[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [3 février 1791»| donner des ordres pour punir les prétendus délits. M. Defermon, rapporteur. L’observation du préopinant ne porte, ce me semble, que sur ce qu’il n'a pas bien entendu ce que j’ai dit à l’Assemblée. J’ai dit que le ministre avait fait part au comité, parune lettre très détaillée et en y joignant un procès-verbal, d’actes d’insubordination ; c’est pour ne pas abuser des moments de l’Assemblée que je n’en fais pas lecture. J’ajoute qu’indépendamment du procès-verbal, je n’aurais jamais consenti à porter à l’Assemblée l’article 4 que je propose à présent, s’il ne fallait pas indiquer quels seront les juges qui connaîtront du délit. M. Robespierre. Je réponds en deux mots au fait qui regarde les tribunaux. L’Assemblée nationale, par ses décrets précédents, a déjà déterminé quel est l’ordre des tribunaux où ces affaires doivent être portées : ou elle l’a fait, ou elle ne l’a pas fait. Si elle l’a fait, il n’y a plus rien à statuer à cet égard ; si elle ne l’a pas fait, il faut faire une loi générale qui détermine à quels tribunaux devront être portées les accusations concernant la marine et les matelots. Mais quant aux faits particuliers dont M. le rapporteur a parlé d’une manière vague, je soutiensque l’Assemblée nationale ne doit pas s’en mêler, elle doit connaître en quoi consiste précisément le délit : or, vous ne le connaissez pas ; quand vous le connaîtriez, vous ne devriez pas prononcer sur un délit particulier. Faites des lois générales, pourvoyez au salut public dans les grandes circonstances; mais dans les affaires particulières, laisser tout au pouvoir exécutif et judiciaire. M. Rlalouet. Les principes et les observations que vient de présenter le préopinant, me paraissent en général d’une grande justesse; mais dans l’e-pèce dont il s’agit, il n’en est pas moins nécessaire d’adopter le projet de décret qui vous est proposé. Le ministre de la marine a été obligé de demander à l’Assemblée devant quel tribunal devait être poursuivi le délit dont il est question. La preuve du délit existe dans un procès-verbal dont j’aurais désiré qu’il eût été fait lecture, parce que vous y auriez vu les traces d’un délit bien caractérisé, non seulement pour raison d’insubordination, mais d’excès commis sur la personne des fonctionnaires publics, de vol fait sur l’un d’eux; ainsi, rien de plus caractérisé que ce délit. Mais le ministre a dû s’adresser à vous pour savoir quel tribunal devait en connaître, puisque les matelots en pareil cas étaient jugés par les tribunaux de marine qui n’existent plus. Si M. le rapporteur veut faire lecture du procès-verbal, vous verrez que l’Assemblée ne peut se dispenser de rendre le décret qui indique le tribunal, sans toutefois que j’attaque ni que je veuille déroger aux principes très justes qu’a posés M. Robespierre. M. Duquesnoy. Il me semble que ni M. Ma-louet, ni M. Defermon n’ont réponduau système de M. Robespierre. M. Robespierre a dit : Ou il y a une loi antérieure qui dit à quels tribunaux doivent être dénoncés les délinquants, ou il n’y en a pas. S’il y en a une, le ministre doit la faire exécuter; 73t s’il n’y en a pas, faites une loi générale, il en faut une. Je demande donc que cet article soit renvoyé au comité de la marine. M. d’André. Je pense, comme M. Robespierre, que nous ne devons pas rendre une loi pour tel ou tel cas particulier. Il faut que le comité nous présente une loi générale, qui fixera le tribunal qui doit connaître des délits commis en route par les matelots qui retourneront chez eux. Lorsque nous aurons établi le tribunal qui doit conmître de ces délits, le ministre ou le pouvoir exécutif saura à qui il doit s’adresser. Ce n’est pas en disant que le roi sera prié de faire telle chose que vous rétablirez l’ordre dans le royaume. Je conclus donc à ce qu’on décrète, si le comité a un article prêt pour cela, que le tribunal du lieu où le délit aura été commis en connaîtra. Si l’Assemblée ne veut pas adopter cette mesure, je demande le renvoi au comité pour nous présenter une loi générale à cet égard. M. Chabroud. En appuyant les observations du préopinant, j’ajoute que si, dans ce cas-ci, l’Assemblée nationale faisait une loi particulière et que cent cas pareils suivissent, il faudrait encore faire cent dispositions pareilles. M. Lanjuinais. Il faut sans doute une loi générale pour les cas qui peuvent se renouveler; mais par le premier article du décret le comité vous propose une disposition qui prévient à l’avenir tout délit pareil ; d’un autre côté, il ne faut pas dire qu’il n’existait pas une loi là-dessus. Il en existe une et vous l’avez décrétée en prononçant sur les arsenaux. (L’Assemblée décrète les articles 1,2 et 3 et décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’article 4.) Une députation des auteurs lyriques est introduite à la barre. M. Eiefébure, orateur de la députation , s’exprime ainsi : « Messieurs, permettez qu’au milieu des cris de reconnaissance et de joie que chaque jour un peuple libre élève autour de vous, des artistes, oubliés dans la grande Révolution qui s’opère, vous fassent entendre leurs demandes respectives. « Vous avez raffermi sur des bases nouvelles un Empire que le despotisme et l’impéritie des anciens ministres avaient ébranlé jusque dans ses fondements. Vous avez reconstitué sa garde, ses finances, ses tribunaux; vous avez rendu au peuple français le droit d’élire les agents de son administration, les organes de sa justice, et les ministres de son culte : c’est à lui maintenant à vous demander tous les établissements qu’il croit nécessaires pour assurer son existence, pour augmenter sa richesse, ou pour accroître sa splendeur. « A ce titre, Messieurs, et au nom de l’un des beaux-arts, nous paraissons aujourd’hui dans votre auguste Assemblée. » Déjà les peintres, les sculpteurs, les gens de lettres, les savants ont obtenu de votre justice l’usage du même droit que nous réclamons. Sans doute l’art que nous professons, cet art connu des peuples sauvages, et chéri des peuples civilisés, qui appelle avec le même succès la gaieté sous le chaume, et chasse l’ennui des palais, cet art qui brille au milieu des fêles, et sait les embellir, qui mêle aux combats ses sons belliqueux, et ajoute 732 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |3 février 1791. | un nouveau charme au plaisir de la victoire, qui fait retentir les voûtes des temples d’une pure et religieuse harmonie; en un mot, cet art touchant et sublime, qui maîtrise nos passions, en pénétrant nos cœurs d’accents nobles et animés, n’est pas moins que la peinture et la poésie, digne d’occuper un moment les plus austères législateurs. « Si des hommes peu versés dans l’économie morale, et qui dédaignent tout ce qu’ils ignorent, le regardaient comme indifférent et frivole, nous leur dirions que Socrate le cultiva, que Platon attachait à son enseignement le destin de la République, et que Pythagore jouit d’une réputation immortelle, pour en avoir seulement découvert les premiers principes; nous leur dirions que les plus grands philosophes modernes ont tous reconnu combien est grande l’influence politique de l’art musical sur les mœurs, et nous citerions avec confiance les noms à jamais célèbres de Descartes, de Condillac, de Montesquieu, de cet homme enfin dont vous estimez les écrits, dont vous respectez le génie, pour qui vous venez de renouveler des honneurs connus seulement des peuples antiques, et qui trouve dans votre admiration le prix le plus flatteur de ses travaux et de ses vertus. (Applaudissements.) « Eh ! pourriez-vous, hommes publics, pères de la patrie, laisser perdre au peuple français, quand il recouvre sa liberté, les plaisirs doux et consolateurs qui, sous le poids même du despotisme, ont si souvent charmé ses peines, jusqu’au jour où votre courage l’a débarrassé de ses fers ? « Mais une considération importante vous fait un devoir d’écouter nos vœux. Nous formons dans l’Etat une famille nombreuse : les talents qui nous font vivre ont besoin de protection, et leur célébrité même tourne au profit de l’industrie nationale. « Jusqu’ici, par la stupidité de notre ancien gouvernement, qui décriait nos productions, qui avilissait nos artistes, qui nous refusait les écoles nécessaires à leur perfection, deux nations voisines, et constamment nos rivales, nous ont enlevé la gloire, et avec elle le bénéfice qui devait payer nos travaux. Ressaisissons-nous aujourd’hui d’une branche de commerce d’autant plus précieuse, qu’elle doit tout à l’imagination : champ vaste et fertile, dont la culture n’est point onéreuse au peuple, et dont les fruits, dans les Etats policés, sont aussi certains que flatteurs. Trop longtemps les habitants de l’Allemagne et de l’Italie nous ont vaincus par leurs institutions dans cette lutte savante : qu’ils redeviennent à leur tour nos disciples, nos admirateurs et nos tributaires. Vous nous avez défendu de conquérir les nations par la force et la violence; mais vous saurez nous conserver les moyens de les conquérir par les arts et notre génie. (. Applaudissements. ) « Vous le savez, Messieurs, non seulement les arts polissent l’esprit, mais ils éclairent la raison, ils accoutument à penser, à réfléchir, à s’instruire; ils ont toujours le bien pour but, le beau pour modèle; ils ouvrent à l’intelligence une carrière immense, une communication rapide: ehl serait-il prudent de les négliger, quand tout présage à la nation des jours de pompe et de magnificence? Car vous instituerez certainement, Messieurs, des fêtes nationales, où le luxe d’un peuple libre se déploiera dans tout son éclat; vous donnerez à l’allégresse publique ce caractère imposant de grandeur et de majesté, qui en augmente la jouissance, qui en prolonge le souvenir, et qui, plus que personne peut-être, cimente au fond des cœurs l’amour sacré de la patrie. ( Vifs applaudissements.) « S’il fut jamais à propos d’employer ces moyens touchants, c'est à présent surtout, que la France offre le spectacle fier et terrible d'un peuple armé. 11 s’est uni, dans sa colère, d’un bout du royaume à l’autre ; il défie ses ennemis, il prend sous les drapeaux et dans l’exercice des armes, un caractère de sévérité qu’il est déjà temps d’adoucir. C’est à vous, législateurs, qu’il appartient de tempérer son courage, de lui fournir les établissements capables de perfectionner ses talents rares, ses goûts brillants et ses vertus sociales. Voyez les Rénubliques de la Grèce ; toutes n’ont pas été guerrières ou agricoles, et toutes ont goûté cependant les douceurs de la liberté. Athènes, ce centre des arts, a même succombé plus tard que Tbèbesetque Lacédémone, aux coups irrésistibles du sort. Réunissez donc sous vos yeux les diverses institutions de ces trois villes fameuses; daignez protéger les arts qui ont couvert la Grèce de gloire, qui, le siècle dernier, nous ont rendus l’admiration de l’univers, qui même ont favorisé cette Révolution mémorable, digne effort d’un peuple éclairé. Craignez, par un oubli funeste, de laisser éteindre le feu du génie, si difficile à rallumer ; prévenez, par quelques précautions bienfaisantes, l’émigration irréparable des artistes; et vous verrez, au sein d’une capitale, devenue celle de tous les peuples civilisés, briller dans tout son éclat Turuanité sans mollesse, la bonne foi sans ignorance, et le civisme sans férocité. < Nous demandons que vous nous autorisiez, Messieurs, à présenter au comité de Constitution, relativement à la partie des beaux-arts que nous professons , des règlements analogues à ceux que les peintres ont eu l’honneur de lui soumettre. » ( Applaudissements .) M. le Président répond : « Tous les beaux-arts sont une propriété publique ; tous ont des rapports avec les mœurs des citoyens, avec cette éducation générale qui change les peuplades d’hommes en corps de nation. « La musique a longtemps conduit les armées à la victoire; des camps elle a passé dans les palais des rois, de ces palais sur nos théâtres, de nos théâtres dans nos fêtes civiques; et peut-être i lie donna tout leur empire aux premières lois des sociétés. Cet art, fondé sur la régularité des mouvements si sensibles dans toutes les parties de l’univers, mais principalement dans les êtres animés, chez lesquels tout s’exécute avec rythme, et dont le penchant à la mélodie se manifeste dans tous leurs goûts; cet art n’est qu’une imitation de l’harmonie de la nature, et lorsqu’il peint les passions, il a pour modèle le cœur humain, que le législateur doit étudier sous ce point de vue ; car là, sans doute, se trouvent les motifs de toutes les institutions sociales. « L’Assemblée prendra votre demande en considération; elle vous permet d’assister à sa séance. » ( Applaudissements .) (L’Assemblée ordonne le renvoi de l’adresse au comité de Constitution et l’impression des deux discours.) L’ordre du jour est un rapport du comité de | commerce et d' agriculture sur une découverte phy-3 sique de M . de Trouville.