446 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1791.] quantité de canons qu’exige la défense de notre place, et un nombre proportionné de canonniers. Nous nous flattons d’obtenir l’objet de notre demande, mais nous aurious la certitude de réussir si vous daigniez la prendre en quelque considération. Nous avons juré de vivre libres ou de mourir, nous demandons les moyens de faire payer chèrement notre sang aux ennemis de la patrie et de la Constitution. « Nous sommes, etc. » Les membres de la municipalité, du conseil gé ¬ néral de la commune et du directoire du district de Saint-Quentin réunis. « En l’hôtel commun de la ville, le 22 j uin 1791 , 7 heures du soir. « P. S. — D’après les bruits qui nous parviennent successivement, nous ne tarderons peut-être pas à être attaqués, et notre département sera un des premiers que l’on s’efforcera d’entamer. Daignez considérer, Messieurs, que ce département est un des plus exposés, et l’un de ceux qui peuvent opposer moins de résistance; il n’y existe presque pas de troupes de ligne. » (L’Assemblée ordonne qu’il sera fait mention honorable de cette lettre dans le procès-verbal et charge son président de témoigner aux corps administratifs de Saint-Quentin sa satisfaction.) La séance est suspendue à dix heures et demie; elle est reprise à onze heures et quart. M. le Président. Je reçois une lettre adressée de Valenciennes à l’Assemblée �nationale. Elle émane de la municipalité et de l’assemblée des citoyens réunis en la maison des Jacobins. 11 va vous en être donné lecture. Un de MM, les secrétaires donne lecture de cette lettre qui est ainsi conçue : « Valenciennes, le 23 juin 1791. « Monsieur le Président, « Un courrier arrivé ce matin de la section des Quatre-Nations de la commune de Paris nous a jetés dans une grande douleur en annonçant le départ du roi. Aussitôt la municipalité, de concert avec M. de Salarbour, commandant du département, a pris les moyens de surveillance et de sûreté que permettait la circonstance. La société s’est de suite assemblée, et a arrêté de continuer ses séances jusqu’à la certitude de cette nouvelle. Le corps électoral du district qui élisait le curé est venu aussitôt se réunir aux amis de la Constitution. Une foule innombrable de citoyens militaires s’y sont rendus aussi; et si la douleur paraissait sur les visages, on y voyait aussi le ferme courage du patriotisme. Depuis nous apprenons que Monsieur est à Mons, et que M. de Fersen a écrit ce matin que le roi et la famille royale étaient hors de la France. « Les rapports nous confirment la nouvelle affligeante que nous annonçait le courrier de ce matin et dont nous doutions encore, parce que nous n’en étions informés par aucun des corps établis par la loi dans la ville de Paris. A l’instant, M. de Salarbour s’est rendu à notre séance avec les officiers de tous les corps en garnison dans cette ville. Us nous ont donné la nouvelle assurance de leur zèle pour la chose publique. Cette démarche digne des bons Français a été vivement applaudie. En un mot, nous avons tous juré de verser notre sang pour la défense de la liberté et du bonheur de la patrie. Les ennemis extérieurs, les ennemis intérieurs doivent donc s’attendre à la vigoureuse résistance de citoyens libres et menacés d’esclavage. Mais, Messieurs, nous comptons sur nos frères de Paris, de toute la France. Nous les appelons à notre secours, lorsque nous devons être attaqués pour la cause commune. « Nous espérons que l’Assemblée nationale prendra les mesures convenables pour mettre notre ville dans l’état imposant où elle doit se présenter à ceux qui voudront la forcer pour pénétrer dans l’empire français ; nous espérons que vous daignerez nous faire connaître ce que vous pensez que nous ayons à faire dans les circonstances critiques où nous nous trouvons. {Applaudissements.) « Nous sommes, etc. « Signé : Frondeur, président; Fournier, secrétaire. » M. Darnaudat. Il faut répondre à la municipalité pour lui témoigner la vive satisfaction de l’Assemblée nationale, et aux amis de la Constitution, et surtout à M. de Salarbour et aux militaires qui, dans ces circonstances, se sont rendus d’eux-mêmes à cette société, au moment de la nouvelle du départ du roi. Je trouve cet exemple unique dans ce moment. Je crois qu’il faut que l’Assemblée nationale décrète qu’expédition de ses procès-verbaux sera envoyée à la municipalité de Valenciennes, et que mention honorable en sera faite au procès-verbal. M. Legrand. Je demande que les témoignages de satisfaction s’étendent à tous les citoyens de Valenciennes. (Ces deux propositions sont mises aux voix et adoptées.) En conséquence, le projet de décret suivant est soumis à l’Assemblée : « L’Assemblée nationale, après avoir pris communication de la lettre de la municipalité de Valenciennes et de l’assemblée des citoyens réunis en la maison des ci-devant Jacobins de ladite ville, décrète : 1° qu’expédition de ses procès-verbaux des 21 et 22 sera envoyée à la municipalité de Valenciennes, en double expédition, avec ordre d’en faire passer une sur-le-champ à ladite assemblée de citoyens ; que mention honorable sera faite dans le procès-verbal de ce jour de l’activité de la municipalité, du zèle qu’ont montré M. Salarbour, commandant général, les officiers de la garnison et les citoyens réunis dans ladite maison des ci-devant Jacobins ; 2° que l’Assemblée nationale s’occupe sans relâche à prendre toutes les mesures nécessaires pour la sûreté et défense des places frontières. » (Ce décret est adopté.) {La séance est suspendue à 11 heures et demie ; elle est reprise à midi et demi.) M. le Président. M. Mangin, citoyen de Yarennes, envoyé par la municipalité de cette ville, demande à être admis à la barre pour communiquer à l’Assemblée des détails intéressants sur l’arrestation du roi. ( Oui ! oui !) M. Mangin est introduit à la barre et dit : Exténué de la fatigue d’une course précipitée, je n’ai pu hier, à mon arrivée, vous faire les détails qui ont précédé et suivi l’arrestation du roi à Varennes. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1791.] 447 Hier (22 juin), vers une heure du 'matin, il entra à Yarennes, ville du district de Clermont, département de la Meuse, une voiture que l’on était bien éloigné de soupçonner renfmner le roi et la famille royale; elle était escortée par-un détachement de hussards de Lauzun, et accompagnée de quelques personnes qui servaient de courriers. Le maître de poste de Sainte-Mene-hould, qui avait eu des soupçons sur cette voiture, et qui l’avait suivie jusqu’à Clermont, où les courriers avaient déclaré aller à Verdun, s’aperçut qu’elle prenait la route de Varennes : il devança alors la voiture, et vint crier dans la ville S'arrêter une voiture qui allait passer. Deux jeunes gens (nommés Paul Le Blancet Joseph Ponsin) qui se trouvèrent sur la place, s’opposèrent au passage : les postillons voulurent continuer la route ; mais ces deux jeunes gens ayant dit qu’ils allaient tirer dans la voiture si elle n’arrêtait, on ordonna d’arrêter. Pendant cet intervalle, plusieurs personnes qui s’étaient assemblées, sonnèrent l’alarme. A l’instant, toute lagardenationale fut sur pied. Ces personnes forcèrent celles qui étaient dans la voiture de descendre; ce qu’elles firent sans résistance. La garde nationale arrêta le détachement des hussards de Lauzun, qui ne tirent aucune résistance. Le procureur de la commune lit entrer ces personnes chez lui, où elles demandèrent à se rafraîchir. Jusque-là on ignorait qui elles étaient, lors-u’étant entré, je reconnus le roi, la reine, le auphin, Madame Royale, Madame Elisabeth. Je sors, et je déclare à tous mes concitoyens que c’étaient le roi et la famille royale ; ils témoignent le plus grand zèle pour s’opposer à leur départ, et écarter certains officiers de hussards et de dragons, qui essayaient de le favoriser. La bonne contenance des gardes nationales et la fermeté des officiers municipaux tirent échouer tous leurs efforts. Le roi donna ordre alors à une personne de sa suite d’avertir le détachement des dragons à Clermont, de ne pas s’avancer. Je monte à l’instant à cheval, ainsi que 12 autres de mes concitoyens ; nous courons de village en village chercher du secours; et en moins d’une heure, nous étions plus de 4,000 hommes de gardes nationales, sans compter les hussards et les dragons qui se sont joints à nous, et se sont comportés en bons patriotes. Lorsque je vis que nous pouvions répondre de l’arrestation du roi et de sa famille, je m’empressai de voler vers la capitale pour tranquilliser les bons citoyens et les représentants de la nation : je partis vers les 4 heures du matin ; j’arrivai à la barrière de Paris à 7 heures du soir. Le peuple de la capitale, auquel j’ai fait part (chemin faisant) de ma mission, m’a empêché de paraître plus tôt devant cette auguste Assemblée, par l’empressement qu’il a mis à s’assurer des faits que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer. ( Vifs applaudissements.) M. Populus. Je demande, Monsieur le Président, que vous témoigniez à ce brave citoyen la satisfaction de l’Assemblée. M. le Président. M. Palloy, citoyen de Paris, que son patriotisme a dirigé sur les traces du roi, et qui arrive également de Yarennes, demande à être entendu. {Oui! oui!) M. Palloy. J’ai à apprendre à l’Assemblée que M. Mangin a fait réunir seul 12,000 hommes pour garder le roi; et son cheval, avec la rapidité qu’il a mise, est tombé mort sous lui. M. Mangin. Il n’est pas mort. M. Palloy. C’est vrai; il n’est pas mort, mais il est tombé sous mon brave camarade. M. Mangin. Nous avons fait partir à l’instant même différents courriers pour Verdun, Charle-ville et Mézières, pour que ces villes nous envoyassent des forces suffisantes. Ce qu’il y a d’important, Messieurs, c’est que depuis une semaine environ , il y avait à Varennes huit à dix chevaux de relai qui y étaient sous prétexte d’attendre M. de Bouillé qui devait passer pour aller faire la revue des troupes postées sur la frontière ; mais, il est probable que ces chevaux étaient là pour attendre le roi. ( Applaudissements .) M. le Président. L’Assemblée nationale, par ses applaudissements, vous a témoigné toute la satisfaction que lui inspirent le zèle et l’activité avec lesquels vous êtes venus lui faire part des nouvelles que vous lui avez communiquées. Elle ne peut qu’approuver votre patriotisme sur lequel elle a encore de grandes espérances à fonder. {Applaudissements.) M. de La Rochefoucauld. Je demande que la déclaration de M. Mangin soit imprimée et annexée au procès-verbal. (La motion de M. de La Rochefoucauld est mise aux voix et adoptée.) M. le Président. M. Christin, un des commissaires chargés de l’inventaire du garde-meuble, a la parole. M. Christin. Messieurs, vous avez chargé MM. Bion, Delattre et moi de faire l’inventaire des diamants, perles, pierreries, pierres gravées et tableaux du garde-meuble. La personne qui est essentiellement chargée de ce dépôt est M. Thierry de Ville-d’Avray. Nous demandâmes hier où il était, et les commis nous dirent qu’il était à Versailles ; nous leur recommandâmes de lui écrire de revenir sur-le-champ, Ce matin, un de ces messieurs, qui s’appelle M. Chantereine, est passé chez moi, comme le commissaire logé le plus près. Il m’a fait voir une lettre de M. de Ville-d’Avray, où il dit qu’il s’est rendu à Versailles, au département et à la municipalité, pour leur demander un passeport afin de se rendre à Paris, et d’être en état de nous représenter les diamants, les bijoux, et nous donner les moyens de faire notre opération; mais il mande que le département et la municipalité n’ont point voulu lui accorder de passeport sans un ordre de l’Assemblée. Sur cela, Messieurs, je demande que M. le président soit chargé d’écrire au directoire du département de Seine-et-Oise, de laisser partir M. Thierry. Plusieurs membres : Et de le faire conduire. M. Christin. Il suffit que M. le Président soit chargé d’écrire au département de donner les ordres nécessaires pour faire arriver M. Thierry en sûreté. Deux commissaires de l’Assemblée ont fait la visite du garde-meuble, ont examiné pierre par pierre. On a représenté d’abord le gros bijou appelé « le Régent », qui est estimé à 6 millions.