[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin [791.] de ne pas trancher une question de cette importance; elle est constitutionnelle. Je demande donc qu’elle soit discutée demain, aussitôt après la lecture du procès-verbal. A droite : Oui ! oui ! M. le Président. Plusieurs membres insistent pour que la proposition de M. l’abbé Maury soit mise à la discussion demain. A gauche : L’ordre du jour ! M. Camus. Cette proposition ne doit pas être renvoyée à la discussion, parce que le décret est rendu. Il est fâcheux que tout le monde ne se trouve pas à l’ouverture des séances, parce qu’ensuite on n’est instruit ni des faits ni des motifs qui déterminent les opérations de l’Assemblée : on saurait en effet que le décret rendu hier est fondé sur la justice et qu’il s’exécutera facilement. Voici ce dont il s’agit. M. d’Angiviller est un homme qui a été payé et abondamment par l’Etat pour faire son travail d’ordonnateur des bâtiments du roi, charge qui était aux frais de l’Etat jusqu’au 1er juillet 1790, parce que c’est depuis le 1er juillet 1790 que les bâtiments du roi sont à la charge de la liste civile. Il a été payé pour les ouvriers dont il devait faire régler les mémoires; il l’a été pour l’intérêt de la nation, afin que la nation ne payât pas aux ouvriers plus qu’il ne leur était dû. Voilà quel était l’état des choses au moment actuel. Il faut savoir, d’un autre côté, quelle était la position de M. d’Angiviller : il y a un édit de 1776 que j’avais hier à la main, lequel édit porte, entre autres dispositions, que le directeur général des bâtiments réglera les mémoires dans tel et tel délai, et notamment que le trésorier des bâtiments ne pourra rien payer que sur l’avis du directeur général des bâtiments, mis en marge du mémoire; voilà l’état des choses. Nous avions commencé la liquidation de la direction des bâtiments : et il était venu plusieurs mémoires certifiés par M. d’Angiviller, comme directeur général des bâtiments ; à la séance d’avant-hier, on nous apporta une lettre et un mémoire du premier commis des bâtiments, M. Cuvillier, où il nous apprenait que M. d’Angiviller était absent ; qu’ainsi plusieurs mémoires ne seraient point visés par M. d’Angiviller. Il résulte de ce fait que les entrepreneurs ne peuvent pas dans le moment actuel recevoir leurs liquidations, parce qu’ils n’ont pas le visa de la personne qui était instituée par l’édit de 1776. Ainsi l’absence de M. d’Angiviller fait tort aux entrepreneurs, en ce qu’elle les prive de ce qui leur appartient. Vous devez encore vous rappeler, Messieurs, que par un décret vous avez dit que les ouvriers qui auraient été employés en vertu du mandat de l’ordonnateur seraient par provision payés, aux frais de la nation, des sommes qui seraient réglées par leurs mémoires; mais que l’ordonnateur serait tenu de rendre compte ensuite, suivant le mode de comptabilité que vous établiriez, et de répondre dans le cas où il aurait fait faire des ouvrages qui n’étaient pas nécessaires à faire faire, ou bien dans le cas où il les aurait fait faire autrement qu’il n’était autorisé. Voilà le second grief auquel donne lieu l’absence de M. d’Angiviller, en ce qu’il n’est plus là pour nous répondre de ses règlements; car nous m nous proposions de le sommer de nous dire à quel propos il avait fait faire tels ou tels ouvrages, pourquoi il les avait fait faire sur de simples devis et non pas par adjudication. C’est dans ce moment où M. d’Angiviller s’absente. I! se soustrait à la responsabilité à laquelle il est nommément tenu par l’édit de 1776, et aux entrepreneurs qui ont besoin de lui. C’est cela qui nous a déterminés à demander : 1° que le roi fût prié de nommer à sa place une personne pour examiner toutes les créances relatives aux bâtiments et antérieures au premier juillet 1790; 2° qu’un agent du Trésor public fût autorisé à faire séquestrer les biens meubles et immeubles de M. d’Angiviller, non pas pour les faire vendre, non pas pour en disposer, mais seulement (c’est l’article lui-même qui le porte) pour qu’il y soit établi des commissaires comptables qui conserveront les biens et rendront compte à M. d’Angiviller ou à ses créanciers, s’il y a lieu, mais qui surtout rendront compte à la nation de ce dont M. d’Angiviller se trouve responsable. Nous avons demandé que ses biens fussent mis en sûreté, parce que, M. d’Angiviller se retirant en pays étranger dans un moment où il est comptable à la nation, il ne faut pas outre cela qu’il jouisse librement de ses biens et qu’il puisse les vendre. Il est même douteux si l’on trouvera seulement à arrêter la valeur de deux louis ; car M. d’Angiviller logeait chez le roi : M. d’Angiviiler était meublé avec les meubles du roi, de sorte qu’il est très possible qu’on ne trouve rien ; mais cependant notre vigilance doit être toujours la même, et nous devons empêcher qu’un homme qui se soustrait à ses créanciers et à sa responsabilité après avoir été vingt ans employé au service de la nation, qui lui échappe au moment où elle a besoin de lui, puisse se soustraire à sa responsabilité. 11 faut donc faire séquestrer ses biens et y établir des commissaires. (Applaudissements à gauche .) A gauche: Passons à l’ordre du jour! M. l’abbé Maury. Vous voyez, Messieurs... A gauche: A l’ordre du jourl ( Murmures à droite.) M. de Montlosier. Vous entendez une partie et vous ne voulez pas entendre l’autre. M. l’abbé Maury. Il résulte des motifs qui viennent d’être développés par le préopinant... (Murmures à gauche.) A gauche : A l’ordre du jour ! M. l’abbé Maury. Vous avez entendu l’attaque; il faut que vous entendiez la défense. A gauche: A l’ordre du jourl M. l’abbé Maury. Vous demandez l’ordre du jour; moi, je demande le jour de l’ordre. (L’Assemblée, consultée, décide qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de Code pénal (1). Monsieur Le Pelletier, veuillez donc prendre la parole. (1) Voy. ci-dessus, séance du 15 juin 1791, page242. 276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791.] M. I�e Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, vous avez adopté hier l’article premier de Ja quatrième section du litre 1er du Code pénal, concernant les délits des particuliers contre le respect et l’obéissance dus à la loi et à l’autorité des pouvoirs constitués pour la faire exécuter. Vous avez à continuer aujourd’hui la discussion de 4 articles importants sur la résistance à la force publique par sédition ou rébellion. Vos comités vous proposaient d’établir trois degrés: le premier, lorsque laforcefpublique d’un canton aurait été repoussée par un attroupement; le second, lorsque l’attroupement aurait résisté à l’action de la force publique de tout un district; et enfin le troisième, lorsque l’attroupement continuant aurait encore opposé résistance à toute la force publique du département. L’examen de cette question ayant eu lieu de nouveau aux comités, les comités vous proposent aujourd’hui, Messieurs, d’ajourner, mais pour un très bref délai, ces articles importants. Voici sur quoi est fondé cet ajournement. Vous voyez que c’était sur plus ou moins de résistance à la force légitime, à la force publique, qu’étaient gradués ces différents délits; mais il est une première question à décider : c’est de savoir de quelle manière agira la force publique. Votre comité de Constitution se proposait de vous présenter un projet de décret relatif à l’action de la force publique et à trois sortes de réquisitions; mais, jusqu’au moment où vous aurez rectifié les principes, il est impossible d’établir des lois pénales qui portent sur ce système-là. D’après cela, je demande à M. le Président de mettre l’ajournement aux voix. (L’Assemblée consultée décrète l’ajournement des articles 2, 3, 4 et 5 de la quatrième section du titre 1CT.) M. Malouet. Je demande s’il y a quelque chose de changé relativement à la loi martiale ( Dénégations .), car ces articles me paraissent l’annuler totalement. M. Fe Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Pour rassurer M. Malouet, je puis lui assurer que le comité est unanimement d’avis que les articles en question ne changent rien à la loi martiale. Les articles 2, 3, 4 et 5 étant ajournés, nous passons à l’article 6 de la quatrième section du titre Ier. Le voici : u Quiconque aura outragé verbalement ou par geste un fonctionnaire public au moment où il exerçait des fonctions, sera puni de la peine de la dégradation civique. « S’il portait Poutrage jusqu’à le frapper, la peine sera de deux années de prison. » M. Martin. Vous intervertissez par cet article l’ordre des peines. La dégradation civique est une peine plus grande que celle de la détention pendant deux années. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau , rapporteur. Voici ma réponse. La peine de la détention, toutes les fois qu’elle aura été prononcée par une procédure par juré, sera toujours précédée d’une exposition du condamné attaché à un carcan au milieu de la place publique et sur un échafaud. D’ailleurs, l’homme qui est détenu pendant deux ans est aussi dégradé civilement, car il y a un autre article qui explique quels sont les suites et les effets des condamnations et qui dit que quiconque sera condamné à la peine de la gêne et à la peine de la détention, ainsi que celui qui est dégradé civiquement, sera privé de tous ses droits de citoyen actif, perdra tous scs droits civils; que celui qui a été condamné à la perte de la liberté sera dégradé de ses droits de citoyen pendant la durée de sa peine et, dans le cas qui nous occupe, pendant les deux années de détention. Ainsi, d’un côté, l’homme est flétri dans son honneur, puisque la peine est également infamante, puisqu’il est exposé à la même honte civile, puisqu’il est également attaché à une potence pendant deux heures, dans les deux cas; et en outre, lorsque la détention y est jointe, il perd sa liberté pendant deux ans. M. Garât l'aîné. La rébellion contre les exécuteurs de la force publique et contre les applications de la loi est, de tous les attentats de ce genre, le plus alarmant et celui qui compromet le plus l’ordre public. Il est donc de la sagesse des législateurs, en insérant dans un code pénal des peines contre ces sortes de crimes, d’y mettre la plus grande sévérité. Leur appliquer la dégradation civique et la détention pendant deux ans, qui ont été déjà prononcées contre des crimes plus légers, c’est diminuer aux yeux du peuple la gravité des attentats dont nous parlons. Je demande donc pour la première espèce de rébellion 2 années de détention et 4 années pour la seconde. M. Duport. J’appuie la dernière proposition du préopinant; mais il me semble qu’il n’a pas fait attention à l’article, car je suis, relativement à la première partie de cet article, d’un avis entièrement opposé au sien. Je conçois combien ceux qui sont les organes de la loi doivent obtenir de respect de chacun ; mais en cherchant à leur faire regarder la justice comme une divinité, il faut prendre garde de la leur présenter comme odieuse. Or, je crois qu’au-tant il est vrai de dire que quiconque frapperait un juge ou un fonctionnaire pnblic doit encourir une peine très forte, autant il est vrai qu’il est beaucoup trop sévère de mettre une peine aussi forte que celle de la dégradation civique pour celui qui l’outragerait, soit verbalement, soit par geste. Prenez garde à ce qui se passe dans un tribunal. Il y a une différence bien grande entre un homme qui entend un jugement qui lui est contraire, qui a la conviction intime qu’il a été condamné injustement et qui se laisse entraîner par un premier mouvement à un geste ou à une parole indiscrète, et un homme qui frappe un juge. Ce dernier, sans doute, a encouru la peine de la dégradation civique ; il faut punir la violence, mais il faut la punir par une peine qui lui soit en quelque sorte adaptée. Jamais vous n’accoutumerez personne à croire qu’un homme qui a fait un geste contre un juge est un homme infâme : Le public croit que c'est un homme violent et voilà tout. D’après cela, je pense que dans l’article la peine n’est pas attribuée à l’action ; et ensuite je dis qu’elle est trop forte pour l’action et que si, pour une injure dite dans l’auditoire, on poursuit une procédure par juré, cela sera une chose très inutile pour faire observer le respect dans l’auditoire même. ( Applaudissements .)