[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [18 décembre 1789.] 657 Votre Excellence les interprètes de ces sentiments et, d’avoir aussi l’occasion d’y joindre l’assurance de l’admiration et du respect, avec lesquels nous sommes, Monsieur, de Votre Excellence, les très-humbles, etc. « Signés : Rillier, Fatir, Cullin, de Fournel, Turtin, François Soulte, Claparède, Cayla, Billiet, J. Dejean, RR. Bontems, J. ÜIODATI, M. Lullin, J. Auxo-DIER. » La lecture de cette lettre est suivie de vifs applaudissements. M. Chassebœuf de Volney. Un don de 900,000 livres doit d’abord exciter notre reconnaissance ; mais il faut savoir si les Genevois font cette offre comme citoyens français ou comme étrangers ; et dans ce dernier cas, il faut refuser. Mou observation est d’autant mieux fondée, qu’elle s’appuie sur un bruit qui doit faire soupçonner que ce don n’est pas aussi gratuit qu’il le paraît. Il est bien constant que les Genevois existent sous la garantie du gouvernement, et non sous celle de la nation. L’Assemblée nationale de France, après la déclaration qu’elle a faite, ne peut pas continuer la garantie de la république de Genève dans l’état actuel, ni ratifier les principes sur lesquels cet Etat a été établi en 1784. M. le marquis de Fumel. Quelle que soit la situation critique de la France, elle n’est point encore à l’aumône, 11 n’est pas de sa dignité de recevoir de l’argent.... M. le marquis d’Estourmel propose de charger M. le président de faire des informations près de M. Necker ; il demande en conséquence l’ajournement de cet objet. L’Assemblée ajourne sa délibération sur la lettre des Génevois. L’Assemblée reprend son ordre du jour sur les finances etla discussion durapport du comité des dix. M. le marquis de Vrigny, après avoir comparé ce que M. Necker disait dans son discours à l’ouverture de l'Assemblée nationale, concernant la dette publique et l’état des finances, et ce que le ministre avait dit dans ses différents ouvrages sur l’administration, pensait que les pertes imprévues que le Trésor public avait faites pendant la révolution, étaient surpassées de beaucoup par les dons patriotiques, l’impôt du quart des revenus et l’imposition sur les propriétés franches et privilégiées. D’après ces idées, il pensait qu’il était de la prudence de l’Assemblée de voir le plan général des finances que le ministre a annoncé. L’orateur conclut en proposant de suppléer les billets de caisse par des obligations nationales pour la valeur de 350 millions par coupon de 1,000 livres, produisant intérêt à 5 p. 0/0, et remboursables en 7 ans, au porteur, par la voie du sort, sur le fonds de 50 millions par année, à commencer du 1er janvier 1791. Pour solder ces 50 millions chaque année, l’honorable membre a calculé que la contribution patriotique acquitterait les deux premiers termes, et que le surplus serait remboursé sur les économies et l’amélioration des revenus publics. M. le marquis de Montesqulou (1). Mes-(1) Le Moniteur ne contient qu’une analyse du discours de M. le marquis de Montesquiou. lre Série, T. X. sieurs, si je pouvais ne me considérer ici que comme l’un de vos commissaires, l’avis qui a passé à la pluralité serait ma loi, et je n’aurais pas eu l’honneur de demander la parole : mais la qualité de représentant de la nation impose d’autres devoirs, et si je suis intimement persuadé que j’ai d’importantes vérités à vous communiquer, le silence que je garderais, serait un silence coupable, il faut que cette persuasion soit bien forte, pour que je me décide à combattre devant vous l’opinion de collègues que j’estime à tant de titres. Je n’ajouterai rien à ce qui vous a été dit sur le plan de banque de M. de Labordc. Son exécution nous a semblé difficile, et ses idées de comptabilité que vous avez si justement applaudies, nous ont paru applicables, à tous les systèmes possibles d’administration du Trésor public. Au reste nous avons tous pensé que vous ne consentiriez jamais à déposer la fortune entière de l’Etat entre les mains d’une Compagnie quelconque, et à faire dépendre le sort de l’empire de la sagesse ou de la fausseté de leurs spéculations. Vous avez tous vu dans le plan du premier ministre des finances, la peine qu’il éprouvait en s’écartant de la sévérité de ses principes. Contraint par la nécessité des circonstances, il ne s’est occupé qu’à rassembler tous les moyens qui pouvaient dépendre de lui pour assurer le service si difficile de l’année prochaine. Il a cherché en même temps dans un avenir peu éloigné le remède au mal qu’il était obligé de faire. Il a lui-même jugé à la rigueur les inconvénients et le danger de l’usage immodéré des billets de la caisse d’escompte. Si, comme il nous y invite, j’ose traiter le même sujet après lui, et vous présenter d’autres idées que les siennes, ce ne sera qu’en tremblant; mais l’expérience nous apprend que dans la carrière ouverte par le génie, il a quelquefois été réservé au simple observateur de faire encore des découvertes heureuses. M. de Laborde avait tout sacrifié dans son plan au prochain rétablissement de la circulation libre des billets de banque. M. Necker, dans le sien, avait eu constamment en vue les besoins du service de l’année prochaine, et même il avait cru sage de mettre en réserve le premier terme de la contribution patriotique, en cas que les anticipations ne pussent pas se renouveler ; votre comité, entraîné par des idées de perfection, a voulu réunir les avantages des deux plans, et écarter les inconvénients. Il fallait pour y parvenir des fonds considérables ; c’est pour se les procurer qu’il vous a proposé la vente d’une partie des domaines de la couronne et de ceux du clergé, jusqu’à la concurrence de 400 millions. Jeme fais gloire d’adopter ses principes; je voudrais pouvoir adopter de même ses moyens, mais je les crois illusoires et injustes. Illusoires, parce qu’ils sont impraticables dans notre situation actuelle, injustes, en ce que leur exécution compromet le droit acquis par la loi à des créanciers privilégiés. S’il ne s’agissait que de payer à la caisse d’escompte, 90 millions qui lui sont dus, rien ne serait plus aisé. Elle a pour gage le premier terme de la contribution patriotique : en le lui abandonnant, on serait quitte en tout ou en grande partie avec elle dans quatre mois; elle reprendrait alors ses payements à bureau ouvert, et il 42 058 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PA] ne resterait rien à désirer à cet égard, ni pour elle, ni pour nous. Puisqu’il est si facile de se procurer les fonds qui nous manquent, je ne conçois pas comment cet arrangement si simple ne serait pas le premier de tous. On appliquerait ensuite les moyens du comité au service de l’année prochaine. 11 serait inutile d’emprunter encore 80 millions à la caisse d’escompte, défaire une création incertaine d’actions, et de payer des intérêts pour des morceaux de papier. 400 millions sont plus que suffisants pour nos besoins de l’année, en supposant même, comme il est probable, qu’aucune anticipation ne soit renouvelée. Mais, pour les obtenir ces 400 millions, il faut multiplier les suppositions, et je n’en connais pas de moins vraisemblable que la vente d’une masse de terres aussi considérable. La portion des domaines de la couronne qui pourrait y être consacrée, n’en fournirait pas la huitième partie; car je ne suppose pas qu’on voulût y comprendre les forêts. Les domaines dont je parle produisent 1,600,000 livres de rente; on peut les regarder comme un capital de 50 à 60 millions : les biens du clergé sont donc la véritable, la grande ressource. Toujours d’accord avec le comité sur les principes, je pense que les biens du clergé doivent fourmr aux besoins de la nation les plus importants secours; mais je ne crois pas que le moment d’en décréter la vente soit arrivé. Je crois même qu’il y aurait du danger à y mettre de la précipitation! En déclarant le 2 novembre, que les biens du clergé étaient à la disposition de la nation, vous vous êtes faits les tuteurs des pauvres, du culte et de ses ministres. En qualité de tuteurs, vous êtes obligés de bien connaître les biens de vos pupilles, avant de prendre aucune détermination ultérieure. Si vous commenciez par aliéner une grande partie du territoire, il serait possible que vous fussiez forcés ensuite ou de prendre sur la dîme un parti contraire à vos décrets, ou de grever la nation d’une charge nouvelle et très-considérable. Vous avez d’ailleurs soumis la disposition que vous feriez de ces biens aux instructions et à l’inspection des provinces. Ainsi, plusieurs préliminaires ou de précaution ou de justice, doivent précéder le décret qui vous a été présenté. Vous ne pouvez méconnaître non plus le privilège acquis aux anciens créanciers du clergé. Leur opposition à toute vente est de droit, et les premiers deniers qui en proviendront, leur appartiennent. Ainsi, pour vous procurer 400 millions, il faudrait vendre pour 600 millions de biens. Si la crise où nous sommes vous déterminait à passer par-dessus toutes ces considérations, croyez-vous qu’un moment où le numéraire est rare, où la conliance est nulle, où chacun est incertain de son état, où beaucoup de préjugés subsistent encore, soit un moment propre à des ventes aussi considérables? Le quart du numéraire qui existe dans le royaume suffirait à peine à celles que l’on vous propose; car ici ce ne serait pas avec des titres de créance qu’on pourrait vous payer, c’est de l’argent qu’il faudrait. Sans doute quelques hommes opulents se bâteraient d’acquérir certains objets à leur bienséance, mais des arrangements de ce genre ne donnent que de faibles secours. L’imagination, qui grossit tous les objets, se perd dans le nombre des millions; ÆMENTAIRES. [18 décembre 1789.] l’expérience calcule autrement, et peut-être que vous ne tireriez de tant d’objets mis â la fois dans lé commercé; que l’excessive dégradation du prix de tous les fonds de terre, sans avoir obtenu plus de succès dans vos projets d’aliénation. Votre comité a bien senti que les acquéreurs pourraient se présenter lentement. Aussi, pour s’assurer des 400 millions, il vous propose de faire imprimer 400,000 billets de 1,000 livres, de les intituler billets d’achat, de leur attacher un intérêt de 5 0/0 et de vous les donner pour comptant. Si le moyen est Bon, il a le singulier mérite de la facilité. Il semble que l’intention du comité est d’accorder aux porteurs de ces billets un droit de préférence pour l’acquisition des biens mis en vente, et il s’est persuadé que ce serait un grand attrait pour les acquéreurs de cet effet . Je souhaite qu’il réussisse à le persuader aux capitalistes, qui en général n’aiment pas les possessions territoriales, qui savent fort bien qu’il y a beaucoup de manières plus avantageuses de faire valoir leur argent, et qui auront peine à croire qu’un papier quelconque obtienne jamais la préférence sur des écus. On ne peut croire à la vente au pair de ces billets d’achat, sans croire à la possibilité d’un emprunt de 400 millions. L’expérience de l’emprunt de septembre dernier devrait éloigner de nous tout prestige semblable. Il n’est pas encore rempli à moitié, malgré tous les avantages qui y étaient attachés, et cependant il n’était que de 40 millions. L’idée d’une vente de 600 millions de fonds de terre me paraît donc une pure chimère. Celle d’un emprunt de 400 millions ne me semble pas plus probable, et c’est sur ces deux suppositions que repose tout le système du comité. C’est en billets d’achat que la caisse d’Es-compte doit être remboursée de 177 millions. C’est avec le même effet qu’il sera suppléé au déficit des revenus et au défaut de renouvellement des anticipations, mais votre comité a des principes trop sévères pour faire de ces billets d’achat un papier-monnaie. Il a l’intention de les négocier et il croit possible que dans la même année on négocie, je ne dis pas avec succès, mais d’une manière supportable pour 250 ou 300 millions d’effets quelconques, et surtout d’effets qui ne seraient remboursables que sur le prix de ventes que, peut-être, on n’aura pas consommées dans 20 ans. Il m’a été impossible de me livrer à tant d’illusions. Mon attachement à la chose publique, mon respect pour l’Assemblée nationale, m’ont imposé la loi d’essayer du moins de faire évanouir une erreur dont il serait bien funeste de s’apercevoir trop tard. Serions-nous donc assez malheureux pour que le salut de l’Etat dépendît de l’adoption d’un pareil système? J’oserai, Messieurs, vous proposer d’autres moyens. Je suis loin de les croire à l’abri de critique; car, il faut en convenir, nous n’avons que le choix entre les inconvénients ; mais du moins, s’il est possible, ne mettons rien au hasard, réservons nos ressources pour des temps plus heureux ; et puisque le moment exige des résolutions promptes, tâchons qu’elles atteignent à notre but, qu’elles y atteignent directement, et qu’elles ne sacrifient ni l’avenir au présent, ni le présent à l’avenir. C’est pour cela, Messieurs, qu'il est si heureux que le pouvoir et la volonté se trouvent réunis dans cette Assemblée. Ce n’est pas telle ou telle [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMEN1 AIRES. [18 décembre 1789.] 059 vente, telle ou telle opération qui vous sont nécessaires pour donner de la force aux engagements de la nation. Ils seront forts, ils seront respectés parce que vous les aurez pris, parce qu’ils seront la volonté des représentants d’une nation puissante et loyale, de ces hommes qui, dans des temps d’alarmes, sans autre impulsion que celle de l’honneur, se sont déclarés garants des engagements que leur Roi avait pris. Vos engagements seront forts, parce que votre prévoyance en aura d’avance calculé l’étendue et le terme; parce que votre prudence n’aura prodigué aucun des moyens dont on vous conseille l’emploi prématuré et qu’elle aura réservé toutes ses forces pour les employer avec mesure. Je vous propose donc de ne pas risquer les funestes effets d’une émission excessive de billets de la caisse d’escompte, et de la tenir pour remboursée des 90 millions que vous lui devez par l’assignat sur la contribution patriotique qu’elle a entre les mains, et auquel il sera joint un supplément s’il est nécessaire. Je vous propose, pour fournir à tous nos autres besoins, la création d’une somme de monnaie fictive, sous le nom d’obligations nationales, divisées, pour la forme et pour les valeurs, à peu près comme le sont les billets de la caisse d'escompte; elles porteraient intérêt à 5 0/0, et leur circulation serait autorisée à partir du 1er janvier prochain. Je vous propose encore d’ajouter à la somme des besoins de l’année prochaine, ce qui est nécessaire pour rembourser les effets à terme déjà échus et ceux qui écherront dans l’année 1790, afin de rétablir à la fois le cours de tous les engagements publics. Le montant entier de ces obligations rigoureusement calculé, serait de 350 millions (1), et le terme de leur extinction peut être fixé à la 7e année sur le pied d’un remboursement annuel de 50 millions, qui serait déterminé par le sort, et qui commencerait en 1791. (1) Il est bon de fixer les idées sur le calcul du besoin de 350 millions. M. Necker demande pour les besoins extraordinaires de l’année prochaine, 80 millions ; mais une partie de cette somme étant de nature à être comprise dans l’arriéré, on peut la réduire à ........ 50,000,000 liv. Le vide dans la perception peut être évalué à, ...................... 30,000,000 Il faut remplacer les revenus anticipés .............................. 130,000,000 Les remboursements suspendu? de 1788, 1789 et 1790, montent à 171 millions ; mais comme par différentes opérations il en est rentré 50 millions au Trésor royal, il n’en reste à payer que pour .......................... 121,000,000 Pour le premier remboursement de l’emprunt de septembre 1789 ........ 8,000,000 Total . . . . „ 339,000,000 liv. Il est bon d’observer que dans le calcul des commissaires il n’est pas du tout question de rembourser les emprunts à terme. Il faut convenir cependant qu’ils méritent quelque considération. Dans le calcul qu’on vient devoir, on a réservé pour compléter le remboursement de la caisse d’escompte, dans les cas où la contribution patriotique n’y suffirait pas : 1° les il millions qui restent du compte ci-dessus; 2° 22 millions de l’emprunt de septembre dernier qui n’y ont pas encore été fournis. Le deuxième terme de la contribution patriotique fournirait au premier remboursement. Le troisième terme de la même contribution fournirait à celui de 1792, et ce n’est qu’en 1793 que vous auriez besoin de secours extraordinaires. Mais d’ici là vous aurez pris tous les grands partis sur l’emploi des biens du clergé. Le retour de la confiance aura rendu tout facile, et peut-être aurez-vous trouvé d’aussi grandes ressources dans l’administration de ces biens, que dans leur aliénation. La terreur du moment pourrait seule vous déterminer à décréter des ventes précipitées, et certainement désavantageuses ; mais qu’est-ce qu’un moment dans l’ordre des destinées d’un grand empire? il peut essuyer des crises, mais il ne meurt pas ; et en sacrifiant tout aux besoins d’un jour, en épuisant à la fois toutes les ressources, on immole peut-être les générations suivantes. Je sens bien qu’entraîné par le malheur des mêmes circonstances contre lesquelles je veux vous affermir, je vous propose l’usage d’une ressource toujours fâcheuse, mais remarquez, Messieurs, combien je la ménage, en ne destinant un papier nouveau et inévitable, qu’à remplacer d’autres papiers qui existent ; remarquez que je ne mets vos obligations nationales qui, dans 7 ans, et peut-être plus tôt, seront anéanties (1), qu’à la place d’une somme égale en billets de la caisse d’Escompte, eu rescriptions et anticipations de tout genre, et en effets de remboursement à terme fixe. En reprochera-t-on de charger le Trésor public de nouveaux intérêts à payer ? La somme de ceux qui accompagneront les obligations nationales est inférieure à ceux qui sont attachés aux effets dont elles prendront la place. M’accusera-t-on d’établir une circulation forcée ? Je vous ai proposé seulement d’autoriser le cours des obligations nationales, et autoriser une chose, ce n’est pas l’ordonner. Mais est-ce donc une circulation libre que celle des billets de la caisse d’escompte, lorsqu’on leur accorde, contre la foi des traités, le privilège exclusif d’être reçus comme de l’argent, quoiqu’on ait cessé de les payer à présentation. Les obligations nationales, libres ou forcées tiendront tout ce qu’elles promettent, et le seul énoncé des billets de la caisse d’escompte, dès qu’ils ne sont plus payés à vue, présente une imposture. Du moins on ne pourra pas dire que je vous propose un parti provisoire, un de ces partis qui font renaître au bout de quelques mois des embarras [plus grands que ceux auxquels ils ont remédié. Quittes tout à coup avec la caisse d’escompte, justes, autant que vous pouvez l’être, avec tous vos autres créanciers, c’est dans une sécurité pleine et entière que vous achèverez vos uobles et importants travaux. C’est sans être tourmentés de ces vaines terreurs qui occupent sans cesse votre sollicitude qu’après avoir installé vos administrations provinciales, vous établirez des impôts justes et modérés, des impôts répartis avec égalité, des impôts suffisants à toutes vos dépenses sévèrement réduites, aux (1) En effet, s’il est si aisé de vendre les biens du clergé et du domaine, si l’argent et les acheteurs sont si communs, pourquoi cc qui serait bon pour rembourser des billets d’achat, ne le serait-il pas également pour rembourser les obligations nationales ? 660 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 118 décembre 1789.] intérêts de toutes vos dettes loyalement reconnues, et aux remboursements destinés à les éteindre. Le grand défaut que je trouve au plan de votre comité, est l’incertitude de ses résultats. Si quelqu’une de ses combinaisons vous manque, le service de l’année prochaine est exposé, tous vos embarras peuvent renaître incessamment, ou au moins vous courez le risque d’accumuler sur l’année 1791 des engagements impossibles à remplir. Ce n’est point une nation aussi intelligente que la nôtre que l’on peut abuser ; lorsque vous aurez créé 350 millions d’obligations nationales, et que vous n’en aurez promis le remboursement qu’en 7 ans, chacun en verra la possiblilité, et dès , lors chacun y aura confiance. Ne craignez plus rien, dès que cette confiance qui jamais ne s’accorde au hasard, sera établie. Lorsqu’au contraire vous aurez surchargé la circulation de 2 ou 300 millions de billets de la caisse d’escompte ; lorsque peut-être l’on aura vu cesser même le payement lent qui s’en fait tous les jours, on ne croira pas que cette masse énorme de billets puisse disparaître en 1791. On croira encore moins à ce payement à bureau ouvert, promis pour le 1er juillet prochain, non plus qu’à ce remboursement de 5 millions par mois à partir de la même époque, dans une année qui commence, sans que le plus strict nécessaire nous soit assuré ; enfin, on ne croira jamais à ces ventes subites, à ces emprunts exorbitants, et l’effet seul de cette méfiance agira nécessairement sur la circulation et sur la valeur de tous les autres effets. C’est par cette raison que j’ai cru les idées les plus simples, préférables aux plus ingénieuses combinaisons. J’ai pensé que travaillant effectivement à un arrangement de famille, les intermédiaires nous étaient au moins inutiles , et que la caisse d’escompte ne nous offrant qu’un crédit emprunté de nous-mêmes, nous pouvions nous passer d’acheter son secours, et faire directement usage de nos propres forces. C’est ce que je vous ai proposé, et c’est peut-être à ce point qu’il eût fallu réduire la question. S’il était convenu que l’usage direct du crédit de la nation, pour le service de la nation, pût la sauver dans ce moment, son emploi serait suffisamment justifié, ou plutôt il n’aurait plus besoin de l’être. Je sais cependant tout ce qu’on peut opposer d’objections à un système de monnaie de papier. Je connais les préjugés accrédités contre cette espèce de numéraire, et je craindrais son influence sur le prix des denrées, sans les précautions que j’ai prises. Dans l’impossibilité de faire entièrement disparaître ses inconvénients, j’ai recherché du moins à les atténuer. A cet égard, je ne crois pas que les commissaire saient été plus heureux que moi. Ils admettent deux sortes de papier, dont un au moins sera quelque temps du papier-monnaie, et l’autre pourra bien le devenir; je n’en admets que d’une seule espèce ; ils en établissent pour une somme plus forte que moi, et sur de simples présomptions, sans avoir la certitude positive d’aucune rentrée, ils prennent rengagement de commencer des remboursements périodiques de mois en mois, dès le 1er juillet prochain. Je n’ai pas autant de confiance; mais cette comparaison ne prouve rien en faveur des moyens que j’emploie (1) : il faut les examiner en eux-mêmes. L’intérêt accordé aux obligations nationales, leur donne la double fonction de valeur numérique et de placement d’argent. Sous ce dernier rapport, on désirera les garder, sous le premier, on sera forcé de s’en servir ; mais la combinaison de ces deux rapports empêchera qu’il n’en soit mis dans la circulation au delà du besoin réel. Si cette observation est juste, la masse de 350 millions ne doit plus inquiéter, et il n’en sera employé dans le commerce que la somme dont le commerce ne saurait se passer. J’oserais dire plus : si la confiance se rétablit, et c’est à vous seuls, Messieurs, que l’honneur en est réservé, ce placement d’argent est si avantageux et si commode, qu’il sera bientôt préféré à tous les autres, et alors le numéraire effectif reparaîtra de tous côtés, comme moins précieux, pour reprendre sa. véritable place. J’ai cherché à prévenir un inconvénient qui résulterait pour l’usage ordinaire de la vie, de la difficulté qu'il y aurait dans les premiers moments à se procurer de petites sommes. En effet, la seule confiance peut soutenir la circulation des sommes considérables; mais pour les dépenses de détail, rien ne peut tenir lieu de l’argent monnayé. Pour lever cette difficulté, je voudrais que dans la somme des obligations nationales, on admît une division de billets de 100 livres, et qu’on en distribuât pour 12 millions. Ces derniers billets ne porteraient pas d’intérêt ; mais ils seraient payables à présentation, sans que jamais la même personne pût en réaliser deux à la fois. Ce moyen pare absolument à la difficulté ; et dès qu’il sera constaté par l’expérience que cet échange de billets de 100 livres contre des écus est constamment libre, ils seront échangés par les marchands eux-mêmes, et n’embarrasseront plus dans le commerce. Alors, il n’y aura aucune somme qui ne soit aisément payée avec les billets nationaux. Il reste à examiner une question aussi importante que délicate, sur laquelle je n’oserais pas me fier à mes propres lumières, et sur laquelle cependant on a préjugé mon opinion. Les obligations nationales auront-elles une circulation libre, ou sera-t-elle forcée? Sous le régime de l’autorité arbitraire, un numéraire semblable ne méri-(1) Un membre du comité (M. Dupont de Nemours) étant monté à la tribune après moi, a critiqué ma proposition, en disant que pour nous guérir de la peur je proposais la mort. La plaisanterie aurait été encore meilleure s'il eût commencé par bien réfuter ma comparaison, en prouvant que les billets d’achat ne seraient pas du papier-monnaie, que les billets de la caisse d’escompte ne sont pas du papier-monnaie, quand on refuse de les payer à présentation ; que si les billets d’achat sont négociables, les obligations nationales ne sont pas négociables ; qu’il vaut mieux créer pour 400 millions de billets, sans rien rembourser, que d’en créer pour 350 millions en remboursant tout ce qui est exigible. Mais ce qui surtout aurait été intéressant et instructif pour l’Assemblée c’eût été la recette avec les doses exactes de tout ce qui doit entrer dans la composition du papier-monnaie pour le faire demi-monnaie', quart de monnaie , trois -quart de monnaie. M. Dupont dit que les billets de la caisse d’escompte dont le payement est suspendu, sont du papier demi-monnaie. Je crois que les obligations nationales portant intérêt à 5 0/0 valent mieux que les billets de la caisse d’escompte: ainsi je les juge trois quarts monnaie; mais l’amour-propre d’auteur peut m’abuser et je désire être éclairé sur ce point par M. Dupont, Il n’y a peut-être pas deux hommes en France en état déjuger cette question. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1789.] ternit aucune confiance; imprimé du sceau du despotisme, il ne pourrait marcher qu’armé de sa force et serait sujet à ses révolutions. Sous l’empire de la liberté, il pourrait tenir de la loi un caractère durable et respecté, sans que la liberté publique fût compromise; mais trop de préjugés l’attaqueraient à la fois; l’air de la contrainte pourrait flétrir les obligations nationales, et c’est à la liberté même que je voudrais les confier. Je suis persuadé que ce nouveau signe, commode pour tous les échanges, serait préféré à tout autre, parce qu’il serait utile pendant son activité, et utile encore pendant son repos ; avantage que ne présente aucun autre signe des valeurs. Enfin, je pense que son cours libre serait aussi sûr que son cours forcé aurait pu l’être, et on pourrait alors se borner à le faire admettre comme espèces dans toutes les caisses publiques. Si l’essai que je propose était heureux, que resterait-il à objecter (1)? Je m’attends à une objection que l’esprit de chicane ne manquerait pas de me faire. On me reprochera d’imiter sous un autre nom, ces billets d’Etat qui répandaient tant de terreur au mois d’août 1788. Mais comment comparer les engagements d’un ministre, ces engagements qu’un caprice pouvait produire, qu’un autre caprice pouvait anéantir, avec l'engagement solennel d’une nation assemblée, qui juge ses besoins et ses moyens, qui ordonne ses propres sacrifices, et qui, impassible comme la loi, est invariable comme elle? Ce qui ne méritait aucune confiance alors, sera jugé inviolable aujourd’hui? Qu’on cesse donc de faire de semblables rapprochements, qui n’ont pas entre eux plus de rapport que la cour plénière et l’Assemblée nationale; et, du moins, qu’on attende que la nation française ait manqué à sa parole, avant de la calomnier. Quelques personnes se persuadent que des billets tels que ceux dont il s’agit satisferaient davantage l’imagination s’ils posaient sur une hypothèque spéciale ; et c’est dans cette vue qu’il vous a été proposé de créer des billets hypothéqués sur des biens du clergé qui seraient mis en vente (2). Rien assurément n’est plus facile que d’indi-(1) M. Dupont a dit que je proposais de rendre les obligations nationales forcées pour les créanciers de l’Etat, et libres pour les autres. Je ne crois pas qu’une telle inconséquence me soit jamais échappée ; et je m’en rapporte à tous les auditeurs. Je pourrais lui demander à mon tour, s’il entend que l’Etat soit garant du prix de la négociation de ses billets d’achat, car il ne l’a pas dit, et il est bon de s’expliquer là-dessus. J’observerai seulement que cet engagement peut mener plus loin qu’on ne pense. (2) On a raison lorsque pour les principes d’ordre et de comptabilité, l’on compare la fortune des Etats avec celle des particuliers. Mais on tombe dans une grande erreur lorsque l’on étend cette comparaison aux moyens d’assurer les créances par des hypothèques. L’hypothèque donnée par un particulier, est la cession de sa propriété jusqu’à la concurrence du montant de la dette. C’est une garantie pour les créanciers contre l’infidélité du débiteur. La loi lui permet, dans tel ou tel cas, de saisir le bien, de le faire vendre à son profit, enfin de se remettre en possession de son capital. Il est évident que rien de tout cela ne peut se faire d’un particulier à un corps politique. La confiance des créanciers vis-à-vis d'une nation, ne peut donc poser que sur l’honneur et sur la volonté présumée d’une fidélité inviolable : si une nation ne voulait pas payer ses dettes, quels seraient les moyens de contrainte '( Comment ferait-on vendre 661 quer une hypothèque spéciale; mais j’avoue que la France entière, représentée par le corps de ses députés, et donnant toutes ses propriétés pour gage de ses promesses; que l’engagement national enfin, me présente un titre plus grand, plus sûr, plus digne de toute confiance, que l’assignat de quelques propriétés distinctes sur lesquelles un créancier isolé n’aurait jamais la possibilité d’exercer ses droits. Je ne peux croire que la nation ait des doutes sur sa propre fidélité, sur son honneur, sur sa solvabilité. Mais cependant si l’ancienne méfiance dont les abus ministériels nous ont fait contracter la longue habitude, nécessitait une hypothèque, les domaines seuls, en raison de leur antique inaliénabilité, en offrent une intacte et incontestable ; et quand il ne s’agira pas d’unevente, mais d’une hypothèque, les forêts domaniales offrent un gage plus que suffisant aux obligations nationales. On m’objectera enfin que, moi-même, dans cette Assemblée j’ai proposé les biens du clergé comme une ressource de 400 millions. Oui, sans doute, et je n’ai point varié dans cette opinion; mais, en la proposant, j’ai respecté les droits des anciens créanciers, j’ai annoncé comme indispensable, tous les préliminaires qui me le paraissent encore. Au reste, je n’ai présenté que des idées générales, et c’est pour le moment de l’exécution que j’avais gardé le développement de ces idées. Elles consistent à former un corps de domaines territoriaux, sous le nom de domaine national, composé successivement de tous les bénéfices que les extinctions, que les suppressions d’ordres religieux et les dispositions des provinces, affranchiraient de tout service public, et à convertir sous le régime de chaque administration provinciale, leur produit en annuités. Ces annuités offriraient partout un emploi facile, un emploi sûr, des plus petites et des plusjgrosses sommes. Remboursées au bout de 25 ans, elles rendraient à chaque révolution de ce nombre d’années, la [même ressource facile à employer. L’augmentation du prix des denrées, les soins des administrations en accroîtraient constamment la valeur, et chaque siècle, après avoir vu renouveler quatre fois ce grand moyen de libération, le transmettrait tout entier au siècle suivant. Je préfère ce système conservateur à ceux qui épuisent en un jour l’espérance de plusieurs générations. Au reste, je ne vois pas que les obligations nationales s’opposent à l’opération demandée sur les biens du clergé, dans le cas où elle serait jugée préférable. Si la vente en est décrétée et s’opère, les remboursements que j’indique en 7 ans, seront peut-être faits en 2 ans; mais je ne m’appuie pas sur des espérances, je n’admets aucune supposition, je ne hasarde aucune promesse, et je ne soumets pas à de simples probabilités ie sort de la caisse d’escompte, qui malheureusement, a des rapports beaucoup trop grands avec la chose publique. le bien ? Où trouverait-on des acheteurs ? Quels seraient les huissiers, tes juges, etc. ? Le mot hypothèque est donc essentiellement vide de sens dans le cas dont il s’agit; si ce mot avait, à l’égard des corps politiques, la signification exacte qu’il a dans les traités faits entre particuliers, comment pourrait-on proposer à une nation, qui a déjà hypotéqué tous ses biens à une multitude de créanciers, de détacher sans leur consentement, une partie de ces biens pour en faire l’hypothèque spéciale d’une dette nouvelle ? Ce serait un véritable stellionat. 662 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1789.] Quel que soit le parti que vous preniez, Messieurs, songez que son succès repose sur le crédit ,et que son crédit repose sur la confiance, et par conséquent sur l’ordre. Cet ordre si essentiel ne peut exister que par la fixation des dépenses, le calcul précis des recettes et l’exactitude des perceptions ; mais il faut plus, il faut consommer une opération essentielle dontM. l’évêque d’Autun vous a si bien fait sentir la nécessité, celle de séparer entièrement les effets du désordre passé, d’avec le régime sage et régulier que vous voulez établir. Cette belle comptabilité dont M. de Laborde vous a présenté des éléments aussi simples qu’ingénieux, ne peut être vraiment utile que par la facilité qu’elle donnera toujours de comparer les recettes et les dépenses de la même année; mais en commençant l’année 1790, i Is’enfaut bien que vous ayez soldé les comptes antérieurs, et si vous ne vous hâtez d’interrompre la marche accoutumée, ces comptes viendront se confondre avec ceux de l’année prochaine. Alors la somme de vos revenus vous sera insuffisante, ou votre comptabilité de chaque année ne sera jamais complète, et des reliquats inconnus aideront à éluder votre loi de responsabilité. Vous ne pouvez donc atteindre la perfection de l’ordre, que par la séparation absolue de ce qui sera dû au 1er janvier prochain, d’avec les dépenses qui suivront cette époque : la connaissance de cet arriéré doit être l’effet d’une liquidation. C’est à vous à l’ordonner ; et une commission choisie dans votre sein peut en être chargée. On y ferait entrer les intérêts de rentes jusqu’au 1er juillet dernier, et les dépenses de toute espèce jusqu’au 1er juillet dernier. Alors les comptes de l’année prochaine ne comprendront effectivement que les dépenses de l’année, et la nouvelle comptabilité qui s’adaptera bien aisément à l’établissement de la caisse nationale, répandra la lumière sur toutes les parties de l’administration. L’arriéré une fois liquidé, serait acquitté par des annuités, ou de toute autre manière; et enfin vous seriez sortis de ce dédale de la finance où s’égaraien t jadis les meilleurs esprits, et qui, désormais, doit être accessible aux plus médiocres. Le plan que je viens de mettre sous vos yeux, me paraît propre à calmer les esprits agités de ces craintes vagues, que l’imagination, faute de base certaine, applique à toutes les circonstances de chaque fortune particulière. Ces craintes disparaîtront entièrement à mesure que vos décrets auront successivement relêvé tous les débris de la fortune publique. Donnez des bases à la confiance, et fiez-vous ensuite au besoin que sentent les citoyens paisibles, de retrouver enfin le repos et la sécurité. La caisse d’escompte, rentrée dans ses limites, rendue à sa véritable destination, aidera le commerce, et n’aura plus rien de commun avec les affaires du gouvernement. Si un pian de banque plus utile, plus vaste que le sien vous est présenté, alors vous pourrez l’examiner à loisir; ce n’est pas du moins en apercevant un glaive suspendu sur vos têtes, que vous vous livrerez à cette importante J discussion. Je crois d’ailleurs, je regarde comme un principe que ce n’est jamais dans des moments decrise et d’alarme qu’il faut songer à des ventes, à des emprunts, ni même à établir des banques (1). (1) Il est dangereux, dans une affaire comme celle-ci, de soutenir une opinion qui choque beaucoup d’intérêts particuliers. Ceux qui les défendent manquent-ils d’arguments solides? ils appellent à leur secours tout ce qui Tout ce que le crédit peut favoriser est imparfait, ou échoue dans des temps difficiles. Il suffit aujourd’hui d’écarter entièrement ces orages que vous avez vu se renouveler presque à chaque semaine de vos séances; bientôt un avenir de plus en plus favorable, se déploiera devant vous, et vous commencerez enfin à recueillir le prix si mérité, d’un travail infatigable, d’une assiduité sans exemple, et d’un courage toujours supérieur aux obstacles. Je me résume, Messieurs, et je propose à l’Assemblée de décréter : 1° La reconnaissance de la dette de 90 millions au 1er janvier, à la caisse d’escompte , et l’assignat de cette somme sur le premier terme du don patriotique ; 2° L’établissement de la caisse nationale chargée de percevoir tous les impôts destinés à acquitter la dette publique, ainsi que toutes les rentrées extraordinaires (1), et soumise aux formes de comptabilité contenues dans le plan de M. de Laborde ; 3° La fixation des dépenses de 1790 ; 4° La nomination d’un comité de six personnes chargées de présenter incessamment à l’Assemblée un nouveau système d’imposition réremue les passions, et fait taire la raison. Quel parti ne savent-ils pas tirer de ces grands mots que la multitude répète sans en faire la juste application, et qui deviennent bientôt un cri de ralliement et d’alarme ! Te! est, dans ce moment-ci, le mot de banqueroute. Veut-on se passer de la caisse d’escompte en commençant cependant par la payer ? veut-on se tirer à jamais de la main des banquiers, des marchands d’argent, des agioteurs ? on prêche la banqueroute. S’avise-t-on de dire que la vente de 400 millions de fonds de terre est difficile dans un moment de discrédit, et que des assignats sur le produit d’une vente qui ne se ferait pas pourraient avoir l’inconvénient de décrier une ressource salutaire et de favoriser l’agiotage ; on prêche la banqueroute. C’est au public impartial à juger si l’apôtre de la banqueroute était celui qui refusait les arrêts de surséance , qui ne voulait pas que des billets de banque payables à vue eussent le droit de tromper le public en cessant d’être payés à vue, qui, dans la nécessité de prendre des termes avec des créanciers, désirait qu’avant de s’engager on se fût assuré de pouvoir tenir exactement tout ce que l’on promettait, et que le retard fût compensé par de justes intérêts ; qui enfin ne donnait rien au hasard, repoussait toute spéculation incertaine, tonte opération compliquée, et ne connaissait pas de gage plus sûr et plus sacré que l’honneur et la fidélité nationale. (1) Les commissaires ont approuvé l’établissement d’un receveur de l’extraordinaire. Cettei nstitution très-analogue à l’ancienne marche des affaires de finance, me semble entièrement inutile dans le nouvel ordre de choses qu’il s’agit d’établir. Lorsque c’était par des avances sur tous les genres de revennus, que nous étions réduits à subsister, il fallait bien que chaque engagement qui résultait d’une négociation particulière, eût un répondant spécial qui pût être personnellement poursuivi. Mais lorsque c’est la nation qui règle sa dépense, qui fait ses emprunts, qui assigne un terme à ses remboursements: c’est au Trésor public que tout doit être versé, c'est du Trésor public que toutes les sommes doivent sortir au jour indiqué, et tous les canaux détournés, tous les agents intermédiaires ne peuvent que nuire à la simplicité de cette grande machine. Le premier ministre des finances a agi très-conséquemment en proposant ce trésorier de l’extraordinaire, lorsqu’il donnait à la caisse d’escompte un nantissement en anticipation. Il fallait bien alors lui désigner un répon-ii dant ; mais si, comme on peut enfin l’espérer, les opérations de finance, se font désormais au nom de la nation, elle n’a plus besoin de garants secondaires, et la loi de la responsabilité lui donne à elle-même tous ceux qui lui sont nécessaires. 663 [Assemblée nationale, j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1789,] glé d’après les principes de la Constitution et le besoin de l’Etat ; 5° La création d’une somme d’obligations nationales de 350 millions, remboursables dans l’espace de sept ans, sur le pied de 50 millions par an, porlant intérêt à 5 0/0, librement négociables entre particuliers, et reçues comme espèces dans toutes les caisses publiques et particulières, à partir du 1er janvier 1790 ; 6° La nomination d’une commission chargée de la liquidation générale des dettes de toute espèce échues au 1er janvier, et des arrérages de rente échus au Ier juillet dernier -, 7° Que la caisse nationale satisfera à tous les engagements de l’Etat, à partir du 1er juillet 1789, sans avoir égard à l’arriéré, et que toutes les dépenses seront acquittées régulièrement, à partir du 1er janvier. (Divers passages du discours de M. le marquis de Montesquiou excitent de fortes rumeurs.) Quelques membres demandent l’impression du discours (les mêmes rumeurs se renouvellent). — Cette demande n’a pas de suite. M. le comte «le I*ar«lieu. Je demande qu’il soit décrété qu’on ne recevra plus de motion nouvelle jusqu’à ce que l’Assemblée ait accepté ou rejeté le plan du comité des finances ; que les amendements seuls serontentendus;que la séance de demain commencera à neuf heures précises, et qu’elle ne se terminera pas qu’il n’ait été pris une résolution. M. de Cazalès. Tout l’échafaudage de finance attaché au plan qu’on vous a lu, et sur lequel on veut que vous décidiez si hâtivement, n’a été présenté au comité qu’une demi-heure avant de l’être à l’Assemblée. La motion de M. de Pardieu est décrétée à une grande majorité. M. Treilhard (1). Messieurs, je ne me propose pas de discuter les détails du plan qui vous a été lu hier ; j’en laisse le soin aux personnes plus versées que moi dans ces sortes de matières. Mais j’ai remarqué que ce plan était fondé sur la somme de 400 millions qu’on pouvait se procurer par la vente de biens du domaine ou des possessions du clergé. A l’égard des biens du domaine, ils sont dans vos mains, et vous pouvez en disposer avec toute liberté ; quant aux possessions ecclésiastiques, je crois que j’aurai contribué à ranimer la confiance publique, et que j’aurai par conséquent bien mérité de la patrie, si je prouve que vous pouvez disposer de 400 millions de ces possessions, sans diminuer les revenus affectés aux frais du culte, et au soulagement des pauvres, et sans inspirer la moindre alarme aux créanciers actuels du clergé. Je crois aussi, Messieurs, qu’il est de mon devoir de vous prémunir contre les insinuations de certaines personnes qui semblent n’accorder les secours nécessaires à l’Etat sur les possessions du clergé, que sous la condition que vous lui laisserez une entière administration de ses biens : rien ne me paraîtrait plus téméraire, plus impolitique, et plus inconstitutionnel qu’un pareil engagement de votre part; vous ne pouvez, au (1) La motion de M. Treilhard est incomplète au Moniteur. contraire, vous trop hâter pour l’intérêt de l’Etat, pour l’intérêt de la religion, et surtout pour l’intérêt des titulairés actuels, qui méritent la plus grande faveur, de retenir dans vos mains l’administration des biens ecclésiastiques. C’est ce que je me propose de démontrer avec le plus de précision qu’il me sera possible. M. le marquis de Foucault-Ijardinalie. Tous avez décidé qu’on se renfermerait dans la discussion du plan proposé. L’opinant doit être mis à l’ordre, ou je dois y être mis moi-même. M. le Président. Oui , vous devez y être mis. (Les réclamations continuent , on délibère , et l’Assemblée décide que M. Treillhard doit être entendu.) M. Treilhard reprend : Votre décret du 2 novembre porte : « que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable, aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres, et au soulagement des pauvres, et d’après les instructions des provinces ». Rien de plus clair que le texte de cette loi : elle déclare le droit de disposer des biens ecclésiastiques résidant dans la nation ; elle annonce que ces biens sont grevés des frais du culte, de l’entretien des ministres et du soulagement des pauvres ; enfin elle assure aux provinces une surveillance faite pour garantir l’acquit de ces charges. Cependant quelques personnes contestent encore le droit de la nation sur les biens ecclésiastiques; on cherche à circonscrire ce droit dans la simple faculté de répartir les produits de ces biens ; on essaye d’en fixer invariablement l’administration dans le clergé ; on repousse l’idée d’un salaire pour les ministres de l’Eglise; enfin on ne craint pas d’annoncer que la nation ne saurait directement et sans l’intervention du clergé, verser sur les pauvres les secours qui leur seront nécessaires. Il faut peu connaître l’esprit de votre décret, et faire au texte une violence bien étrange, pour en tirer des conséquences pareilles ; car enfin si la nation est investie du droit de disposer, comme on n’en saurait douter, elle a, à plus forte raison, le droit d’administrer; et tant qu’elle pourvoira d’une manière convenable , aux frais du culte , à l’entretien des ministres , et au soulagement des pauvres, qui pourrait se plaindre avec quelque justice? On peut donc, sans difficulté , retirer au clergé et reprendre l’administration des biens ecclésiastiques. J’ajoute, que si la nation le peut, elle le doit. Voici mes motifs : L’embarras inséparable d’une gestion temporelle ne peut que détourner les ministres de l’Eglise, des études et des devoirs de leur état. « Le service qu’ils doivent, dit l’abbé Fleury, ne consiste pas seulement à réciter l’office , il faut que tout leur temps et toute leurviey soient employés. » Dans les premiers siècles, les ministres du culte n’avaient d’autres revenus que les offrandes volontaires des fidèles ; et ces premiers jours, il faut en convenir, ne sont pas les moins beaux et les moins heureux de l’Eglise. L’ambition ne tarda pas à suivre la permission qui fut donnée au clergé de posséder des immeubles: les plainles touchantes qu’ont faites à ce sujet