[15 mars 1791.J [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 109 quilliser; nos démarches, nos paroles, nos actions ont été fondées sur la Constitution. Elle veut que les citoyens puissent se réunir paisiblement et sans armes pour rédiger des adresses, soit au Corps législatif, soit aux corps administratifs, soit au roi. Elle veut encore que nul ne puisse être inquiété pour ses opinions, même religieuses. D’après ces lois, qui sont la sauvegarde de la liberté publique et individuelle, on s’est assemblé à Nîmes et à Uzès paisiblement et sans armes, on a rédigé des pétitions qui manifestent notre haine pour les discordes civiles et notre attachement à la Constitution, qui doit faire le bonheur de tous les Français. Ce sont les propres termes de nos pétitions. Cette démarche légale a néanmoins servi de prétexte pour faire soupçonner nos principes et pour donner quelque espèce de fondement à une inculpation. On a argumenté de la publicité donnée à ces pétitions ; mais c’est précisément la publicité de notre démarche qui en garantit la loyauté, et certes il y a de la franchise à livrer ses opinions à l’approbation ou à la censure publique. Ce n’est pas ainsi que se machinent les complots : lfjs trames s’ourdissent dans le secret et dans les ténèbres. La publicité de nos pétitions leur imprime donc le caractère distinctif de la loyauté française : elles n’ont eu d’autre but, ces pétitions, que d’exprimer notre désir de voir la Constitution s’achever et se consolider sur les bases rte la religion et de la monarchie, et de hâter le moment où la France reconnaissante pourra jouir de tous les bienfaits de l’Assemblée nationale : ce sont encore Jes propres expressions de nos adresses. Loin de nous donc ces inculpations démenties par la procédure que vous avez récemment supprimée. Dans cette procédure dirigée contre nous, et composée de plus de cinq cents témoins, pas un ne donne le plus léger indice d’aucune coalition, d’aucun complot. Nous, des complots 1 ..... ah! Messieurs, au lieu de conspirateurs, vous ne voyez devant vous que des victimes ! Messieurs, nous avons rempli vos ordres. M. le Président. L’Assamblée nationale se fera rendre compte des faits que vous avez allégués pour votre justification. Vous pouvez vous retirer. Un membre demande que le discoms prononcé à sa barre parles particuliers de Nîmes et d’Uzès, soit renvoyé aux comités des recherches et des rapports, réunis. (Ce renvoi est décrété.) M. Dufraisse-Duchey. Je demande que le rapport des comités soit fait dans trois jours ; on ne peut retenir plus longtemps éloignés de leurs affaires des citoyens que l’on en a séparés. Plusieurs membres : L’ordre du jour! (L’Assemblée décrète l’ordre du jour sur la motion de M. Dufraisse-Duchey.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'affaire du Clermontois (1). M. de Vismes, au nom du comité des domaines. (1) Voyez ci-dessus séance du 10 mars 1791, page 22, le rapport de M. Geoffroy sur cet objet, et séance du 12 mars 1791, page 54, le commencement delà discussion de ce rapport. Messieurs, rien ne peut mieux manifester la sagesse et l’impartialité de l’Assemblée nationale, que la solennité de cette discussion. Plus le citoyen, que son décret intéresse, se trouve, vis-à-vis d’elle, dans une position extraordinaire, plus elle a senti qu’elle ne devait se rendre qu’à une démonstration complète. En remplissant la mission rigoureuse que vous lui avez imposée relativement à l’affaire du Clermontois, votre comité des domaines a toujours eu sous les yeux cette importante considération. Il n’a rien épargné pour justifier votre confiance; et l’avis sévère que Jui commandaient les principes à la garde desquels vous l’avez établi, est le résultat d’un long et religieux examen. Son opinion, Messieurs, n’a point été ébranlée par l’argumentation plus ingénieuse que solide des défenseurs deM. de Coudé ; argumentation dont tout l’art consiste à vouloir faire dégénérer en une controverse diplomatique ce qui doit se réduire à une pure question de domanialité. Je vais m’appliquer à ramener cette grande cause au point de simplicité dont elle est susceptible. Je ne négligerai néanmoins aucun des développements qui me paraîtront les plus propres à éclairer votre justice, je répondrai même à des difficultés qui n’ont pas été faites dans cette tribune. Car, puisque votre devoir est de ne prononcer qu’en parfaite connaissance de cause, le nôtre est de ne vous laisser rien ignorer. Deux actes, Messieurs, sont soumis à votre examen : la donation faite au Grand Coudé en 1648, et le contrat passé en forme d’échange, entre le roi et M. de Condé, en 1784. L’ordre naturel des choses semble vouloir que l’on s’occupe d’abord de la donation de 1648 : mais l’examen de l’acte de 1784 tient à des principes et à des faits si simples, son sort est même si indépendant de celui de la donation, que je n’ai vu que de l’avantage à suivre une méthode contraire. J’aime à écarter d’abord ce qui s’expédie facilement, alin de fixer ensuiie l’attention tout entière sur ce qui en exige le plus. Si les défenseurs de M. de Condé font tous leurs efforts pour éloigner la décision de cette partie de l’affaire, vous ne prendrez point le change sur les motifs et le but de leur marche. Convaincus que les objections delà maison de Condé ne sont pas mêmes spécieuses, ils aiment mieux éluder le combat, qu’avouer leur défaite. PREMIÈRE PARTIE. Echange de 1784. L’acte de 1784 est qualifié d'échange : les défenseurs de M. de Condé disent que c’est une vente ; il est juste de leur accorder ce point. Aliéner une chose moyennant une somme qui devient le principal d’une rente co sthuée, ce n’est pas échanger, c’est vendre. Mais en vain changerons-nous la dénomination du contrat de 1784 : le résultat sera toujours le même. Il sera toujours vrai de dire que M. de Condé a vendu ce qu’il possédait illégitimement, ce qui ne pouvait appartenir qu’à l’Etal, ce dont, par conséquent, on pouvait et l’on devait Je dépouiller sans lui en payer la valeur ; car on ne doit pas payer le prix de sa propre chose, et, lorsqu’on l’a fait par erreur, la loi en accorde la répétition. Ce que M. de Condé a vendu au roi, en 1784, appartenait à l’Etat par deux raisons : parce que c’eiaient des droi's régaliens , ei ensuite parce 110 (Assemblée nationale.] que c’étaient des droits domaniaux , possédés à titre de concession gratuite et révocable. Il doit me suffire, quant à présent, de traiter la question sous le premier de ces deux points de vue. Les droits régaliens sont incessibles et incommunicables ; toutes les concessions qui peuvent en avoir été faites sont nulies, et révoquées par le décret du 22 novembre dernier; et les obligations qui pourraient avoir été con tractées pour en reprendre la possession, sont anéanties. Les aiti-cles 9, 10 et 11 de ce décret contiennent à ce sujet les dispositions les plus formelles. On a paru insinuer que la nation faisait peut-être un usage indiscret de sa puissance, en compromettant ainsi des intérêts particuliers par un décret général. Il est incontestable que la plénitude du pouvoir législatif connaît des bornes, celles de la raison et de la justice : mais ces bornes, Messieurs, vous ne les avez point franchies ; et, sans sortir de mon sujet, il nrest facile d’absoudre en deux mots votre législation domaniale des reproches injustes que l'on se permettait contreelle: ellene contient aucun principe sévère qui ne soit de l’ancienne jurisprudence ; et elle a adouci, dans plusieurs points, la rigueur des lois précédentes. Il estparticulièrement certain qu’elle n’a rien prononcé de nouveau, par rapport aux droits réga-galiens: de tout temps leur incessibilité est une maxime fondamentale de notre droit public; et les jurisconsultes avaient même pris plaisir à l’énoncer par les formules les plus énergiques. Prenez garde, nous dit-on, que, relativement à l’impôt, vos principes ne soient applicables qu’au droit de l'établir, et nullement à celui de le percevoir. Qu’importe, en effet, que l’impôt soit levé par le roi pour être remis au citoyen digne de la munificence publique, ou que ce citoyen le perçoive par lui-même? L’autorité souveraine n’est pas plus compromise dans ce dernier cas, que lorsqu’elle abandonne la levée de l’impôt à des fermiers généraux qui profitent de l’excédent du prix de leur bail. Si la question était encore entière, je répondrais que la distinction imaginée entre la perception et l’établissement de l’impôt, est une subtilité puérile. Je le prouverais par cette seule considération décisive, que toute contribution publique n’est essentiellement applicable qu’à la chose publique; et que toutes les idées sont confondues, lorsque, dans la jouissance d’un sacrifice qui n’est dû qu’aux besoins de l'Etat, un citoyen est mis à la place du corps social. J’ajouterais qu’il n’arrive rien de semblable, lorsque l’impôt est affermé, puisque le fermier n’est, dans la vérité, que l’agent du fisc; qu’il perçoit non pour lui-même, mais pour l’Etat ; et que le profit qui lui reste est le prix des soins et des dépenses que lui a occasionnés la perception. Mais, qu’est-il besoin de revenir sur un point irrévocablement décidé? Quand vous avez dit, Messieurs, que les droits régaliens, et notamment ceux qui participent de la nature de l’impôt , sont incessibles ; et quand, par une conséquence de ce principe, vous avez ajouté que les impôts qui sont détachés du domaine, seront réunis aux finances nationales, pour être administrés, régis et perçus par les agents de l’Etat ; vous avez décrété, d’une manière précise,, je dirai même constitutionnelle, que non seulement le droit d’établir, mais encore celui de lever l’impôt, étaient des attributs incommunicables de la souveraineté. J’aurai occasion d’examiner, par la suite, Messieurs, s’il est vrai que la cause de la donation 115 mars 1791.] de 1648 soit aussi honorable qu’on le suppose pour la maison de Gondé; mais je dois d’abord observer ici qu’on en a exclu formellement les droits régaliens. Ce n’est donc point à ce titre qu’il faut rapporter la concession de la plupart de ceux dont M. de Gondé a joui dans le Giermon-tois. Je dis de la plupart , parce que, quoique ta donation excepte par deux fois les droits régaliens, il est cependant vrai qu’elle en contient quelques-uns; car ce sont bien des droits régaliens que ceux d’aubaine , de faciende de bière , de l’impôt fredeau et de l’imposition delà gabelle. Cette contradiction, au surplus, entre ce qu’on a dit et ce qu’on a fait alors, n’a rien qui me surprenne. C’était une ruse imaginée pour atténuer la largesse, et pour couvrir l’infraction d’une loi fondamentale. Du moins, Messieurs, on paraissait la respecter alors, tout en la violant; dans la suite, on ne prit plus même cette peine. Après le traité des Pyrénées, les villes de Dun et de Stenay s’opposent à ce que le prince de Gondé fasse percevoir les droits qui tiennent de la nature de l’impôt : leur résistance est proscrite par un arrêt du conseil du 4 mai 1661, qui maintient le prince dans la jouissance de tous les droits, tant domaniaux que régaliens, dont avaient joui les ducs de Lorraine. Vous voyez ensuite la maison de Gondé obtenir, en 1673, la formule et les greffes des hypothèques; en 1769, la capitation ; en 1719, le tabac; en 1769, le contrôle des actes, et presque toujours ces libéralitésétonnantessefaisaientparun simple arrêt du conseil. Personne n’a encore entrepris de justifier toutes ces concessions postérieures au traité des Pyrénées; et ce silence est un aveu assez formel, que, dans toutes les hypothèses, M. de Gondé ne peut pas conserver celles de ces concessions dont il jouit encore, ni répéter le prix de celles qu’il a vendues en 1784. Mais toute distinction, à cet égard, est superflue, lorsque la nullité du contrat de 1784 est certaine pour tout ce qui en fait la matière. Tous les droits rétrocédés alors par M. de Condé ôtaient régaliens ; toutesles obligations contractées envers lui pour cette rétrocession, sont donc null s. D’après cela, Messieurs, il est fort inutile de se livrvr à des calculs pour vérifier que le roi a fait avec lui un fort mauvais marché. Dans quelque proportion que le prix se trouve avec le produit des droits cédés, la lésion sera toujours du tout au tout, puisqu’on ne devait rien payer à M. de Condé pour le retrait de ce qui devait lui être ôté sans aucun dédommagement (1). (1) M. de Condé a vendu, moyennant 20,980,000 livres, des droits dont le produit n’a jamais excédé 309,000 livres . Je dis que le prix est de 20,980,000 livres, puisque outre les 7,500,000 livres, payés comptants, il a été constitué au profit de M. de Condé une rente de 600,000 livres, franche de toutes retenues, et dont l’extinction ne devait se faire qu’avec des fonds de terres suffisants pour produire un revenu égal; ainsi l’opération est la même, elle est même plus avantageuse pour M. de Condé, que si on lui eût constitué une rente de 674,000 livres sujette à la retenue des impositions. Je dis aussi que le revenu net des droits cédés n’a jamais passé 309,000 livres; j’en ai pour garant un état fourni par les fermiers généraux, qui prouve que dans l’année la plus productive, celle de 1788, la recette ne s’est élevée qu’à 373,183 I. 4 s. 4 d., sur quoi il faut déduire les frais montant à 64,390 1.1 s. 7 d.. Et si l’on s’étonne que les fermiers aient porté le prix de leur bail à 350,000 livres, leur réponse est simple: chargés en même temps de la perception des droits de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 111 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.] On a dit, pour M. de Gondé, que ce qu’il a obtenu en 1784, n’était pas seulement le prix des droits rétrocédés par lui au roi, mais qu’on voulut, en même temps, s’acquitter avec lui de diverses indemnités qui lui étaient dues. Ou en a articulé trois objets différents : 1° les frais des campagnes de Hanovre, où, quoique vainqueur, M. de Gondé a perdu ses équipages; 2° la valeur delà vaisselle d’or et d’argent, et de tout ce qui avait servi à la bouche de Louis XV : ces objets appartenant au grand maître à la mort du roi; 3° le remboursement des capitaux, et intérêts qui lui étaient dus aux termes d’un é lit de 1771, à cause des offices et droits féodaux réunis à la couronne dans s is domaines d’engagement. Ma réponse est simple. Si l’on eût voulu, par le traité de 1784, non seulement fixer le prix des droits régaliens du Clermontois, mais encore éteindre trois créances de M. de Gondé, on l’aurait dit expressément. Gar cette précaution était indispensable pour opérer l’extinction des créances. Or, Messieurs, il n’en est pas dit un mot, ni dans l’arrêt du conseil du 15 février 1784, ni dans le livre rouge. G’est pour l’échange du Clermontois que les 600,000 livres de rente sont constituées, et que les 7,500,000 livres sont payées comptant. Rien ne justifie donc l’articulation que je discute. Si les créances dont on parle sont légitime?, elles ne sont point éteintes; et M. de Condé a toujours le droit d’en exiger le payement. La nation fait mettre la même justice à s’acquitter de ce qu’elle doit, qu’à revendiquer ce qui lui appartient. Il est douteux au surplus, Messieurs, que ces répétitions soient jamais exeicées; et ceux qui, sans mission sans doute, leur prêtent quelque réalité à l’époque du traité de 1784, ont été vraisemblablement égarés par un zèle indiscret; du moinsnous avons la preuve pour la plus spécieuse des trois créances. M. de Gondé n’a à réclamer aucune indemnité à cause de iaréunioe des offices dans les domaines engagés. Trois arrêts du conseil des 1er janvier 1769, 27 octobre 1772 et 25 mai 1773 lui ont accordé, pour le dédommagement de cette réunion, la décharge des frais de justice, de la nourriture des eufants trouvés, et des réparations et entretiens des auditoires; on nous assure même qu’il est résulté pour lui de cette compensation un bénéfice de 100 0/0. Après avoir justifié l’opinion de vos comités sur ie contrat de 1784, je passe à ce qui concerne la donation de 1648. DEUXIÈME PARTIE. Donation de 1648. Arrêtons-nous un instant, Messieurs, à considérer d’abord dans quelles circonstances le Gler. montois fut donné au prince de Condé. Il est bon de savoir si, comme on l’a prétendu, la régente eut alors le triple motif d'acquitter de justes indemnités, de récompenser de grands services, et d’intéresser un héros à la défense d’une contrée menacée d’invasion. Gar, s’il était démontré que d’autres vues déterminèrent ce grand acte de libéralité, s’il était évident, par exemple, qu’il la ferme générale du royaume, ils s’étaient résignés à perdre sur ceux du Clermontois, pour être en état de réprimer les versements frauduleux qui se faisaient par cette voie dans la Champagne et les évêchés. Ainsi le prix de la vente de 1784 excède le denier 67. (Note de l’auteur.) ne fut que le résultat d’un marché sordide, dans lequel un sujet puissant faisait acheter son appui par un gouvernement faible, alors, Messieurs, vous n’éprouveriez plus d’autre sentiment dans cette affaire, que celui d’un attachement religieux aux principes qui ont dicté la conclusion de vos comités. Et d’abord, Messieurs, s’il eût été question alors de libérer le Trésor public de quelque dette légitime envers le prince de Gondé, croyez-vous que l’acte de donation fût resté muet sur ce point? on ne se dissimulait ni l’irrégularité de ce contrat, ni la nécessité de l’environner de tout ce que l’adresse pouvait suggérer de précautions. De là cette brillante exposition des titres de gloire de M. le prince : de là cette assertion artificieuse, que le Clermontois n’était pas de l’ancien domaine, et ne lui avait point encore été réuni. Certes, Messieurs, lorsque l’on étalait si complaisamment les motifs et la possibilité d’une disposition rémunératoire , la première pensée eût été d’établir que l’Etat était débiteur, et qu’il n’avait pas d’autres moyens de se libérer, et puisqu’aucune énonciation de cette espèce ne se rencontre dans les lettres de don, il faut en conclure que les prétendues indemnités dues au prince de Gondé, ne sont qu’un moyen oratoire, imaginé pour l’ornement de la défense de son arrière-petit-fils. La France venait de faire une paix glorieuse avec l’ Km pire par le traité de Munster ; il ne lui restait plus d’ennemis à combattre que l’Espagne et le duc de Lorraine; l’Espagne, que la victoire de Lens venait d’humilier et d’affaiblir ; le duc de Lorraine, qui, chassé de ses Etats, n’était plus compté parmi les puissances de l’Europe. Il faut l’avouer, Messieurs, si, depuis la conquête du Clermontois, il est une époque à laquelle elle dût paraître plus assurée que jamais, c’est celle où l’on prétend que cette province fut donnée au prince de Gondé, afin de l’intéresser personnellement à la sauver des dangers qui la menaçaient. Cherchons donc des motifs plus réels à la donation de 1648. La guerre de la Fronde, commencée au mois d’août par la journée des barricades, avait été suspendue par une déclaration du mois d’octobre, qui avait rapproché la cour et le parlement. Le roi était revenu à Paris le 31 octobre; et les divisions publiques parurent assoupies pendant quelque temps. Cependant la réconciliation n’était qu’apparente : des esprits inquiets épiaient le moment favorable pour exciter de nouvelles brouilleries; et dès que le parlement fut rentré, les assemblées de chambre recommencèrent , sous prétexte d'examiner les infractions faites à la déclaration du mois d’octobre. G’est alors, Messieurs, que Gondé se montre à la capitale tout brillant de la gloire dont il venait de se couvrir à Lens. Son nom et son crédit devaient mettre un grand poids dans la balance en faveur de l’un des deux partis. Chacun à l’envi s’appliqua donc à l’attirer à soi. Ne craignons point de le dire, Messieurs, il n’était, dans cette conjoncture délicate, qu’un seul rôle digne de Gondé. Au lieu de délibérer duquel des deux partis il se ferait le chef, il devait se. constituer leur arbitre; il devait ménager l’intérêt public entre des ennemis pour qui l’intérêt public n’était qu’un prétexte; et il eût étouffé dès sa naissance, le germe d’une guerre funeste autant que ridicule, dont les suites l’égarèrent lui-même au point d’en faire le plus dangereux ennemi de sa patrie. 112 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.] Au lieu de cette marche noble et franche, la conduite du prince de Condé fut celle d’un ambitieux. Tous les mémoires du temps nous le peignent prêtantd’abord l’oreille aux propositions de la Fronde ; plusieurs même disent qu’il se laissa persuader, ou que du moins il fit semblant de l’être; et l’historien delà maison de Bourbon, qui n’avoue pas ce fait, convient au moins que « les raisons du cardinal de Retz l’ébranlèrent « au point de le laisser flotter dans l’incertitude « et fa perplexité. » Plus il paraissait pencher vers la Fronde, plus on dut faire d’efforts pour l'attacher à la cour. « La reine (j’emprunte toujours les termes de ce « même historien, attaché à la maison de Condé), « la reine employa tout ce que les larmes et la « douleur ont de force dans une reine mal-« heureuse, pour l’attendrir. Elle lui protesta que, « n’ayant de ressources et d’espérances que dans « son appui, elle le regarderait toujours comme « son troisième fils. Mazarin s’humilia jusqu’au « point de lui jurer gu’il dépendrait toujours de « ses volontés. Enfin le jeune roi, dont les grâces « et la majesté naissantes commençaient à ins-« pirer le respect, se jeta au cou du prince, et « lui recommanda le salut de l’Etat et de sa périt sonne. » Telles sont les circonstances dans lesquelles le prince de Condé oblint le Clermontois. Les lettres de don annoncent qu’on voulait récompenser le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nortlingue et de Lens ; et moi, Messieurs, je me crois fondé à penser, avec de judicieux historiens, que le prince vendait en ce moment son appui contre la Fronde. Et qu’on ne dise point que cela même était un service digne de reconnaissance ; car, ou Condé regardait les frondeurs comme des factieux, et les prétentions de la cour comme légitimes, et alors il était coupable de mettre ses services à prix ; il devait, du moins, n’accepter de récompense qu’après avoir rempli ses devoirs ; ou il croyait qu’il existait contre la cour de justes sujets de plaintes ; et alors combien ne serait-il pas plus coupable encore d’avoir trahi, par intérêt, la cause publique ; tandis que, par une sage neutralité, il pouvait arranger toutes les prétentions et empêcher la guerre civile! Tout le système de ceux qui veulent que la nation ne puisse revendiquer le Clermontois, se réduit à deux propositions : 1® A l’époque de la donation de 1648, le Clermontois était une possession extradomaniale dont le monarque avait la libre disposition; 2° En tout cas, le vice de la domanialité a été purgé en 1659, par le traité des Pyrénées, qui forme le titre actuel de la maison de Condé, et qui a cimenté d’une manière irrévocable l’aliénation du Clermontois. La négative de ces deux propositions a déjà été solidement établie parM. le rapporteur : de nouvelles réflexions vont imprimer de plus en plus le sceau de l’évidence à l’opinion que les comités réunis l’ont chargé de vous présenter. § 1er. Le Clermontois était domanial en 1648. Je soutiens d’abord que le Clermontois était, en 1648, une propriété domaniale et inaliénable. Un fait le prouve victorieusement : le Clermontois est une conquête qn’alors la force des armes, le changement de monarque et la foi des traités avaient réunie depuis plusieurs années à la couronne. Pour mettre cette vérité dans tout son jour, qu’il me soit permis, avant tout, d’exposer les purs, les seuls principes de cette partie de la matière domaniale. Ce fanal une fois placé au milieu de la discussion, les nuages qui peuvent l’obscurcir encore se dissiperont d\ux-mêmes : nous aurons d’ailleurs plus d’une occasion d’appliquer cette doctrine; et il est utile qu’elle soit proclamée, qu’elle soit consacrée dans une circonstance aussi solennelle. Les conquêtes sont de deux sortes : elles se font à main armée, ou par des traités politiques. Lorsqu’autrefois, Messieurs, le monarque, contractant avec une puissance étrangère, obtenait l’acquisition du territoire, pour qui était le profit du contrat ? le territoire, ainsi acquis, devenait-il le domaine privé du prince? ou se confondait-il dans le domaine national ? Si, sur ce point, je commence par interroger la raison, elle me répondra que, dans les transactions politiques, le monarque n’est que le représentant, le procureur légal de la nation dont il est le chef; que c’est d’elle qu’il emprunte toute sa puissance; que l’ascendant, auquel il a dû toute sa supériorité dans la négociation, est l’effet de l’opinion des forces du peuple valeureux auquel il a l’honneur de commander; qu’en-tin il est impossible qu’il acquière pour lui-même, lorsqu’il contracte comme administrateur de TEmpire, et lorsque ce sont les citoyens de l’Empire qui lui fournissent les moyens d’acquisition. Ces notions simples et vraies seraient-elles contredites par nos anciens usages? notre antique législation domaniale serait-elle coupable d’une telle erreur, tandis que, par une singularité remarquable, sous le règne du despotisme, elle a veillé constamment sur le droit de la nation, soit par la loi fondamentale de l’inaliénabilité, soit en réprouvant toute distinction entre le domaine privé du roi et le domaine public de l’Etat? Non, Messieurs, elle n’est point tombée dans une aussi étrange inconséquence ; pour vous en convaincre, je ne m’égarerai point dans des recherches fastidieuses; je ne vous citerai que le suffrage de ce magistrat célèbre par la fermeté avec laquelle il défendit, contre Henri IV, la réunion au domaine public, du patrimoine du prince qui monte sur le trône. M. de La Guesse s’expliquant sur les conséquences qui se font par des traités avec les puissances étrangères, dit « que le roi ayant en vue, non pas de s’ac-« quérir des biens particuliers, mais d’étendre les « limites du royaume, ces acquisitions et aug-« mentations deviennent, par une espèce ri’ac-« croissement, le royaume et la même chose avec « lui, et sont par conséquent inaliénables. » Il ajoute que c’est une maxime de nos docteurs. Ce qui est démontré par rapport aux cou quêtes résultant des traités politiques, vous paraîtra, sans doute, plus évident encore, par rapport à celles qui sont dues à la force des armes. Ce qu’une nation a payé de son or et de son sang ne peut appartenir qu’à elle. Vouloir prouver une telle vérité, ce serait l’affaiblir. Aussi le même magistrat que je citais à l’instant, ne concevait-il pas qu’on put la révoquer en doute : « pour le regard, disait-il , de la conquête qui se « fait avec les armes, forces et finances publi-« ques, et par le sang des hommes, la chose est « sans difficulté. » Ici, Messieurs, une autre question se présente : a quelle époque se fait la reunion de la conquête [Assemblée nationale.) au domaine public? a-t-elle lieu de plein droit, à l’instant même où la nation conquérante prend possession du territoire conquis? ou bien faut-il que la réunion soit opérée, soit par une clause expresse, soit d’une manière tacite, et par une administration confuse pendant dix ans avec les biens domaniaux? Il me semble, Messieurs, que les mêmes motifs qui décident le fait de la réunion, doivent en décider aussi l’époque, La conquête, disions-nous tout à l’heure, se fait avec les forces et les moyens de la nation; elle se fait, non pour l’utilité particulière du monarque, mais pour l’avantage du royaume, pour en étendre les limites, pour augmenter son territoire. De là, je conclus que la réunion doit se faire de plein droit, à l’instant même de la conquête, et qu’il est impossible d’en différer l’époque, jusqu’au moment où elle aura été confirmée par un traité •: ceci deviendra évident, si l’on remarque l’absurdité et les inconvénients de tout système contraire. Dans le droit des gens, la conquête par la force des armes est un moyen d’acquérir, funeste sans doute, mais légitime. Le conquérant possède pour lui-même; il possède avec l’esprit de propriété; il exerce la plénitude des droits du propriétaire; et jamais jouissance ne ressembla moins que la sienne à celle que les lois appellent précaire, puisqu’elle a précisément tous les caractères opposés. Si néanmoins, dans cet état de choses, vous voulez que la réunion au domaine public soit différée jusqu’au traité, que s’ensuivra-t-il? il faut alors que vous disiez en même temps que la nation possède et qu’elle ne possède pas. Elle possède, puisque c’est par elle et pour elle que la conquête a été faite, et puisque la chose conquise est devenue une partie intégrante de l’Etat. Elle ne possède pas, puisque la chose conquise restant séparée du domaine public, est à rentière disposition du prince. Quelle étrange contradiction ! Mais, direz-vous, tant qu’un traité n’a pas cimenté la conquête, la conservation en est incertaine. Cet état d’incertitude peut-il compatir avec une réunion dont le principal effet est rina-liénabilité ? Prenez garde que vous confondez ici deux points de vue très distincts. L’état de la conquête, avant le traité, peut être envisagé, ou sous le rapport des intérêts opposés des deux puissances belligérantes, ou sous le rapport des droits respectifs de la nation conquérante et de son chef. Que, sous le premier de ces deux rapports, l’état de la conquête soit incertain jusqu’à la paix, c’est un point aussi véritable qu’indifférent. Sans contredit ce qui a été obtenu par le sort des armes, ou l’inconstance de la fortune, ou l’art d’une négociation peut le ravir à la nation conquérante, comme il peut lui faire perdre ses propres possessions. Aussi la loi de l’inalié-nabilité n’est-elle point applicable à ce cas ; et l’on n’a jamais douté que l’ancien domaine de l’Etat pût en être détaché, par une convention Solitique, en faveur d’une paissance étrangère. ais s’agit-il des droits respectifs de la nation conquérante et de son chef: les choses changent de face. Alors, Messieurs, cette vérité immuable que la conquête se fait pour l’Etat, et non pour le prince, reprend tout son empire. Alors, je ne vois pas pourquoi la loi de l’inaliénabilité, pourquoi l’incertitude des chances de la guerre et de la paix seraient des obstacles réels à la réunion de la chose conquise à l’instant même de la conquête, puisque à cet égard, lra Série. T. XXIV. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.) 113 la chose conquise se trouve dans la même position que toutes les anciennes possessions limitrophes : je ne vois enlin aucun motif légal, aucune raison plausible de donner au prince, pendant la guerre, le droit de disposer, au profit d’un des sujets de l’Empire, de la chose conquise, plutôt que de toute autre partie de l’ancienne frontière. Il y a plus, Messieurs : je vois de graves considérations pour le lui refuser. Car, si la réunion ne peut se consommer que par un traité de paix, alors le prince, naturellement enclin à prolonger la durée de sa prérogative, se trouve intéressé à perpétuer la guerre, pour disposer plus longtemps à son gré du prix des efforts et du courage de son peuple. Alors encore il peut porter dans les négociations des vues qui ne s’accorderont pas avec le plus grand bien de son royaume : et, par exemple, pour assurer à un favori les possessions dont il l’aura gratifié, il insistera sur leur cession, de préférence à d’autres territoires dont l’acquisition ou la conservation eût été plus avantageuse à l’Etat. Ces considérations n’ont point échappé à la sagacité de nos publicistes. Ecoutons un savant inspecteur du domaine, qui fait autorité dans cette matière (1) : « La constitution de cet Etat, dit-il, < qui est purement monarchique et héréditaire, < ne permet pas de reconnaître dans le prince :< d’autres caractères qu’un caractère public, « qui efface absolument toute idée, tout attribut « d’une personne privée. Léserait énerver l’union « intime qui est entre le prince et l’Etat, et re-« trancher le plus solide fondement de la puis-« sance royale et de notre bonheur, que de pré-« supposer qu’il y eût quelque bien propre, « quelque domaine particulier, à raison duquel « l’intérêt du prince pût être séparé ou différent « de celui de la couronne. >. Tel est, depuis des siècles, Messieurs, l’esprit de notre jurisprudence domaniale : c’est là, et peut-être là seulement, que se conservait dans toute sa pureté, comme le feu sacré, le droit imprescriptible de la nation ; et c’est en vertu de ces maximes protectrices de la sûreté publique, que le prince qui monte sur le trône doit à l’Etat le sacrifice de son patrimoine. Je ne dois pas cependant dissimuler, Messieurs, qu’il est des biens dont l’union ne se fait pas de plein droit au domaine, mais seulement en vertu, ou d’une disposition expresse, contenue dans un acte législatif, ou d’une administration confuse pendant dix ans, avec lesbiens domaniaux. Quels sont ces biens? Les domanistes ne varient point à cet égard : ce sont uniquement ceux qui proviennent d 'échoites, c’est-à-dire de déshérence, de bâtardise, d’aubaine, de confiscation, etc. L’exception qui les concerne est fondée sur ce qu’on ne les considère que comme des fruits du domaine; et ils ne sont dans la vérité rien autre chose. Il serait ridicule, sans doute, de vouloir étendre une telle exception aux acquisitions faites par voie de conquête : une telle doctrine trouverait sa réfutation, même dans les livres élémentaires de la matière domaniale; et je crois avoir prouvé, jusqu’à la démonstration, qu’il faut, ou renoncer à faire usage du raisonnement, ou convenir que, même dans l’intervalle de la conquête au traité, la chose conquise n’est pas plus à la disposition du prince que l’ancien domaine de l’Etat. Un seul écrivain, Messieurs, a paru s’être élevé (1) M. Fréteau. 114 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (15 mars 1791.] contre cette doctrine : c’est l’auteur du traité historique de la souveraineté. Son argumentation vous paraîtra sans doute fort étrange. Pour prouver que les biens de conquête sont dans le domaine privé du prince, qui peut en disposer jusqu’à leur union expresse ou tacite, savez-vous quelles sont ses autorités? 11 se fonde sur la donation faite au prince de Condé en 1648, et sur d’autres donations semblables faites en 1658, 1661 et 1684, au cardinal Mazarin et à d’autres personnages puissants, c’est-à-dire qu’il résout la question par la question même; logique assurément très commode, mais qui n’est pas aussi convaincante. Oui, Messieurs, nous savions à merveille que le rusé Mazarin, qui avait ses vues, avait tenté d'établir, dans la donation de 1648, cette doctrine absurde de la disponibilité des conquêtes jusqu’à leur réunion expresse ou tacite : il comptait, dès lors, recueillir un jour lui-même le huit de sa complaisance pour le prince de Condé. Mais les véritables règles de la domanialité, mais les maximes éternelles de la raison, n’ont rien souffert de ces atteintes momentanées de l’astuce italienne et del’intluence ministérielle; et le don fait au cardinal Mazarin sera lui-même bientôt soumis à votre examen. Ainsi l'objection de l’écrivain que je viens de citer ne prouve qu’une seule chose : la nécessité de faire, dans cette première circonstance, une exacte application de la loi, aün de ne pas compromettre ies drohsdela nation dans les autres affaires qui dépendent de la même règle. C’est en vain, nous dit-on, que vous invoquez ici le droit de conquête ; le Clermontois n’a point été ravi au duc Charles par la force des armes. La première occupation de ce pays par la France daie de 1632, et elle a eu lieu en vertu du traité passé à Liverdun, au mois de juin de cette année; traité par lequel Charles, pour obtenir la restitution des places quiluiavaient été enlevées dans la Lorraine et le Barrois, consentit, d’une part, à déposer entre les mains du roi, Stenay et Jametz, pour quatre ans seulement, et d’aulre part à abandonner an roi le comté de Clermont en toute propriété et souveraineté, à la charge de lui en payer le prix au denier cinquante. Cette difficulté, Messieurs, si c’en est une, se résout en deux mots: l°0n appelle conquête, du moins dans l’idiome domanial, toute acquisition de partie d’un territoire étranger, faite soit par invasion, soit par convention politique. Peu importe donc de quelle manière Louis XIII s’est mis en possession du Clermontois. Dès là qu’avant l’ occupation de 1632, cette contrée appartenait au souverain de la Lorraine, c’est une conquête. 2° Dans quelles vues le duc Charles céda-t-il à la France le Clermontois, en 1632? Afin d’obtenir la restitution des conquêtes qui avaient été faites sur lui à main armée. D'un autre côté, ia France lui restitua-t-elle, au bout des quatre ans, les places de Stenay et de Jametz? La France a-t-clle jamais payé la valeur du comté de CIit-mont?Non, Messieurs. Et que résulte-t-il de là? Les défenseurs de M. cfe Condé ne manquerontpoint d’en conclure ce qu’ils ont déjà dit plusieurs fois dans cette affaire : qu’une grande puissance fonde ses droits, vis-à-vis d’une petite, moins sur la foi des traités, que sur la supériorité de ses armes. Or, je le leur demande à eux-mêmes, ce qui a été envahi, soit par ruse, soit par violence, ce que l’on retient non en vertu d’un traité, mais par le droit du plus fort, qu’est-ce autre chose qu’une conquête, même dans l’acception la plus vulgaire (1)? Plusieurs membres: C’est un vol. M. «?e Vismes. Maintenant, Messieurs, quand le prétendu principe, écrit dans la donation de 1648, serait véritable; quand nous accorderions à M. de Condé que la conquête reste dans le domajne privé du prince, tant qu’il n’a point été compté de ses revenus à la chambre de comptes (2), il n’en serait pas moins faux que le Clermontois fût encore extra-domanial en 1648 : deux autres règles incontestables repousseront toujours cette supposition erronée. J’ai déjà eu occasion de rappeler la première ; c’est cette maxime solennelle consacrée par l’édit de 1607, suivant laquelle au moment où un prince monte sur le trône, sou dom aine privé se confond avec celui de l’Etat; maxime qui ne reçoit aucune exception : maxime qui, triomphante dans les jours mêmes nu despotisme, devient plus respectable encore sous l’empire de la liberté dont elle affermit les droits. Si donc les biens de conquête n’étaient pas unis de droit au domaine, du moins deviendraient-ils domaniaux, lorsqu’ils ont passé avec la couronne au successeur de celui qui avait fait la conquête , et c’est aussi la doctrine de tous ies donna nistes. D’où il suit que le Clermontois, conquis dès 1632, et assuré à la France par le traité de 1641, s’il était un domaine privé dans la main de Louis XIII, est devenu domanial en 1643, par l’avènement, tle Louis XIV à la couronne. Il est, Messieurs, une autre règle à laquelle les défenseurs de M. de Coudé n’ont eux-mêmes jamais refusé leur hommage. Le fonds qui est à la disposition personnelle du monarque, il peut, par un acte formel de sa volonté, le confondre dans le domaine public. Dès l’instant qu’il a dit: j’abdique mes droits particuliers sur une telle chose ; je veux qu’elle soit, non plus à moi, mais à la nation; dès cet instant la chose devient domaniale, et elle est placée, par rapport auprince, sous la sauvegarde de l’inaliénabitité. C’est là ce que les domanistes appellent une réunion expresse , et ils n’en reconnaissent point de plus authentique. Que, si la clause d’union se trouve, non pas (1) Ici j’ai été interrompu par quelques voix qui se sont écriées: C’est un vol. Soit; mais presque toutes les conquêtes sont-elles autre chose que des vols à main armée? et s’il fallait remonter à l’origine de toutes les possessions politiques, y en aurait-il beaucoup qui pussent subir l’épreuve d’un tel examen? ( Note de V auteur.) (2) Ce n’était pas seulement sur une doctrine erronée, c’était encore sur un fait inexact que, dans la donatiou do 1648, on établissait la disponibilité du Clermontois; car ce pays avait élc réuni de fait à la couronne, même avant le traité de 1641. J’en trouve la preuve dans un arrêt du parlement de Metz, du 26 janvier 1661, dont je n’ai eu connaissance que depuis la prononciation de ce discours, et qui se trouve dans le recueil des édits, etc., enregistrés au parlement de Metz, t. III. Cette pièce très précieuse nous apprend que depuis 1632, les comptes du Clermontois ôtaient rendus par-devant les intendants de Lorraine, et par un édit d’août 1634, et une déclaration de 1640, Louis XIII y avait créé des juridictions royales et établi un receveur du domaine héréditaire. Ces circonstances remarquables, en con-trastani avec l’exposé de la donation, confirment ce que le comité des domaines a constamment soutenu par rapport à la réunion du Clermontois, opérée dès 1632. (Note de l’auteur ,) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.] m dans un simple acte législatif, mais dans un traité politique, passé avec une puissance étrangère, qui prétendait des droits à la chose, son efh t n’en est que plus certain. L’mcorp ration de la chose au domaine public acquiert d’autant plus de force, que le pacte qui l’a opérée est plus solennel : elle n’e.'t plus seulement une loi particulière de l’Empire ; elle est enregistrée jusque dans le code aes nations. L’application de ce dernier principe se fait encore au Clermontois, au moyen de la cause d’union insérée dans le traité de Paris de 1641. Ainsi l’énoncé de la donation de 1648 est d’autant plus faux, que cette contrée se trouvait incorporée alors au domaine public, de trois manières dif-rentes: par IVl’fet delà conquête, par l'avènement de Louis XIV au trône, et par une réunion expresse insérée dans un traité politique entre la France et le duc de Lorraine. On n’a pu se dissimuler les conséquences fatales qui résultaient, et du traité de 1641 et de la clause d’union qu’il renferme; les objections de tout genre ont été accumulées, pour persuader que ce monumeatdiplomatiquedevait être compté pour rien, A entendre les partisans de la maison de Conué, le traité de 1641, n’a point été exécuté; il a d’ailleurs été anéanti, soit par celui de 1644, soit par celui des Pyrénées, soit enfin par ceiui de 1661 ; et c’est ce dernier seulement qui a opéré la réunion du Clermontois. Toutes ces objections sont susceptibles d’une solution commune, sur laquelle nous ne pouvons trop insister; toutes confondent deux intérêts essentiellement différents, et dont la distinction répand le plus grand jour sur le débat. Ces deux intérêts sont celui du duc de Lorraine et celui du prince de Condé. En effet, Messieurs, si le sort du Clermontois n’a éié fixé définitivement dans l’ordre diplomatique, que par le traité de 1661, quelle est la conséquence la plus étendue que l’on puisse tirer de cette circonstance ? C’est que le duc de Lorraine a conservé jusqu’à cette époque dus prétentions, ou si l’on veut des droits sur cette province ; c’est que, par rapport au duc de Lorraine, la possession de la France n’est devenue incontestable qu’en 1661. Mais, je vous prie, qu’y a-t-il ici de commun entre le souverain étranger et le citoyen français? Ëtaienl-ce les intérêts du duc de Lorraine, ouïes siens propres que stipulait Louis de Bourbon, en sollicitant la donation de 1648 ? Et par cela même qu’il l’acceptait, ne reconnaissait-il pas, ne renonçait-il pas à contester la propriété de la France, quand sa qualité de Français ne lui en eût pas d’ailleurs imposé l’obligation ? Il est donc \ rai, Messieurs, que l’objection dont le duc de Lorraine a pu faire un usage spécieux dans les conférences qui ont précédé le traité de 1661, M. de Condé n’est nullement fondé à la faire valoir vis-à-vis des représentants de la nation française : il s’élève en cela, contre son propre titre, et pour parler le langage de la jurisprudence, il excipe du droit d'autrui. Un exemple familier rendra ceci plus sensible encore. Un domaine avait été usurpé par un particulier qui meurt transmettant sa possession illégitime à son bis mineur. Le tuteur de celui-ci aliène ensuite le domaine avant l’expiration des trente années, nécessaires pour acquérir la prescription; et le pupille, dev< nu majeur, réclame contre cette aliénatiun, eu invoquant les lois prohibitives de l’aliénation des biens des mineurs. Je suppose maintenant, Messieurs, que l’aliénataire, se présentant dans les tribunaux, dise à son adversaire : « Les lois que vous appelez à voire secours sont inapplicables à votre cause; elles ne so t relatives qu'aux propriétés des mineurs; et lorsque le domaine que je possède a été aliéné, il n’étaii pas encore votre propriété parce que la prescription n’avait pas encore légitimé, dans votre personne, l’usurpation de votre père ». Assurément, Messieurs, un tel langage ne ferait pas fortune; vous ex-cipez du droit d'autrui, lépliquerait-ou à l’uhéna-taire, et une sentence d’éviciion ne tarderait pas à le convaincre de la frivolité de sa défense. Vous m’avez devancé, Messieurs, dans l’appiication de cet exempte. Le mineur, c’est la nation : le tuteur, c’est la régente Anne d’Autriche, ou plutôt son ministre Muzarin ; et l’aliénataire est M. de Condé. On prétend, je le sais, que ce n’esi point par les vues étroites du droit civil qu’il faut juger une affaire qui est du domaine delà politique. Comme si ce qui est essentiellement raisonnable et juste pouvait cesser de l’être en aucun cas! Comme si, entre le chef et les citoyens d’un Etat, on devait consulter autre chose que la possession pour déterminer ce qui en fait acluellement partie! Comme si enfin, du souverain au sujet, c’était une question de droit politique que celle de savoir si telle portion de l’Empire est ou n’est pas domaniale ! Il est bien étrange, disent nos contradicteurs, qu’on interdise à M. de Condé l’examen de ces mêmes traités que l’on invoque contre lui; la raison et l’équité veulent que chacun puisse tourner, contre son adversaire, les amies dont celui-ci fait usage pour le combattre. Cette objection n’a d’autre base qu’une équivoque facile à démêler. Est-ce nous, en effet, Messieurs, qui opposons à M. de Condé cette multitude d’actes diplomatiques dont se trouve surchargée une affaire extrêmement simple ? Il est aisé de se convaincre que non. Pour fonder la revendication nationale, un seul fait nous suffit; et ce fait est, que lors de la donation de 1648, le Clermontois appartenait, depuis 16 ans, à la France qui l’avait conquis sur le duc de Lorraine. Mais, pour essayer d’établir que, quoique possédé par la France, ie Clermontois n’était pas domanial en 1648, les défenseurs de M. de Condé ont uéployé le plus grand luxe d’érudition; ils ont fouillé tous les monuments de l’histoire et de la diplomatie ; ils se sont appliqués à y chercher la preuve que la possession de la France, en 1618, était vicieuse et précaire. Que leur répondrons-nous? Tous vus eflots sont vains; et les traités que vous produisez doivent être écartés. Car il ne s’agit point d’examiner quels pouvaient être, en 1648, les droits du souverain de la Lorraine sur le Clermontois ; ü s’agit seulement de savoir si cette contrée était alors une possession publique de l’Etat, ou une possession privée du monarque; en un mot, si le roi a pu en disposer au protit d’un citoyen de l’Empire. Or, il e»t évident que, dans cette controverse, ce sont les défenseurs de M. de Condé qui se sont armés, contre la nation, des traités politiques; qu’en soutenant qu’il n’a pas le droit de s’en prévaloir, nous usons de celui qui appartient incontestablement à la nation; qu’enlin, si nous nous permettons de jeter un regard sur ces traités, ce n’est que subsidiairement; et en corné tuence d e cette faculté naiuielle, invoquée par eux-mêmes, de tourner coutre son adversaire les armes avec lesquelles il se présenle au combat. Observez, dit-on encore, que les membres de cette Assemblée ne peuvent être considérés ni [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1191.] 116 comme les agents, ni comme les défenseurs de M. de Condé : ils remplissent la fonction impartiale, le saint ministère d’un juge qui doit être pur comme la vérité et impassible comme la justice. A Dieu ne plaise, Messieurs, que je refuse pour aucun de nous, un aussi beau titre. Oui, sans doute, nous exi rçons maintenant une magistrature suprême, et une grande cause est aujourd’hui soumise à notre décision; mais cette cause quelle est-elle? C’est celle non pas du duc duLoriaine, mais de M. de Condé. Nous devons donc la juger par des moyens dont M. Condé soit autorise à fai re usage et non par ceux dont l’emploi ne serait permis qu’à un souverain étranger qu’il ne représente pas et que représente au contraire la nation. J’ai donc raison de dire que nos contradicteurs confondent deux points de vue absolument distincts, et que cette confusion fait tout le nœud de la difficulté. Vis-à-vis du duc de Lorraine, le Clermontois n était i oint irrévocablement réuni à la couronne en 1648; je puis accorder cela. Mais vis-à-vis de tout autre, mais vis-à-vis surtout d’un sujet de France, c’était un véritable domaine national, constitué sous la garde sevère de la loi de l’i 1 1 aliénabilité ; lui dont la violation serait d’autant plus inexcusable, que l’on considérerait le Clermontois, à l’époque de son aliénation, comme un dépôt qu’en cas d’événement la nation devait représenter au souverain de la Lorraine. Ainsi cette idée rie dépôt, loin de servir à la cause de M. de Condé, la rendrait plus défavorable encore. En tout cas, nous ne voyons pas ce qu’il pourrait répondre au dilemme suivant: ou le Clermontois appartenait à la France en 1648; et en ce cas la concession est révocable, en vertu des lois qui régissent notre domaine; ou il n’a appartenu à la France qu’en 1661, en vertu de la cession définitive que lui en a faite le duc de Lorraine, et alors la concession de 1648 est nulle; elle est révocable du chef du duc de Lorraine, dont la nation exerce aujourd’hui les droits. Dès qn’il est démontré, Messieurs, que M. de Condé n’est pas recevable à contester la propriété et la domanialité du Clermontois à l’époque de 1648, il devient supertlu de suivre ses défenseurs dans tous les details historiques auxquels ils se sont livres; ce serait te moyen de perdre de vue le véritable aspect de cetie affaire, et de consumer, sans fruit, à la conciliation des divers récits des annalistes et des biographes, un temps précieux que réclament des questions plus utiles. C’est ici, surtout, qu’il faut se tenir en garde contre le système insidieux que nous combattons; c’est ici que l’on cherche à substituer, à une question domaniale, une controverse diplomatique et à nous égarer dans de vaines discussions, propres, peut-être, à piquer la curiosité, mais qui nous détournent évidemment de notre but, et qu’il faut par conséquent abandonner à la critique des érudits. Que nous importe, en effet, de savoir ce qu’il faut penser des circonstances dans lesquelles fut juré le traité de 1641? Quelle peut être, dans l’ordre diplomatique, la valeur de celui de 1644, et si la Lorraine était un fief masculin, auquel le duc Charles a succédé de son chef? Un seul point nous intéresse : qui du roi ou de la nation possédait le Clermontois lors de la donation de 1648? Or, si l’on ne peut raisonnablement révoquer eu doute que le Clermontois.’ avait été conquis pour la nation et qu’il était possédé par elle, on aura beau prouver que la conquête était une usurpation, il sera toujours vrai de dire que le roi a aliéné, en 1648, ce dont il n’était que l’administrateur, et que la nation, pour qui il administrait, a droit d’attaquer une aliénation proscrite par la loi domaniale. Ce n’est pas, au surplus, Messieurs, que votre comité des domaines ne demeure convaincu que, dans l’ordre diplomatique, le traité de 1641, qui a uni expressément le Clermontois à la couronne, est resté sans atteinte à cet égard. Quelques observations vont lever tous les doutes sur ce point, dont, je le répète, l’examen est surabondant. Il fut, dit-on, l'ouvrage de la contrainte, et il n’a jamais été exécuté. Mais les historiens les plus favorables au duc Charles conviennent que la garnison française avait évacué la ville de Bar, lorsqu’il y jura de nouveau l'exécution du traité de Paris. Tel est particulièrement le récit du marquis de Beauveau, et il ajoute que le duc s’occupa, pendant cinq ou six semaines suivantes, à se faire restituer toutes les places qui devaient lui être remises en conséquence du traité, et particulièrement celle de la Mothe, la plus forte et la plus importante. Ce fut donc après une exécution complète, et lorsque le prince lorrain eny ut recueilli tous les fruits que, par l’infidélité la plus condamnable, par une trahison que la fortune elle-même a refusé d’absoudre, il joignit de nouveau ses armes à celles des Espagnols. Et que parle-t-on de protestations dans de semblables circonstances? Gomme si les protestations impuissantes entre particuliers, quand il s’agit d’un acte consommé, pouvaient avoir plus de force entre souverains ! Comme si (il faut le dire, quoi qu’à regret) comme si, dans les grandes qœ relies des nations, la fortune n’avait pas seule décidé, jusqu’à ce jour, de la val idi té des titres! Est-ce avec plus de succès que l’on invoque le traité de 1644, cotte pièce, prétendue décisive, annoncée avec tant d’appareil, et qui devait ruiner tout le système du comité des domaines? Non, Messieurs, un seul mot suffit pour détruire tout l’effet que l’on s’en était promis; il n’a jamais été ratifié (1). M. l’abbé Maury et plusieurs membres : Prouvez-le 1 M. de Vînmes. Ce n’est point par l’opinion de Grotius, ou de tout autre publiciste, qu’il faut se déterminer sur le degré d’autorité que doivent obtenir les traités non ratifiés passés en vertu de pleins pouvoirs: attacbons-nousàdeux guides plus sûrs, la raison et l’usage. La raison ne permet pas que la destinée des Empires puisse dépendre ce la mauvaise foi d’un négociateur; et dans l’usage il esteertainque la ratilicationest considérée comme une condition essentielle : il n’y a point eu deux avis à cet égard dans votre comité diplomatique. Si le principe est certain en général, à combien plus forte raison doit-il être suivi, dans une circonstance où la nécessité de la ratification a été expressément stipulée. Le traité de 1644 est terminé par une clause portant promesse respective (1) Ici M. l’abbc Maury et quelques honorables membres ont demandé la preuve du defaut de ratification. Ces messieurs n’avaient pas fait attention, d’abord qu’on ne peut exiger la preuve d’un Lait négatif, et ensuite que c’est à ceux qui se prévalent du traité de 1644 à prouver qu’il a été revêtu de toutes les formes requises. Enfin M. l’abbé Maury, qui m’a remplacé à la tribune, s’est livré à des explications, ou plutôt à des raisonnements qui n’ont servi qu’à constater le défaut de ratification, attesté d’ailleurs par l’histoire. (Note de l' auteur.) [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.] 117 « de le ratifier, et faire ratifier dans un mois, ou « plus tôt, s’il est possible, en meilleure et plus « authentique forme qu’il se pourra, pour être en-<■ suite exécuté de partetd’aulrede pointenpoint». Lorsque l’exécution a été si formellement subordonnée à fa ratification, peut-il rester le moindre doute sur la nullité du traité de 1644? mais sa teneur même va nous fournir aussi des armes pour le combattre. On prétend qu’il dénature absolument la possession de la France, parce que l’article III porte que le roi gardera le château de Clermont comme en dépôt seulement, et parce que l’article V accorde au roi la faculté, ou de garderie surplus du Cier-montois, à la charge de récompenser le duc de Lorraine, ou de le restituer après avoir démantelé les places de Stenay et de Jametz. Lorsqu’on faisait cette objection, on ne vous a pas dit, Messieurs, que le traité de 1644 avait deux parties, l’une destinée à être publique, l’autre devant, au contraire, demeurer secrète. On ne vous a parlé que de la première; mais il n’est pas inutile de vous faire connaître quelques articles de la seconde. Par l’un de ces articles secrets, il est dit que, quoique le roi ait, par le traité, le choix de rendre les places de Stenay et Jametz, après en avoir démoli les fortifications, ou de les garder, à la charge d’une récompense raisonnable, il est convenu positivement que le roi gardera ces places et leurs dépen lances pour toujours, sans autre condition que celle de la récompense. Cette clause est importante, et n’aurait pas dû être dissimulée; elle détruit, comme vous le voyez, l’alternative contenue dans le cinquième des'articles publics, et elle n’en laisse subsister que la partie qui porte que la presque totalité du Clermontois demeurera pour toujours à la France. Ainsi le traité de 1644, loin de porter à cet égard la moindre atteinte à l’irrévocabiüté de la possession de la France, ne fait que confirmer au contraire, même par rapport au duc de Lorraine, l’incorporation delà presque totalité da Clermontois au domaine de la couronne. L’argument fondé sur le traita de 1644 se réduit donc à l’unique château de Clermont; la clause qui porte qu’il sera gardé comme dépôt, étant le seul point auquel il n’ait point été dérogé par les articles secrets. Mais ce n’est pas tout, Messieurs; dans le premier de ces articles on voit le duc Chartes « renoncer présentement à toutes sortes de Irai— « tés et intelligences qu’il pourrait avoir avec la « maison d'Autriche et autres ennemis de la « France, directement ou indirectement. » On le voit dans l’article deuxième « s’engager à servir « le roi de sa personne et de ses troupes, tant de « celles qu’il a présentement que de celles qu’il « pourra faire ci-après, envers et contre tous « ceux avec lesquels Sa Majesté est maintenant « en guerre. » Ces conditions étaient essentielles par rapport à la France. En accordant au prince lorrain un sort [dus avantageux que par le traiié de 1641, notre gouvernement voulait fixer son inconstance et conquérir un allié sur nos ennemis. Or, si Charles a violé ses engagements les plus formels, s’il a enfreint le traité dans la partie qui importait le plus à la France, que s’ensuit-il de là? ce qui a lieu, Messieurs, dans toutes les conventions synallagmatiques. En n’exécutant point de sa part le traité de 1644, Charles a autorisé la France à le laisser également sans exécution; et comme lui-même n’en pourrait invoquer les clauses aujourd’hui, à plus forte raison un tiers n’est-il pas recevable à en faire la base d’aucunes prétentions. Que le duc de Lorraine ait aussitôt violé que consenti le traité de 1644, c’est un fait qui ne peut être raisonnablement contredit. L’histoire de ce temps nous montre Charles uni avec les Espagnols, immédiatement après le traité; et ce prince, qui n’avait pas moins de valeur que de mauvaise foi, faisant à la France tout le mal qui était en son pouvoir (1). Enfin, Messieurs, on trouve jusque dans le traité des Pyrénées la preuve de la nullité de celui de 1644. L’article 64 dit que tout le Clermontois demeurera à jamais uni et incorporé à la couronne de France ; et l’article 65 ajoute que le duc Charles ni ses successeurs ne pourront même répéter le prix que Louis XIII s’était obligé d’en payer par le traité de 1632, attendu que V article où est contenu cette obligation a été annulé par les traités subséquents . Quels sont ces traités subséquents? Ge n’est point celui de 1644, qui, loin de décharger la France de tous dédommagements lui impose au contraire la condition d’une récompense en argent ou en terres. Ce n’est et ne peut être que celui de. 1641, le seul d’entre les traités postérieurs à 1632 qui contienne la cession absolue et gratuite du Clermontois : preuve certaine que celui de 1644, oublié dans les fastes de l’histoire, n’était pas moins méconnu dans ceux delà diplomatie. Un des préopinants a tiré de cet article 65 du traité des Pyrénées une conséquence directement contraire à la mienne, parce qu’il s’est attaché servilement à l’expression granamaticale, dont une légère attention lui eût dévoilé le véritable sens. La clause de l’article 65 que je viens de citer ne constate pas seulement la nullité du traité de 1644, elle [trouve aussi que celui de 1641 a été confirmé par le traité des Pyrénées, pour ce qui concerne le Clermontois. Si en effet il est arrêté que le Clermontois demeurera à la France, et que Charles n’en pourra pas même répéter le prix convenu par le traité de Liverdun, quel est le motif écrit de cette stipulation? C’est que l’obligation contenue dans le traité de Liverdun a été annulée par celui de 1641. Or, rappeler ainsi la teneur du traité de 1641, la prendre ainsipour règle de ce qui se faisait alors, n’est-ce point la reconnaissance la plus positive de la validité? N’est-ce point une confirmation expresse de la disposition, relative au Clermontois? et lorsque l’Espagne elle-même rendait un hommage aussi solennel à ce traité de 1641, quelle attention méritent les critiques frivoles dont il est aujourd’hui l’objet ? Le préopinant, que je citais tout à l’heure, s’est fondé sur deux autres clauses du traité des Pyrénées, pour en conclurela nullité de tous les traités antérieurs; mais l’abus qu’il fait de ces deux clauses est maintenant très sensible. Par le traité des Pyrénées, on voulait non pas détruire, mais restreindre les droits conférés à la France par les traités antérieurs; on voulait qu’il ne lui restât de ses différentes acquisitions, que Moyenvic, le Barrois et le Clermontois. C’est précisément ce qui a été littéralement exprimé par une première clause qui détermine les restitutions (1) k Ce t raité (de 1644) fut inutile, il ne fut pas « même ratifié. Ce prince n’avait négocié que pour in-« quêter les Espagnols et en obtenir de meilleures « conditions. Il s’attacha à eux de plus en plus, et « continua à faire à la France tout le mal quai put.» La Martinière, t. Iar, p. 49. (Note de fauteur.) 118 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1791.] à faire par le roi, sans s'arrêter (est-il dit) aux droits qui pouvaient lui être acquis par divers traités. 11 est évident, Messieurs, qu'il n