270 songe sans cesse aux précautions qu’il doit prendre lorsqu’il cherche à placer son argent ; il n’aurait pas cette inquiétude avec un papier de l’espèce proposée. A la vérité le hillet de 1 ,000 livres ne porterait point un intérêt particulier de 50 livres par an ; mais les possesseurs auraient la somme des intérêts accumulés à chaque vacation, qui étant tirés au sort d’une loterie, le porteur du billet heureux réunit à lui seul l’intérêt de tous les autres, et jouirait de 5,000 livres de rente pendant toute sa vie. Il ne faut pas perdre de vue que, quoique la possession change et Unisse, le titre ne meurt jamais, et que tous les billets monnaie, soit le gagnant, soit les autres, portant sur un même fonds, conservent toujours leur hypothèque et leur droit pour d’autres tirages. Les capitalistes auraient d’autant plus d’avantages à l’établissement de cette banque, qu’ils pourraieut s’approprier et conserver à perpétuité dans leurs familles tel ou tel domaine qui leur conviendrait : il ne s’agirait que de rassembler tous les billets dont l’hypothèque porterait sur le domaine désiré. Par ce moyen, et beaucoup d’autres particularités que je détaillerai par la suite* l’Etat pourrait fabriquer pour 2 ou 3 milliards de papier-monnaie, pour faire rentrer 2 ou 3 milliards d’effets royaux. Ce papier serait bien préférable, comme je le démontrerai toujours, aux espèces d’or et d’argent qui ne peuvent donner aucun intérêt, à moins qu’on ne s’en démunisse, et qu’on ne coure le risque de perdre son capital par l’insolvabilité cachée de celui à qui on l’aurait confié ; au lieu qu’avec ces billets on tient le capital, et l’on est assuré de l’intérêt lorsqu’on perd une certaine uantité de billets : si l’on prend d’un côté, on oit gagner d’un autre, et si l’on est heureux, on a plus que l’intérêt. A la vérité, si l’on est malheureux, on peut ne pas gagner ; la sûreté reste, le droit ne s’altère pas, et le billet conserve toujours sa même valeur et son cours. Le père de famille pourrait encore favoriser ses enfants, en faisant paraître celui qu’il voudrait établir, propriétaire d’un pareil domaine. Il ne faut pas imaginer encore que cet intérêt ne doive être considéré que comme celui d’une rente viagère ordinaire. 11 est certain.au contraire, que cette opération offrirait beaucoup plus d’avantages qu’une constitution de rente perpétuelle à 5 0/0. Voici l’exemple qui va le démontrer. Je suppose qu’un ecclésiastique porterait 100,000 livres en or au Trésor de l’Etat, pour jouir à perpétuité d’une terre du clergé, dont il serait en possession par son bénéfice, on lui délivrerait pour 100,000 livres de billets. Il jouirait donc alors et du capital et de la rente à perpétuité tant qu’il garderait ce capital en billets dans son portefeuille. Si au contraire les 100,000 livres étaient constituées sur une autre terre de 5,000 livres de rente, il arriverait que démuni de son argent, il lui serait fort difficile de ravoir son capital, à moins que de revendre son contrat de constitution-, mais ce contrat de constitution de rente, quoique très-solide, ne se négocie pas toujours lorsque l’on a besoin d’argent, et si on le vend, on en perd la rente ; au lieu que les billets de banque mettraient le possesseur à même de faire passer son revenu à sa famille après sa mort, avec les 100,000 livres de billets qu’il laisserait en nature, et en totalité dans sa succession, ce qui empêcherait alors que le tirage au sort fît passer le revenu à des étrangers, puisque les héritiers [2 octobre 1789.1 possédant tous les billets auraient toujours le numéro gagnant. Le calcul des probabilités démontre qu’un capitaliste, qui aura un million de billets de cette espèce, doit gagner 50,000 livres de rente, et même beaucoup plus, en vivant longtemps, lorsque ses bénéfices s’accumuleront en billets de banque. Les grands trésoriers, les notaires, les tuteurs, les rentiers, et tous les hommes qui, par état, se trouveront dépositaires de grands capitaux, devront certainement préférer ces billets de banque à l’argent monnayé, par la raison qu’on ne pourra pas leur disputer ce bénéfice, lorsqu’ils remet-trontles capitaux qu’on leur aura confiés. 11 est probable qu’ils devanceront tous ceux qui voudront de l’argent comptant : d’ailleurs, la caisse de la banque remboursera toujours ces billets en argent, à la volonté des porteurs, avec les fonds du Trésor de l’Etat. Il y aura peut-être des personnes qui imagineront qu’une augmentation de numéraire aussi considérable que celui qui s’établirait par cette banque pourrait devenir préjudiciable au commerce. Je répondrai que quoique l’énorme somme qui compose la dette nationale n’existe pas en argent, elle n’en a pas moins la même représentation en papiers royaux, dont la manière de circuler fait tenir dans le portefeuille du riche la place que leur valeur en or représenterait dans son cofifre. Je répondrai encore que l’Angleterre, qui n’a que 9 millions d’habitants, a 7 milliards, tant en espèces qu’en billets de banque et de l’Echiquier, ce qui fait 874 livres par chaque tête. En France nous n’avons à peu près que 4 milliards d’espèces ou effets royaux à partager entre 25 millions de sujets, ce qui fait 160 livres par chaque tête. Il nous faudrait donc 121,850 millions, pour que les Français eussent une proportion d’effets circulants équivalente à celle des Anglais. Voilà le précis de mon projet ; je désire qu’il puisse concourir à éteindre la dette de l’Etat. C’est à l’Assemblée nationale à dévoiler le vrai, le faux ou l’apparent de tous les moyens qu’on lui propose ; la raison appuyée du calcul et de l’expérience doit être préférée, en pareille matière, à l’éloquence trompeuse qui nous écarte souvent de la vérité par les charmes de son délire. Vues générales sur l’impôt des aides, les inconvénients DE SA SUPPRESION ET LA POSSIBILITÉ DE SA RÉFORME (1). ( Imprimées par ordre de l’Assemblée nationale et renvoyées au comité des finances.) Messieurs, plusieurs cahiers proscrivent, dit-on, l’impôt de£ aides, et on peut en avoir conclu qu’il était généralement et justement odieux ; comme s’il n’était pas possible qu’on eût pris dans plus d’un bailliage la voix de quelques mécontents, pour le cri général de toute l’Assemblée, et comme si la haine publique était toujours exempte d’erreur et de prévention. D’ailleurs le sacrifice d’un revenu de 42 millions est-il bien possible aujourd’hui sans entraîner des rejets ou des remplacements plus onéreux? Et ne conviendrait-il pas mieux de rechercher si les aides ne seraient pas susceptibles de réformes et d’une organisation plus heureuse, qui conci-(1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 271 [Asseniblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lierait le vœu des peuples avec les besoins de l’Etat? C’est aux lumières de l’Assemblée nationale qu’il appartient de résoudre ce problème, et nous osons lui soumettre à ce sujet quelques réflexions, sans autre but que le désir de nous montrer utiles, et d’acquitter une portion de la dette sacrée que tous les bons citoyens ont contractée envers la patrie. Nous poserons d’abord pour base de tous nos raisonnements un principe fondamental, reconnu par de grands administrateurs, et récemment consacré par un écrivain célèbre, que dans un vaste empire les terres ne peuvent pas porter seules le fardeau de l’impôt, et qu’il doit être nécessairement partagé par les consommations. Mais tous les objets qui se consomment ne peuvent pas être indistinctement imposés; il faut: 1° Que la denrée assujettie ne soit point de première nécessité, qu’elle soit abondante, d’un usage commun, mais cependant volontaire, de manière qu’on reste libre de se soustraire ou de se soumettre à l’impôt ; 2° Que la nature de cette denrée larende propre à différents commerces, afin de pouvoir multiplier les cas de perception, alléger le fardeau en le divisant, le rendre insensible, indirect, et laisser moins d’appâts à la fraude ; 3° Que l’impôt puisse être modifié sur l’aisance, le numéraire et la circulation de chaque province ; que la perception soit susceptible de formes variées, et applicables à tous les systèmes ; 4° Qu’il puisse atteindre les différentes qualités de la marchandise assujettie, être proportionné à ses différentes valeurs; et que celle d’un plus haut prix, et réservée à l’opulence, soit plus grevée que celle qui devient la consommation du peuple ; 5° Que la gêne des exercices indispensables pour la levée du droit porte principalement sur une classe de citoyens qui s’y soumettent par état, et s’exposent à bien d’autres désagréments ; que le surplus des consommateurs soient affranchis de droits et d’exercices (à moins qu’ils n’abusent), ou du moins sujets à des obligations si simples, si faciles à remplir, qu’elles ne puissent exciter aucunes plaintes raisonnables. Or, ces aides, tant décriées, réunissent exclusivement l’universalité de ces caractères. Mais pourquoi donc ce soulèvement contre elles, dira-t-on ? C’est qu’on a pris l’abus pour la chose; la dépravation survenue dans le régime, pour le régime lui-même. C’est parce que les perceptions se sont compliquées avec les temps ; parce que leur bigarrure et leur différence de province à province ont fatigué l’attention, jeté la confusion dans les idées, et favorisé l’esprit fiscal, qui peut sans doute avoir quelques reproches à se faire. C’est enfin, et surtout parce qu’il existe un malheureux droit appelé gros-manquant , qui répand injustement sur les aides une défaveur qu’il peut bien mériter particulièrement, et dont le sacrifice aurait peut-être prévenu ou apaisé des plaintes qu’il fallait en tout cas circonscrire, et motiver pour qu’elles fussent justes et admissibles, et que nous allons apprécier. Idées sommaires des droits d’aides tels qu’ils existent, et des réformes dont ils sont susceptibles. Les aides, proprement dites, sont des droits qui se lèvent sur les boissons, soit à la vente en gros, soit à la vente en détail, soit à l’entrée et à la fabrication dans certains lieux, d’où résulte la division simple et naturelle des trois articles suivants. Droits de gros. Les droits de gros sont composés, dans les généralités de Paris, Amiens, Châlons et Soissons,dugros proprement dit, qui consiste au vingtième du prix de la vente. À ce droit s’en joignent d’autres, sous différentes dénominations qui n’ont pas également cours partout; mais leur ensemble s’élève communément à 7 ou 8 francs pour un muid de vin vendu à 50 livres, tandis que les autres provinces d’aides ne sont sujettes qu’à un droit léger qui n’est pas encore uniforme, mais qu’on peut évaluer à 15 sous par muid. Cette diversité d’assujettissement a donné lieu à une foule de perceptions, à l’arrivée, au passage, à la sortie de provinces exemptes* ou différemment sujettes. Cette perception gêne leur commerce et leurs relations réciproques, multiplie les entraves, les formalités, rend souvent leurs limites respectives le théâtre d’une sorte de guerre avec les agents du fisc, et donne de l’impôt des idées fausses et fâcheuses. Elles s’adoucissent heureusement presque toujours à mesure qu’on avance dans l’intérieur de la province sujette, et qu’on s’éloigne de ces tracasseries locales ; ce qui prouve que la perception, simplifiée et réduite à ses bases élémentaires, n’aurait rien que de très-supportable. Un impôt unique, égal partout, acquitté une seule fois, ferait cesser toutes les plaintes : alors le vin et autres boissons ne seraient plus arrêtés dans leur marche; débarrassés de toute déclaration et de tout payement ultérieur, ils pourraient circuler avec liberté dans tous les pays d’aides. Ces raisons solliciteraient la suppression de tous les droits affectés à certaines provinces, à certaines villes, à certaines rivières. On ne peut trouver aucun motif raisonnable de ces disparités. On comprendrait aussi dans la même proscription les droits appartenant aux villes, et dus au passage. Leur établissement est encore plus ridicule, plus inique. Gbaque ville doit fournir à ses dépenses, et il est indécent que les provinces étrangères payent ses fantaisies ou ses besoins. On observera peut-être que les vins, différents dans leur qualité, doivent l’être aussi dans leur imposition. Il conviendrait donc, pour le maintien d’une juste répartition, d’asseoir le droit sur leur prix; le fixant au dixième, le vin vendu 40 livres n’acquitterait que 4 francs, et celui vendu 200 livres en payerait vingt. Cette quotité établie généralement partout, il en résulterait un bénéfice pour le fisc, une diminution pour les vins ordinaires des provinces sujettes au gros, une augmentation pour les exemptés; mais la répartition serait juste, et les dernières trouveraient une indemnité dans les suppressions déjà indiquées, dans les modérations que nous allons détailler, et enfin dans la liberté de la circulation. La portion de l’éau-de-vié sujette au gros est à peu près des 3/20es, et comme elle est encore d’une moindre nécessité que le vin, on pourrait laisser subsister cette taxe. Enfin les droits de gros sont dus non-seulement à la vente, mais à toute revente, et la liberté du commerce demanderait le sacrifice de ces derniers droits. 11 ne serait pas considérable, et serait avantageux, en ce qu’ils arrêtent les spécula- 272 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] tions des particuliers qui n’osent, dans les années d’abondance, s’exposer à des achats considérables de vin (1), dans la crainte que les droits ne les frustrent de leurs bénéfices. Les marchands ordinaires éludent la loi par des procurations collusoires, ce qui les entretient toujours dans un esprit de fraude. Il reste enfin de ramener les esprits sur le compte de ce gros-manquant si abhoré, et qui a fait, dans plus d’une imagination, tout le malheur des aides. Ce gros-manquant n’est autre chose que le droit de vente ou gros exigé de celui qui, d’une année à l’autre, présente une consommation plus forte que celle largement arbitrée par le législateur, lequel regarde alors cet excédant comme vendu en fraude. La définition seule ne respire pas moins tout l’esprit fiscal, et il faut convenir que c’est là son triomphe ; mais ce droit disparaîtrait des aides qu’elles marcheraient encore ; et quand même son utilité à certains égards le ferait conserver, il est tant de moyens de l’adoucir, qu’il ne resterait plus de sujets de plainte. Droits de détail. Cette branche de perception est la richesse des aides. Ils s’élèvent chez tous ceux qui font commerce et débit de boissons en détail. L’imposition n’est point uniforme; elle est connue, dans la Normandie et la Picardie, sous le nom de quatrième. Elle consiste au quart du prix de la vente grevé de 8 sous pour livre. L’impôt est exorbitant et rompt toutes les proportions qu’il devrait avoir avec la valeur de la denrée. Dans les autres provinces, c’est le huitième ; mais la dénomination est trompeuse, et le droit est fixe, et surtout beaucoup plus modéré que le quatrième. Enfin beaucoup de villes réunissent à ces droits des octrois plus ou moins considérables : ce sont des droits qu’elles ont originairement levés à leur profit; le Roi se les est appropriés, et a créé un doublement pour indemniser ces mêmes villes. Il a ensuite grevé le tout de sous pour livre, qu’il faut, en général, regarder comme droits d’aides, pour avoir des résultats certains. Cet exposé indique encore une complication qui n’existe que trop, et qui prouve qu’une routine a été jusqu’à présent la base des impositions. Un droit a donné lieu à un autre; un mal a été la source d’un plus grand; une ville a été surchargée par la seule raison qu’elle était déjà chargée, et le fardeau est devenu insupportable pour plusieurs. Il s’agit donc de refondre les tarifs, et de rétablir entre eux et les objets pour lesquels ils ont été faits, une proportion que le temps a détruite; d’établir pour le détail un droit unique, sous une seule dénomination, mais adaptée cependant aux différentes villes, aux différentes provinces, de manière que leur numéraire, leur aisance, et surtout le salaire de leurs ouvriers, soient le fondement de cette répartition. Ainsi le huitième, tel qu’il se perçoit aujourd’hui, pourrait convenir (1) C’est encore une perte pour le vigneron qui ne trouve point, dans les années d’abondance, un débouché facile de ses vins. Le moindre vigneron peut consommer environ sept muids de vin, et le laboureur d’une charrue, douze, sans être assujettis : les compagnies accordant surtout des remises sur ces excédants; quelles plaintes n’exciterait donc pas un impôt unique sur les vignes ou sur les vins, qui grèverait toute leur consommation ! à beaucoup de provinces ; mais les moins aisées demanderaient une modération, et les villes une augmentation, suivant leur opulence. On placera seulement ici une réflexion bien faite pour obtenir la grâce des droits de détail. C’est qu’ils frappent, en dernier résultat, de la manière la plus douce et la plus insensible, sur une foule de gens qui échapperaient à l’impôt sans celui-là; c’est qu’ils sont payés réellement par le débitant qui les a reçus d’avance, et les prélève sur son bénéfice calculé en conséquence; c’est enfin qu’en les supprimant, on ferait gratuitement un don très-considérable aux cabaretiers, s’ils vendaient au même prix, comme cela arriverait quelquefois, ou une faveur insensible, mesquine, dérisoire aux consommateurs, en supposant que le prix dût diminuer pour eux. On n'aurait donc à objecter que la gêne des exercices (1). Mais tout redevable de bonne foi avouera qu’ils ne gênent vraiment que les fraudeurs, et que tout homme voué librement et par état à la dépendance du public, et aux dégoûts d’une profession presque servile, doit être médiocrement affecté de voir dans sa maison deux hommes de plus, qui viennent de temps à autre y constater son débit. Quant aux bourgeois qui vendent le vin de leur cru à pot, l’ordonnance de 1680 défend aux commis d’entrer dans leurs chambres, ce qui prouve qu’on peut allier la sûreté du droit avec la liberté du citoyen. Droits d’entrée. Les villes étant le foyer des arts, de l’industrie et d’une plus grande aisance, la retraite du rentier, du bourgeois et d’un grand nombre de personnes et de propriétés que tous les impôts ne peuvent atteindre, il a été bien imaginé sans doute de grever les consommations à Rentrée de certains lieux. Mais le temps a dénaturé cette institution et ses motifs. Des villes descendues à l’état du dernier village sont restées sujettes ; d’autres, faibles et pauvres dans leur origine, ont pris un accroissement considérable en tout genre, sans être plus fortement imposées, de sorte que l’équilibre n’existe plus à cet égard entre le tarif et le lieu tarifé. 11 est facile de le rétablir par l’affranchissement des unes et l’assujettissement des autres. L’imposition est au surplus de plusieurs droits, (1) Eh ! quelle différence entre cetté prétendue gène et celle que l’accise (droit sur les boissons) donné à l’Angleterre ! « La régie de ces droits occupe, en Angleterre, au moins quatre mille personnes et coûte au public 10 ou 11 0/0 de son produit. Cette administration est on ne peut pas plus arbitraire ; et les Anglais, malgré leur passion pour la liberté, se sont accoutumés, avec le temps, aux visites qui se font chez les débitants à toute heure du jour et de la nuit, et à des jugements si despotiques, que la fortune d’un débitant peut être renversée sans qu’il puisse réclamer le privilège commun à tous les Anglais, d’être jugé par ses pairs ; ce sont les commissaires de l’accise qui prononcent sur les contestations, et leur jugement est sans appel. » (Voyez le mot Angleterre, à V Encyclopédie.) On peut défier les plus ardents ennemis des aides de citer un seul citoyen, dont elles aient opéré la ruine. Les règlements ne prononcent pour les fraudes aucune peine afflictive, et aux yeux des législateurs citoyens, cette modération doit être recommandable. La plus forte amende est de 500 livres, souvent modérée à 24 livres ; les compagnies accordent des adoucissements, même à des sentences et à des arrêts. [2 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] séparés d’abord, et successivement réunis, qui n’ont pas tous également cours partout, et ont même souvent un régime particulier, susceptible cependant d’une division générale en entrées journalières et en entrées d’inventaire. Les premières sont définies par le nom, et les autres tirent le leur de l’inventaire des vins qui se fait chaque année chez tous les habitants des lieux sujets, six semaines après l’ouverture des vendanges. Le droit est alors exigible. 11 est désastreux pour les pays de vignobles (1): son recouvrement est de la plus grande difficulté ; il ne peut se faire qu’à l’aide des contraintes, des saisies, parce qu’il oblige le vigneron à des avances ruineuses, qui sont la plus forte satyre du spécieux système d’un impôt unique sur les vignes. Mais il est facile d’obvier à ce désordre, en ramenant le droit à l’esprit de la loi, qui a en vue la consommation. Les vins vendus en dehors n’en font point partie. Une réfusion de tous ces droits en un seul serait très-utile, mais son uniformité partout serait injuste, parce que toutes les villes n’ont pas les mêmes ressources; et les principes adoptés pour les droits de détail seraient la règle d’une nouvelle répartition, de façon que tout balancé, le produit général fût le même que celui qui résulterait d’un droit de 3 livres par muid de vin, et 12 livres par muid d’eau-de-vie, s’il était également établi dans toutes les villes. Difficultés du remplacement et avantages de la conservation. Nous venons de prouver que les aides sont susceptibles de réforme. Voyons à présent si elles pourraient être remplacées dans le cas où nos preuves paraîtraient insuffisantes. Proposera-t-on une nouvelle taxe sur les terres, et d’ajouter le produit des aides à l’impôt territorial qu’un nouvel ordre de choses semble annoncer ? Mais il est impossible que les fonds déjà grevés d’un imposition d’environ 200 millions, qui absorbe le quart de leur produit net (2), supporte cette nouvelle charge, sans entraîner la ruine des propriétaires et des cultivateurs. i On observera peut-être que la valeur des productions territoriales croîtra avec l’impôt ; mais , cet accroissement est heureusement chimérique (3), et s’il pouvait avoir lieu, il deviendrait (1) Dans les villes sujettes au gros et aux entrées, un muid de vin, vendu 24 livres, paye 9 à 10 livres de droits. Dans le système d’un seul impôt à la vente en gros, tel que nous l’avons fixé, et en ne percevant point les entrées sur les vins vendus au dehors, le même muid n’acquitterait que les 8 sous. Est-il étonnant qu’un vigneron, qui ne peut concevoir la réforme des aides, en demande la suppression ? (2) Les calculs les plus favorables n’osent porter à un million ce produit net, c’est-à-dire, celui qui reste au propriétaire, ou au cultivateur après avoir prélevé tous leurs frais et avances On dit aussi que les fonds supportent déjà une imposition de 200 millions, et cela est facile à prouver : indépendamment des 56 millions de vingtièmes que les terres payent directement, elles entrent encore, selon l’évaluation de M. Necker, pour plus de 70 millions dans la taille et la capitation ; et si à ces deux sommes on ajoute le produit des dîmes, il est évident que l’impôt territorial existant aujourd’hui s’élève au moins à 200 millions. (3) On dit chimérique, parce que le prix de la denrée dépendra toujours de son abondance, ou du nombre de ses consommateurs. lre Série, T. IX. 273 une nouvelle calamité, en détruisant notre industrie, parce que la main-d’œuvre renchérissant dans la même proportion, les productions de nos arts ne pourraient plus soutenir la concurrence de nos rivaux. Si tous les fonds ne peuvent supporter cet impôt, il est évident que les vignes le supporteraient encore moins. Leur portion aux vingtièmes ne peut être évaluée, pour les pays d’aides, qu’à 9 millions . Et comme les droits sur les vins s’élèvent à 42 millions, il s’ensuivrait que l’arpent de vigne qui paye 9 francs de vingtièmes en acquitterait 42 pour le remplacement des aides, et au total 51. Mais il faut un arpent de vigne d’un grand rapport pour être affermé à cette somme. Reportera-t-on l’impôt sur les vins au moment de leur fabrication ? Alors on forcera les vignerons aux avances ruineuses que nous avons reprochées aux droits d’entrée, et leur condition deviendrait même d’autant plus dure, qu’ils seraient incertains de la rentrée, et que leur propre consommation se trouverait assujettie. Et c’est ici surtout qu’on peut juger du grand avantage d’une perception indirecte qui, suivant la denrée dans les différentes mains par lesquelles elle passe, ne l’affecte jamais que dmne manière douce et insensible pour le vendeur, qui voit son bénéfice à côté de l’impôt, et pour l’acheteur qui le confond avec le prix de la vente. Un nouvel impôt personnel ne serait pas moins impraticable dans son exécution ; s’il n’affectait que les débitants, la taxe en devrait être si forte, qu’il deviendrait nul, parce qu’ils seraient dans l’impossibilité de l’acquitter. S’il enveloppait au contraire tous les citoyens, il serait doublement injuste, en substituant à un impôt volontaire un impôt forcé, et en livrant les contribuables à l’arbitraire inséparable de cette forme de perception plus oppressive que la contribution elle-même, son produit élevé à une certaine hauteur serait le plus grand de tous les fléaux ; il dévorerait également la subsistance de l’ouvrier et les fruits de l’industrie; il tarirait dans leur source les richesses de l’Etat, en desséchant les bras destinés à leur vivification (1). Ces réflexions, dont on ne peut combattre la justesse, ramènent invinciblement à la nécessité d’établir des impôts qui, de toutes les denrées, sont les plus propres à subir cet assujettissement. Ainsi, les aides modifiées selon le plan qu’on vient de tracer présentent l’impôt le plus équitable par sa nature, le plus doux dans ses effets, et le plus volontaire par la liberté qu'il laisse toujours de s’y dérober. Nous ne craindrons pas de dire qu’elles doivent être conservées ; mais nous oserons ajouter que l’opération la plus utile dans les circonstances actuelles serait de les étendre dans l’universalité du royaume, où elles sont déjà connues eu grande partie sous d’autres dénominations : ainsi, en Languedoc sous le nom �équivalent ; en Bretagne, sous celui de devoirs ; d’ailleurs, toutes les provinces devant être soumises au même régime, pourquoi l’impôt n’y serait-il pas uniforme ? Nous répondrons à ceux que le mot d 'aides (1) Aussi voit-on que c’est l’impôt le plus généralement redouté. Sa proscription a été demandée avec plus de chaleur que celle d’un ordre, et plusieurs villes y sont soustraites par l’établissement d’un droit sur les vins. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 18 274 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.) pourrait révolter, qu’eu Angleterre, où la science de l’administration est le mieux connue, l'impôt sur les boissons, l’accise , forme la branche la plus importante des revenus publics, et que le peuple le plus jaloux de sa liberté n’a pas craint de se soumettre aux gênes qui en accompagnent la perception. Nous leur rappellerons aussi que ces aides si odieuses ont cependant pris naissance au sein des états généraux, qu’aucun autre impôt ne peut s’enorgueillir d’une source aussi pure, et qu’elles seules constituent aujourd’hui un impôt vraiment national. Mais ce qui doit achever de leur réconcilier les esprits les plus prévenus, c’est que leur extension assurerait un revenu qu’on ne peut pas évaluer au-dessous de 85 millions (t), susceptible d’aecroissement ou de diminution au gré des besoins de l’Etat : elles remplaceront d’abord les gabelles qu’il devient impossible de défendre contre les reproches graves et malheureusement trop mérités qu’on leur fait de toutes parts, et l’excédant pourrait ensuite être appliqué à la diminution progressive de la taille dans les provinces nouvellement assujetties, qui préféreraient ce soulagement à tous ceux qu’on peut leur destiner. La perception des aides dans tout le royaume procurerait encore plusieurs autres avantages qui doivent être comptés pour quelque chose. Elle deviendrait singulièrement utile aux législateurs, au ministère, au commerce. En établissant dans tout le royaume (sans assujettissement à aucuns droits) les inventaires généraux des vins, après leur récolte, le résultat en serait présenté, chaque année, à la législature, et combien n’y trouverait-elle pas de sujets d’encouragements ou de redressements ! Quel fonds de spéculations, soit pour l’importation soit pour l’exportation 1 Quelle base pour les traités de commerce avec l’étranger ! Nous devons enfin observer que la régie des aides passe, dans l’esprit même de ses détracteurs, pour être ingénieuse, savante et parfaitement bien ordonnée. L’esprit d’ordre, de suite, de méthode et de bonne comptabilité en distingue les employés, capables en général de régir presque toutes les parties de finance, sans possibilité respective. Aussi les villes leur ont-elles généralement confié leurs droits, et la plus forte partie de leurs revenus serait absorbée par un accroissement de frais, si la machine des aides était détruite. Nous avons pensé que cette ébauche rapide pouvait être utile, et nous l’avons publiée. Si les développements qu’elle indique pouvaient exciter l’attention de l’Assemblée nationale, nous nous empresserions de les fournir de même, c’est-à-dire, avec aussi peu de prétentions, mais (1) Nous nous croyons bien dispensé de prévenir que les calculs ne sont que par approximation, mais nous avons cherché à nous rapprocher de la vérité ; et, pour y parvenir, nous avons d’abord établi le produit général des droits sur les vins, tels qu’ils se perçoivent aujourd’hui. Nous en avons ensuite défalqué les pertes qu’occasionneraient les modérations proposées, et à la somme restante nous avons joint le bénéfice du gros. Voilà donc l’aperçu du produit des pays d’aides, d’après notre nouveau régime , et, à l’aide de ce produit, évaluant celui des provinces franches, nous sommes parvenu à la masse totale du royaume. Mais tous nos calculs ont étc à la défaveur du droit, et nous verrions sans étonnement qu’il s’élevât plus haut. avec un zèle également pur et désintéressé pour le bien public, qui sera toujours l’unique objet de nos méditations et de nos reoherches. Produit par aperçu des droits sur les vins établis dans tout le royaume. Produit effectif des aides. ...... 42 millions. À déduire pour les réformes proposées : Sur les droits au passage ..... . ........... 1 million Sur les sous, pour livre des octrois, des pays » d’aides 5 » Sur le détail. ....... 4 » Sur les entrées. . . ... 3 Reste . ... ........ 29 millions. A ajouter pour les bénéfices du gros ......... .... ........ ... ...... 8 Total des droits des pays d’aides 37 millions. A ajouter pour les. provinces nouvellement assujetties . * ........ ... 48 Total général du produit de tout le royaume ...... . ....... ..... . . 8S millions. On comprend ici tous les droits qui se perçoivent sur les boissons, ceux confiés à la régie, ceux perçus dans la banlieue de Paris, dans l’apanage d’Orléans, et dans la ville de Versailles. Dans certains comptes , on a détaillé tous les droits sur les vins et on n’a porté les droits d’aides que pour 24 milions. C’est l’idiome fiscal, pour désigner les anciens droits ; il a cependant donné lieu à l’illusion , et on a assez généralement conclu que tous les droits sur les boissons ne s’élevaient qu’à cette somme. Mais les cour-tiers-jaugeurs, inspecteurs aux boissons et octrois municipaux, et la plus forte partie des droits réservés, et des sous pour livre des parties étrangères, se lèvent également sur les boissons, et sont donc de véritables droits d’aides dont l’ensemble s’élève à 42 millions. Motion de M. le baron d’Allarde sur un nouveau RÉGIME DES FINANCES (1) ( imprimée par ordre de l’Assemblée nationale et renvoyée au comité des finances). (Nota.Nous réunissons iciles deux motions faites par M. le baron d’Allarde dans les séances des 2 octobre et 2t novembre 1789. — Ces documents importants gagneront à ne pas être scindés.) Messieurs, la balance entre la recette et la dépense n’existait pas, lorsqu’une guerreinévitable a nécessité des ressources. La masse des impôts était tellement vicieuse, que le ministère a redouté des accroissements qui augmenteraient l’inégalité des contributions. Dès lors on a fait usage des améliorations les plus équitables ; elles ont été insuffisantes. La confiance et le crédit font permis des emprunts, mais ils se sont rapidement succédé ; l’abus de cette ressource a eu des conséquences funestes : les conditions d’emprunts sont devenues plus (1) Le Moniteur ne .donne qu’un sommaire de la motion de M. le baron d’Allarde.