376 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] laquelle plusieurs cahiers s’élèvent. Pour concilier les principes avec les besoins, le Roi ouvrira l’emprunt et vous n’aurez fait que le délibérer, le crédit naîtra de votre garantie. Quant au gage offert par le clergé, il ne serait pas décent d’offrir celui d’un corps particulier; la nation n’a besoin que d’elle-même. D’ailleurs combien d’obstacles un pareil gage mettrait à l’exécution de projets sur les biens ecclésiastiques ! Il faut soumettre aussi les prêteurs aux retenues, afin que les citoyens les plus riches contribuent aussi aux charges de l’Etat. Le comité de surveillance qu’on vous propose ferait tort aux représentants de la nation. Cet établissement, injurieux à la dignité royale, serait encore destructif de la confiance que vous avez témoignée si solennellement à un ministre vertueux, et contraire à la majesté du peuple français. M. Prieur demande que, dans le préambule du décret sur l’emprunt, l’Assemblée nationale énonce les motifs qui l’ont déterminée. M. Dupont présente des vues générales sur les emprunts, et propose ensuite d’établir celui-ci à quatre et demi pour cent ; et pour augmenter l’attrait, voici la forme qu’il adopte: quatre pour cent en rente perpétuelle, un demi pour cent en tontine, de maniéré que le dernier de deux cents prêteurs aurait la totalité de son capital en rentes viagères. Pour éviter l’agiotage, les deux intérêts seraient stipulés dans le même contrat. M. deCIepmont-Tonnerre.il serait précoce d’entamer la question des biens du clergé. Vous avez mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de la loyauté française ; il est inutile de chercher un autre gage, personne ne doute de la sûreté de cette hypothèque. La responsabilité des ministres dispense l’Assemblée de surveiller l’emploi des finances. On demande de toutes parts que la discussion soit fermée, et que le projet soit mis aux voix. M. Guinebaud, député de Nantes, dit qu’il versera 30,000 livres dans l’emprunt sans intérêts. M. Bcgouen, député du bailliage de Gaux, fait la même offre. On applaudit, et on demande par acclamation que le nom de ces députés soit inscrit sur le procès-verbal. M. le baron d’AUarde veut présenter un projet de décret, il est interrompu; les cris aux voix! aux voix! l’empêchent de se faire entendre. Les articles du projet du comité sont mis successivement aux voix. L’article qui fixait l’intérêt à cinq pour cent avec retenue est de nouveau débattu ; on observe qu’il valait mieux prendre cette retenue dans l’intérêt même, et on a proposé de le fixer à quatre et demi pour cent sans retenue. M. le vicomte de IVoailles appuie cette observation en faisant sentir l’incertitude qu’entraîne avec lui le mot retenue ; et il ajoute que cette incertitude éloignerait beaucoup de capitalistes. � Cette observation est approuvée, et l’intérêt est fixé à quatre et demi pour cent. Voici les articles tels qu’ils ont été décrétés. DÉCRET. « L’Assemblée nationale, informée des besoins urgents de l’Etat, décrète un emprunt de 30 millions aux conditions suivantes ; « Art. Ier. L’intérêt sera à quatre et demi pour cent, sans aucune retenue. « II. La jouissance de l’intérêt appartiendra aux prêteurs, à commencer du jour auquel ils auront porté leurs deniers. « III. Le premier payement des intérêts se fera le 1er janvier 1790, et les autres payements se feront ensuite, tous les six mois, par l’administrateur du trésor public. « IV. Il sera délivré à chaque prêteur (1) des quittances de finances, sous son nom, avec promesse de passer contrat, conformément au modèle ci-après. « V. Aucune quittance ne pourra être passée au-dessous de 1,000 livres. » La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du lundi 10 août 1789, au matin. La séance est ouverte à 9 heures du matin par la lecture d’une ampliation de pouvoirs aux députés de la noblesse du Poitou. M. Target, au nom du comité de rédaction, fait lecture d'un projet de décret pour le rétablissement de la tranquillité publique. Il lit ensuite la formule du serment pour les troupes. M. Dupont juge convenable qu’on établisse une formule pour avertir le peuple qu’on agira contre ceux qui fomenteront et participeront à des mouvements séditieux comme contre les rebelles. Il cite le bill de mutiny publié en pareil cas en Angleterre, et il réclame l’exécution de formes semblables dans la proclamation proposée. M. le duc du Châtelet appuie cette proposition; il ajoute qu’elle produit en Angleterre les effets les plus prompts pour dissiper les attroupements, puisqu’après la promulgation de cette loi cinq personnes trouvées ensemble sont arrêtées et condamnées à mort. M. le marquis de ..... Dans diverses provinces, le peuple, non content de brûler les cbartriers des seigneurs, porte ses excès jusque sur les personnes. Je propose donc d’ajouter à la proclamation que tous les habitants d’une paroisse répondront des incendies, à moins qu’ils ne prouvent que ces désordres ont été commis par des étran * gers. M. Mouiller. La formule de serment pour les troupes, proposé par le comité, demande un examen réfléchi. Si les troupes juraient de ne prendre les armes contre les citoyens que sur la réquisition de l’Assemblée nationale et des ma-(1) Le mot prêteur a été remplacé parle mot porteur. Voy. plus loin la séance du 10 août au soir. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] 377 gislrats civils, il en résulterait que l’Assemblée réunirait le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, tandis qu’elle ne peut faire que des lois. Il arriverait que les soldats se croiraient en droit de refuser l’obéissance à leurs chefs, et que, dans des moments pressants, il faudrait lire à chacun d’eux la réquisition des officiers civils. Renvoyons après la constitution à faire des lois contre les émeutes; maintenant il faut se borner à exiger des troupes un serment dont la formule sera dirigée dans ces vues. Les soldats jureront d’être fidèles à la nation et au Roi; on ajoutera à celui des officiers, qu’ils ne pourront commander les troupes contre les citoyens que sur la réquisition des magistrats civils. M. de Castellane. Je pense que l’arrêté proposé par le comité ne peut être pris qu’après la constitution. Je demande l’envoi et la publication de celui du 4, qui seul rétablira la tranquillité publique. M. Dupont propose d’envoyer tout à la fois l’arrêté du 4 août, le décret de l’emprunt et celui proposé. Il dit que c’est le moyen de ne pas jeter le peuple dans des conjonctures dangereuses. M. le comte de Mirabeau. Le serment proposé pour les troupes pourrait cacher quelques dangers par l’étendue de pouvoirs qu’il donnerait aux municipalités. L’influence des municipalités sur la juridiction militaire tenant à de grandes questions dont les bases ne sont pas encore posées, je demande qu’on ne s’en occupe qu’après la constitution. L’ouvrage le plus pressant est de terminer la rédaction de l’arrêté du 4 ; en y joignant ensuite les divers autres arrêtés, on fera connaître à la nation que l’Assemblée a surveillé ses intérêts. M. Duval -d’Epréménil. C’est avec la joie la plus pure que je vois s’approcher le jour de la liberté publique. Je pense qu’il est nécessaire que la constitution militaire soit liée à la constitution politique. Les municipalités ne sont pas encore établies dans les campagnes; les syndics des communautés doivent être autorisés à faire marcher les troupes sur leurs réquisitions. Je m’étais proposé de prendre la parole pour parler de moi, pour dire que les papiers publics se sont trompés sur mon compte ; mais j’ai respecté la discussion qui occupe l’Assemblée, et je me borne à la prier de recevoir de moi la déclaration que mes sentiments n’ont jamais varié, et que je reviens au milieu d’elle vivre ou mourir pour la patrie. On demande à aller aux voix. M. ***. Je trouve deux inconvénients à la formule du serment proposé. Le premier, que le serment devait se prêter devant le corps entier. Le second, qu’en ajoutant: sur la réquisition des municipalités, il faut distinguer celles qui ne sont pas électives, parce que celles qui ne le sont pas sont dans la dépendance du Roi. Quelle que soit la formule du serment que l’on fasse faire aux troupes, ce serment ne doit et ne peut jamais engager ni lier le soldat au point de le faire agir contre les devoirs de l’homme et du citoyen. Trop longtemps on a regardé le soldat comme un automate fait pour suivre simplement l’impulsion qu’on lui donne. Dans le siècle de la philosophie, dans ce siècle de lumières, où tous les devoirs de l’humanité sont connus, le soldat doit être regardé comme un homme et comme citoyen. Où en serions-nous, grand Dieu ! Si les gardes-françaises n’eussent pas eu assez déraison, assez de philosophie, pour préférer les devoirs sacrés de l’homme et du citoyen aux lois rigides du code militaire ? Ils eussent fait main-basse sur leurs concitoyens; Versailles et Paris eussent été inondés de sang; la France serait aujourd’hui le théâtre d’une guerre civile d’autant plus funeste, que le despotisme aurait voulu écraser et faire trembler des êtres qui tous voulaient recouvrer leurs premiers droits, les droits imprescriptibles de la liberté. Pourquoi donc aujourd’hui vouloir encore lier le soldat citoyen par une formule de serment qui aurait entraîné les plus grands malheurs si le soldat s’y était conformé? Et pourquoi croire lier l’officier par une formule de serment qu’il saura, quand il lui plaira, faire plier devant ses intérêts et son ambition? On peut conclure, et non sans raison, qu’un serment, n’importe la forme sous laquelle on le fait prêter, est absolument inutile. Peut-on croire en effet que l’homme méchant, que l’homme traître, se fera un scrupule de fausser son serment? Ces êtres-là, pour qui le crime a des attraits, et qui sont prêts à sacrifier le sacré et le profane à leurs intérêts particuliers, à leur passion dominante, ne seront jamais arrêtés par un serment ; au contraire, violer leur parole, trahir leur conscience, est un aiguillon de plus pour les porter à'faire le mal. L’homme vertueux, n’importe l’état qu’il professe dans la société, se gardera bien de dépasser le but marqué par les premiers devoirs, les premiers droits de l’homme et du citoyen. Ainsi, quelque tournure que l’on donne à la formule du serment qu’on lui fera prêter, son coeur lui dira toujours, lui criera sans cesse qu’il doit rester immobile, et ne point écouter la voix impérieuse d’un scélérat qui lui commande le crime. Le maréchal de Broglie, ce général qui a pour jamais souillé et terni les lauriers qu'il avait cueillis à la retraite de Prague, est un exemple frappant de ce que j’avance, Trop sensé pour avoir accepté le commandement du dernier camp sans pénétrer les raisons de la cour, il est chargé et sera toujours chargé, aux yeux des générations présentes et futures, de l’exécution de la conspiration infernale formée contre la patrie. Ce coupable général, pour sonder les dispositions de ses soldats leur rappela leur serinent ; n’avez-vous pas juré, leur dit-il, fidélité au Roi? Je compte sur votre parole. « Nous la tiendrons, répondirent les troupes ; mais sachez qu’en promettant fidélité au Roi, jamais nous n’avons entendu nous engager à nous souiller du sang de nos frères. » Une connaissance des droits et des devoirs de l’homme, mise à la portée de tous les citoyens, bien sentie d’un chacun, vaudrait infiniment mieux que toutes les tournures et formules de serment. L’une, en quelque façon, préviendrait le crime, en apprenant à l’homm*e jusqu’où il peut aller et où il doit s’arrêter. Les autres ne sont que des précautions inutiles contre l’homme subalterne, accoutumé au crime, auquel il se livre d’autant plus volontiers, qu’il voit un des chefs lui en donner l’exemple. M. Barnavc. La proclamation qu’on vous propose n’est point une loi générale, mais un décret provisoire retatif aux circonstances. Le serment 3” 8 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] des troupes est indispensable dans un moment où tous les liens delà subordination paraissent rompus, où les troupes elles-mêmes pourraient devenir dangereuses. L’arrêté proposé contie la force aux personnes qui ont joui de plus de confiance, en la conférant aux tribunaux et aux municipalités. Si cette distinction de loi générale et de décret instantané avait été bien saisie, personne sans doute ne se serait élevé contre le projet du comité. M. le vicomte de Noailles. Le serment des troupes est prématuré ; je demande que la formule soit séparée des autres objets délibérés. Cette motion est appuyée, on-demande d’aller aux voix. M. le Président sépare la formuledu serment de la proclamation proposée, qui est mise aux voix et adoptée à une grande majorité. Il consulte ensuite l'Assemblée pour savoir s’il y a lieu à délibérer sur la formule du serment La majorité est pour l’affirmative. M. Desmeuniers fait sentir le danger qu’il y aurait à confier la puissance militaire à des officiers municipaux nommés par le Roi, dans les villes de guerre surtout, et il propose qu’elle ne soit accordée qu’aux municipalités électives. M. Garat, Vaine, s’élève contre cette restriction, et il soutient que lejdêcret et la formule du serment n’étant que provisoires, on ne peut se dispenser d’accorder le même droit aux officiers municipaux nommés par le Roi, parce qu’ils en ont besoin également pour maintenir la tranquillité publique, et qu’on ne peut les soupçonner de vouloir la troubler. M. Maunier lit la formule du serment, ainsi qu’il l’a rédigé. Elle est mise aux voix et adoptée.- Voici le texte entier du décret : DÉCRET « L’Assemblée nationale, considérant que les ennemis de la nation ayant perdu l’espoir d’empêcher, par la violence du despotisme, la régénération publique et l’établissement de la liberté, paraissent avoir conçu le projet criminel de revenir au même but par lavoie du désordre et del’anar-chie; qu’entre autres moyens ils ont, à la même époque, et presque le même jour, fait semer de fausses alarmes dans les différentes provinces du royaume, et qu’en annonçant des incursions et des brigandages qui n’existaient pas, ils ont donné lieu à des excès et des crimes qui attaquent également les biens et les personnes, et qui, troublant l’ordre universel delà société, méritent les peines les plus sévères; que ces hommes ont porté l’audace jusqu’à répandre de faux ordres, et même de faux édits du Roi, qui ont armé une portion de la nation contre l’autre, dans le moment même où l’Assemblée nationale portait les décrets les plus favorables à l’intérêt du peuple ; « Considérant que, dans l’effervescencegénérale, les propriétés les plus sacrées, et les moissons memes, seul espoir du peuple en ces temps de disette, n’ont pas été respectées ; « Considérant enfin que l’union de toutes les forces, l’influence de tous les pouvoirs, l’action de tous les moyens et le zèle de tous les bons citoyens doivent concourir à réprimer de pareils désordres ; « Arrête et décrète : « Que toutes les municipalités du royaume, tant dans les villes que dans les campagnes, veilleront au maintien de la tranquillité publique; et que, sur leur simple réquisition, les milices nationales, ainsi que les maréchaussées, seront assistées des troupes, à l’effet de poursuivre et d’arrêter les perturbateurs du repos public, de quelque état qu’ils puissent être; « Que les personnes arrêtées seront remises aux tribunaux de justice et interrogées incontinent, et que le procès leur sera fait; mais qu’il sera sursis au jugement et à l’exécution à l’égard de ceux qui seront prévenus d’être les auteurs de fausses alarmes et les instigateurs des pillages et violences, soit sur les biens, soit sur les personnes; etque cependant copies des informations, des interrogatoires et autres procédures, seront successivement adressées à l’Assemblée nationale, afin que, sur l’examen et la comparaison des preuves rassemblées des différents lieux du royaume, elle puisse remonter à la source des désordres, et pourvoir à ce que les chefs de ces complots soient soumis à des peines exemplaires qui répriment efficacement de pareils attentats ; « Que tous attroupements séditieux , soit dans les villes, soit dans les campagnes, même sous prétexte de chasse, seront incontinent dissipés parles milices nationales, les maréchaussées et les troupes, sur la simple réquisition des municipalités. « Que dans les villes et municipalités des campagnes, ainsique dans chaque district des grandes villes, il sera dressé un rôle des hommes sans aveu, sans métier ni profession, et sans domicile constant, lesquels seront désarmés ; et que les milices nationales, les maréchaussées et les troupes veilleront particulièrement sur leur conduite ; « Que toutes ces milices nationales prêteront serment entre les mains de leur commandant, de bien et fidèlement, servir le maintien de la paix, pour la défense des citoyens, et contre les perturbateurs du repos public; et que toutes les troupes, savoir, les officiers de tout grade et soldats, prêteront serment à la nation et au Roi, chef de la nation, avec la solennité la plus auguste. « Que les soldats jureront, en présence du régiment entier sousles armes, de ne jamais abandonner leurs drapeaux, d’être fidèles à la nation, au Roi et à la loi, et de se conformer aux règles de la discipline militaire; « Que les officiers jureront, à la tête de leurs pes, en présence des officiers municipaux, de rester fidèles à la nation, au Roi et à la loi, et de ne jamais employer ceux qui seront sous leurs ordres contre les citoyens, si ce n’est sur la réquisition des officiers civils ou municipaux, laquelle réquisition sera toujours lue aux troupes assemblées (1) ; « Que les curés des villes et des campagnes feront lecture du présent arrêté à leurs paroissiens réunis dans l’église, et qu’ils emploieront, avec tout le zèle dont ils ont constamment donné des preuves, l’influence de leur ministère, pour rétablir la paix et la tranquillité publique, et pour ra-(1) La première rédaction portait : es mains des officiers municipaux et sur la réquisition des officiers civils et municipaux. Voy. plus loin la séance du 13 août.