45 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 août 1790.) la rigueur du droit, dans la sévérité des principes, qu’en écartant toutes les considérations, toutes les convenances particulières dont on veut les envelopper, que nous pourrons espérer d’être justes. Il a existé d< s lois avant nous, nous devons les respecter ; ces lois ont assuré aux princes les apanages dont ils jouissent ; nous devons les leur conserver. Pour remplir la tâche que la vérité et le devoir m’imposent, il me reste à vous présenter en peu de mots quelques considérations politiques dignes de toute votre attention. Les apanages des princes sont tout à la fois l’assignat du douaire de leurs épouses et l’hypothèque de la dot de ces princesses. L’article V du contrat de mariage de Monsieur, frère du roi, porte expressément que les 500,000 livres, données eu dot à Madame par le roi son père, seront spécialement hypothéquées sur les terres et seigneuries que le roi a destinées en apanage au prince et à ses enfants, descendants de lui. L’article X du même contrat de mariage dit que Sa Majesté le roi de France constitue à Madame un douaire qui sera délégué et hypothéqué sur les terres de l’apanage de Monsieur, et qu’elle en jouira, sa vie durant, jusqu’à concurrence de la valeur de son douaire. D’après cela, Messieurs, comment est-il possible, sans blesser les règles immuables de la justice, en dépossédant les princes de leurs apanages, de changer l’assignat du douaire de leurs épouses, de détruire l’hypothèque de leur dot, de dénaturer les conditions et d’anéantir les clauses d’un contrat de mariage, passé avec une puissance étrangère, et qui est véritablement un traité de couronne à couronne ? Je sais très bien que les pactes des rois ne lient pas les nations; mais ce n’est point à l’espèce présente qu’on peut faire l’application de cette maxime. Lorsque les rois ont contracté des engagements, sous le sceau de la foi publique, d’après des lois précises, reconnues pour lois de l’État, consacrées par un usage immémorial, alors les nations sont liées par les conventions des rois, parce que, lorsque les rois agissent, suivant et conformément à la loi, ils agissent au nom des nations ; enfin, parce que la bonne foi, la loyauté et la justice qui ont présidé aux contrats, doivent en maintenir et en assurer l’exécution. Lorsque l’Assemblée nationale a annulé le droit d’aînesse, elle a respecté les conventions résultant des contrats de mariage ; elle n’a point porté atteinte aux conditions sous lesquelles ils avaient été contractés ; elle a laissé l’exercice du droit d'aînesse à ceux qui s’étaient mariés sous l’espoir des avantages qu’il procure. Par quelle fatalité les contrats de mariage des princes apana-gistes seraient-ils les seuls dont on croirait pouvoir invalider les dispositions ? Gomment, parce qu’ils sont les enfants de l’Etat, la nation pourrait-elle s’affranchir vis-à-vis d’eux, des règles de la délicatesse, de la loyauté et de la justice, en les dépouillant d’une possession qui leur est garantie par la loi, qui est une condition expresse de leur mariage, sous la foi de laquelle leurs enfants ont reçu la naissance et leur état. Si j’avais besoin, Messieurs, à l’appui de tous ces raisonnements, d’une autorité imposante, je vous dirais que le fameux Sully, qui fut toujours l’ami de son roi, sans cesser d’être l’ami du peuple et le bienfaiteur de sa patrie, que Sully, lorsqu’il conseillait d’aliéner les domaines de la couronne, pensait en même temps qu’on ne devait pas réduire les enfants de France à une condition pire que celle du dernier citoyen par un dé-nûment absolu de toute possession territoriale ; il pensait qu’on devait les attacher à la glèbe, et les fixer dans le sein du royaume par des propriétés foncières qu’ils eussent l’espoir d’augmenter par leurs épargnes et d’embellir par leurs soins. Il penserait encore aujourd’hui que dans un moment où vous avez fait de l’élat de citoyen actif le plus beau et le seul titre qu’un Français puisse porter, ce serait une inconséquence de priver, par une loi constitutionnelle, les fils de France de l’exercice même des droits de citoyen actif. Suivant vos décrets, il faut avoir une propriété quelconque pour en exercer la plénitude : on vous propose de dépouiller les princes de toutes leurs possessions territoriales, et de ne leur laisser qu’un traitement en argent ; c’est-à-dire qu’ils ne tiendront pas même de la gêné rosité de la nation la plénitude des droits de citoyen actif. Je pourrais encore, Messieurs, mettre sous vos yeux des considérations politiques d’une bien plus haute importance; mais il me suffit d’avoir indiqué les principes certains et les convenances générales ; je dois en abandonner l’application à la sagesse d’une Assemblée éclairée et à la loyauté d’une nation généreuse. Je me résume donc, et je dis que si l’on envisage la question de l’aliénation des domaines des apanages d’après les lois qui ont existé jusqu’ici, elle est dépourvue de tout fondement, parce que les princes ont en leur faveur le titre et la possession, parce que, par le droit et par le fait, la nation leur a garanti la jouissance de leurs apanages. Si l’on examine la question relativement aux lois qu’on veut établir, je dis que les principes de la justice et des considérations politiques s’opposent à l’aliénation des apanages. D’après cela je propose le décret suivant : « Les enfants de France auxquels il a été « donné en apanage une portion de domaines de « Ja couronne, en jouiront jusqu’à l’extinction « de la postérité masculine du prince premier « apanagiste. Dans le cas de réversion, les biens « donnés en apanage retourneront à la nation, « libres de toutes dettes et hypothèques, suivant « l’ancienne loi du royaume ; lesdits domaines « pourront ensuite être aliénés en vertu d’un « décret du Corps législatif, sanctionné par le « roi. » M. de Custine. L’Assemblée ne doit point donner d’effet rétroactif à ses lois, et elle doit être juste. Elle ne doit accorder de traitement aux princes apanagés, qu’à proportion de ce qui leur était légitimement acquis. On leur accordait 200,000 livres en apanage. Le comité propose de leur en donner davantage : en adoptant son projet, nous ne serons donc point injustes. Je demande qu’on aille aux voix et je réclame la priorité pour l’article du comité. (Cette priorité est mise aux voix et accordée.) L’article du comité est ensuite décrété ainsi qu’il suit : « Art. 2. Toutes concessions d’apanages antérieures à ce jour sont et demeurent révoquées par le présent décret. Défenses sont faites aux princes apanagistes, à leurs officiers, agents ou régisseurs, de se maintenir ou continuer de s’immiscer dans la jouissance des biens et droits compris auxdites concessions, au delà des termes qui vont être fixés par les articles suivants. » 46 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. Enjubault, rapporteur , lit les articles 3, 4 et 5 qui sout décrétés, sans discussion, en ces termes : « Art. 3. La présente révocation aura son effet à l’instant même de la publication du présent décret, pour tous les droits ci-devant dits régaliens, ou qui participent de la nature de l’impôt, comme droits d’aides et autres y joints, contrôle, insinuation, centième denier, droits de nomination et de casualité des offices, amendes, confiscation, greffes et sceaux, et tous autres droits semblables dont les concessionnaires jouissent à titre d’apanage, d’engagement, d’abonnement ou de concession gratuite, sur quelques objets ou territoires qu’ils les exercent. « Art. 4. Les droits utiles meutionnésdans l’article précédent seront à l’instant même réunis aux finances nationales, et dès lors ils seront administrés, régis et perçus selon leur nature, par les commis, agents et préposés de compagnies établies par l’administration actuelle, dans la même forme, et à la charge de la même comptabilité que ceux dont la perception, régie et administration leur est respectivement confiée. « Art. 5. Les apanagistes continueront de jouir des domaines et droits fonciers compris dans leurs apanages, jusqu’au mois de janvier 1791 ; ils pourront même faire couper et exploiter à leur profit, dans les détails ordinaires, les portions de bois et futaies dûment aménagées, et dont les coupes étaient affectées à l’année présente par leurs lettres de concession, et par les évaluations faites en conséquence; en se conformant par eux aux procès-verbaux d’aménagement et aux ordonnances et règlements intervenus sur le fait des eaux et forêts. M. Enjubault, rapporteur. Voici la teneur de l’article 6 : « Art. 6. 11 sera payé tous les ans, à partir du premier janvier 1791, par le trésor national, à chacun des trois princes dont les apanages sont supprimés, tant à titre de remplacement que d’indemnité, si aucune leur est due, une rente apa-nagère d’un million pour chacun d’eux. » M. de Ea Touche (Le Vassor, ci-devant comte de). Je ne veux point apporter ici un intérêt contraire au bien public, mais réclamer la justice pour M. Louis-Philippe d’Orléans, qui, par ses sentiments, est un de ceux qui ont le plus contribué à la Révolution. (On applaudit dans une grande partie de la salle.) M. d’Orléans s’est rendu garant des dettes que lui a laissées son. père, dont il pouvait très bien refuser la succession. Avec quatre millions cent mille livres de rente, il pouvait les acquitter ; il lui était impossible de prévoir alors les changements qu’on ferait à sa fortune. Je demande donc que le comité des domaines se réunisse pouf aviser au payement des dettes dévolues à M. d’Orléans par la succession de son père. M. Camus. Je demande d’abord si ce sera le seul traitement qu’ils auront sur le Trésor public 7 M. Enjubault. Non, le traitement à assigner aux princes est renvoyé au comité des finances. M. Camus. Si l’on propose ensuite d’accorder un autre traitement aux princes, c’est une injustice sensible. Tous les apanages, si l’on en excepte un seul, ne se montaient pas à 1,000, 000 livres; il est vrai qu’ils avaient ensuite 3, 500, 000 li-[13 août 1790.] vres à partager entre la maison du prince et celle de la princesse. On donnait encore au prince pour son comptant 96,000 livres, à la priucesse 48,000 livres, pour ses étreunes 6,000 livres, pour la foire Saint-Germain 6,000 livres ; je liens entre mes mains l’état de dépense de la maison de M. d’Artois, en 1777, les sommes en sont énormes. On trouve à un article 497,000 livres pour l’écurie extraordinaire, 163,000 livres pour l’écurie anglaise, encore pour une autre écurie 60,000 livres. Est-ce donc pour cela qu’il faut fournir des sommes immenses, et être encore obligés de payer leurs dettes? Je demande qu’on fixe dès ce moment le montant du traitement total des princes. Il faut savoir ce que les frères du roi doivent coûter au Trésor public. Je ne connais en France que le roi et les citoyens. L’héritier présomptif de la couronne ne fait, en quelque sorte, qu’un avec le roi. Il faut dans un grand empire, dit-on, des personnes qui aient de la majesté et de grandes fortunes; oui, pour jeter le peuple dans la misère. Si l’on voit devant soi un homme dont la fortune soit montée à un si haut degré, on calcule de son côté les degrés auxquels on peut-parvenir, et on ne fait la mesure de son bonheur, qu’autant que l’on en est plus rapproché. Il faut aux princes, je l’avoue, un traitement convenable à leur naissance, mais cependant modéré. Il me semble qu’un million c’est déjà beaucoup ; car il ne leur faut plus ni écuries extraordinaires, ni écuries anglaises. Il est aussi un autre article que l’on doit retrancher, c’est la dépense de la maison militaire. Il est absurde qu’un particulier ait une maison militaire; ainsi plus de ce genre de dépense. Dans le cas où l’on croirait devoir délibérer, je demande que les princes ne puissent avoir qu’un seul traitement; il faut qu’on ne touche qu’à un seul endroit, et qu’on ne prenne qu’avec une seule main. M. de Custine. M. Camus n’a fait qu’effleurer les motifs qui nécessitent la suppression de la maison militaire des princes. Cela ne ferait que grossir la liste des officiers sans expérience, et des preneurs sur le Trésor public. (On demande l’ajournement.) M. l’abbé Maury. L’ajournement est nécessaire, car il s’en faut de beaucoup qu’on ait donné les motifs des charges dont M. d’Orléans est grevé. Ce n’est pas sur les apanages d’Orléans qu’il doit payer les dettes de son père, mais bien sur les propriétés dont il a hérité par la mort de mademoiselle de Montpensier. Vous avez décrété que les charges de la maison du roi et des princes seraient payées sur le Trésor public, cette question n’est donc pas liée à celle des apanages. Je demande l’ajournement, afin qu’on examine la dotation de la maison de Montpensier, afin qu’on ne s’expose pas à une injustice, et qu’on ne charge pas le Trésor public de dettes qu’il ne doit pas payer. M. d’Ambly. Quand on nous a ôté nos droits féodaux, cela ne nous a pas empêchés de payer les dettes de nos pères. M. le Président met aux voix l’ajournement de l’article 6. L’ajournement est prononcé. M. Enjubault. Le vote que vous venez de rendre nécessite également l’ajournement des articles 7 et 8. (Cet ajournement est aussi prononcé.)