[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1790.] voir attenté à la liberté de son-pays, pour qu’il jouisse de la satisfaction de prouver qu’il est innocent, il faut convenir que ce sont là des principes un peu bizarres, et une morale un peu nouvelle. Et c’est au moment où les représentants de la nation ont décrété, comme une de nos lois constitutionnelles et fondamentales, que « nul homme ne pourrait être accusé, arrêté et détenu que dans « les cas déterminés par la loi et dans les formes « qu'elle a prescrites. » C'est dans ce moment, disons-nous, que le comité des recherches, violant tous les égards et toutes les formes, au préjudice d’un citoyen distingué, peut-être par ses vertus, mais au moins par la place à laquelle le vœu de l’Assemblée nationale elle-même l’a porté, se permet de le dénoncer sans droit, sans preuves, contre la disposition de la loi, comme coupable du plus atroce de tous les délits, appelle sur lui la haine du peuple, voue son nom à l’indignation publique, le livre lui-même à la fureur d’une multitude égarée, et paraît croire encore le traiter avec loyauté, sous prétexte qu’il aide ainsi à la manifestation de son innocence ! On sent combien de réflexions se présentent ici à l’esprit, et combien de mouvements même naissent dans l’âme ; mais ces mouvements doivent être contenus, et ces réflexions seraient surabondantes. La dénonciation faite de M. de Saint-Priest est évidemment nulle sous tous les rapports. Elle n’est appuyée sur aucune preuve; Elle ne porte même sur aucune base; Elle est contraire à la loi ; En un mot, M. de Saint-Priest n’a rien à craindre d’une telle dénonciation et il ne peut pas manquer en se présentant au Châtelet, d’obtenir de ce tribunal la justice qu’il doit en attendre. Délibéré à Paris , ce trente et un juillet mille sept cent quatre-vingt-dix. De Sèze, Laget-Bardelin, Eerrey. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 2 AOUT 1790. Réponse au mémoire de M. Guignard Saint-Priest , ministre et secrétaire d'Etat, lue au comité des recherches de la municipalité de Paris, par Jean-Philippe Garran-Coulon, l'un de ses membres. (imprimée par ordre du comité). Parmi les grands objets sur lesquels l’intérêt commun appelle l’attention publique dans un pays libre, il n’en est guère de plus libre d arrêter les regards des citovens, que les dénonciations faites à la justice contre les ministres prévaricateurs, qui, chargés de veiller à l’observation des lois et de l’ordre social établi par le peuple veulent employer, pour les détruire, l’autorité dont ils ont été revêtus pour les maintenir. Prévenu d’un crime si grave, par la dénonciation du procureur de la première commune du royaume, M. Guignard Saint-Priest, au lieu de réfuter directement les inculpations faites contre lui, s’est perpétuellement efforcé de donner le change lte Série. T. XVII. 561 à ses lecteurs et à ses juges, en détournant les yeux des preuves les plus décisives qu’on lui a opposées, en jetant sur tous les points des doutes sans fondement, en déguisant la vérité sur les faits les plus essentiels, en supposant enfin que cette dénonciation est la suite d'un système de persécution formé contre lui par ses ennemis et en faisant au comité des recherches des reproches vains sur la publicité donnée à son travail sur cet objet. Ce genre de défense qui peut séduire au premier coup d’œil, mais qu’il est en même temps si facile de réfuter, a été adopté dans toutes ses parties par les conseils auxquels M. Guignard Saint-Priest s’est adressé. Quelque favorable que soit la défense des accusés, la justice et la vérité ont aussi leurs droits et elles font un devoir au comité de rétablir la question sous son vrai point de vue. II doit enfin répondre aux reproches personnels qu’on lui a faits et montrer qu’il n’a été ni déterminé par des impressions étrangères, ni inconsidéré dans la manière dont il a provoqué la dénonciation du procureur de la commune. On aura complètement réfuté tous les moyens de M. Guignard Saint-Priest si l'on prouve ; 1° Que le comité a dû provoquer la dénonciation des projets de contreJrévolution contenus dans la conversation dont M. Bonne-Savardin a tracé le récit ; 2° Qu’on devait dénoncer nommément M. Guignard Saint-Priest, comme interlocuteur de M. Bonne-Savardin dans cette conversation ; 3° Qu’on a dû aussi dénoncer les témoignages de haine et de mépris que M. Guignard Saint-Priest n’a cessé de donner contre l’Assemblée nationale et les lois qui en sont émanées ; 4° Qu’il n’y a aucun reproche à faire au comité sur la manière dont la dénonciation a été faite et sur la publicité du rapport. Cette manière de diviser la question, dans ses différentes branches, diminue nécessairement un peu la force des preuves, puisqu’elles se tiennent toutes et que les trois premiers points surtout ont la plus grande liaison les uns avec les autres. Il est bien plus évident, par exemple, que la conversation du 5 décembre dernier avait des projets de contre-révolution pour objet, si l’interlocuteur avec qui elle a été tenue, est ce même ministre qui n’a cessé de témoigner sa haine et son mépris contre l’Assemblée nationale et les lois qui en sont émanées. Mais l’ordre qn’on vient de tracer ne laisse aucune place aux faux-fuyants qui font la principale ressource de M. Guignard Saint-Priest. Il facilite la recherche de la vérité pour les juges et pour le public; et les moyens qui s’élèvent contre le ministre ont encore une force suffisante en les isolant. § 1er. — 1 Le comité a dû provoquer la dénonciation des projets de contre-révolution contenus dans la conversation dont M. Bonne-Savardin a tracé le récit. M. Guignard Saint-Priest n’a point fait de dénégation précise à cet égard ; il s’est contenté d’annoncer des doutes sur le but criminel de cette conversation ; il paraît même vouloir les étendre jusqu’au projet de contre-révolution, malgré les preuves multipliées que le comité en a offert à la justice. Il élève des doutes semblables sur l’exactitude du récit fait par M. Bonne-Savardin ; il soutient que la conversation n’étant attestée que par l’auteur du récit seulement, il 36 f Assemblée 'nâiioifale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1790.) suffit pour détruire une preuve qui n’a pas d’autre appui d’affiriher le contraire. Les conseils de M. Güigeard t-ai nt-Priest adoptent à cet égard, comme sur tout le reste, ses moyens de défense. i De toutes ces Objections, la dernière seule peut avoir quelque poids en justice. Elle est assez forte, sans doute, pour empêcher qu’on ne pût condamner M.Güighard Sainf-Priest, dans l’état actuel des choses, comme criminel de lèse-nation, s’il n’y avait pas contre lui des preuves additionnelles, et s’il ne pouvait pas en survenir d’autres dans la suite. C’est à ceux qui auront à prononcer sur celte grave accusation, à juger jusqu’à quel point le récit et ces preuves additionnelles peuvent déterminer une condamnation. Le comité n’a eu, pour ce qui le concernait, qu’à examiner s'il � àvait matière à dénonciation. Or, certaine-mêtat, il ne peut y avoir de doutes là-dessus, en isolant ifiême la conversation. Les déclarations laites au comité par MM, Mas-got'-tjband’Maison et Lenoir-Ducios ; les lettres trouvées sur M. Bonne-Savardin, lors de soh arrestation; sofi livre-journal, ses différents voyages et ses interrogatoires thèmes, ont trop bien constate la réalité dû côpiplot qu’il était chargé par M. Mâillebois dé négocier à la cour de Turin, pour du’iî soit nécessaire de revenir sur cet objet. (1) Le réeitde la conversation, qui a eu lieu, le 5 décembre dernier, entre M. Bonne-Savardin et le prétendu Farcy, en est une nouvelle preuve. Toutes les personnes qui en sont l’objet sont désignées sous des noms fictifs ; et ce n’est certainement pas ainsi qu’on entretient des correspondances dans un pays libre, quand oh né forme pas des projets qu’on peut réaliser. Lé préambule même du récit fait par M. Bonne-Sa vardih annonce lui seul les alarmes d’un coupable, et l’on voit qu’elles s’étendraient sur son interlocuteur, le prétendu Farcy. « incertain du « motif, y est -il dit, ou des soupçons que l’on avait « codcU contre moi, je 'crus qu’il était prudent « d’en prévenir Farcy. » Il y a deux choses également remarquables : 1® M. Bonne-Savardin craignait que le comité n’eût conçu des soupçons contée lui; 2° il jugea prudent d’en prévenir Farcy. Assurément rien ne convient mieux à un conspirateur et à soû Complice, que des alarmes si légèrement conçues, et et le besoin qu’ils avaient de conférer sur une invitation aussi simple que celle du comité de recherches. Ecoulons, pour un moment, si l’on veut, les preuves qui établissent l’identité de M. Güiguârd Saint-Priest et du prétendu Farcy. Il Suffit dé lire lé récit de M. Bonne-Savardin pour Se convaincre du moins que son interlocuteur était un personnage très important dans l’Etat et que M. Bonne-Savardin ne pouvait point vivre en intimité avec lui. Il ne pouvait donc y avoir d’autre motif pour lui communiquer ces soupçons qu’un grand intérêt qui les leur rendait commun et alarmant pour tous deux. La conversation change en preuves décisives, toutes ces indications, et ce n’est que par l’expression d’un doute vague (2) que M. Guignard (1) M. Guignard-Saint-Prifst met à la page 5 de son mémoire, les lettres anony mes do Turin, au nombre des pièces que le comité a pris pour base de sa dénonciation; mais le rapport fait au comité dit nettement que les lettres ne peuvent pas faire preuve d’après leur caractère anonyme, et qu’elles ont pu seulement servir d'indication . (2) Voyez la page 13 dû mémoire de M. Guignard-Saiut-Priest, et les pages 26 et 27 de sa conversation. Saint-Priest et ses conseils ont essayé d’affaiblir toutes celles qu’on y a trouvées des projets de contre-révolution. Le désir et l’espoir de ce changement su manifestent d’abord dans cette demande de M. Bonne-Savardin : Quand cela finira-t-il� Et bien plus encore dans cette réponse de son interlocuteur : « Il faudra bien que cela ait un terme , et si cette espérance ne nous soutenait, i! faudrait mettre là clef sous la porte et attendre l’instant d’étre égorgé. » On aurait le droit de dire que le désir et l’espoir d’une contre-révolution sont inséparables de la participation aux mesures convenables pour la faire réussir de la part d’un ministre ou, si l’on veut, d’un homme en place, tel que le supposent ces mots du prétendu Farcy: « Il faudrait mettre la clef sous la orte » ; mais la suite de la conversation prouve ien directement qu’il s’occupait, dès lors, dés moyens d’exécution. M. Bonne-Savardin demande si Farcy prévoit ce terme, et voici la réponse : « le printemps, puisque c’est cette époque que le roi a choisi pour aller visiter les provinces. » Le printeihps était aussi l’époque où les troupes étrangères devaient être introduites dans le royaume, suivant le projet de M. Mâillebois. Farcy ne s’en lient pas là. On lui demande s’il ne craint pas d’être suivi par la garde nationale et qu’elle ne rende ses projets sans effet; s’il a des moyens et des troupes; où il en trouvera; comment il sé débarrassera du chef de la garde uationale. On lui ajoute enfin qu'il manquera de général, s’il ne s’attache Adrien, c’est-à-dire M. Mâillebois, comme M. Bonne-Savardin l’a reconnu lui-même dans son interrogatoire. Farcy répond que si la garde nationale est tentée de suivre, on la laissera faire et quand une fois on aura le cul sur la selle on verra. Il ne dit rien sur la difficulté d’avoir des troupes ; mais il assure que le commandant général est plus embarrassé qu’eux; que quand ils n’auront que lui, les moyens ne manqueront pas; que lui Farcy n’est point, en ce moment, en mesure de prendre M. Mâillebois et de triompher des obstacles, quoiqu’il désire que cela soit. Enfin, sur la question de substituer à M. Mâillebois M. de Culan, qui paraît être le maréchal Broglie, il trouve cette idée folle. Il lui reproche de s’êlre conduit d’une manière à en ôter l’envie aux plus entêtés, il le blâme d’être resté où il est, au lieu d’aller habiter les mêmes lieux que Frmand, l’un de nos réfugiés en Piémont, où il a des possessions. Si l’on ne veut pas reconnaître qu’il s’agissait dans tout cet entretien, d’un pian de contre-révolution, qu’on nous dise donc ce que signifient ce terme et cette espérance , sans lesquels le prétendu Farcy mettrait la clef sous la porte ? Que signifiaient ces projets qu’il devait exécuter dans le temps où, suivant le plan de conspiration, les troupes étrangères doivent entrer dans le royaume ? Pourquoi prévoyait-on des obstacles de la part de la garde nationale ? Pourquoi avait-on besoin de troupes pour effectuer ces projets? pourquoi ne savait-on où trouver ces troupes, quand il y en a tant dans le royaume? Pourquoi vouloir mettre à leur tête M. Mâillebois, auteur de la conspiration, depuis négociée par M. Bonne-Savardiu ? Pourquoi excluait-on un général (M. Broglie) qu’on accusait de s’être mal comporté précédemment? Pourquoi lui reprochait-on surtout de ne pas aller habiter les mêmes lieux que Frmand* où il a une possession, c’est-à-dire les Etats du roi de Sardaigne; où sont M. d’Artois 563 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES! [2 août 1790.] et d’autres réfugiés, auxquels M. Maillebois a ensuite adressé son plan de contre-révolution? Pourquoi enfin fallait-il se défaire de Bel ville, dont le nom désignait évidemment M. le commandant général? S’il est possible de trouver, à cette conversation, un sens qui ne soit pas antipatriotique et contre-révolutionnaire, que ne nous le donne-t-on, au lieu d’énoncer vaguement des doutes que rien ne justifie, que toutes les personnes de bonne foi rejetteront nécessairement à la simple lecture du récit ? Sans doute, il est possible, rigoureusement parlant, que ce récit ne soit pas exact, comme il est possible que les témoins plus ou moins nombreux, sur les dépositions desquels la justice criminelle asseoit presque tous ses jugements, soient ou dans l’erreur ou corrompus; mais comme la nature de l’homme et des institutions sociales ne permet presque jamais d’administrer d’autres preuves en matière criminelle, que des témoignages humains, la simple possibilité de l’inexactitude ou de l’infidélité d’une déposition ne suffit pas pour en détruire l’effet. Elle doit seulement engager les juges à ne se déterminer q-u 'après l’examen le plus scrupuleux. Jamais peut-être aucun témoignage n’a été offert à la justice dans des <*ir.con stances plus propres à mériter sa confiance, que ce récit. M. Bonne-Savardin n’est ni un témoin ordinaire, ni un accusateur, ni un dénonciateur ; il est lui-même prévenu du crime de contre-révolution avec M. Maillebois, et fon administre contre euxles preuves les plus fortes. C’est plusieurs mois avant la découverte de cette conspiration, qu’il annonce, dans une lettre à M. Maillebois, une conversation importante qu’il a eue avec un homme en place sur cet objet, et qu'il la met par écrit pour lui en rendre compte. Il ne pouvait pas avoir dessein de tromper M. Maillebois, puisqu’il se serait, par là, trompé lui-même, en l’engageant dans des mesures fausses. Il ne pouvait pas l’espérer puisque M. Maillebois, en voyant le prétendu Farey, d’un moment à l’autre, aurait reconnu l’imposture de M. Bonne-Savardin. Il ne prétend pas l’avoir fait, puisqu’il n’a point réclamé, dans son interrogatoire, contre l’exactitude de ce récit, quelque intérêt qu’il pût y avoir. Enfin, il ne l’a pas fait puisque M. Maillebois lui a conservé sa confiance, l’a chargé, quatre mois après, de négocier le plan de conspiration à la cour de Turin. On pourrait se dispenser, après cela, de répondre aux autorités citées par les conseils de M. Guignard Saint-Priest, pour établir qu’une conversation ne peut pas faire la matière d’une accusation de lèse-majesté. Une loi romaine porte que U intempérance de la langue doit rarement être punie dans ce cas (1). Montesquieu, après avoir dit « que la loi ne peut « guère soumettre « les paroles à une peine capitale, à moins qu’elle « ne déclare expressément celles qu’elle y soumet (2) « ajoute que « les paroles ne forment point un corps de délit. » On abuse ici de ces deux autorités. Sans doute, des paroles indiscrètes, qui sont le fruit d’uue inconséquence momentanée, nedoivent pas être soumises à une peine capitale ; et c’est trop encore que de les soumettre à une punition correction-(1) Nec lubricum linguæ ad panam facile trahendum est (liv. 7) l 3., ff., ad legem Juliain majestatis. (2) :La consultation ae dit rien de ces restrictions que Montesquieu a mises à son opinion. nelle, comme le propose Montesquieu, pour modérer le despotisme. Mais quand il ne s’agit pas «le quelques paroles échappées à l’étourderie, mais d’une conversation entière qu’on a tenue avec un conspirateur, sur les moyens d’opérer une contre-révolution; quand cette" conversation indique elle-même que ce n’est pas la seule qu’on ait eue sur cet objet; quand l’interlocuteur est un minisire, ou, si l’on veut, un homme en place, qui concerte ainsi les moyens de détruire la Constitution de son pays, qu’il était par-' ticulièremeut chargé de maintenir; certes un tel entretien est infiniment coupable; et s’il ne pouvait pas faire la matière d’une accusation il faudrait presque toujours attendre l’exécution du crime, dans ce cas, pour pouvoir le poursuivre, puisqu’il n’y a souvent d’autres preuves, contre les conspirateurs, que les conversations dans lesquelles ils ont arrêté leur plan. Cette distinction n’a point échappé à Montesquieu; elle se trouve dans la même page que le texte cité dans la consultation pour M. Guignard Saint-Priest, qui semble n’avoir eu d’autre ressource, pour sa défense, que de donner le change sur les principes (1) comme sur les faits. « Les « paroles qui sont jointes à une action , y est-il « dit, prennent la nature de cette action. Ainsi « un homme qui va dans la place publique « exhorter les sujets à la révolte devient coupable « de lèse-majesté, parce que les paroles sont jointes « à l’action et y participent. Ce ne sont point « les paroles que l’on punit, mais une action « commise dans laquelle on emploie les paroles. « Elles ne deviennent des crimes que LORSÇflj’ELLES « préparent, qu’elles accompagnent ou' qu’elles « suivent une action criminelle. » L’entretien de M. Bonne-Savardin et du prétendu Farey avait pour objet de concentrer les moyens les plus propres à opérer une contre-révolution. Il préparait donc une action criminelle, il participait à sanatureeton a dû en poursuivre l'interlocuteur comme M. Bonne-Savardin. La loi romaine, qui ne parle que d’une intempérance de langue, suppose évidemment la même distinction ; et l’on sait assez, d’ailleurs, qu’on trouve dans le corps de droit tout ce qu’on veut y chercher; c’est un véritable chaos; où la -nuit la lumière, le juste et l’injuste, la barbarie, et l’humanité sont perpétuellement entremêlés dans le plus grand désordre. La loi même que. citent les conseils de M. Guignard Saint-Priest admet à l’accusation du crime de lèse-majesté les personnes infâmes qu’on rejette dans toute autre matière; elle l’admet sans aucune restriction (2). C’est bien assez que de pareilles lois règleut en-(1) On peut en avoir une nouvelle preuve, en comparant, avec le texte de Montesquieu, un autre passage de cet auteur cité à la page 21 du mémoire et de la consultation pour M. Guignard. Il rt’csl question, dans le texte, que d’un conseil politique, dont les législateurs seuls d’une République peuvent faire usage, sans qu’on puisse l’appliquer à ceux qui sont chargés de dénoncer ou de juger les crimes de l’Etat. Montesquieu dit : « que « quand une République est parvenue à détruire ceux « qui voulaient la renverser, il faut se hâter de mettre « lin aux vengeances, aux peines et aux récompenses « meme, de peur que, sous prétexte de vengeance delà « République, on n'établisse la tyrannie des vengeurs .» Quel rapport cette citation peut-elle avoir aux devoirs du comité des recherches et à une conspiration nouvellement découverte? (2) Famosi, qui jus accusandi non habent, sine ulla dubitatione admittumur ad hanc accusationem. (L. 7. lit. 4. lib., 48 ff. ad legem Juliam piajestatis). 12 août 1790.] gg4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAl core l’Etat et les propriétés des citoyens dans une grande partie de la France, sans qu’on veuille y chercher les principes de notre droit public hors de ces provinces. §11. — On a dû dénoncer nommément M. Guignard Saint-Priest comme interlocuteur de M. Bonne-Savardin, dans V entretien du 5 décembre. Sans doute, on aurait dû se contenter de dénoncer un quidam, désigné sous le nom d eFarcy dans le récit de M. Bonne-Savardin, si rien n'eut indiqué la personne cachée sous le nom conventionnel. Nos lois autorisent ces dénonciations vagues: le comité l’a reconnu. L’ordonnance de 1670 permet même de décréter des inconnus (1) ; mais il ne pouvait pas y avoir ici de difficulté sur l’individu caché sous le nom de Farcy. M. Guignard Saint-Priest et ses conseils l’ont si bien senti, qu’ils n’ont pu présenter des doutes à ce sujet, qu’en omettant les preuves les plus décisives fournies par le comité. Ou voit, dans le livre journal de M. Bonne-Savardin, qu’il avait été chez ce ministre le 5 et le 6 décembre, et l’on voit aussi, dans le récit de la conversation, qu’il avait été les mêmes jours chez Farcy. Le mémoire à consulter et la consultation (2) sont partis de là pour supposer qu’il n’y avait pas d’autre indication de l’identité de M. Guignard Saint-Priest avec Farcy, que ce rapport du livre-journal avec le récit. Ils ont souienu que M. Bonne-Savardin, pressé dans cinq interrogatoires de la manière la plus prolongée et la plus vive, par le comité des recherches, « non seul-meut ne déclarait nulle « part que M. de Saint-Priest fût ce Farcy avec « lequel il s’etait entretenu, mais qu’il avait, au « contraire, rendu la justice la plus éclatante à « M. de Saint-Priest » (3). On a conclu, de là, que le livre-journal de M. Bonne-Savardin est étranger à M. Guignard Saint-Priest; que M. Bonne-Savardin a pu ne pas trouver M. Guignard Saint-Priest lorsqu’il s’y est présenté le 5 et le 6 décembre; qu’il a pu aller (1) Les conseils deM. Guignard ajoutent qu’elle permet de condamner des inconnus. Ils en donnent pour preuve « le fameux arrêt de Damiens où un quidam « avait été décrété de prise de corps, et où la contu-« mace fut déclarée bien instruite contre lui. » Mais peut-on ainsi confondre avec la loi un simple jugement et surtout un jugement rendu dans l’affaire deDamiens? Comment n’a-l-on pas vu que, dans la vue d’inspirer une plus grande horreur du crime de lèse-majesté, les magistrats s’étaient évidemment laissé entraîner dans cette affaire hors des bornes tracées par la justice et l’humanité ? C’est ainsi que l’arrêt rendu contre Damiens lui-même, cet arrêt qui fait dresser les cheveux, bannit du royaume à perpétuité le père, la mère et la fille de ce criminel en leur faisant défense d’> revenir, sous peine d’ôlre pendus, sans autre forme de procès, quoique l’arrêt ne les déclare pas même suspects de complicité. Le préjugé que cite ici la consultation pour M. Guignard Saint-Priest, est si peu décisif queJousse lui-même, qui l’a fourni dans son commentaire (auquel on ne doit assurément pas reprocher trop de philosophie), reconnaît, malgré cet arrêt, « qu’on ne peut pas « faire le procès par contumace, à un accusé sous le « nom de quidam, ni encore moins le juger sous le nom « de quidam ; qu’il faut savoir quel est l’accusé et son « nom. » (2) Mémoire à consulter, page 6, et consultation, pages 28, 30 et 31. (3) Remarquons, en passant, que le mémoire à consulter et la consultation nomment toujours le ministre de l'Intérieur, M, de Saint-Priest. chez d’autres personnes, ces deux jours-là, sans l’écrire sur sou livre, et qu’il a pu, en particulier, avoir des raisons pour ne pas y écrire l’individu appelé Farcy ; qu’enfin il ne résulte point nécessairement de ce que M. Bonne-Savardin « a fait, le « 5 et le 6 décembre, une visite à M. de Saiut-« Priest, que ce ministre soit le Farcy avec qui « cet officier dit s’être entretenu le premier de « ces deux jours-là » (1). Tel est l’apeiçu de M. Guignard Saint-Priest. 11 faut y substituer la vérité, et, d’abord, le récit de la conversation n’annonce pas seulement que M. Bonne-Savardin a été voir Farcy le 5 et le 6 décembre, mais qu’il y est allé le 5 décembre, avant d’aller au comité des recherches (2), et qu’il y retourna le lendemain matin (3). Or, le livre-journal de M. Bonne-Savardin indique aussi qu’il est allé le 5 décembre au matin chez M. Guignard Saint-Priest; qu'il n’est allé que le soir au comité (4), et qu’il est retourné le lendemain matin chez ce ministre (5). Le récit annonce encore que M. Bonne-Savardin a vu Farcy aux deux fois; qu’à la première, il l’a prévenu de l’invitation qu’il avait reçue du comité, et qu’à la seconde, il lui avait fait part de tout ce qui s’y ét >it passé. Voilà des circonstances très remarquables, qui ont mis le comité sur la voie, et dont M. Guignard Saint-Priest ne parle pas plus que du résultat qu’elles ont amené dans l’interrogatoire de M. Bonne-Savardin. On y a demandé, à cet officier, « si le jour où il s’est « rendu au comité de recherches, sur notre invi-« tation, il n’a pas été dans la matinée voir une « personnes qui il a fait part de cette invitation, « et si le lendemain il n’y est pas retourné pour « lui rendre compte de ce qui s’était passé au « comité? A lui demandé quelle est cette per-« sonne? » M. Bonne-Savardin a répondu que « OUI, et que CETTE PERSONNE est le comte de Saint-Priest. » 11 n’est assurément plus permis, d’après cela, de douter que M. Guignard Saint-Priest ne soit le prétendu Farcy, puisque, de l’aveu même de M. Bonne-Savardin, M. Guignard Saint-Priest est la personne à qui il ait fait part, le 5 décembre au matin, de son invitation au comité, et chez qui il est retourné le lendemain lui rendre compte de ce qui s'y était passé. Farcy, qui est un nom suppo-é, est cette personne, suivant le récit écrit, et M. Guignard Saint-Priest l’est aussi, suivant l’interrogatoire. Ce n’est qu’en omettant cet aveu si décisif et dont le comité a tant argumenté (6), que le mé-(1) Mémoire et consultation pour M. Guignard-Saint-Priest, pages 31 et 32. (2) « Incertain du motif ou des soupçons que l’on « avait conçus contre moi, puisque l’on me mandait au « comité d s recherches, je crus qu’il était prudent « d’eü prévenir Farcy. J’y fus, et eus avec lui une con-« versation, etc. » Le récit de la conversation est suivi de celui de la comparution de M. Bonne-Savardin au comité. (3) « Je fus le dimanche matin faire part à Farcy de tout ce qui s’était passé. Il en fut indigné. » (4) « Déjeuné au palais avec Hocquet. « Allé chez M. le comte de Saint-Priest. « Allé le matin au palais ..... « Fiacre, pour aller chez M. Delorme, où fai dîné. « Allé au comité de recherches. » (5) « Déjeuné chez moi avec M. d’Arnaud ..... « Fiacre pour aller chez M. de Puységur, M. de « Saint-Priest. « Dîné chez Mra0 Muguet. » (6) Voyez les pages 35 et suivantes du rapport et 1 interrogatoire, pages 112 et 113 des pièces justificatives. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1790.} moire à consulter et la consultation ont prétendu qu’il n’y avait aucune preuve de l identité des deux noms, non pas seulement aux yeux de la loi, mais aux yeux de la raison. G tte omission bien étrange, sans doute, et de la part de M. Guignard Sain t-Priest, et de la part de ses conseils, qui déclarèrent pourtant avoir lu elle rapport du Cumité de recherches et toutes les -pièces qui y sont annexées , prouve assez combien cet aveu leur a paru redoutable. Que deviennent maintenant les raisonnements de M. Guignard Saint-Priest, sur la nécessité d’avoir di s preuves au lieu de simples présomptions, pour dénoncer quelqu’un nommément, et les autorités que ses conseils citent à cet égard (1)? Que devienne it les inductions qu’ils tirent du refus fait par M. Bonne-Savardin d’avouer nettement que M. Guignard Saint-Priest fût la même personne qu’il avait désignée sous le nom de Farcy, et de la prétendue justice qu’il lui a rendue, en déclarant « qu’il ne croit pas, par la » connaissance qu’il a du personnel de M . le « comte de Saint-Priest, qu’il fût jamais l’apôtre « d’une contre-révolution? » (2) Que deviennent ces allégations de M. Guignard de Saint-Priest, qu’il n’a jamais porté le nom de Farcy; que, dans la multitude des pièces publiées par le comité, il n’y en a pas une seule où son nom se trouve, pas même celui de Farcy, et que dans les lettres anonymes de Turin, où l’on annonce le vœu des conspirateurs pour le renvoi de M. Montmorin et leurs espérances sur le départ de M. Necker, « on « n’ajoute pas, comme c’était si naturel, qu’à côté « de ces ministres, il y en avait un sur lequel on « pouvait compter, et que c’était M. Guignard do « Saint-Priest » (3)? S’il était permis de tirer ces inductions de lettres anonymes, ne pourrait-on pas dire qu’en désirant le renvoi d’un ministre dont on ne pouvait rien espérer, en espérant aussi que le départ de M. Neker, pour les eaux, pouvait favoriser la contre-révolution, c’était dire assez clairement qu’on espérait quelque chose des autres et par conséquent de M. Guignard de Saint-Priest? Quant au nom de Farcy, comment a-t-on le courage de se prévaloir de ce que le ministre n’a jamais porté ce nom, quand le récit de M. Bonne-Savardin annonce, dans tout son contenu, qu’il a substitué des noms fictifs aux noms véritables; quand il l’a formellement reconnu dans son interrogatoire? Gomment M. Guignard ose-t-il dire suriout, « que « dans la multitude des pièces qui ont été impri-« mées, par le comité de recherches et qui em-« brassent l’intervalle du 5 décembre au 30 avril « dernier, il n’y en a pas une seule où il soit fait « la moindre mention de lui ni où son nom se « trouve et pas même celui de Farcy »(4). Le nom de M. le comte de Saint-Priest ou M. de Saint-Priest se trouve tout au long dans plusieurs endroits dans t’extrait du livre journal de M. Bonne-Savardin, que le comité a fait imprimer parmi les pièces justificatives du rapport. C’est ainsi qu’on lit au mois d’août 1789 : « 19. Allé chez l’ambassadeur de Sardaigne et « causé sur les circonstances. » « Dîné chez M. le marquis de Gordon, ambas-« sadeur de Sardaigne. » (1) Pages 32 et 33 de la consultation. (2) Ibid,., page 30. Voyez les pièces justificatives du rapport fait au comité, page 118. (3) Mémoire à consulter pour M. Guignard Saint-Priest, p. 15. (4) Mémoire à consulter, p. 18. 565 « 24. Dîné chez M. le comte de Saint-Priest , mi-« nistre de la maison du roi (l). » Au 5 au 6 décembre. » Allé chez M. le comte de « Saint-Priest. » « Fiacre pour aller chez ..... M. de Saint-« Priest (2). » Au 8 février. «Fiacres divers pour aller chez « l’ambassadeur de Sardaigne, le comte de Saint-« Priest etc. (3).» On voit que de ces quatre visites, la première et la dernière ont été immédiatement précédées d’une autre visite à l’ambassadeur de Sardaigne, à qui ces projets de contre-révolution n’étaient pas inconnus, etque M. Bonne-Savardin a rendu compte de celles du 5 et du 6 décembre, dans le récit qu’il a adressé à M. Maillebois. M. Guignard Saint-Priest est désigné sous le nom de Farcy, et dans le récit et dans la lettre qui l’a précédée, Ge récit et cette lettre sont encore imprimés parmi les pièces justificatives, pages 133 et suivantes. M. Guignard Saint-Priest, qui parle du récit dans sa défense, manque donc de bonne foi au plus haut degré, quand il dit que, dans ces pièces imprimées, il n'y a en pas une seule où son nom se trouve , pas même celui de Farcy. G’est, au surplus, faire une confusion bien étrange que d’exiger aussi nécessairement des preuves décisives pour dénoncer que pour condamner et de vouloir exclure, dans ce cas, les présomptions. La raison indique manifestement le contraire, et la pratique bien constante des tribunaux, qu’il faut bien citer ici, parce que nos lois criminelles ont gardé le silence sur cet objet et que « lorsque le crime est capital, et qu’il y a « un commencement de preuves suffisantes pour « l’information, par exemple, un témoin formel « et sans reproche, ou plusieurs indices prouvés « par deux témoins, le juge doit décréter de prise « de corps, et quelquefois même sur la simple « notoriété publique » (4). Ge n’est que lorsque M. Bonne-Savardin a vu combien ce récit ajoutait aux autres preuves de conspiration qu’on avait déjà contre lui ; quand il a songé qu’une telle conversation était bien plus grave lorsqu’elle avait eu lieu avec un ministre à qui sa place donnait tant de moyens pour favoriser des projets de contre-révolution, c’est alors seulement qu’il a fait tous ses efforts pour se sousiraire à des conséquences si décisives. Il a soutenu que la conversation n’avait pas d’objet criminel; que M. Guignard Saint-Priest et M. Maillebois étaient incapables de se prêter à des projets de contre-révolution. Il fallait bien qu’il défendît la cause et les opinions de ses complices, pour se justifier lui-même; mais il n’a rien dit de raisonnable à cet égard. Il n’a point voulu non plus avouer nommément que Farcy et M. Guignard Saint-Priest fussent le même individu; mais il n'a pas rétracté l’aveu qu’il avait fait précédemment, que M. Guignard Saint-Priest était (de même que le prétendu Farcy) cette personne qu’il avait prévenue, le 5 décembre au matin, de son invitation au comité, et qu’il était retourné rendre compte le lendemain de ce qui s’y était passé; et lui, qui s’était si bien rappelé toutes ces circonstances dès la première question qu’on lui avait faite, n’a pu, dans la suite de l’interroga-(1) Voyez les pièces justificatives, p. 144. (2) Ibid., p. 139. (3) Ibid., p. 146. (4) Jousse, sur l’Ordonnance de 1670, titre I, art. 2, pages 188 et 189. JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fâ août 1790.} 566 toire, trouver aucune personne à qui ce masque de Farcy pût s’appliquer. Il n’a pu donner aucun motif de cet oubli incontestable du véritable interlocuteur d’une conversalioo si importante, qu’il avait mise par écrit pour se la mieux rappeler. Il a même avoué que la lettre où il annonce à M. Maillebois le récit de sa conversation avec le prétendu Farcy, lui rappelait bien qu’il avait causé avec M. de Saint-Priest (1), quoique cela n’eût pu être, si Farcy eût été étranger à M. Saint-Priest. Et sur les instances qu’on lui a fait à cet égard, il répète, jusqu’à trois fois, « que la lecture « qu’on lui a faite de son livre de raison, aux « dates énoncées, marque une conformitédes noms « de M. le comte de Saint-Priest et de Farcy. . . « qu’il a déjà et qu’il le répète, qu’il y a des « rapprochements entre cesdeux noms. . . . ;qu’en <' effet, il y a de grands rapprochements entre les « noms (2). » On veut, bien inutilement, sans doute, après cela, se prévaloir de ce que M. Bonne-Savardin ajoute : « qu’il ne peut pas affirmer que ce soit « la même personne ..... , que l’affirmation est « encore une chose impossible pour ne pas com-« promettre la vérité ..... ; qu’il ne peut pas ha-« sarder une affirmation dans un fait dont il n’est « pas physiquement sûr. » Dès qu’il résulte évidemment des faits avoués par M. Bonne-Savardin que M. Farcy et M. Guignard Saint-Priest sont une seule personne sous ces deux noms, il est fort indifférent que M. Bonne-Savardin reconnaisse la justesse de ce résultat, ou qu’il paraisse la révoquer en doute, quand il voit les conséquences fâcheuse qui en dérivent pour lui. C'est à la justice à raisonner sur les aveux qu’elle a sous les yeux, sans qu’on puisse l’astreindre à adopter les raisonnements d’une personne intéressée; et l’on a eu le droit de dire que: «les * tergiversations de M. Bonne-Savardin, pour « éviter de nommer M. Guignard Saint-Priest « comme l’interlocuteur de sa conversation, « étaient, pour qui jugera bien le cœur humain, « une désignation beaucoup plus irréprochable « de ce ministre, que ne le serait l’aveu le plus « formel. » M. Guignard Saint-Priest et ses conseils se sont beaucoup récrié contre ce principe. Ils ont trouvé extraordinaire qu’il fût professé par des jurisconsultes. « Quelle est donc, disent-ils, cette logique « nouvelle que nous devons à nos nouvelles « mœurs? Où est ce prétendu adoucissement que k nous nous vantons d’avoir apporte dans celte « jurisprudence criminelle, que nous regardons « comme si barbare, et qui était pourtant bien ■' éloignée d’autoriser de pareil écarts (3)2 » l,a manière dont on s’était expliqué dans le rapport, et surtout ces mots : pour qui jugera bien le cœur humain , annonçaient assez qu’il n’était point question ici de jurisprudence, si l’on entend, par là, cet art conventionnel de juger du juste et de l’injuste par des règles arbitraires, qui est enseigné dans nos livres. Ceux du comité qui sont jurisconsultes de profession ont souvent été obligés d’écarter ces règles fictives, pour remonter aux principes éternels de la raison et de la morale. Ce sont ces principes qu’ils ont consultés, quand ils ont dit que « les tergiversations de * M. Bonne-Savardin étaient, pour qui jugera bien le cœur humain, une désignation beaucoup (1) Pièces ■ justificatives du rapport fait au comité, pages 12 et 13. (2) Ibid., pagee 114 et 115. (S) Consultation pour M. Guignard Saint-Priest , page 30. « plus irréprochable que ne le serait l’aveu le « plus formel. » Cette remarque est d’une vérité frappante. La déclaration pure et simple d’un témoin peut être altérée par la crainte, la séduction ou la corruption. Mais ces aveux qui lui échappent malgré lui, ces hommages involontaires qu’il rend à la vérité quand elle le presse par une multitude de circonstances dont il ne peut se débarrasser, sont l’expression intime de la conscience. Ils ne peuvent jamais être suspects. Si cette observation morale paraît étrangère aux procédés de notre jurisprudence, c’est une raison de plus pour en hâter la réforme. Il est temps d’y substituer, aux prétendues règles d’un droit factice et conventionnel, la seule autorité delà conscience dans les points de fait : c’est là l’objet de l’établissement des jurés; qui ne seront pas des avocats versés dans la jurisprudence criminelle, entravés par les préjugés des anciens praticiens, mais des citoyens d’un sens droit, qui se détermineront, sur leur propre conviction, pour trouver les caractères du crime ou de l’innocence. (1) Il est fâcheux que les conseils de M. Guignard Saint-Priest prennent de là occasion de calomnier nos nouvelles mœurs et les adoucissements si vrais qu’à déjà subis la barbarie de notre jurisprudence criminelle, où l'humanité trouve encore tant de réformes à faire. Il n’est pas un ami de la liberté qui, s’il se met au-dessus des préjugés de l’habitude, ne voie l’innocence plus à i’abri dans un pareil ordre de choses, qu’avec toutes les règles de droit qui statuent sur le genre de preuves nécessaires pour absoudre ou pour condamner. Aussi, en Angleterre, où les avantages de cette belle institution sont si bien connus, et par une longue expérience, et par les efforts mêmes que les ministres font pour les restreindre, tous les jurisconsultes reconnaissent-ils que les jurés ne sont point astreints aux règles du droit civil sur les preuves; que, suivant leur serment même, c’est, à leur conscience seule à les apprécier (2) ; qu’ils ne sont pas obligés d’avoir deux témoins pour établir chaque fait, ou de croire deux témoins uniformes, quand ils ont des motifs suffisants pour croire autrement ; que c’est pour que les jurés puissent mieux apprécier les témoignages qui leur sont offerts, qu’on les choisit toujours dans le voisinage du lieu du délit; enfin qu’ils ne peuvent pas être punis sous prétexte qu'ils ont prononcé d’une manière contraire aux preuves qu’ils avaient sous les yeux (3). C’est (1) Beccaria paraît d’abord d’un avis contraire dans son g 13 des témoins. Il cherche à y établir, sans en prouver la possibilité, « que c’est un point considérable « de toute bonne législation, de déterminer exactement « la crédulité des témoins et les preuves du crime »; « mais il reconnaît lui-même, avec raison », au g suivant des individus et des formes des jugements que : « la certitude morale n’est, rigoureusement parlant, « qu’une probabilité ..... ; que si l’habitude et la dexté-a rite sont requises pour chercher la preuve d’un délit, « si la clarté est nécessaire pour en présenter le ré-« sullat, et la précision pour porter un jugement sur « ce résultat, il n’est besoin, pour cela, que d’un bon « sens simple et ordinaire, lequel induira moins en « erreur que le savoir d’un jurisconsulte, habitué à « vouloir trouver des coupables et qui réduit tout à un « système factice, emprunté de ses livres ..... ; que « c’est une loi très utile que celle qui soumet un « chacun au jugement de ses pairs. » (à) According to the best of their own Knowledge. (3) Commentaries on the laws of Englands by W. Blackstone Book ..... chap ..... British liberties, of the free-born subject’s inheritance, on juries, $ect. 6. p. 388, of the second édition, jAssembJçs-o,atiQjialç.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [2 août 1790.] ainsi qu’qu l’observe journellement dans les jugements si importants rendus sur la liberté de la presse. C’est ainsi qu’on le jugea, dès il y a plus de cent ans, après une longue discussion en faveur de Bushel et des autres jurés, qui acquittèrent le fameux Penn et un autre quaker, aux assises de Londres, en 1690, comme on peut le voir dans l’ouvrage du chevalier Vaughan qui fut alors approuvé par le chancelier, le chef-justice NortR, et tous les juges d’Angleterre. (1) § 111. — On a dû dénoncer les témoignages de haine et de mépris que M. Guignard Saint-Priest ri a cessé de donner contre V Assemblée nationale et les lois qui en sont émanées. Quoique rien de ce qui concerne la chose publique ne doive être regardé comme indifférent dans un pays libre et qu’on soit véritablement coupable envers la nation, en s'efforçant de diminuer, par des témoignages constants* de peine et de mépris, la confiance due à l’Assemblée de s s représentants et aux lois qui en sont émanées, il n’en est pas moins vrai qu’il y aurait de grands inconvénients à rechercher ainsi les citoyens, pour les sentiments qu’ils ont manifestés sur l’état politique de leur pays et les révolutions qu’il peut éprouver. Il est non, il est nécessaire même, que le Corps législatif et les décrets qui en émanent soient soumis à l'examen du peuple dont la censure ne pourrait pas s’exercer utilement, si on la voulait enfermer dans des bornes rigoureuses. Les véritables amis de la liberté seront les premiers à demander, pour les mauvais citoyens même, une grande latitude dans le droit de manifester leurs idées et leurs sentiments. Ils savent qu’un système opposé tendrait à substituer au courage et à la franchise de la liberté la lâcheté et fihvpocrisie de la servitude qui sont d’un exemple* plus dangereux que le crime lui-même. Mais ces principes, si vrais pour les simples citoyens, ne peuvent pas s’appliquer aux administrateurs qui tiennent le timon de l’Etat, surtout dans les temps où la conquête de la liberté amène une nouvelle Constitution, et dans un gouvernement monarchique. Dans un tel gouvernement les ministres du prince remplissent les fonctions les plus relevées auxquelles les citoyens puissent prétendre. II les remplissent sans y avoir été porté, par les vœux du peuple ; et si, dansun temps ordinaire, une administration antipatriotique produit inévitablement la dissension et les troubles au dedans, et le manque de considération au dehors, que doit-ce donc être dans les temps de Révolution ? Le pouvoir dont les ministres ont l’exercice, leur donne une telle influence, qu’il est impossible que leurs sentiments personnels n’avancent pas ou ne retardent pas beaucoup les progrès de I.û Constitution, et que, lorsqu’ils en sont les ennemis, ils ne rqultipiient pas les obstacles qui s’y opposent, et n’ébranlent pas les fondements du nouvel ordre, dans le moment où on l’établit. Dans cette saison orageuse qui marque nécessairement le passage de l’esclavage à la liberté, l’on a besoin plus que jamais d’un concert interrompu entre la puissance législative et le pouvoir exécutif, dont les ministres ont la direction. L’on a surtout besoin des liens d’amour et de confiance qui doivent unir le prince et les citoyens, pour que, leqr accord mutuel remplace la force qui (1) British liberties, page 389- m manque aux lois. On a besoin pour le prince, afin que ceux qui seraient ses ennemis n’aient pas de prétexte pour déprimer son caractère, en confondant ses sentiments avec ceux de ses ministres, afin qu’un amour sans borne de la liberté ne produise pas le désir de nouveaux changements dans la Constitution, en faisant désespérer de celle qqi paraîtrait se lier aux anciens abus, et perpétuer la division d’intérêts entre le monarque et le peuple. On a besoin pour les citoyens, afin que les ennemis de la Révolution ne se prévalent pas de la faiblesse momentanée du pouvoir exécutif, pour plonger l’Etat dans l’anarchie, et la faire servir ensuite de. prétexte au �établissement du gouvernement arbitraire. Il n’est d’ailleurs pas possible qu’un honnête homme, si un ennemi delà liberté peutêtre unhqn-nête homme, accepte le ministère dans de telles circonstances, à moins qu’il n’espère de contrarier les mesures qu’oq prend pour établir la nouvelle Constitution; puisque, par cela seul qu’il est ennemi de la liberté, il ne peut pas croire que le vœu général doive faire loi. Et si ce n’est pas un honnête homme, il les contrarièra IRpu plus fortement encore. Dans tous les cas, il ne devra rij Marseille, la dénonciation existe toujours et M. Guignard Saint-Priest ne (I) Mémoire et consultation pour M. Guignard Saiut-Priest, pages 8, 9, 33, etc... (2) Voyez l’Eloge de Leibnitz , par Fontenelle. (3) Voyez le Moniteur universel du 8 août 1790. dit pas même avoir fait aucunes démarches pour obtenir qu'on y statuât. Il est, sans doute, bien étrange qu’un ministre d’Etat, au lieu d’offrir des décisions sur des dénonciations si graves, qu’un simple particulier ne négligerait pas, se croie suffisamment justifié, parce qu’il n'y a pas euencore jugement. Il est bien téméraire, surtout, d’attribuer tant de. dénonciations à un système de persécution formé contre lui, par des personnes qui en veulent à sa place ou à sa personne. Certes, le comité de recherches de la municipalité de Paris n’a pas besoin de rappeler qu’il ne tient à aucun parti, s’il est d’autres partis en France que celui dont il a surtout encouru la haine et dont M. Guignard Saint-Priest adopte si bien les principes sur les inconvénients de la publicité. Il est bien manifeste que la marche du comité a été déterminée par le cours naturel de ses recherches dans l’affaire de M. Ronne-Savardin et qu’il n’a pas pu avoir une autre conduite que celle qu’il a tenue. Ce n’est point une personne qui en voulait à la place ou à la personne de M. Guignard Saint-Priest qui a imaginé de trouver un rapport si frappant entre lui et ce prétendu Farcy, que M. Ronne-Savardin avait été prévenir le 5 décembre de son invitation au comité, et chez qui il était retourné le lendemain rendre compte de ce qui s’y était passé. C’est le livre-journal de M. Ronne-Savardin, écrit dans un temps non suspect. Le comité ne pouvait pas, sans manquer à ses devoirs, négliger cette indication ; et ce n’est assurément pas lui qui a dicté à M. Bonne-Savardin cette réponse si décisive qui n’a point été rétractée et qui iden-tilie si bien M. Guignard Saint-Priest et le prétendu Farcy. Ce n’est pas non plus par des impressions étrangères que le comité a été déterminé à recevoir les déclarations de M. Pio et de M. Roux, que tous deux avaient faites dès l’année dernière, le premier verbalement, à M. le commandant général, et le second, par écrit, au comité de recherches de l’Assemblée nationale. M. Guignard Saint-Priest a donc, ici, bien gratuitement imputé au comité de céder à des impressions étrangères. Il n’est pas plus juste dans ce qu’il dit sur le temps où la dénonciation a eu lieu, et sur la publicité qu’on y a donnée. Le 9 juillet dernier, le comité a autorisé, par un arrêté, M. le procureur-syndic de la commune de Paris à dénoncer MM. Mai llebois , Bonne-Savardin et Guignard Saint-Priest. Les pièces ont été remises, dès le lendemain, à M.le procureur-syndic, qui a lait immédiatement la dénonciation et déposé les pièces au greffe. Le rapport était, dès lors, imprimé en entier. L’impression des pièces justificatives était aussi presque achevée. Mais pour respecter ia joie publique, dans la fête du 14 Juillet, on a attendu à répandre ces imprimés, jusqu’au milieu de la semaine suivante : M. Je procureur-syndic, dont tout Paris connaît l’intégrité, peut attester que ce motif seul a retardé la publication. Gomment donc M. Guignard Saint-Priest a-t-il pu se plaindre qu’on ait voulu lier la dénonciation à l’époque de la fédération, pour produire une plus grande explosion contre lui ? Comment n’a-t-il pas vu que si l’interrogatoire de M. Bonne-Savardin a été clos le 4 juin, cet interrogatoire même a dû engager le comité à prendre, sur cette affaire et sur la personne de M. Guignard Saint-Priest, des renseignements ultérieurs? Si l’on songe d’ailleurs qu’avant de faire la dénonciation au Châtelet, il fallait pouvoir y produire les prin-- cipales pièces; que le comité qui n’a pas de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1790.] commis, n’a dû faire cette production qu’en gardant, des copies des originaux; si l’on se rappelle qu’il a eu pour cette affaire un grand nombre de conférences avec le comité de recherches de l’Assemblée nationale, et que ni ce comité, ni celui de la ville ne pouvaient être libres tous les jours pour elle seule; si l’on fait attention, enfin, qu’il a fallu du temps pour imprimer un travail de plus de 200 pages, on concevra comment la dénonciation a dû tout naturellement être retardée jusqu’après le commencement du mois de juillet. Il est surtout bien remarquable que le comité n'a donné aucune espèce de publicité à sa dénonciation, jusqu’au moment où il a fait distribuer le rapport et les pièces, dans la semaine qui a suivi la fête de la fédération, M. Guignard Saint-Priest en a néanmoins été instruit aussitôt; et c'est lui qui y a donné cette publicité, par sa lettre du 12 juillet à l’Assemblée nationale, où H cite, avec des guillemets, la plainte même de M. le procureur du roi, dont, par conséquent, il avait eu une connaissance exacte, soit en voyant la minute, soit en ayant une copie, contre Je vœu du décret des 8 et "9 octobre. _ Est-ce donc la faute du comité si l’on était alors si mécontent de tous les ministres, qu’on a proposé des motions pour leur renvoi à faire au Champ-de-Mars ? Le comité n’a point dénoncé tous les ministres, mais un seul d’entre eux; et il est notoire que la fête du 14 juillet, en offrant d’autres aliments à l’imagination et au cœur des Français, a rendu cette dénonciation bien moins éclatante qu’elle ne l’eût été sans cela. Qu’importent donc les prétendus libelles qu’on a pu répandre alors sur M. Guignard-Saint-Priest. Il se plaint tout à la fois de ce qu’on a imprimé contre lui avant la publication faite par le comité et de cette publication qui était le seul moyen d’apprécier les libelles. Cependant il a commencé lui-même par publier sa lettre apologétique à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire que M. Guignard Saint-Priest voudrait avoir les avantages de la publicité pour sa défense, sans avoir à redouter les armes qu’on peut y trouver contre lui pour la dénonciation. C’est une chose bien étrange que cette affectation de quelques ministres à se plaindre de la publicité qu’on donne aux inculpations dont ils sont l’objet, lorsqu’ils ont tant de moyens de les repousser. Quand ils n’auraient pas de feuilles publiques qui leur sont dévouées, combien l’autorité qui leur reste, les places et les grâces dont ils ont la dispensation et l’habitude même de l’ancienne considération attachée à leur titre, ne leur donne-t-elle pas d’avantages sur leurs antagonistes? Aimeraient-ils doue mieux qu’on fît circuler, dans les ténèbres, des accusations perfides dont il serait impossible de connaître la source et de suivre le cours? Ah ! si nous ne jouissions pas des avantages inestimables que nous procure l’imprimerie; si les lumières que cette belle invention jette de toutes parts sur les arts, sur les sciences, sur l’administration en particulier et sur les droits des peuples, ne nous éclairaient pas habituellement, combien les honnêtes gens se réjouiraient en voyant annoncer un moyen si facile de repousser les accusations injustes et les calomnies I Combien les bons administrateurs se féliciteraient d’avoir cet appel au peuple contre les intrigues des cours et les menées des ennemis du bien public I Avec quels transports surtout, les amis de la liberté n’em-brasseraient-ils pas ce nouveau palladium descendu du ciel pour en assurer la conservation 571 dans les pays où elle est établie, et pour en étendre l’empire partout à mesure que l’imprimerie fera du progrès! Qu ils ont l’âme étroite et peu faite pour le grand théâtre sur lequel ils sont placés, ceux qui, appelés à l’administration d’un des plus puissants Etats de l’univers, croient que la calomnie peut les atteindre dans une situation si élevée et que des feuilles jetées dans le public peuvent noircir leur réputation, s’ils se conduisent de manière à mériter l’estime du peuple. Qu’on nous cife donc l’administrateur intègre et éclairé que de pareils écrits aient fait priver, nous ne dirons pas de sa vie ou de sa liberté, mais de sa place même. La presse était-elle libre, quand Turgot a été renvoyé? Mais quand cela serait, quelle idée ne devrait-on pas se faire de la pusillanimité et de l’égoïsme de celui qui., dans un temps de révolution et de crise tel que l’instant où nous nous trouvons, qui même dans les temps plus calmes qui suivront bientôt, pourrait préférer son repos, sa vie, et, s’il le faut aussi, sa réputation au bien de son pays si essentiellement lié à la discussion publique, de toutes ses actions et à la responsabilité de son administration ? Cette responsabilité ne peut plus exister efficacement, si lejugement du peuple, si l’opinion générale n’est pas le tribunal qui reçoit et détermine tous les appels en dernier ressort. Cette faculté si nécessaire dans tous les pays libres, l’est mille fois plus encore dans les gouvernements représentatifs. Comme le peuple n’y exerce aucun pouvoir par lui-même, comme il délègue toute son autorité et le droit de faire des lois et celui de les faire exécuter et celui de les appliquer en jugement, la liberté n’y serait comme que de nom; si la discussion publique ne restait pas au peuple, pour le dédommager de la renonciation à l’exercice de tous ses droits; si la censure que chaque citoyen peut porter soit en écrivant, soit en lisant; si le contrôle que les différents pouvoirs peuvent ainsi exercer les uns avec les autres, ne servaient pas de frein à tous ceux qui seraient tentés de s’écarter de leurs devoirs ; s’ils ne servaient pas de guide au peuple dans le choix de ses représentants et si la considération publique, que les manèges et les artifices pourraient si souvent usurper, sans cette censure redoutable, n’étaient pas un prix dont il s’est réservé la dispensation sans la déléguer. Les militaires qui marchent sous nos drapeaux pour repousser les ennemis de la patrie ; ceux qui, renfermés dans nos forteresses, défendent nos frontières contre les invasions; les marins qui vont protéger notre commerce et nos colonies dans toutes les parties du globe; les gar les nationales qui veillent à la police et à la tranquillité publique, n’exposent-iis pas aussi leur vie et leur repos pour le. salut commun ? Pourquoi donc les ministres, seuls placés au faîte du pouvoir, se plaindraient-ils des risques qu’ils peuvent courir et qui sont une suite nécessaire de leurs fonctions ? Qu’ils descendent de leur situation élevée, s’ils n’ont pas la tête assez forte pour s’y soutenir. Les hommes ne manquent jamais dans un pays libre. La fortune publique n’est point attachée à ce que tel administrateur reste en place ; mais elle tient à ce qu’elle ne puisse y rester, sans détruire les soupçons qui s’élèvent sur son compte, et sans qu’il soit permis de les publier. Qui, plus que le comité des recherches a été en butte aux calomnies des faux amis de la liberté, 572 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. aux outrages? des partisans de l’ancien régime, aux erreurs même des citoyens tièdes et des esprits non éclairés? Qui moins que lui avait des moyens pour s’en défendre ? Il ne s’est pas néanmoins laissé arrêter par ces vaines terreurs. Il n’a point redouté surtout cette publicité , pour laquelle M. Guignard Saint-Priest témoigne tant d’effroi ; il y a, au contraire, recouru, toutes les fois qu’il a pu faire. Il a méprisé les injures , en se contentant de rétablir les faits , quand on les altérait; bien sûr que sa réputation surnagerait aux vaines inculpations qu’on lui a faites ; et, qu’en tout cas cette réputation n’était qu’une considération secondaire qui ne pouvait jamais être mise en balance avec ses devoirs. Il s’en est remis au public, avec le seul appui de son zèle et sa probité, seuls moyens que ses commettants pouvaient exiger de lut ; c’était à eux à juger du reste. ï Au fond, quels sont donc les dangers que M. Guignard Saint-Priest a courus dans cette occasion, et qui ont pensé le rendre la victime d’une multitude abusée, en souillant la fête de la fédération de quelque attentat capable d’en ternir la gloire? A-t-il couru ce risque de la vie, que les meilleurs citoyens ont couru sans sepiaiudre depuis la Révolution? Non. « J’étais, dit-il, re-« présenté dans ces libelles comme un conspira-» teur et un trait re à la patrie; on allait même « jusqu'à demander le renvoi de tous les ministres. « On proposait des motions à faire, pour ce reu-« voi, au Champ-de-Mars, par tous les bons ci » « toyens. » Ou laisse au public à juger du civisme de celui qui se plaît ainsi à dénigrer, autant qu’il est en lui, cette expression si sainte de bons citoyens. G’est elle que nos législateurs ont consacrée dans la formule par laquelle les magistrats municipaux doivent invitera la retraite les personnes qui se trouvent dans les attroupements lors de la publication de la loi martiale. Mais il résulte des expressions mêmes de M. Guignard Saint-Priest, que les risques qu’il a courus se sont réduits à la crainte de perdre sa place. On allait même�Ms�w’à demander son renvoi. Ne voilà-t— il pas un projet bien alarmant, et un peuple bien redoutable ! Les plusincendiaires demandent qu’on fasse des motions pour le renvoi des ministres, et ces motions ont été rejetées. Où voit-on donc là des attentats capables de souiller la gloire de la fédération ?Dans les pays despoiiques, dans le gouvernement de l’Orient, où la servitude universelle enchaîne habituellement les opinions, la langue et la plume des écrivains, ce n’est point par des motions pour le renvoi des ministres que Je peuple manifeste ses volontés quand il se réveille. Il demande avoir leurs têtes suspendues aux murs du sérail ; et si on les lui refuse, celle du tyran leur en répond bientôt. G’est la facilité de dénoncer les ministres et de les accuser publiquement, qui est la meilleure sauvegarde des administrateurs. Ils n’auront point à craindre qu’on se porte à des excès contre eux quand ils seront traduits en jugement comme les autres citoyens. Le peuple se reposera du soin de les poui suivre sur les accusateurs publics, sur ces nouveaux ministres de la justice nationale, que le Corps législatif vient enfin de décréter, et qui, sans doute, appelleront aussi le peuple à prononcer entre eux, accusés, et leurs juges. Si le comité s’était grossièrement mépris dans le jugement qu’il a porté sur M. Guignard Saint-Priest, comme on le prétend, il se serait nui à lui-même et non pas au ministre. Il a soumis à [3 août 1790.] tout le monde son opinion, les motifs qui l’ont déterminée et les pièces où il l’a puisée. Où peut donc être le sujet d’effroi pour M. Guignard Saint-Priest, s’il est innocent? S’il est coupable, ou seulement s’il y a des présomptions graves contre lui, n’était-il pas du devoir du comité de le mettre à portée de les détruire, par une discussion publique, qui ne pût pas laisser de nuages sur la vérité de sa justification? L’impression du rapport et des pièces ne change fias leur contenu : elle le divulgue seulement. Elle met tout le monde à portée d’apprécier et les motifs et la personne de M. Guignard Saint-Priest. On a donc eu raison de dire que c’élait lui rendre un vrai service, s’il était innocent, que de provoquer ainsi sa justification publique. Malheur à celui qui craint de voir sa conduite soumise à l’examen universel! L honnête homme et le patriote désireraient que leurs sentiments pussent être aussi manifestés que leurs actions. Quelle opinion doit-on avoir de ceux qui voudraient soustraire l’un et l’autre à l’examen du peuple, lors même qu’il s’agit de leur administration publique. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du mardi 3 août 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures un quart du matin. L’Assemblée est fort peu nombreuse. En attendant qu’elle soit en nombre, on propose de lire diverses adresses. M. Camus demande à donner lecture des divers décrets sur les pensions, mis dans leur ordre rationnel pour être présentés à la sanction. Gette proposition est adoptée et la lecture a lieu ainsi qu’il suit : Décret sur les pensions, gratifications et autres récompenses nationales, prononcé dans les séances des 10, 16, 23 et 26 juillet : L’Assemblée nationale, considérant que, chez un peuple libre, servir l’Etat est un devoir que tout citoyen est tenu de remplir, et qu’il ne peut prétendre de récompense, que la durée, l’éminence et la nature de ses services lui donnent des droits à une reconnaissance particulière de nation; que s’il est juste que, dans l’âge des infirmités, la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces, lorsque sa fortune lui permet de se contenter des grâces honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de toute autre récompense, décrète ce qui suit : TITRE PREMIER. Règles générales sur les pensions et autres récompenses pour l'avenir. Art. 1er. L’Etat doit récompenser les services (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.