347 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES [9 décembre 1790.J M. le Président. L’ordre du jour est la discussion sur les articles imprimés relatifs à la contribution personnelle (1). M. Dcfermon, rapporteur , donne lecture de l’arlicle l0r, qui est adopté sans discussion ainsi qu’il suit : Art. 1er. « Tout loyer au-dessous de 100 livres sera présumé être „de la moitié du revenu du M. de Eolleviile. Je demande qu’il soit fait un tarif différent pour chacune des villes dans lesquelles les prix des loyers sont sensiblement différents. M. Defermon. Le comité des impositions avait d’abord pensé que cette différence de tarifs pourrait avoir lieu ; mais depuis que l’Assemblée a mis une taxe considérable sur les domestiques mâles et femelles, sur les chevaux, sur les car-roses, etc., depuis qu’elle a doublé le taux que nous lui proposions pour la contribution de citoyen actif, nous avons pensé que ces différentes contributions établiraient une compensation dans les pays où le prix des loyers est médiocre. L’habitant des contrées méridionales, qui paye peu en loyer, se procure avec son revenu d’autres jouissances que ne peut pas se procurer, avec un revenu égal, l’habitant de Paris, et sur lesquelles il sera atteint par l’imposition mobilière. — L’article que vous venez de décréter répond aussi par lui-même à l’objection qu’on vous a faite d’imposer le pauvre sur le même taux que le riche; car celui qui aura un loyer de 4,000 livres sera imposé comme s’il avait un revenu de 18,666 livres 13 sous 4 deniers, tandis que le locataire qui n’aura qu’un loyer de 100 livres ne sera imposé que sur le taux d’un revenu double. Voici maintenant la base que nous vous proposons pour établir l’impôt, lorsque le revenu présumé du contribuable sera connu : « Art. 2. La partie de la contribution qui formera la cote des revenus mobiliers sera du sou pour livre de leur montant présumé suivant l’article précédent. » Vous voyez, dans cet article, que nous nous sommes dirigés par ce principe que, lorsque le législateur est obligé de recourir pour l’impôt à des bases incertaines, à des évaluations approximatives, la présomption doit être tout entière en faveur du contribuable. Ainsi, nous vous pro-(1) Voyez le rapport de M. Defermon, du 19 octobre 1790, Archives parlementaires, t. XIX, p. 692 et suivantes. posons d’imposer les revenus mobiliers à un vingtième, tandis que les revenus fonciers rapporteront un dixième ou un huitième, peut-être même un cinquième. — Si cette imposition d’un vingtième, que vous avez décrétée comme contribution de subvention, ne produit pas assez, on y joindra la cote d’habitation, également d’un sou pour livre, et qui sera répartie sur tous les contribuables. M. de Marinais. Je réclame, au nom de la ci-devant province de Dauphiné, contre l’injustice du projet de décret du comité. Je demande pourquoi il propose d’imposer les propriétaires des terres à environ un sixième, et les capitalistes, les rentiers de Paris, seulement à un vingtième. M. d’Estourmel. Depuis soixante ans le produit des terrains a augmenté de près de moitié, tandis que les rentes ont presque diminué de moitié. (Il s’élève quelques murmures parmi les membres du côté droit.) Par la seule suppression des dîmes les propriétaires fonciers ont gagné un quart ou un cinquième d’augmentation dans leurs revenus. M. Itamel-Aogaret. Et ils jouiront du bénéfice de l’imposition des privilégiés et du bienfait d’une meilleure répartition. M. d’Estourmel. Certaines rentes, qui produisaient un trentième, un quarantième, ne rapportent plus qu’un soixantième. Ainsi, on ne saurait se récrier contre la faveur accordée aux rentes dans l’imposition de 1791. M. Defermon. La base de la contribution mobilière n’est qu’une base de présomption. Celui qui aura un revenu présumé de 2,400 livres payera 120 livres d’impôt ; autrefois un pareil revenu ne payait quelquefois pas un écu. L’imposition mobilière n’aura donc jamais été aussi forte qu’elle le sera d’après l’article que nous vous proposons. M. Camus. Vous auriez dû déterminer la somme totale de l’imposition personnelle et sa répartition sur les differents départements. Quant au tarif, vous n’auriez dû en décréter que les deux extrêmes, et laisser le reste aux municipalités. M. de Follevîlle. La proposition du préopinant tend à grever les provinces méridionales de la France. Il vous propose une répartition par superficie au lieu d’une répartition par richesses, qui doit se faire dans une progression qui ait autant de termes qu’il y a de contribuables... Cependant je ferai une autre observation. La faculté de prêter à terme multipliera le nombre des capitalistes qui se soustrairaient à l’impôt. Je demande donc que la contribution mobilière ait une latitude de 12 à 20 deniers pour livre des revenus présumés. M. d’André. Vous ne pouvez pas encore savoir s’il faut que les contribuables payent 1 ou 2 sous pour livre. Si vous avez besoin d’un impôt de 100 millions et que votre base approximative ne vous en rapporte que 50, il faudra nécessairement que vous imposiez 1 sou pour livre de plus. Je demande donc que vous fassiez pour la contribution mobilière ce que vous ayez fait pour 348 [Assemblée nationale.] la contribution foncière. Vous n’avez point dit : les terres payeront le sixième ou le cinquième, mais vous avez dit qu’elles ne payeront; pas plus qu’un cinquième. Je demande donc la suppression de l’article 2 ou son ajournement. M. Duport. La difficulté qui s’élève en ce moment provient d’un malentendu. Vous avez adopté relativement à la contribution mobilière la même forme que relativement à la contribution foncière, c’est-à-dire que vous avez dit que cet impôt se payera par forme de subvention. Vous avez déterminé que cette contribution s’élèverait à 60 millions, qui seront proporiionnellement répartis entre tous les contribuables : voilà la subvention ; mais ce mode aurait ries inconvénients dans son exécution. Un particulier imposé dix fois plus qu’il ne devrait l’être ne pourrait prouver l’injustice de la taxation qu'en compulsant les cotes particulières de tous les contribuables, pour voir si elles sont dans la même proportion que la sienne. Pour éviter cet inconvénient relativement à la contribution foncière, vous avez déjà décrété qu’elle n’excéderait pas un cinquième du revenu net. Relativement à la contribution mobilière, ori vous propose de décréter que chaque contribuable payera 1 sou pour livre de son revenu présumé. Cette base est purement lictive ; car si elle ne vous produit pas l’impôt dont vous avez besoin, vous l’augmenterez par un nouveau sou pour livre sous le nom de cote d’habitation. Si, au contraire, il y avait un excédant, il serait réparti sur les contribuables en forme de décharge ou modération. Vous ne déterminerez une base fixe de 1 sou pour livre que pour prévenir les injustices dans la répartition, pour que chaque contribuable, s’il se croit trop imposé, puisse se présenter la loi à la main devant les tribunaux. M. d’André vous propose, au contraire, un impôt de quotité qui ne serait soumis à aucune règle dans ses répartitions, qui livrerait les contribuables au despotisme des municipalités. Vous ne décréterez la base du sou pour livre que pour l’imposition mobilière de 1791 ; c’est un essai nécessaire pour asseoir ce nouveau genre d’imposition. M. Defermon. Vous avez reconnu que l’expérience seule pourrait vous faire parvenir à la formation d’un cadastre pour la contribution foncière; il en sera de même de la répartition de la contribution mobilière. Vous ne pouvez en ce moment faire que des taxations incertaines, que l’expérience rectifiera. D’après les données qu’a eues votre comité des impositions, le sou pour livre lui a paru suffisant pour produire le total dont vous avez besoin. M. I-eleu de Fa Ville-anx-Bois. Je demande que l’on décide d’abord la question de savoir s’il y aura un minimum et un maximum. (La discussion est fermée.) Plusieurs membres se plaignent que la question n’est pas assez instruite. M. de Folleville. En bon français, je ne vois dans l’article présenté par le comité qu’un moyen d’amener l’arbitraire; car lorsque le sou pour livre pris en masse ne suffira pas, il faudra bien prendre des mesures pour un nouveau versement. Je persiste donc à croire que l’on procéderait plus sûrement et plus simplement par le quinzième que par le viogtième. [9 décembre 1790.] M. d’André. Je demande que la discussion soit rouverte et que M. de Folleville motive son amendement. M. de Folieville. J’ai pensé que le quinzième était un taux très modéré et qu’en l’adoptant on soulagerait la contribution foncière de toute la somme qu'il produirait au delà de 60 millions que demande ' le comité. On m’oppose que ceux qui vivent de leur cabinet seraient trop imposés : cette classe intéressante mérite sans doute des égards, et alors je proposerais de la mettre dans celle des manouvriers et artisans. M. Duport. Si vous aviez dit qae l’impôt personnel serait en proportion de l’impôt foncier, le préopinant aurait grande raison; mais vous avez considéré, au contraire, l’impôt personnel comme une subvention, de sorte que si, lorsque la répartition sera faite entre les municipalités, l’une d’elles dépasse sa quote-part, elle doit rendre le surplus aux contribuables. On voudrait établir une querelle entre Paris et les provinces : il n’y en aura jamais. (On applaudit.) M. Camus. Il me semble que la question se réduit à ceci : Commencera-t-on par imposer au vingtième ou à tout autre taux? Je soutiens que la contribution ne doit pas être assise d’abord au-dessus du vingtième. Le comité a adopté ce taux en connaissance de cause; s’il s’est trompé, on sera toujours à temps d’augmenter. Mais il ne faut pas commencer par effrayer le peuple... Un membre : Il ne faut pas le tromper ! M. Camus... avant d’augmenter le taux, il faut avoir la preuve de son insuffisance. Cependant, pour tranquilliser les adversaires, on peut insérer dans l’article ces mots : « sauf à augmenter en cas d’insuffisance. » M. Defermon. Il ne faut pas croire que nous ayons agi en aveugles. Nous connaissons les loyers des principales villes du royaume. Observez que les fonctionnaires publics, payant le vingtième de leur traitement, payent sur leur industrie, à la différence des capitalistes. Enfin, je vous déclare qm si vous adoptez un taux plus considérable, vous n’avez point de cote d’habitation dans les villes, car tout le monde cachera le prix de son loyer. Pour obtenir la connaissance des revenus mobiliers du royaume, commencez par les imposer modérément, sinon elle vous échappera. D’après toutes ces considérations, je demande la question préalable sur l’amendement de M. de Folleville. M. de Olllon le jeune. Il est une raison plus sensible encore, c’est que si l’on force la cote d’habitation, il est évident que les loyers diminueront et vous perdrez d’un côté ce que vous voulez gagner de l’autre. Vous empêcherez de bâtir. En un mot, ce ne peut être qu’au détriment du Trésor national que l’amendement de M. de Folleville sera adopté. (La discussion est fermée une seconde fois et la priorité accordée à l’avis du comité, mais à une faible majorité.) M. d’André. La difficulté véritable est de savoir comment se fera le remplacement, en cas que le produit du vingtième ne suffise pas : ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1790.1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sera-ce sur la cote d’habitation ou sur les revenus mobiliers ? Je suis du dernier avis, parce que le produit n’étant trop faible que parce qu’on les aménagés, c’est à eux d’y suppléer, de même qu’ils profiteraient de l’excédant s’il y en avait. 11 faut donc ajouter ces mots: « sauf à augmenter sur les revenus mobiliers. » M. Defermon. Cet amendement est inadmissible, car vous avez décrété précédemment qu’en cas d’insuffisance, ce serait la cote d’habitation qui serait augmentée la première. M. d’André. Puisqu’il y a un décret contraire, je retire mon amendement ; mais j’ajoute que celui de M. de Folleviile devient alors indispensable, pour éviter une injustice : ou bien il faut rapporter un décret qui n’est que réglementaire et qui n’est pas encore sanctionne, et il faut déclarer que l’imposition qui se trouvera trop faible sera répétée sur la même cote. M. ©efernson. Cela n’est pas possible. En effet, je suppose qu’une municipalité ait à répartir 200 livres sur ses revenus mobiliers et qu’elle n’ait que deux ou trois de ses habitants qui soient susceptibles de cette imposition, les autres étant tous propriétaires ; il faudra donc qu’elle taxe nécessairement à 100 livres chacun de ces deux imposables, sans pouvoir les soulager en se rejetant sur une autre cote. Plusieurs membres demandent l’ajournement. L’ajournement est mis aux voix et prononcé. M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 9 DÉCEMBRE 1790. OBSERVATIONS DES DÉPUTÉS DE LA VILLE DE PARIS sur la contribution personnelle et sur la manière de repartir et d'asseoir cette contribution. Le comité d’imposition a présenté à l’Assemblée nationale deux espèces d’impositions directes ; une contribution foncière et une contribution personnelle. Cette vue est la conséquence du principe que toutes les facultés du citoyen doivent contribuer aux dépenses de l’Etat :'on ne peut donc qu’upprouYer le plan générai de cette disposition. Mais eu même temps qu’on reconnait la nécessité d’une contribution personnelle, comme celle d’une contribution foncière, il est impossible de ne pas apercevoir la difficulté qu’il y a d’asseoir la contribution personnelle d’une manière juste, égale, éloignée de tout arbitraire. On se dissimulerait en vain cette difficulté, elle ne subsisterait pas moins: il faut la connaître, l’envisager et la vaincre; c’est le seul moyeu de rendre l’imposition juste et il n’y a qu’une imposition juste dont le recouvrement soit assuré. Le comité des impositions avait présenté un plau d’imposition et de répartition; quelques articles forment la base de l’imposition; des tarifs donnaient l’état 349 de la répartition : l’Assemblée a décrété une partie des articles qui composaient la base de l’imposition ; elle ne s’est pas encore expliquée sur les auires. A l’égard des tarifs, le comité a reconnu leur imperfection ; il les a abandonnés. Le plan du comité des impositions a fait naître des inquiétudes dans la capitale sur l’excès des sommes que la plupart des citoyens auraient eu à payer, et sur l’inégalité effective des contributions qu’on annonçait néanmoins vouloir répartir avec l’égalité la plus parfaite. Les déclarations réitérées par les membres du comité de l’imposition, qu’il ne faut point attaquer leurs tarifs, parce qu’ils ne subsistent plus, doivent être un premier motif d’assurance pour les habitants de Paris contre une forme désastreuse de répartition, présentée par des personnes dont les intentions sont extrêmement pures, mais qui, malheureusement, n’étaient pas à portée de connaître le mécanisme et la pratique, si l’on peut employer ces expressions, des luyers de Paris; ellest s’étaient attachées à une théorie abstraite dans une matière ou toute théorie, qui n’est pas calculée d’après l’expérience et les faits, est fausse. Les citoyens de Paris rendront d’ailleurs assez de justice à ceux qu’ils ont honorés de leur confiance, en les députant à l’Assemblée nationale, pour être persuadés qu'ils ne cesseront d'éclairer l’Assemblée sur les faits dont la connaissance doit régler les décisions relatives R Paris. Ils ont dû être instruits que les articles présentés comme base de la contribution personnelle avaient été modifiés en plusieurs parties singulièrement, eu ce qui regarde la manière de taxer les commerçants et les ouvriers; et, saus doute, ils apprendront avec satisfaction, que les observations présentées en ce moment à l’Assemblée nationale, sont le résultat d’uu très grand nombre de conférences que les députés de Paris ont eues, tant entre eux qu’avec le comité des impositions, les commissaires de la municipalité, le directeur et quelques receveurs des impositions de la ville. Mais ce qui doit, par-dessus tout, rassurer nos concitoyens, c’est la volonté connue et constante de l’Assemblée nationale de rendre justice à tous ceux du sort desquels le vœu commun de la nation l’a rendue l’arbitre. Les habitants de Paris sont chaque jour témoins de l’attention avec laquelle l’Assemblée discute les grandes questions qui lui sont présentées; ils ont fréquemment admiré la sagacité de ce grand corps, la délicatesse du tact avec lequel il discerne le point précis des questions, la franchise avec laquelle il revieut, dès qu’on l’éclaire, sur les premières idées qu’un aperçu trompeur lui avait fait concevoir, enfin l’impartialité constante de ses décisions. Mettons donc avec confiance, sous les yeux de l’Assemblée nationale les détails qu’il est indispensable qu’elle connaisse sur l’état de Pans quant à la masse de la contribution personnelle possible à percevoir, et quant au mode d’en assurer ia perception. La nécessité d’une contribution personnelle est reconnu -, cette contribution doit être de tout ce que les besoins publics exigent; mais elle ne saurait être de ce que les citoyens n’ont pas; il faut donc en fixer la masse possible avant de s’occuper de la répartir, et quant à la répar-tion, ii faut étudier sa forme afin de la faire porter sur ceux qui peuvent la payer, et non sur ceux qui ne seraient pas en état d’y satisfaire : Les dangers d’une erreur et d’un faux calcul en cette matière ne frapperaient pas seulement sur