[Assemblée natioaaL.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 novembre I790.J 41 scrutins ne produisent pas cette majorité, au troisième scrutin les électeurs ne voteront que sur les deux sujets qui auront réuni le plus de voix au second ; et en cas d’égalité de suffrages, le plus ancien d’âge sera élu. Art. 6. « Pour être éligible lors des trois premières élections, il faudra avoir trente ans accomplis, et avoir, pendant dix ans, exercé les fonctions de juge dans une cour supérieure ou présidial, sénéchaussée ou bailliage, ou avoir rempli les fonctions d’homme de loi pendant le même temps, sans qu’on puisse comprendre au nombre des éligibles les juges non gradués des tribunaux d’exception. Lors des élections suivantes, il faudra, pour être éligible, avoir exercé pendant dix ans les fonctions de juge ou d’homme de loi dans un tribunal de district, l’Assemblée nationale se réservant de déterminer, par la suite, les autres qualités qui pourront rendre éligible. Art. 7. « Les électeurs de chacun des départements qui nommeront les membres du tribunal de cassation, éliront en même temps, au scrutin et à la majorité absolue, un suppléant ayant les qualités ci-dessus fixées pour être éligible, lequel sera appelé, et remplacera le sujet élu par le même département que lui. Lorsque la place viendra à vaquer à l’époque du renouvellement de quatre ans en quatre ans, quelque peu de durée qu'ait eu l’exercice des suppléants, ils cesseront leurs fonctions comme l’eussent fait les juges qu’ils auront remplacés, et, comme eux, ils pourront être réélus. Art. 8. « Le président de l’Assemblée nationale présentera dans lejour le présent décret à l’acceptation du roi ». M. le Président. J’ai reçu de M. Lambert, contrôleur général des finances, une lettre par laquelle il informe l'Assemblée nationale des obstacles et des retards qu'éprouve la perception des impôts. Je vais en donner lecture (1) : Paris, le 26 novembre 1790. « Monsieur le Président, une voix s’est élevée dans l’Assemblée nationale du 5 novembre dernier, pour demander que je fisse connaître les efforts que j’avais faits pour procurer le payement des impôts. Toute inquiétude sur un objet capable de compromettre le salut de l’Etat, même légèrement conçue, porte avec elle, par son motif, sa justification, et interpelle un administrateur irréprochable. L’opinant quia manifestéses craintes sur mon exactitude et mon activité pour Je maintien, le rétablissement, l’accélération des perception, les a vu languissantes ou interrompues dans beaucoup d’endroits. Un zèle ardent pour une partie aussi essentielle de l’ordre public, la conviction de la loyauté et du patriotisme de la majeure partie des Français redevables des coniri-butions publiques, ces deux sentiments s’éclairant et s’entr’échauffant réciproquement en lui à la vue de l’affaiblissement énorme des rentrées publiques, lui ont inspiré plus que des soupçons et presque une indignation irrésistible contre les percepteurs, contre le ministre chargé de la surveillance générale: négligence, insouciance, peut-(1) Cette lettre n’a pas été insérée au Moniteur. être mauvaise volonté intérieure, il a cru ces caractères presque évidemment imprimés sur leur conduite. Le royaume tout entier aurait pu, Monsieur le Président, faire parvenir à l’Assemblée, de toutes ses parties, des témoignages tout opposés : ii n’y existe aucun corps administratif qui n’ait été témoin des actes incroyables de fermeté, de persévérance, de zèle, d’un grand nombre de percepteurs; qui n’ait en à s’entremettre, et souvent avec peu de succès, pour leur procurer sûreté de leurs personnes et liberié de leurs exercices. Des lettres multipliées, non seulement de percepteurs, mais de directoires de départements, m’ont attesté l’insuffisance de leurs moyens, le peu d’effet de leur influence, l’opiniâtreté des résistances, laconnivence de plusieurs municipalités composées souvent des contribuables fraudeurs , la faiblesse et quelquefois la mauvaise volonté détermiuée de gardes nationales. Je suis en état, Monsieur le Président, si l’Assemblée le désirait, de lui articuler des faits sans nombre qui prouvent la réalité de ces causes irrésistibles de l’altération des revenus publics , causes qui ne sont pas les seules, et qui trouvent non pas leur excuse, mais au moins l’explication d’une grande partie de ce qu’elles ont d’étonnaut, dans l’excessive misère d’une infinité de contribuables, qui m’est attestée par un si grand nombre de lettres, que l'Assemblée ne pourrait entendre, sans en être émue , cette affligeante consonance d’annonces gémissantes qui me parviennent de toutes les parties du royaume. C’est à présent, Monsieur le Président, sur ma surveillance seule que votre zèle peut encore s’alarmer. Que ne puis-je remettre sur le bureau de l’Assemblée l’énorme collection de toute ma correspondance, depuis que le désordre des perceptions en exige une qui ne fut jamais, jusqu’à présent, l’occupation du ministre des finances 1 Vous seriez étonné qu’il ait été possible qu’elle fût aussi continuellement, aussi universellement, aussi infatigablement en activité, en lutte, contre tons les obstacles généraux et particuliers : vous y trouveriez l’insistance la plus continuelle et la plus ferme sur l’autorité des décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le roi; vous y trouveriez l’énergie de tous les genres possibles de représentations, d’invitations, de reproches, d’annonces de la responsabilité encourue d’anrès quelques-uns des décrets, d’éloges, d’encouragements, donnés avec attention aux actesqui enont pu mériter. Le nombre de mes lettres écrites dans cet esprit à tous les corps administratifs du royaume, est au-dessus de tout ce qu’on croirait peut être avoir à supposer. Je me contenterai de vous dire, Monsieur le Président, que je me suis fait représenter celles de ces lettres seulement que j'ai écrites depuis la formation des directoires de départements, presque toutes à ces directoires, et que quoique toutes n’aient pas pu être encore recueillies de mes différents bureaux où elles sont réunies avec beaucoup d’autres objets de correspondances, j’ai actuellement sous les yeux une collection de mes lettres, au nombre de trois cent cinquante-huit, sans compter cinq lettres circulaires aux quatre-vingt-trois départements, toutes sur le seul point du maintien ou du rétablissement des impositions. Le seul département de la Somme où les perceptions sont plus persévé-ramment compromises que dans beaucoup d’autres départements, a reçu de moi vingt-neuf lettres sur cetobjet. Il me serait très aisé ou de communiquer, ou de rendre publiques ces lettres ; et chaque partie [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [27 novembre 1790.] du royaume qui connaît déjà, par sa propre administration, quel est le zèle et l’activité que l’amour de mon devoir, plus que la satisfaction fréquente du succès, m’a inspirés sans aucun relâchement, aura la preuve de l’universalité de ce même zèle, également actif sur toutes les autres parties de ce vaste Empire. Au surplus, l’Assemblée nationale et son comité des finances ont déjà connaissance, par un nombre assez considérable de lettres que je leur ai écrites, d'une partie des faits les plus importants, à l’occasion desquels, en leur faisant connaître les soins que j’avais pris pour le retour de l’ordre, j’ai mis l’Assemblée à portée de reconnaître les causes et l’étendue des obstacles, et en même temps de déterminer et de mettre entre mes mains des moyens efficaces de les surmonter. i Je ne dirai pas cependant que tous mes efforts aient été infructueux : je rends avec plaisir hommage au zèle et au concours loyal et patriotique de Ta plupart des directoires de départements ; et plus d’un de ces directoires m’a procuré de temps en temps la satisfaction de voir des résistances surmontées ou cessées, et des perceptions rétablies, même après de longues interruptions. Je crois, Monsieur le Président, vous avoir rendu le compte qu’un des membres de l’Assemblée a désiré de moi; j’aurai évité de le rendre, pour ne pas affliger l’Assemblée de récits pénibles, que je sais lui être quelquefois désagréables, et qui au fond sont moins essentiels à mettre sous ses yeux, que les moyens de faire cesser les désordres qui tarissent le Trésor public. Ces moyens résulteront sans doute de l’établissement entier d’une organisation générale, du retour de la subordination des peuples et de l’autorité des lois, du renouvellement des forces publiques. C’est au relâchement de ces ressorts, en même temps qu’aux fléaux physiques, que tient le dépérissement des revenus publics. Il ne peuvent se rétablir ni se conserver, que lorsque l’Assemblée aura pourvu à la première de ces deux causes de nos maux, par la sagesse de ses décrets; à la seconde, par les secours de sa bienfaisance. Mon zèle ne cessera jamais de seconder ses efforts, de seconder toutes les ressources dont j’apercevrai des germes, de mettre et de tenir sans relâche en activité tous les moyens dans lesquels je trouverai quelque principe d’énergie. Je dois et j’ai voué à la chose publique, au salut de ma patrie, aux devoirs de ma place, un zèle, un travail, une persévérance infatiguables. Ma conscience, mon véritable juge, et j'ose dire le royaume entier, seront les témoins et les garants de ma fidélité à ces engagements. Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : LAMBERT. M. d’Ailly, membre du comité des finances. Je dois garantir l’Assemblée des fausses alarmes qu’elle pourrait prendre, en l’avertissant que le zèle des administrateurs a, en grande partie, rétabli l’ordre, et qu’il a été perçu dans le mois d’octobre dernier 3 millions de plus que dans le mois précédent. Un membre annonce qu’il s’est élevé dans nlu-sieuts tribunaux de dislricidesdil'licullésdciupurt des suppléants relativement aux fonctions qu’ils croient leur être attribuées pendant l’absence des juges qui, étant membres de l’Assemblée nationale, n’ont pu être installés. Des prétentions de diverses sortes sont en outre manifestées, soit par les juges, soit par les suppléants et ce désordre est préjudiciable à la chose publique. L’orateur demande que l’Assemblée porte un décret à cet égard. (L’Assemblée charge son comité de Constitution de prendre connaissance de ces objets et de lui présenter incessamment un projet de décret.) M. ïe Président. L’ordre du jour est un rapport des comités de Constitution et de jurisprudence criminelle , concernant la loi sur la police de sûreté , la justice criminelle et l'institution des jurés (1). M. Adrien Duport, rapporteur (2). Messieurs, vous avez décrété l’établissement des jurés en matière criminelle. Dès les premiers moments de leur travail sur cet objet important, vos comités de Constitution et de jurisprudence criminelle réunis ont senti que cette institution nouvelle ne pouvait s'accorder en rien avec nos ordonnances et notre forme actuelle d’instruction ; il leur a paru nécessaire de tout refondre pour pouvoir former un système complet où tout fût d’accord, et renfermer dans une seule et unique loi tout ce qui concerne l’administration de la justice criminelle; c’est ce travail qu’ils ont l’honneur de vous soumettre en ce moment. Il est inutile de recommencer ici l’éloge d’une institution que vous avez adoptée, mais tant que l’expérience n’aura pas rendus évidents et sensibles les avantages qu’elle renferme, il faut beaucoup de méditation et d’étude pour pouvoir les apprécier avec justesse. Ce n’est que par de grands efforts que l’on parvient à réaliser dans la pensée un ordre de choses qui n’existe pas, et si l’on vient à juger ce travail, avec les premiers aperçus de l’esprit, borné à des résultats extérieurs et superficiels, l’on ne peut jamais apercevoir le tissu solide et caché qui en unit fortement toutes les parties. Aussi nous osons croire que l’on examinera avec attention notre travail avant de prononcer. Ce n’est pas le juré des anglais que nous vous proposons d’adopter, Messieurs ; nous avions devant nous le grand livre de la nature et de la raison : c’est là que nous avons cherché nos principes ; et nos yeux accoutumés à y lire depuis prés de deux ans, nous ont permis peut-être de le consulter encore avec fruit dans cette occa-(1) Le Moniteur n’a reproduit que des extraits de ce rapport. (2) AVERTISSEMENT. La loi que l’on présente ici est le fruit d’un long travail. Le rapport qui la précède a pour objet d’eu retracer en peu de mots les bases, ainsi que les questions principales qu’elle présente; savoir : la division générale en police et justice, la formation et l’organisation de ces deux institutions, le système d’accusation, la nature des preuves, les moyens d’assurer la liberté individuelle, enfin la composition des deux jurés. Ces objets mêmes sont traités avec la rapidité que nous commandent la multiplicité de nos travaux et la juste impatience de les voir bientôt se terminer. On a tâché partout d’énoncer le principe et de laisser à découvert la chaîne des idées. Si cette méthode est la moins attrayante et la plus sèche, elle est au moins la plus sûre; le lecteur peut se sentir fatigué de cette marche, mais il arrive au but, et ses dégoûts pendant la route tombent souvent sur l’auteur et rarement sur le sujet. Cet inconvénient est léger, sans doute, et quiconque y serait sensible, prouverait qu’il a moins de patriotisme que de vanité.