136 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] Et ne fallait-il pas même, avant de montrer un si funeste dévouement à l’antique oppression de tout ce qui, en Bretagne, n’était pas noble ; ne fallait-il pas qu’ils réfléchissent que par le décret du 3 novembre leur tribunal n’était pas encore dérangé, qu’aucun changement à sa constitution n’y était apporté, et que, pour se décharger de l’obligation qui pèse sur leurs consciences de rendre la justice aux peuples, il fallait avoir l’opinion publique et les motifs les plus solides? C’est donc en vain qu'on cherche à créer des prétextes pour colorer leur conduite : elle est, sous tous les rapports, extrêmement condamnable, et les motifs qu’ils donnent sont une raison nouvelle de les trouver coupables. De quelque parti que l’on soit, s’il existe des partis, quelque opinion que l’on ait sur la révolution actuelle, on doit reconnaître qu’une cour judiciaire ne peut plus être une assemblée législative, que la puissance de la nation doit soumettre tous les corps comme tous les individus, qu’il faut qu’il y ait dans un Etat une autorité suprême à laquelle on obéisse, et que l’infraction à ses décrets ne peut être considérée que comme un délit d’autant plus grave qu’il compromet la sûreté publique, et qu’il appelle l’anarchie ou le despotisme. Mais en trouvant la chambre des vacations de Rennes inexcusable, vous proproserai-je contre elle un avis sévère et juste? ÿon, Messieurs; il me semble que, député d’un pays où la révolution s’est opérée sans désordre et sans malheur, où les privilégiés oppresseurs ont été protégés par les citoyens qu’ils avaient pendant si longtemps accablés, où il n’y a eu à se ressentir de l’agitation que donne la conquête de la liberté que ceux qui la reprenaient, ce serait une espèce d’inconvenance que je proposasse ou des peines ou une poursuite judiciaire contre les hommes dont les attentats contre la chose publique, exigent toute votre attention, moins encore par eux-mêmes, que par les circonstances qui vous entourent. Si onze juges, composant la chambre des vacations de Rennes, étaient les seuls qui marquassent les derniers moments de leur existence parla prédication insensée de leurs anciennes maximes, je vous dirais qu’en méconnaissant la puissance publique, et en dédaignant les besoins de leurs justiciables, ils sont égarés par tout ce qui a le plus de prise sur l’esprit des hommes, les préjugés de la naissance et de l’habitude ; ils sont magistrats et nobles ; iis tiennent à une famille qui croit perdre par les institutions nouvelles, parce qu’elle n’a pas encore eu le temps d’apprécier la dignité du titre de citoyen d’une nation libre. J’ajouterais que, dans leur conduite, comme •Sans leurs excuses, il faut voir un fanatisme déplorable, et je vous donnerai pour preuve cet inconcevable délire de celui qui portait la parole, et qui, à la fin de son discours, ne mit d’autre prudence que celle de s’isoler de ses confrères, et de serrer le papier sur lequel il lisait ses dernières phrases; ce délire qui lui fit appeler l’histoire afin qu’elle prit son nom, et qu’elle tînt note de son courage. On est ordinairement plus insensé que coupable, quand on ose s’honorer d’avoir commis un délit public, et quand on le qualifie de vertu. U faudrait donc, sous ces rapports, se borner à plaindre et à censurer. Mais, Messieurs, ce n’est point ici le crime d’un seul où de quelques-uns, c’est la suite d’une conspiration contre la liberté publique. Nos oreilles retentissent de bruits qui annoncent par-| tout des efforts contre la constitution nouvelle. Un gentilhomme breton vient de paraître à une assemblée de paroisse, et y a dicté une protestation contre vos décrets. Deux Parlements ont mis dans l’arrêt qui ordonne la transcription, sur leurs registres, de votre décret du 3 novembre, des expressions très-coupables. Les Parlements de Rouen et de Metz vous ont été dénoncés ; des ecclésiastiques convoquent, en Bourgogne, en Normandie, des assemblées qui ne sont pas des synodes; enfin, de toutes parts on agite les esprits ; et la paix et l’union, qui devaient être le fruit d’une constitution désormais assurée, sont éloignées par ces manœuvres. C’est donc un devoir rigoureux pour nous de prendre un parti qui détruise enfin de si détestables projets, et qui renverse le dernier espoir de leurs auteurs. Je m’arrête à l’instant d’en proposer un : mon devoir était de vous éclairer sur quelques faits qui tiennent à l’histoire de la province dont je suis un des représentants ; je ne provoquerai pas autrement votre décision. Mais, quelque parti que vous preniez, je me crois strictement obligé de vous demander que votre décret porte la réserve expresse du droit naturel, qu’ont ceux dont les procès ont été retardés, et dont les intérêts ont souffert, de poursuivre leurs dédommagements vers les juges qui ont abandonné leur tribunal. Si cette disposition souffre quelques difficultés, je promets d’en prouver la justice, et d’en montrer la nécessité. M. de Cnstîne demande l’impression de ce discours. D’autres membres demandent l’impression de l’opinion de M. le vicomte de Mirabeau. M. Dupont de Nemours. Ces deux opinions doivent être imprimées dans le même cahier, pour éviter l’effet que produirait infailliblement l’envoi de l’une sans l’autre dans quelques provinces. L’Assemblée adopte cette proposition. M. E/ambert de Frondeville (1). Messieurs, les magistrats du Parlement de Bretagne ne viennent point se mettre à la place de leurs concitoyens, qu’ils ne représentent pas. Ils ne viennent point demander à l’Assemblée nationale si les députés de cette province ont pu lui abandonner des droits antiques, et garantis par la foi des traités. Us ne viennent point enfin élever une question que vous ne voulez pas sans doute agiter, et sur laquelle les Bretons seuls, à l’aide du temps et de l’expérience, pourront porter un jugement absolu. Les magistrats de Bretagne obéissent aux ordres du roi; et en vous rendant compte du lien qui unit leurs fonctions au maintien des constitutions de leur province, ils viennent vous dire qu’ils se sont trouvés dans cette position difficile, ou de ne pouvoir enregistrer vos décrets, ou d’être parjures au serment que chacun d’eux a fait à son pays, lorsqu’il a été investi des fonctions de la magistrature. Ils vous ont dit encore, qu’un autre obstacle s’opposait à l’enregistrement que le roi a exigé d’eux : obstacle résultant de leur défaut de carac-(I) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. le président Lambert de Frondeville.