ARCHIVES PARLEMENTAIRES RÈGNE DE LOUIS XVI ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DEFERMON. Séance du vendredi 29 juillet 1791, au matin{ 1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le Président fait donner lecture d 'adresses de la ville de Reims et des administrateurs des directoires de district de Lyon et de Bayeux. La ville de Reims se réunit aux autres communes du royaume pour témoigner à l’Assemblée sa reconnaissance pour le décret du 15 juillet. « Plus ce service rendu à la nation est grand, dit-elle, plus il vous a fallu d’efforts pour résister aux mouvements séditieux, aux fureurs du peuple que des méchants ont égaré. Occupés du plus grand ouvrage politique que les hommes aient pu concevoir, confondez vos détracteurs en le portant à sa perfection. Consommez votre entreprise : faites punir les délits qui attaquent la Constitution et l’ordre social. Faites cesser la licence et l’anarchie : donnez aux lois toute leur activité. Ce n’est que sous la protection des lois que nous pouvons établir la liberté. Vous pouvez compter sur nos serments pour les maintenir; le civisme de notre garde nationale est connu; il égalera celui des autres citoyens soldats du royaume; l’ordre étant rétabli dans l’intérieur, vous avez peu à craindre des ennemis étrangers. >; « L’oppression de 15 siècles, disent les administrateurs du district de Lyon , et le courage le plus soutenu ont fondé notre Constitution. La sagesse de nos législateurs devait la défendre et la rendre inébranlable. Un événement terrible menaçait 24 millions d’hommes à la fois ; sous leurs pieds s’était creusé un abîme, dans lequel vous avez achevé de précipiter leurs dernières chaînes et leurs préjugés. Mais vous avez sauvé la France; elle ne sera plus en danger; nous (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ir* Serik. T. XXIX. devons son salut à la contenance ferme de ses législateurs intrépides. « Dans ces circonstances orageuses le peuple français, mûri par ces événements, ne peut plus s’abuser. Ne vient-il pas de résister à ces séductions perfides, à ces débordements d’idées audacieuses, ennemies de la liberté, puisqu’elles tendaient à détruire la monarchie constitutionnelle! N’a-t-il pas rejeté ces principes hasardés d’un gouvernement qui n’avait pas été calculé pour l’éteodue de son sol, pour les mœurs et sur ses rapports avec les autres nations de l’univers. Appelés par nos fonctions au milieu de ce peuple, nous sommes chaque jour témoins de ses dispositions. Vivre libre par la Constitution, ou mourir pour la défendre, c’est le cri de ralliement que nous entendons autour de nous, et tel est le serment. » (L’Assemblée applaudit au civisme, à la pureté des principes et à l’énergie des sentiments exprimés dans ces différentes adresses, notamment en ce qui concerne les décrets des 15 et 16 de ce mois.) M. le Président fait donner lecture à l’Assemblée d’une pétition du sieur Le Prévôt de Beaumont , par laquelle ce citoyen réclame quelques secours en raison de sa situation malheureuse et des services qu’il a rendus à la chose publique. (L’Assemblée renvoie cette pétition au comité des pensions.) M. I�a Réveil 1ère-Lépeanx donne lecture d’une adresse des sieurs de La Mêsangères , vicaire de la cathédrale d'Angers, et Louis-Victor Pavies, imprimeur de la même ville, qui font hommage à l’Assemblée d’un ouvrage intitulé : « Géographie de France, d’après la nouvelle division en 83 départements. » (L’Assemblée agrée cet hommage.) M. Rfﻫlerer, au nom du comité des contributions publiques. Messieurs, votre comité des contributions publiques m’a chargé de vous présenter le projet de décret suivant relativement au prix de ver te du tabac connu sous le nom de tabac de cantine : 4 2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juillet 1791 ] « L’Assemblée nationale décrète que le tabac ci-devant fabriqué pour être distribué aux troupes sous le nom de tabac de canline ne pourra être vendu à un prix moindre que 20 sols la livre. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Camus, au nom du comité des assignats. Messieurs, conformément à vos ordres nous avons pris connaissance de l’état des procédures faites au tribunal du premier arrondissement de Paris contre les particuliers qui sont prévenus de fabrication de faux assignats. 11 résulte de l’enquête à laquelle nous nous sommes livrés que le délit pour la réparation duquel la plus grande activité aurait du être employée, a été, au contraire, poursuivie avec une telle lenteur, que les informations sont à peine commencées, quoique les prévenus soient détenus depuis plus de 2 mois environ. La plainte est du 25 février 1791. Le jugement du 11 mars ordonne que ces effets seront vérifiés par experts, imprimeurs et graveurs. Après bien des délais, les matrices qui étaient nécessaires pour faire des comparaisons ont été représentées, mais le greffier de ce tribunal a cru devoir les refuser a défaut de sûreté dans le greffe pour des objets de cette importance. Depuis ce temps, les informationAsont arrêtées; la négligence qu’on a mise à cês poursuites a produit des inconvénients. Le dénonciateur, menacé sans doute par les complices, a été forcé de s’éloigner de Paris, et il est impossible aujourd’hui de retf-ouver, comme on l’aurait pu faire dans les premiers moments, plusieurs autres témoins et complices. Enfin l’information de ce premier crime ma été commencée que le 16 de ce mois. Je demande que M. le Président soit chargé d’écrire au ministre de la justice, pour lui demander, au nom de l’Assemblée, que les procédures soient suivies avec la plus grande activité, qu’elles ne soient suspendues pour aucune raison, et que l’accusateur public du premier arrondissement soit tenu de lui envoyer tous les jours l’état des diligences à faire et des progrès de l’instruction. M. Delavigne. Messieurs, il y a un fait principal, sur lequel les dates seules me paraissent porter la preuve d'une négligence impardonnable. Le fait des faussaires pris en flagrant délit, apposant le timbre sec sur des assignats prêts à être mis en émission, mais heureusement surpris au moment de consommer leur crime, présentait des caractères si faciles à saisir et si intéressants à ne pas laisser échapper, qu’il n’est pas convenable ue l’Assemblée nationale, après s’être occupée e cette importante opération, la laisse impunie. Je crois que c’est le cas de prendre une mesure légale pour ordonner la destitution de l’accusateur public et le remplacer. {Applaudissements.) M. Camus, rapporteur, j’ajouterai à ce que vient de dire M. Delavigne que, par la négligence de cet accusateur public, la procédure est retar-tardée dans ce moment, parce que le graveur, que ces faussaires avaient employé, qu’ils avaient tenté de séduire, n’est pas à Paris actuellement. {Murmures.) M. Ramel-Nogaret. Je crois i’accUsateur public très capable, cependant il me semble que l’Assemblée ne peut pas sur-le-champ prononcer une destitution sans éclaircissement ultérieur. M. Delavigne. Lorsque j'ai conclu à des mesures légales pour ne pas laisser une instruction aussi importante dans des mains aussi lentes, je ne dis pas que l’Assemblée doit à cet instant prononcer la destitution, mais je dis que les comités, qui vous rendent compte des faits, vous présentent un projet de décret pour déterminer les mesures à prendre contre les accusateurs publics, et même les envoyer devant le tribunal, s’il y a lieu. M. Loys. La mesure proposée par M. Delavigne est trop rigoureuse. Une négligence n’est pas toujours un crime. Je demande qu’on renvoie simplement au comité des rapports. M. d’André. Je m’oppose à la motion de M. Loys. 11 n’a pas senti qu’il fallait mesurer l’étendue de la faute à la nature du délit ; or, il n’y a point de délit plus grave que celui qui tend à compromettre la fortune publique tout entière; par conséquent un accusateur public qui est chargé par la confiance du peuple de veiller à ses intérêts, de poursuivre les coupables, est lui-même coupable, quand, par une négligence impardonnable qui est un délit, il ne poursuit pas les crimes de ce genre. D’après cela, quelle est la mesure que doit prendre l’Assemblée? il me semble qu’elle se réduit à deux points fort simples : le premier c’est que la nation ne peut plus laisser entre les mains de cet accusateur public la poursuite de ce délit. Or, s’il est impossible que dans ce moment-ci vous lui laissiez cette poursuite, il faut donc que vous décrétiez que le tribunal du premier arrondissement sera tenu de nommer provisoirement un autre accusateur public pour suivre les procédures en falsifications d’assignats. En deuxième lieu, comme vous n’avez pas encore décrété précisément quels seraient les moyens constitutionnels de poursuivre un accusateur public qui négligerait de suivre un délit, il est très nécessaire de prendre une mesure provisoire, et de rendre incessamment une loi contre les accusateurs publics qui ne rempliront pas leur devoir. Je pense donc qu’il faut renvoyer la motion de M. Delavigne au comité, en décrétant d’abord que le tribunal du premier arrondissement sera tenu, dans le jour, de nommer un autre accusateur public pour suivre la procédure dont il est question ; en second lieu que, quant à la négligence que l’on reproche à l’accusateur public et au moyen de le poursuivre, les comités des rapports et des assignats vous présenteront un mode à cet égard. Un membre : Je demande qu’au lieu de renvoyer aux comités des rapports et des assignats, on renvoie au comité de Constitution. {Oui ! oui!) M. d’André. J’accepte le comité de Constitution ; voici en conséquence ma rédaction : « L’Assemblée nationale décrète que l’accusateur public du tribunal du premier arrondissement de Paris sera provisoirement suspendu de ses fonctions, et que les juges du premier tribunal seront tenus de nommer, dans le jour, un homme de loi, pour remplir provisoirement les fonctions de l’accusateur public; charge son comité de Constitution de lui présenter incessamment ses vues sur la manière de poursuivre les accusateurs publics qui se rendraient coupables de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. » (Ce décret est adopté.)