SÉANCE DU 9 BRUMAIRE AN III (30 OCTOBRE 1794) - N° 34 211 hommes qui influencèrent notre opinion, que l’erreur même dont nous sollicitons aujourd’hui l’oubli prouve l’ardeur de notre patriotisme. Cependant le décret du 6 août comprime encore nos âmes..., et les calomniateurs en profitent pour cacher à la France nos voeux et nos efforts constamment dirigés vers le triomphe de la liberté. Ils voudraient éterniser la persécution et la destruction de nos concitoyens les plus patriotes ; l’idée du calme et du bonheur leur est insupportable, et ces ennemis irréconciliables des vertus ne peuvent vivre qu’au milieu des dilapidations et des larmes. Sous le règne des tyrans et des triumvirs, les vérités ont trop longtemps été comprimées ; nos sanglots eussent paru criminels : il fallait nous voir assassiner sans oser nous plaindre; mais aujourd’hui que la justice est triomphante, que les principes suivis par la Convention nationale nous rendent à la liberté, elles doivent paraître au grand jour ; il est temps enfin que vous les connaissiez. Nous avons toujours été patriotes ardents, et l’instant où nous cessions de le paraître était celui où nous pensions le mieux servir la patrie. Notre erreur bientôt dissipée, nous avons gémi sur les suites qu’elle pouvait avoir si elle eût été prolongée, et versé des larmes de repentir. Nous vîmes sans murmurer s’apprêter autour de nous les instruments de la mort, et plusieurs de nos frères, en montant à l’échafaud, n’ont témoigné d’autre regret que d’avoir été égarés et de ne pouvoir offrir une seconde vie à leur patrie. C’est nous, c’est nous-mêmes qui avons découvert, arrêté et livré à la juste sévérité des lois les lâches conspirateurs qui nous avaient entraînés dans l’abîme. Ils ne sont plus. Voilà nos réponses aux calomnies lancées contre nous; voilà nos titres pour réclamer le rapport du décret du 6 août. Nous le réclamons avec instance, et nous l’attendons avec confiance de la justice nationale. Si ce n’était assez pour prouver que nous en sommes dignes, nous dirions à ceux qui en douteraient encore : Soixante mille de nos fils ou de nos frères de ce département combattent glorieusement pour la liberté, soit sur les vaisseaux de la République, soit dans les armées, et ils ont autant de successeurs parmi nous qu’il y a de citoyens en état de porter les armes. Nous leur dirions : Nous avons compté pour rien les millions que nous avons déposés sur l’autel de la patrie; pourrait-elle ne pas nous compter au nombre de ses enfants les plus fidèles? Nous leur dirions enfin : Depuis plus d’un an nous souffrons de la faim, et nous n’avons pas murmuré un instant. Vive la Convention nationale ! vive la République une et indivisible. (. Suivent quatre-vingt-dix-neuf pages de signatures .) LE PRÉSIDENT : Citoyens, il n’est que trop vrai que des ennemis de la liberté, qui avaient conçu le projet de déchirer la patrie pour s’élever sur ses ruines, sont parvenus, par les manoeuvres les plus perfides, à égarer les habitants de la commune de Bordeaux; mais la Convention nationale sait que, si le peuple peut être un instant égaré, il revient bientôt dans le sentier de la liberté, et demande lui-même justice des traîtres qui l’ont égaré. La Convention nationale a mis la justice à l’ordre du jour. Elle sait distinguer l’erreur du crime, et elle saura concilier l’application de ses principes avec les mesures qu’exige le salut de la République. La Convention vous invite aux honneurs de la séance. PAGANEL (86) : Pendant le temps que mon collègue Garrau et moi sommes restés à Bordeaux, nous sûmes distinguer l’erreur du crime; nous nous sommes convaincus que des instigateurs avaient répandu dans cette ville un système destructeur de la liberté; mais les citoyens de Bordeaux et tous ceux du département du Bec-d’Ambès ont toujours été attachés à la révolution. Je convertis en motion la pétition qui vient de vous être faite, et je demande le rapport du décret du 6 août. GARNIER (de Saintes) : J’ai séjourné pendant quarante jours à Bordeaux; j’y ai étudié l’esprit du peuple, et j’ai vu répandre des larmes amères sur l’erreur où il avait été entraîné. La commune de Bordeaux a en sa faveur une excuse de plus que toutes les autres communes où le fédéralisme a fait des progrès : elle ignora pendant plusieurs mois tout ce qui se passait à Paris ; aucun papier, aucun bulletin n’y parvenait. On n’y recevait que des lettres des Girondins, que des courriers partis d’une lieue de Bordeaux prétendaient apporter de Paris, lettres dans lesquelles on ne cessait de dire que Paris présentait l’état le plus désastreux. C’est alors que la commune de Bordeaux se leva pour marcher contre les Parisiens ; mais c’était encore le patriotisme qui inspirait cette démarche, et la meilleure preuve qu’on en puisse donner, c’est qu’elle fut proposée par les patriotes les plus purs, par les hommes les plus ardents. J’ai été témoin que la société populaire était constamment entourée d’un peuple immense qui remplissait ses tribunes et environnait le lieu de ses séances. Le décret du 6 août fut rigoureux, mais il était nécessaire au temps où il fut rendu; aujourd’hui il est inutile ; il attriste les meilleurs citoyens du pays, et je crois que vous devez le rapporter. Vous le devez à leur civisme ; car il est bon de vous dire, citoyens, que le jour où l’on apprit à Bordeaux le zèle qu’avaient montré les citoyens d’une commune voisine pour venger la mort des braves marins qui montaient le Vengeur, il y eut dans la même soirée huit mille souscriptions de citoyens qui s’engageaient à combattre l’Angleterre. (86) Mess. Soir, n° 804 précise : « Paganel, Garnier (de Saintes) et Du Roy et plusieurs autres qui avoient gardé un profond silence sur les événemens qui ont eu lieu à Bordeaux, qui ont été les premiers à provoquer les mesures sévères contre cette cité... » 212 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE TALLIEN : Ce que Garnier vient de dire est de la plus grande exactitude; il n’y a pas de doute que le décret du 6 août doive être rapporté, car il serait dangereux de laisser cette arme entre les mains de quelque homme semblable à Lacombe, président de la commission militaire; mais la sagesse doit nous guider en tout. Je demande que le rapport que vous avez chargé les trois comités réunis de faire sur cet objet vous soit présenté primidi prochain. DU ROY : On ne renvoie aux comités que les questions qui ont besoin d’être mûries; ici les faits sont clairs. Je demande le rapport du décret du 6 août et qu’on rende à ce département son ancien nom de la Gironde. GUYOMAR : Quoique je sois de l’avis du rapport du décret, je demande le renvoi aux comités. Une loi du 25 fructidor ordonne qu’avant de rapporter aucun décret on entendra l’opinion d’un comité. Le renvoi est décrété aux trois comités. [Un membre renouvelle sa proposition sur le décret du 23 ventôse, rendu sur la proposition de Saint-Just et de Robespierre, qui met hors de la loi les individus qui se seront soustraits à un mandat d’arrêt. On demande l’ordre du jour motivé sur ce que cette proposition a déjà été renvoyée.] (87) 35 Roblin, ancien commandant du bataillon de la section des Amis de la Patrie [Paris], présente une pétition à la Convention nationale tendante à obtenir la suspension d’un jugement qui le condamne à quatre années de fers et la révision de son procès. Renvoyé au comité de Législation (88). 36 Le citoyen Parmentier présente une pétition, tendante à obtenir de la Convention nationale la suspension de l’instruction de son procès. Renvoyé au comité de Législation (89). 37 Deux citoyens, habillés et équipés par la société populaire de Dieppe [Seine-Inférieure], se présentent à la barre et (87) Gazette Fr., n° 1033. (88) P.-V., XL VIII, 115. (89) P.-V., XL VIII, 115. demandent à être employés promptement. Le président accorde à ces concitoyens les honneurs de la séance et sur la proposition d’un membre, la Convention décrète la mention honorable du zèle de cette société et renvoie à la commission de l’organisation et du mouvement des armées de terre (90). 38 La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de la pétition de Jean-Baptiste Guillemot, maître de la poste aux chevaux de Coclois, district d’Arcis-sur-Aube [Aube], convertie en motion par un membre, sursoit à l’exécution du jugement du juge de paix du canton d’Aulnoy, du 16 vendémiaire dernier, portant confiscation des chevaux, voiture, avoine appartenant audit Guillemot et qui le condamne en l’amende de 1000 L. Renvoie au surplus ladite pétition à son comité de Législation, pour sur son rapport, être statué ce qu’il appartiendra (91). 39 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MENUAU, au nom de] son comité des Secours publics, sur la pétition de Joseph Pernez, de la commune de Charmillon, district de Chambéry, département du Mont-Blanc, qui a été acquitté par le Tribunal révolutionnaire après quatre mois et demi de détention, décrète que, sur le vu du présent décret, la Trésorerie nationale paiera audit Joseph Pernez la somme de 450 L, à titre de secours pour se rendre à son domicile (92). 40 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MENUAU, au nom de] son comité des Secours publics, sur la pétition de Jean Pion, laboureur de la commune de Charmillon, district de Chambéry, département du Mont-Blanc, qui a été acquitté par le Tribunal révolutionnaire, après quatre mois et demi de (90) P.-V., XL VIII, 115. C 325, pl. 1365, p. 32, minute de la main de Guimberteau. Rapporteur anonyme selon C* II 21, p. 19. M. U., XLV, 169. (91) P.-V., XL VIII, 115. C 325, pl. 1365, p. 33, minute de la main de Pierret. Rapporteur anonyme selon C* II 21, p. 19. M. U., XLV, 169. (92) P.-V., XL VIII, 115-116. C 325, pl. 1365, p. 34, minute de la main de Menuau, rapporteur selon C* II 21, p. 19.