390 126 mars 1791.) [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. religieusement à la conservation de la vie et de la santé du roi. » Vous sentez que par cette nouvelle rédaction l’obligation du serment n’est pas explicitenumt dans la loi pour la reine mère : nous avons fait l’observation que la marâtre, qui serait enétat de sacrifier son fils, ne respecterait pas la religion d’un serment et qu’il ne fallait jamais multiplier les serments inutiles. Au surplus, c’est un grand Hommage rendu au respect du droit naturel que de ne pas prévoir ce cas dans l’article. (L’article 5 est décrété.) Art. 6. « L’Assemblée nationale se réserve de régler, par une loi particulière, ce qui est relatif à l’éducation du roi mineur, ou de l’héritier présomptif du trône. » (Adopté.) M. Thouret, rapporteur. (1 nous reste maintenant à fixer la majorité que devra avoir le régent, point important à déterminer. Nous avons pensé qu’elle ne devait pas être anticipée comme celle qui est accordée au roi individuellement, mais qu’elle devait être la majorité civile ordinaire. Toutefois, pour que cette majorité n’essuie pas les variations possibles d’après les lois des différentes législatures, nous pouvons ne pas employer dans noire rédaction le terme de majeur , qui donnerait la relation avec la majorité ordinaire, et dire tout simplement que le régent devra être âgé de 25 ans accomplis. Je propose en conséquence la motion suivante : « L’âge nécessaire pour être régent sera de 25 ans accomplis. » (Adopté.) L’ordre du jour est la discussion du projet de décret sur la résidence des fonctionnaires publics. M. Thouret, rapporteur. Nous voici parvenus, Messieurs, au projet sur la résidence des fonctionnaires publics. En voici les termes : « Art. 1er. Les fonctionnaires publics sont tenus de résider, pendant toute la durée de leurs fonctions, dans les lieux où ils les exercent, s’ils n’en sont dispensés pour causes approuvées. « Art. 2. Les causes ne pourront être approuvées et les dispenses leur être accordées que par le corps dont ils sont membres ou par leurs supérieurs, s’ils ne tiennent pas à un corps, ou par les directoires administratifs dans les cas spécifiés par la loi. « Art. 3. Le roi, premier fonctionnaire public, doit avoir sa résidence à portée de l’Assemblée nationale lorsqu’elle est réunie; et, lorsqu’elle est séparée, le roi peut résider dans toute autre partie du royaume. « Art. 4. L’héritier présomptif de la Couronne, étant en cette qualité le premier suppléant du roi, est tenu de résider auprès de sa personne. La permission du roi lui subira pour voyager dans l’intérieur de la France; mais il ne pourra sortir du royaume sans un décret de l’Assemblée nationale sanctionné par le roi. <> Art. 5. Si l’héritier présomptif est mineur, le parent majeur qui sera le premier appelé à l’exercice de la régence du royaume, s’il y avait lieu, sera assujetti à la résidence, conformément au précédent article. « Art. 6. La mère de l’héritier présomptif, tant qu’il sera mineur, et la mère du roi mineur, pendant qu’elle aura la garde du roi, seront tenues à la même résidence. « Art. 7. Les autres membres de la famille du roi ne sont point compris dans les dispositions du présent décret; ils ne sont soumis qu'aux lois communes aux autres citoyens. « Art. 8. Si le roi sortait du royaume et si, après avoir été invité par une proclamation du Corps législatif, il ne rentrait pas en France, il serait censé avoir abdiqué la royauté. « Art. 9. Dans le même cas, l’héritier présomptif et, s’il est mineur, le parent majeur premier appelé à l’exercice de la régence, seront censés avoir renoncé personnellement et sans retour, le premier, à lasucessionau trône et le second, à la régence, si, après avoir été pareillement invités par une proclamation du Corps législatif, ils ne rentrent pas en France. « Art. 10. La mère du roi mineur sera censée avoir renoncé sans retour à la garde par le seul fait de sa sortie du royaume sans l’autorisation du Corps législatif. v Art. 11. La mère de l’héritier présomptif mineur, qui serait sortie du royaume, ne pourra, même après qu’elle y serait rentrée, obtenir la garde de son fils devenu roi, que par un décret du Corps législatif. « Art. 12. Les fonctionnaires publics dont il est parlé dans les deux premiers articles ci-dessus, qui contreviendront aux dispositions de ces deux articles, seront censés, par le seul fait de leur contravention, avoir renoncé sans retour à leurs fonctions et devront être remplacés. » M. Duval d’Eprémesnil. Je demande à proposer deux motions d’ordre avant qu’on passe à la discussion sur les fonctionnaires publics. Je monte à la tribune, mais c’est à la condition que ceux qui l’entourent voudront bien ne pas interrompre comme ils font toujours. Une observation qui, certes, n’a pas échappé à l’Assemblée, c’est que les articles imprimés depuis fort longtemps ont trois objets: La régence, la garde du roi mineur et la résidence des fonctionnaires publics, et que nous n’avons eu de rapport imprimé au nom du comité, que sur la régence et la garde du roi mineur; en sorte que le comité a bien voulu présenter ses principes sur ces deux objets, mais qu’il n’a pas voulu ou osé établir sa théorie sur les articles qui concernent la résidence des fonctionnaires publics. (Murmures.) Et en effet tous ces articles ne sont que des conséquences, plus ou moins artificieusement déguisées, de ce principe, qu’il est impossible d’admettre ou même de traiter, que le roi peut, dans un cas déterminé, être puni ou déposé. Ma première motion d’ordre consiste donc à demander que le comité de Constitution, qui ne déguise pas ses projets de loi, n’en déguise pas les principes fondamentaux, afin que l’horreur qui naîtra à la lecture de sa théorie. (Rires et murmures)... Je n’ai pas sans doute employé une expression assez forte et je crois que les murmures de l’Assemblée n’ont rapport qu’à cette faiblesse. (Rires.) ... Afin, dis-je, que l’horreur dont tous les fidèles sujets du roi seront pénétrés... (Murmures prolongés.) Plusieurs membres : A l’ordre du jour! M. Duval d’Eprémesnil. Est-ce que nous ne sommes plus les sujets du roi ? ( Murmures prolongés.) {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mars 1791.] Plusieurs membres : Non ! non ! ses amis. Plusieurs membres : Nous sommes citoyens. M. Duval d’Eprémesnil. J’entends dire autour de moi que nous ne sommes pas les sujets du roi, mais ses amis. Il faut convenir que nous lui prouvons quelquefois notre amitié d’une manière bien étrange. Un membre : 11 est vrai I Voyez la journée des Tuileries ! M. Duval d’Eprémcsnil. Quoi qu’il en soit, si le comité de Constitution avait établi sa théorie sur les fonctionnaires publies comme il l’a établie sur la régence et sur la garde, l’horreur dont tous les bons citoyens auraient été pénétrés, à la lecture de cette théorie, se serait communiquée aux articles dont le venin, par cela même, eût été démasqué. (Rires, murmures et interruptions.) J’entends dire que ja ne sais pas parler français ; je crois cependant que je parle, en ce moment, une langue très française. Je demande donc que le comité, dans le jour, ou quand il voudra, car je ne suis pas pressé sur la matière, fasse imprimer son rapport et sa théorie: voilà ma première motion d’ordre. Je proposerai la seconde, lorsque celle-ci sera décidée. M. Tliouret, rapporteur . J’observe que cette motion d’ordre est une véritable motion de désordre (Applaudissements.), car elle n’a pas d’autre objet que de troubler la suite de notre travail. On se plaint de ce que le comité de Constitution n’a pas fait imprimer son rapport, relativement aux dispositions qu’il présente sur les fonctionnaires publics; l’opinant devrait se rappeler que ce décret nouveau, quant aux bases, quant aux principes généraux, et surtout quant aux dispositions particulières qui allument sa bile patriotique (Rire s), ce décret, quand il a été proposé, a été précédé d’un rapport, et ce rapport a été imprimé. Nous ne vous avons pas fait un nouveau rapport, parce qu’il n’est pas dans l’ordre de nous occuper deux fois de la même chose. Quant aux dispositions sur lesquelles on demande notre théorie, elles ont déjà' été attaquées lorsque le projet a été présenté et que la discussion a été ouverte ; et c’est précisément parce qu’elles ont été attaquées, parce qu’elles ont é'é censurées, que, par l’effet de la plus mûre réflexion, nous avons trouvé qu’il y avait une nouvelle utilité, qui était devenue une véritable nécessité, à les laisser subsister; et sans doute vous les adopterez. Messieurs, on demande la théorie du comité ; elle est tout entière dans cette première phrase: La royauté, la plus éminente des magistratures, est essentiellement une fonction publique. Voilà la base des dispositions du décret, en voilà la théorie, et il n’y a rien à y ajouter ; car si c’est une fonction publique, elle emporte des obligations et des engagements. L’obligation est indubitablement que la fonction soit faite; par conséquent toutes les dispositions qui ont pour base que les fonctions soient remplies sont nécessairement dans la théorie; et nous n’avons pas autre chose à dire jusqu’à ce qu’on nous ait prouvé que la royauté n’est pas une fonction publique. M. de Cazalès. Le projet de décret qu’on vient de vous soumettre est, à très peu de chose 391 près, le même que l’Assemblée nationale avait renvoyé au comité. Votre comité de Constitution a persisté dans cette manière peu convenable, dans ce Ion peu respectueux qui confond dans la foule des fonctionnaires publics le chef héréditaire de la nation française. Votre comité ne devrait pas ignorer qu’une grande nation s’honore de toutes les marques de respect, de tous les égards qu’elle témoigne à son roi. Il ne devait pas nous trouver indignes de ce bel exemple que nous donne l’Angleterre, d’un peuple libre sous le roi le plus respecté. Votre comité a persisté à vous proposer une disposition incroyable, une disposition qui défend au roi de sortir du royaume, et qui déclare que, si, après une proclamation du Corps législatif, il n’y rentre pas, ilseradéchu de la C ouronne. Je ne vous répéterai pas quecettedisposition exprime évideui-ment que le roi ne pourra plus commander son armée, qu’elle lui en ôte le droil, qu’elle lui ôte les moyens de remplir le premier et le plus saint de ses devoirs, celui que la nation lui a spécialement confié, delà défendre contre l’attaque de ses ennemis, qu’elle le réduit à cet état de dégradation, à cet état d’avilissement auquel étaient descendus les derniers individus, sous l squels ont fini les deux premières races de nos rois, élat auquel fis avaient éié condamnés par ceux-là même qui, ayant usurpé le pouvoir militaire, ne tardèrent pas à s’asseoir sur le trône des Français. Je ne vous dirai pas combien est absurdecette disposition qui, tandis que la succession héréditaire a été établie pour le bien de la nation, et non pas pour l’avantage de la famille régnante, condamne la nation française aux pénibles malheurs qui suivent nécessairement la violation du droit héréditaire, parce que le roi ne rentrera pas dans le royaume, sur la proclamation de l’Assemblée nationale. Je ne vous dirai pas que s’il est des cas où un peuple peut détrôner son souverain légitime, ces cas sont tellement rares... M. Duval d’Eprémesnil. Jamais ! M. de Cazalès. Je dis que s’il est des cas où un peuple peut détrôner son souverain légitime, ces cas sont tellement rares, sont tellement hors de la ligne commune, que la loi ne doit ni les prévoir ni les supposer. Le silence de la loi à cet égard n’est pas un danger; car quand un Etat est arrivé à ce degré de malheur, à ce degré d’oppression qui rend nécessaire un remède aussi extrême, aussi dangereux, il faut que la nécessité en soit tellement impérieuse, qu’elle soit manifestée aux yeux de tous, que nul ne puisse en douter, que tous la reconnaissent ; et alors l’in-surrecfion u’a pas besoin d’être autorisée. Mais il y a un grand danger à ce que la loi prévoie celte circonstance. Elle diminuerait Je respect dû à la famille royale, elle enhardirait les factieux qui pourraient prétendre au trône, elle mettrait dans leurs mains une arme extrêmement dangereuse; car, enfin, s’il s’élevait dans l’Etat un homme assez puissant pour que la vie du roi ne fût pas en sûreté contre ses attentats, l’effet nécessaire de votre loi serait d’ajouter le droit à la violence et de légitimer son insurrection. Je ne vous dirai pas que, si vous déclarez qu’il est des circonstances où le roi peut être justiciable, vous déclarerez par là qu’il est dépendant; car on est dépendant quand ou est justiciable : alors le pouvoir exécutif est asservi. (Murmures.) 392 [Assemblée nationale.] Plusieurs membres : Justiciable de la loi. M. de Cazalès. Je n’entends pas l’objection qu’on me fait. La loi est un être’ métaphysique dont on ne peut être justiciable qu’à l’aide de son organe; mais celui qui est justiciable de la loi, l’est nécessairement de son ministre. Ainsi, comme tout homme qui est dans le cas d’être puni est justiciable, si le roi, dans un cas quelconque, peut perdre sa Couronne, il est justiciable; s’il est justiciable, il est dépendant; s’il est dépendant, le pouvoir exécutif suprême qui réside en lui est asservi; il n’y a plus ni bonheur ni liberté à espérer pour le peuple français. Mais je vous dirai : L’hérédité du trône français n’a pas été établie par votre fait; c’est indépendamment de vous et de votre pouvoir qu’elle existe ; l’hérédité du trône français existait avant que vous fussiez assemblés. (Murmures.) Vous n’avez pas décrété que la Couronne serait héréditaire, vous l’avez reconnu; et vous l’avez reconnu après en avoir reçu l’ordre exprès et unanime de la nation française. Ce n’est pas de vous, ce n’est pas de votre moderne Constitution, que la famille royale tient le droit d’hériter et de succéder au trône; elle le tient du vœu du peuple français (Murmures.), exprimé depuis huit siècles, droit qu’on vous a ordonné spécialement de reconnaître à l’époque de votre convocation, ordre auquel vous avez dû obéir sous peine d’être traîtres à la nation qui vous avait nommés. Si ce n’est pas vous qui avez délégué l’autorité royale, si ce n’est pas vous qui avez fondé l’hérédité du trône, vous n’avez pas le droit de la détruire. ( Rires à gauche.) Si celte délégation n’est pas de vous, si ce n’est pas-vous qui avez établi cette hérédité, cette hérédité est indépendante de vos pouvoirs, vous n’avez pas le droit d’y imposer des conditions. On ne peut nier ce raisonnement. Que l’on m’apprendra donc après cela, si l’on peut, car pour moi je ne le conçois pas, comment on peut imposer des conditions à un acte, à un bienfait quelconque qui ne dépend pas de vous? Vous n’avez pas le droit d’imposer des conditions au roi. Je ne crains pas de le dire: Délibérer dans quel cas la personne du roi peut être justiciable ; délibérer s’il peut arriver une hypothèse dans laquelle il sera privé du trône, est une véritable trahison. Si l’Assemblée nationale, par une suite de cette ivresse de pouvoirs qui nous a tant et si souvent égarés, venait à mettre en délibération cette matière, je lui déclare que je ne prendrai pas part à sa délibération. ( Rires à gauche. — Applaudissements à droite.) Si, ce que je ne puis croire, elle oubliait à tel point ce qu’elle doit à la nation, ce qu’elle doit au roi, que d’adopter un semblable décret, je jure de lui désobéir, je jure de rester constamment fidèle au sang de Henri IV et de saint Louis. (Murmures.) Quels que soient vos décrets, quelsque soient les événements qui arrivent, je jure de ne pas cesser de reconnaître et défendre la légitime autorité de mes souverains. Un grand nombre de membres à droite : Oui! oui! Bravo! Oui! oui! Nous le jurons! M. de Cazalès. Je vous propose donc de rejeter, par la question préalable, les articles 8 et 9 du projet qui vous est présenté ; ces deux articles sont évidemment destructifs de l’inviolabilité de [26 mars 1791.) la personne du roi, ils sont entièrement destructifs de l’hérédité du trône. Ces deux principes sont ceux sur lesquels repose la monarchie française et vous ne pouvez y toucher sans vous rendre coupables de trahison envers le roi et la nation. (Vifs applaudissements à droite.) M.Diival d’Eprcinesnil. Moi, je vais répondre à M. Thouret. M. le Président. Vous n’avez pas la parole, elle est à M. de Clermont-Tonnerre. M. Dnval d’Eprémesnil. M. de Clermont-Tonnerre a la parole sur le décret et moi je demande la parole pour une question d’ordre. M. de Cazalès a si bien réparé une erreur involontaire dans laquelle il est tombé au sujet de la stabilité du trône, que je ne m’attacherai point à la réfuter; d’ailleurs l’erreur de M. de Cazalès touche au fond du décret, et il n’est question, dans ce moment-ci que d’une question d’or ire. Ainsi je m’en tiens uniquement à répondre à ce qu’a dit M. Thouret : M. Thouret a changé l’état de la question. M. Ce Chapelier. 11 ne s’agit pas de cela, il s’agit d’un fait. M. Duval d’Eprémesnil. M. Thouret a changé l’état de la question que j’avais présentée et je suis fort accoutumé à ces sortes de répliques-là. M. Thouret nous dit que toute sa théorie est expliquée par cette première phrase de son rapport : La royauté, la plus imminente des magistratures, est essentiellement une fonction publique. Je ne m’attache point aux paroles, je m’attache au sens de cette phrase. Il est vrai que la royauté est la magistrature par excellence; mais ce n’est pas là la question que j’ai posée; car il ne s’agit pas de savoir si la royauté est essentiellement une fonction publique; il ne s’agit pas de savoir si cette fonction impose des devoirs et des obligations, nul de nous n’en disconvient; mais il s’agit de savoir si le roi, quand bien même vous le ravaleriez à cette qualité de simple fonctionnaire public; il s’agit, dis-je, de savoir si le roi, lorsqu’il ne remplit pas ses obligations, peut jamais être punissable et si ce n’est pas précisément parce que le roi n’est jamais punissable, parce que sa personne est sacrée et inviolable (Murmures), qu’elle est exempte de toute inspection. Or, la destruction formelle et littérale de Tinvio-labilité de la personne du roi est le principe nécessaire sans lequel les articles sur les fonctionnaires publics ne sont ni proposables, ni même intelligibles. Cette destruction de l’inviolabilité de la personne du roi est donc la théorie fondamentale des articles que je ne discute pas encore et c’est cette théorie que je somme personnellement le comité de Constitution ou d’établir aux yeux de tous les Français, ou d’abandonner; et j’ajoute, contre ce qu’a dit M. Thouret, que jamais cette théorie n’a été établie dans aucun rapport. Dans le premier rapport, il n’a nullement été question de cette théorie exécrable, que la personne du roi pût être punie dans aucun cas quelconque. C’est cependant cette théorie qu’il faut établir, et je demande formellement que le comité l’établisse ou l’abandonne; et c’est là ma question d’ordre. M. PéMoii de Villeneuve. On cherche sans cesse à dégrader, à avilir la nation. Nous sommes ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 393 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mars 1791.] cependant tons d’accord d’un principe incontestable : c’est que la nation est souveraine; et cependant, tout le monde convenant de ce principe, on en tire les conséquences les plus fausses, les plus dangereuses. Sans cesse on entend dire dans cette tribune que les Français, c’est-à-dire la nation entière, sont les sujets du roi; mais c’est la nation entière que l’on outrage ainsi, c’est cette nation souveraine. ( Murmures à droite. Applaudissements à gauche.) Messieurs, dt s citoyens libres ne sont des sujets que de la loi ; voici la seule sujétion, le seul esclavage, si je puis m’exprimer ainsi, digne d'un peuple libre, toujours pénétré du plus grand respect pour la loi : les peuples sont les sujets de la loi ; mais ils ne sont pas en corps les sujets du roi. ( Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) M. l’abbé Manry. Je demande que M. Pétion soit rappelé à t’ordre. Plusieurs membres à droite :k l’ordre! à l’ordre! M. de l’axa lès. 11 faut apprendre à M. Pétion que le roi est la loi elle-même. M. de Custine. La loi et le roi sont un. On ne peut pas être sujet de l’un sans l’être de l’autre. M. Pétion de Villeneuve. Une autre vérité qui ne peut pas être contestée, c’est que le roi lui-même est sujet à la loi, autrement ce serait un despote. ( Applaudissements .) Le roi étant sujet à la loi, je fais une hypothèse très simple, et je prie qu’on veuille bien y répondre. Je suppose que le roi entre à la tête d’une armée étrangère en France pour opprimer la nation, dans ce cas-là le roi est-il ou n’est-il pas punissable? Plusieurs membres à droite : Non! nonl Plusieurs membres à gauche : Oui! oui! Il est punissable, il n’est plus roi. M. l’abbé Manry. En ce cas, Henri IV devait être pendu. ( Mouvement prolongé.) M. Pétion de Villeneuve. N’avez-vous pas exigé formellement que le roi prêterait son serment à la Constitution? Si le roi ne prêtait pas le serment à la Constitution, je vous demande quelle serait la conséquence que vous en tireriez? Maintenant il faut entrer dans la question qui nous occupe. De quoi s’agit-il? D’un projet de décret qui déjà a été soumis à la discussion, mais qui a été renvoyé à votre comité de Constitution; ce projet de nouveau vous est présenté avec quelques modilications.il s’agit donc d’examiner, de discuter ce projet; et je suis bien surpris qu’au lieu de se livrer à la discussion de ce projet, au lieu de passer sur-le-champ à l’article 9 du projet, on n’ait pas commencé ou par une discussion générale sur la totalité du projet, ou bien par la discussion des premiers articles. Je conclus par demander que la discussion s’ouvre sur le projet qui vous est présenté. On y fera ensuite telle observation qu’on jugera convenable. M. Thouret, rapporteur. Monsieur le Président, ce n’est qu’une question d’ordre. M. Alexandre de Lameth. J’ai demandé la parole pour appeler l’attention de l’Assemblée sur le système singulier qu’on ose lui présenter en ce moment. M. de Cazalès disait tout à l’heure que si l’on délibérait sur le projet de décret présenté par le comité, ce serait une trahison envers le roi. Plusieurs membres à droite : Oui! oui! M. Alexandre de Lametli. Je dis, moi, qu’admettre les motifs qui viennent d’être allégués tout à l’heure par M. de Cazalès et par M. d’Eprémesnil, ce serait trahir la nation. (Applaudissements.) M. Duval d’Lprémesnil. Oui! M. Alexandre de Lameth. Car sur quoi est fondé le système de M. d’Eprémesnil? Seulement sur cette opinion, qui est la sienne, que le roi est propriétaire de la royauté, et que la nation ne pourrait pas, si elle Je jugeait utile, si elle le voulait, changer son gouvernement. M. Duval d’JEprémesnil. C’est mon avis; mais ce ne sont pas là les principes que je viens de soutenir. Plusieurs membres à gauche : Silence! Monsieur d’Eprémesnil. M. Alexandre de Lameth. Quand dans l’Assemblée nationale il a été décrété que la souveraineté résidait dans la nation ..... M. l’abbé Manry. Ce n’est pas vrai ! M. Alexandre de Lameth. Je dis que dans une assemblée qui a déclaré que la souveraineté résidait dans la nation, que la loi ne pouvait se faire que par l’expression de la volonté générale, il est bien extraordinaire que, dans une pareille assemblée, on parle de fidèles sujets du roi, comme si on pouvait être fidèles sujets d’autre chose que de la souveraineté. Nous sommes fidèles au roi, en étant fidèles à la Constitution dont il fait partie. Nous sommes fidèles à la loi, parce qu’elle est l’expression de la volonté de tous; voilà la fidélité que nous avons promise; voilà celle que ces Messieurs (. Désignant le côté droit.) ont aussi jurée, en prêtant serment à la Constitution; voilà celle qui doit être observée dans tout ie royaume, qui doit être chère à tous les citoyens. ( Vifs applaudissements.) On vous a dit, en attaquant le projet du comité, qu’il était contraire à l’inviolabilité; mais quel est donc le sens de l’inviolabilité? Ce s ns est que le roi, qui exerce les fonctions qui lui sont attribuées par la Constitution, attribuées par la volonté générale, ie roi investi de la suprême magistrature, est inviolable. M. de La fialissonnlère. Monsieur le Président, faites taire un factieux. ( Mouvement prolongé.) M. Alexandre de Lameth. Mais à quel point ose-t-on se jouer de nous, se jouer de la nation, lorsque, dans cette Assemblée même, on veut induire de cette inviolabilité qu’il n’est pas de devoirs pour les rois? On ose soutenir que s’ils ne remplissent pas les obligations qui leur sont imposées, si, en trahissant la Constitution, ils veulent opprimer la liberté, on ose soutenir, dis- 394 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. je, que la Constitution ne doit pas prévoir de pareils dangers. (Murmures à droite. Applaudissements à gauche.) Je le répète, nous sommes fidèles au roi, au roi de la Constitution, au rui qui a le pouvoir que lui a donné la volonté nationale. (Vifs applaudissements.) M. Duval d’Eprcmcsnil. Réprimez ce blasphème-là, M. le Président. M. de Cazalès monte à la tribune. M. Boutteville-Dumetz réclame la parole. M. Alexandre de Riameth. Comment est-il possible que l’on vienne nous dire qu’il n’y a pas un cas, pas une occasion, pas même celle qui est prévue dans le décret sur le roi désertant, pour ainsi dire, son poste, abdiquant la place que lui a assignée la Constitution, refusant de rentrer dans le royaume sur l’invitation du Corps législatif; de dire qu’alors la nation, qui peut se donner un roi, le gouvernement qui lui plaît, ne pourra pas remplacer le roi qui ne remplirait pas les fonctions qui lui sont prescrites par la Constitution, qu’il doit jurer de maintenir? (Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) Un membre à droite : Vous n’êtes pas la nation. Un membre à gauche : Ni vous non plus. M. de Cazalès. Je vais vous répondre dans le moment. Plusieurs membres à gauche ; À l’ordre ! à l’ordre! M. de Cazalès. Il m’accuse formellement. M. Alexandre de Lameth. Il est parfaitement clair que la question dont il s’agit n’est pas celle de l’inviolabilité, que ce n’est pas là la question que l’on doit traiter, qne c’est celle de la résidence des fonctionnaires publics. Il est nécessaire, indispensable que les fonctionnaires soient à leurs postes, pour que tous les postes soient remplis, et c’est le cas seulement que prévoit le comité. IL indique le moment où le roi étant hors du royaume refuserait de se rendre à l’invitation de la nation; ce cas doit être prévu, et il n’est pas possible que l’on soutienne le contraire dans cette Assemblée. [Applaudissements.) Je demande donc, Monsieur le Président, que sans s’arrêter à la quesiion d’ordre de M. d’Eprémesnii, on passe à l’ordre du jour, qui est la délibération de la résidence des fonctionnaires publics. (Vifs applaudissements.) M. de Cazalès. Je demande à répondre à M. de Lameth. Les membres de la partie gauche se lèvent et demandent à aller aux voix sur la proposition de passer à l’ordre du jour. (L’Assemblée, consultée, décide à une très grande majorité qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. de Cazalès. Si M. de Lameth... Un grand nombre de membres à gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! M. de Airieu. Si vous croyez avoir fait un décret, vous vous trompez (Murmures.); c’est une manière d’escamoter les décrets, c’est une trahison à la nation. [26 mars 1791.] Nous réclamons, nous n’avons pas entendu. Un grand nombre de membres à gauche : A l’ordre! à l’ordre ! Les membres de la partie droite se lèvent et demandent une nouvelle épreuve. M. le Président. On a demandé l’ordre du jour; j’ai consulté l’Assemblée, elle a prononcé... Plusieurs membres à droite : Cela n’est pas vrai ! M. le Président. Si quelques personnes n’ont pas entendu, je vais renouveler l’épreuve. (L’Assemblée, consultée à nouveau, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. le Président. Voici une lettre du ministre de la guerre. Plusieurs membres : Au soir ! au soir ! M. le Président annonce l’ordre du jour des séances de ce soir et de demain et invite les membres de l’Assemblée à se retirer dans leurs bureaux respectifs pour procéder à la nomination d’un président et de trois secrétaires. La séance est levée à deux heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 26 MARS 1791, AU MATIN. RAPPORT sur le choix d'une unité de mesure , lu à l'Académie des sciences le 19 mars 1791. L’idée de rapporter toutes les mesures à une unité de longueur prise dans la nature, s’est présentée aux mathématiciens dès l’instant où ils ont connu l’existence d’une telle unité, et la possibilité de la déterminer : ils ont vu que c’était le seul moyen d’exclure tout arbitraire du système des mesures, et d’être surs de le conserver toujours le même, sans qu’aucun autre événement qu’une révolution dans l’ordre du monde pût y jeter de l’incertitude; ils ont senti qu’un tel système n’appartenant exclusivement à aucune nation, on ne pouvait se flatter de le voir adopter par toutes. En effet, si l’on prenait pour unité une mesure déjà usitée dans un pays, il serait difficile d’offrir aux autres des motifs de préférence capables de balancer l’espèce de répugnance, sinon philosophique, du moins très naturelle, qu’ont les peuples pour une imitation qui paraît toujours l’aveu d’une sorte d’infériorité. Il y aurait donc autant de mesures que de grandes nations. D’ailleurs, quand même presque toutes auraient adopté une de ces bases arbitraires, mille événements, faciles à prévoir, pourraient faire naître des incertitudes sur la véritable grandeur de cette base; et comme il n’y aurait point de qioyens rigoureux de vérification, il s’établirait à la longue des différences entre les mesures. La_ diversité qui existe aujourd’hui entre celles qui sont en usage dans les divers pays, a moins pour cause une diversité originaire qui remonte à l’époque de leur établissement, que des altérations pro-