l’impôt, ce n’est pas faire une foi. Que penser d’un système secouru d’appuis aussi ruineux? Le vrai caractère de la loi n’est-il pas qu’elle soit l’expression de la volonté générale, que tous les citoyens aient le droit d’v concourir personnellement ou par leurs représentants, et qu’elle soit la même pour tous. Or, ne sorit-ce pas là les vrais caractères de l’impôt? Puisque voter l’impôt est faire une loi, l’exécution de cet acte appartient au pouvoir exécutif. Craignez-vous que, dans l’inextricable dédale de la finance, la responsabilité n’expire sans pouvoir saisir les coupables? Mais ne transportons pas dans un ordre de choses nouveau les idées et l’expérience de l'ancien régime. Ne voyons plus ces caisses multipliées, ces revirements, ces entrelncemerns de toutes espèces : un seul Trésor renfermera le dépôt dns contributions nationales, les différents canaux de circulation seront simplifiés, l’ordonnateur du Trésor public ne sera qu’un commis dont les comptes pourront être vérifiés par les calculs les plus simples. Si, au mépris des principes, vous donnez l’action au pouvoir législatif et la surveillance au pou voir exécutif, vous ne gagnez rien, vous perdez; car la surveillance que vous voulez établir devient mille ; la liste civile exactement payée, les commissaires du pouvoir exécutif pourraient être fort indifférents à la gestion de la fortune nationale. Dans l’autre hypothèse, vous devez attendre les plus grands avantages de la rivalité qui existe naturellement entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. D’ailleurs, la législature peut-elle nommer les administrateurs du Trésor public? Non, elle n’est apte qu’à faire des lois, sa puissance dans l’opinion publique tient à la pensée qu’elle est sans intérêt et sans faiblesse. Qu'arrivera-t-il si vous placez au milieu d’elle un foyer d’intrigues et de corruptions, si vous la rendez responsable des choix qu’elle ferait en nommant les administrateurs de la fortune publique. Laissons donc au pouvoir exécutif ce que Tordre des idées, ce que les principes de la Constitution lui confient. Enlaçons ce géant des entraves de la responsabilité la plus inévitable, et nous aurons fait tout ce que le salut et 1 intérêt général exigent de nous. Un des hommes qui a le plus profondément étudié le mécanisme des gouvernements et qui a tout fait pour le peuple, J. -J. Rousseau, dans ses considérations sur la Pologne, a dit : « Pour que l’administration soit bonne et marche bien à son but, toute la puissance exécutrice doit être dans les memes mains ; mais il ne suffit pas que ces mains changent; il faut qu’elles agissent, s’il est possible, sous les veux du législateur et que ce soit fui qui les guide. Voilà le vrai secret de ne point abuser de ses pouvoirs. » Je conclus, conformément au comité, que l’ordonnateur du Trésor public soit nommé par le roi. Plusieurs membres : Oui ! oui ! Aux voix ! aux voix ! M. Rœderer. Nous sommes tous de l’avis qu’il doit y avoir un ordonnateur nommé par le roi. M. d’André. Nous sommes tous d’accord. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1191.J 745 M. de Mirabeau. C’est sur ces mets : non? sommes tous d’accord, que je demande que la discussion ne soit pas fermée; car je déclare que je ne suis pas d’accord avec M. Rœderer sur ce qu’il vient de dire, savoir qu’il doit y avoir dans tous les cas un ordonnateur nommé par le roi pour le contrôle de l’organisation du Trésor public. Je conçois des modes où cela ne peut être ni nécessaire ni utile; j’en conçois où cela peut être nuisible et j’avoue que je n’entends pas comment une des plus importantes questions de l’ordre social et, sans exception, la plus importante qui puisse se présenter aujourd’hui, peut être l’objet d’une demande si hâtive de fermer la discussion. Il n’est pas dans mon être d’être assez modeste pour croire que là où je ne vois encore que des doutes, tout le monde voit l’évidence. M. Dupont (de Nemours). On alarme les bons citoyens en leur faisant accroire que l’ordonnateur du Trésor public disposera à lui seul d’une manière absolue des finances do la nation ; on veut faire revivre par là l’idé ■ de l’ancien régime. L’ordonnateur du Trésor public n’aura absolument rien à sa disposition ; il ne sera maître d’aucune dépense : c’est lui qui pourra le moins abuser des deniers du Trésor public. Ceux qui pourront commettre des abus dans la disposition des deniers nationaux, ce sont bien plutôt les ministres chargés de faire les marchés, car ü vous sera toujours impossible de savoir le véritable prix des choses et si, par exemple, le pied cube de bois qu’on aura acheté 18 sols ne valait que 17 s. 6 d.; et cependant ou n’a pas proposé que les ministres fussent à la nomination du Coims législatif. L’ordonnateur du Trésor public fera ses payements aux époques où les récoltes rendent les recettes de tout genre plus abondantes; il ne pourra pas faire valoir à son profit le fonds du Trésor public; car vous ne décréterez les fonds que proportionnellement aux dépenses. La caisse de l’extraordinaire pourvoira aux dépenses imprévues. De plus, il s’établira une lutte salutaire entre tous les administrateurs, lorsque aucun ne pourra ni excéder la somme qui lui est accordée, ni faire d’anticipation, sans prendre sur les fonds d’un autre. L’ordonnateur ne sera alors qu’un teneur de registre, qui pourra dire aux ministres : Messieurs, vous prendrez vos engagements à telle époque, parce que c’est à telle époque que j’aurais mes rentrées. Ce sera auCorps législatif à avoir un bon comité des finances qui surveillera l'ordonnateur, qui constatera les recettes, qui se fera présenter les états des receveurs de districts, etc., qui fera imprimer chaque mois le journal des recettes et des dépenses, de manière qu’il n’y ait pas un seul citoyen qui rie soit le surveillant des surveillants, et le juge des moindres opérations : c’est cet ordre sage dans la comptabilité, c’est cette surveillance immédiate du Corps législatif et de tous les citoyens, qui vous donneraient de bons administrateurs. Il faut établir une forme qui empêche ceux que vous aurez chargés de l’administration, fussent-ils même de malhonnêtes gens, de faire une action malhonnête; il ne faut donc pas violer les principes de la Constitution pour n’arriver à aucun résultat utile; il ne faut pas vous exposer, comme votre comité d’imposition vous le propose, à créer un monstre en politique, c’est-à-dire à nommer des administrateurs qui, étant inamovibles pour deux ans, seraient indépendants du pouvoir exécutif : voilà ce qui arriverait si la législature nommait le jour où elle lèverait sa ses ion. Je ne veux pas que les envieux puissent calomnier le choix de l’Assemblée nationale; je demande dune de laisser nommer le ministre des finances par le pouvoir exécutif, attendu que de tous les ministres c’est celui qui peut le moins abuser ue vos finances, attendu que vous avez laissé le pouvoir exécutif nommer le ministre de la marine et celui de l’intérieur, qui peuvent abuser bien davantage. Je demande surtout que l’ordonnateur des finances soit mis sous la surveillance de votre comité des finances et que vous rendiez cette surveillance perpétuelle et générale, en la mettant sans cesse sous les yeux de la notion par un journal perpétuel des recettes, des distributions de fonds, des objets de dépenses et de payements. (Applaudissements . ) M. Robespierre. Puisque l’impôt n’est autre chose qu’une partie des propriétés nationales mise en commun pour subvenir aux besoins de la société, l’intérêt et les droits delà nation exigent essentiellement deux choses : la première qu’il n’existe d’autres impôts que ceux qu’elle a librement établis; la seconde, que les précautions les plus efficaces -oient prises pour assurer la conservation et le fidèle emploi des sommes qu’elle consacre à ses besoins. C’est à ses représentants qu’elle confie ce double soin : c’est vous qu’elle en a chargés. Vous avez rempli à cet égard la première partie de votre tâche, en consacrant le principe que tous les impôts devaient être établis par elle; ii vous reste la seconde, sans laquelle la première serait presque absolument illusoire, c’est-à-dire de prendre les précautions les plus sages pour assurer la conservation et le tidèle emploi du Trésor public. On vous propose deux partis ; l’un de le remettre entre les mains du ministre, et l’autre de le laisser entre les mains de la nation, c’est-à-dire de les confier aux mandataires qu’elle aura choisis. Il s’agit donc d’examiner de quel côté est la garantie la plus sûre? Or, quel homme de bonne foi peut hésiter sur cette question? Qui osera dire que le choix des ministres mérite plus de confiance que ceux du peuple ou de ses représentants, c’est-à-dire que les intrigues de cour sont des garants moins suspects que le vœu national? Certes pour résoudre cette question, il ne faut point se perdre dans di s raisonnements subtils : il suffit de suivre les premiers principes du bon sens, et les premiers mouvements de sa confiance. Eh ! qui sont donc ceux qui jusqu’ici, et dans tous les temps, ont dilapidé les finances et dévoré la substance du peuple? La cour, les ministres. Q.i sont ceux qui sont proposés pour réparer ces désordres, pour en prévenir le reiour? Les représentants de la nation, vous, et c’est entre les mains de la cour et du ministre que Ton vous propose de remettre le Trésor national; et ce sont eux que l’on préfère à la nation même ou à ses représentants! C’est ici 1 moment de confondre un sophisme qui pourrait non seulement produire en cette occasion une erreur tuneste, mais qui serait un prétexte éternel de violer les droits delà nation. On vous présente le roi, ou le ministre d’un côté, l’Assemblée nationale de l’autre, comme deux espèces de représentants placés sur la même ligne, comme deux pouvoirs délégués, auxquels 746 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars «9i.| vous pouvez également confier le soin de veiller à la conservation du Trésor public, Non, les véritables représentants de la nation sont ceux qu’elle a choisis pour défendre ses droits, à ce titre, pour être les organes de sa volonté, pour surveiller en son nom les divers magistrats et les agents du pouvoir exécutif. Dans tout ce qui concerne leur compétence, il faut, dans votre système surtout, reconnaître en eux les droits et l’autorité de la nation elle-même, il faut les considérer comme tenant sa place. Et certes, n’y a-t-il pas trop peu de bonne foi, tantôt à décréter que la nation n’exerce point sa souveraineté et ses droits par elle-même, mais seulement par le ministère de ses représentants; tantôt à, méconnaître dans les représentants le droit d’exercer son pouvoir, de ne les regarder que comme des délégués ordinaires, placés sur la même ligne que les fonctionnaires exerçant ce que vous appelez le pouvoir exécutif, Il résulterait de ce système que la nation serait dépouillée de sa souveraineté, puisqu’elle ne pourrait en exercer les droits, ni par elle-même, ni par des représentants : il n’y aurait plus alors qu un pouvoir royal ou ministériel, immense, destiné à tout engloutir; il n’y aurait plus de nation. Remettez dans ses mains l’armée et les finances, vous aurez rempli cet objet dans toute son étendue ; vous aurez adopté le moyen le plus infaillible de rétablir constitutionnellement le despotisme. Je vous supplie doncde remplirlevœu de la nation et de respecter ses droits, en décrétant que le Trésor public ne sera confié qu’à ceux qu’elle aura choisis. M. Iiisoii, Je ferai de très courtes observations pour, en simplifiant la question, écarter quelques terreurs qui ajoutent trop à son importance. Sans nous en apercevoir, nous discutons comme si nous étions encore sous l’ancien régime. Pourquoi présentait-il tant d’abus ? Parce que le ministre des finances était tout à la fois législateur et exécuteur de ses lois. Quand une fois il avait obtenu un bon du roi, il était déchargé de toute responsabilité. Ne retombons pas dans cette confusion. Si c’est l’Assemblée nationale qui conserve Ja délégation de la législation des finances, celui qui aura été nommé aura beaucoup plus de force pour commettre des abus, que s’il avait été nommé par le pouvoir exécutif. En organisant la comptabilité, ce qui est infiniment simple, en ordonnant ensuite la publicité des travaux et la surveillance d’un comité, vous avez pris pour la finance des précautions suffisantes. Dans ce moment l’ordonnateur du Trésor consulte continuellement le comité des finances. Si le comité ne donne pas son avis, l’ordonnateur ne marche pas; s’il le donne, il ne se croit plus responsable. Il faut, dans les finances, une marche plus sûre, et je pense que vous ne pouvez l’établir qu’en laissant au roi le choix des administrateurs du Trésor public. Je demande que la question soit ainsi posée : La nation déléguera-t-elle ou non au pouvoir exécutif l’administration de ses finances? M. Rœderer. Ce n’est pas seulement sous l’ancien régime que les ministres avaient trouvé le moyen d'abuser des finances; en Angleterre cet abus est porté aux plus grands excès, et c’est par le nqaniement des finances, laissé aux ministres nommés par le roi, que les législatures ne sont pas à l’abri de la corruption qu’on leur reproche, et qu’elles réagissent à leur tour sur le mauvais système des finances. Les ministres corrompent non seulement par l’argent, mais encore, et bien davantage, par les places de finances, toujours très multipliées dans un mauvais système. Vous avez encore une armée fiscale pour la perception des droits de traite et d’enregistrement ; elle est composée d’environ 30,000 hommes. Avec 20,000 places à donner, on s’assure facilement de 60,000 hommes. J’ai montré quels sont les inconvénients qui résultent de la facilité de donner des places de finances. On n’a point assez développé ceux dn maniement de l’argent. Eh bien, Messieurs, non seulement deux ou trois ministres prévaricateurs pourraient demander, par anticipation, des fonds qui ne seraient necessaires à leurs besoins que de jour en jour; mais encore ils pourraient abuser du crédit momentané qui leur est absolument nécessaire pour assurer l’action de la machine politique. Qu’on suppose une armée ennemie aux portes du royaume, les ministres de la marine et de Ja guerre viendraient au Trésor puiser des ressources, afin d’opposer la force à la force. Si le Trésor public était au dépourvu, il faudrait pour un moment recourir à un usage de crédit quelconque, et au moyen de deux ou trois ministres qui s’entendiaient, ils pourraient tout à la fois abuser du crédit et des fonds. Qui nous préservera de ces inconvénients? La responsabilité, dit-on. Nous demandons un remède, non pas contre l’individu ministériel, mais contre l’abus même; et quand l’abus est d’avoir corrompu le juge, qu’est-ce pour nous que la responsabilité? Or, Messieurs, c’est pour prévenir la corrupti on du tribunal, c’est pour prévenir la corruption de tous les pouvoirs, c’est pour prévenir l’abus d'un pouvoir immodéré sur l’armée, que nous ne voulons pas que l’argent sorte des mains de la nation, que par écoulements insensibles, proportionnés aux besoins de chaque jour, et que jusque-là il ne soit point accumulé dans des mains suspectes, mais qu’il reste dans les mains de la nation. (. Applaudissements .) On me demande quelle caution je donne de mes administrateurs nationaux; je réponds par deux observations : la première, c’est que des administrateurs nationaux, nommés par des délégués du peuple, seront pris très certainement dans une classe d’hommes dont le patriotisme aura été longtemps éprouvé. (Murmures.) Il faut dire, ou que le choix des courtisans vaut mieux que celui du peuple, ou il faut avouer la proposition que je viens d’établir. Ma première motion est le choix du peuple ; ma seconde motion, l'amovibilité au gré des législatures. On vous a dit que cette doctrine n’avait jamais paru depuis Zoroastre jusqu’à nos jours. On ignore donc que ce régime a été proposé au meilleur de nos rois, à Henri IV, par lA’ssemblée des notables; et Henri IV l’a adopté. M. l’abbé Maury. Dites que cela n’a duré que trois mois. M. Rœderer. Je vais le dire, Monsieur. Il est très vrai que dans les temps d’ignorance� et de trouble, où l’on n’avait pas les premiers éléments (. Applaudissements à droite ), le projet de décret adopté par Henri IV ne put être exécuté ; mais toujours est-il vrai qu’il lut reconnu, parle meilleur de nos rois, que Te droit d’administrer les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 mars 1791.] finances appartenait aux représentants du peuple. Ce principe peut donc aujourd’hui avoir toute son application, parce que les lumières sont répandues et que vous avez administré vous-mêmes les finances avec succès. ( Rires à droite.) Au reste, Messieurs; je n’invoque ici que les décrets qu’ont le plus signalé voire patriotisme et vos profondes connaissances en politique, vos décrets sur les départements et la division de l’administraiion. Vous y avez dit que l’inspection des contributions publiques serait faite par le Corps législatif et par les corps administratifs nommés par le p opte. (Applaudissements .) Je le demande, Messieurs, à quoi servirait-il de mettre les plus petits réservoirs de l'impôt entre les mains du peuple, j’entends par là les trésoreries de district, tandis que vous mettriez le réservoir général entre les mains des courtisans? il n’y a plus qu’une seule difficulté ; c’est celle d’établir l’élection des administrateurs nationaux que nous proposons; car on ne peut pas charger les départements d’envoyer dans la capitale chacun un électeur ( Murmures ) pour faire ce choix (Murmures). Je sais que cette idée est absurde; et ceux qui la critiquent ne voient pas que c’est ce que je fais moi-même. Le ci - mité d’imposition vous avait proposé d’abord de les faire nommer par la législature à la fin de la session, et sans qu’aucun de ses membres pût être choisi; mais nous n’avions pas prévu l’effet de l’intrigue, et certainement il y aurait trop de danger; c’est pourquoi nous proposons en outre que les électeurs soient déterminés par le sort et au nombre de cent, lesquels se retireraient à part sur-le-champ, et nommeraient sans désemparer. Voici le projet de décret que nous vous proposons :