341 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1790.] point. Attendu les circonstances particulières du don qu’il a offert, pour la délicatesse même de M. du Châtelet, nous ne devons pas l’accepter. M. le duc du Châtelet. J’affirme sur mcm honneur que les détails que j’ai donnés sont vrais. Si on le croit plus convenable, je retirerai les 2,655 livres déposées sur le bureau des dons patriotiques, et je remettrai cette somme au caissier de l’extraordinaire des guerres. (On revient à la discussion du projet de décret présenté par le comité de liquidation.) M. d’Estourmel demande qu’on ne dise pas places frontières , mais places de guerre. M. de Sinéty demande que les officiers généraux, commandants de place, actuellement en activité et en résidence, soient compris dans les dispositions du décret. M. Delley d’Agier. Il faut faire un article particulier, dans lequel on dira que toutes les fois qu’il se trouvera dans les places, soit de l’intérieur, soit des frontières, des officiers dont les appointements pourront être considérés comme des pensions de retraite, ces appointements seront payés dans la proportion ordonnée par les décrets relatifs aux pensions. M. d’Harambure. La demande du ministre n’a rapport qu’aux états-majors des places frontières; il faut se renfermer dans les bornes de cette demande. M. de Cazalès. Aux termes de vos décrets, on ne peut pas plus suspendre les appointements de toute personne en activité de service, officiers supérieurs ou subalternes dans les places, soit frontières, soit intérieures, que ceux des officiers qui sont à leurs régiments. M. d’Harambure. Il ne doit pas être ici question des officiers généraux, pour lesquels il n’y a rien d’arriéré. M. Démeunier. Il faut mettre aux voix le décret présenté, et ne rien préjuger quant aux officiers généraux et quant aux places qui ne sont pas frontières. L’Assemblée ajourne à vendredi, et ordonne au comité de liquidation de prendre sur ces deux objets les renseignements nécessaires. — Le caissier de l’extraordinaire des guerres est introduit à la barre. M. le Président lui expose les motifs pour lesquels il est mandé. Le caissier de V extraordinaire des guerres. Nous ne connaissons pas les ordres sur lesquels les paiements sont faits; nous payons sur les mandats des administrateurs ou de leurs représentants : les administrateurs conservent les ordres. M. Camus. L’Assemblée désire savoir par qui sont signés les mandats. Le caissier de V extraordinaire. Us sont signés par l’administrateur. M. Camus. Quel est l’administrateur? Le caissier de l'extraordinaire. M. de Biré, ou «es représentants. M. Camus. Eh bien! c’est M. de Biré qu’il faut demander. — Comment paie-t-on? est-ce-en billets, en argent, ou en ordonnances ? Le caissier de l'extraordinaire. Dès que les objets dont il s’agit sont portés sur l’état comme acquittés, ils ont été payés en argent ou en billets, Quand j’ai fait les paiements, je remets les mandats au caissier général; il me donne sur mon bordereau une décharge, et je ne connais rien de plus. M, l’abbé Maury. C’est manquer essentiellement à la majesté de cette Assemblée, que de faire subir des interrogatoires sans préparation... (A ce mot, il s’élève un murmure général : M. l’abbé Maury n’achève pas.) M. Camus présente au caissier de l’extraordinaire la copie des états qui ont été remis au comité de liquidation. M. Camus. Voilà des états; monsieur ne les nie pas : il convient que, puisqu’ils ont été fournis, ils ont été payés par lui. — M. de Biré ou son représentant sont-ils en état de nous donner des éclaircissements? Le caissier de l'extraordinaire. 11 n’y a pas de doute. (Le caissier de l’extraordinaire des guerres se retire.) M. Ce Chapelier. Je suis d’avis, ainsi que M. Camus, que M.de Biré doit être mandé sur-le-champ. J’observe à M. I’abbé Maury qu’il n’est nullement contraire à la majesté de cette Assemblée de demander des éclaircissements sur des objets qu’il est de notre devoir d’examiner avec la plus sérieuse attention. J’observe encore que l’Assemblée peut, sans blesser sa dignité, interroger les personnes en état de lui donner les éclaircissements dont elle a besoin : j’ajoute que, pour beaucoup de motifs, l’Assemblée ne doit pas différer d’un instant à mander M. de Biré. M. l’abbé Maury monte à la tribune. L’Assemblée consultée lui refuse la parole. Elle ordonne, à une grande majorité, uniquement formée par le côté gaucbe, queM. de Biré sera mandé sur-le-champ. M. le Président. M. Dubois de Crancé a la parole, pour faire un rapport au nom du comité des finances , sur la contribution patriotique du quart des revenus. M. Dubois de Crancé (1). Messieurs, dans un temps où l’extrême besoin ne s’était pas encore fait sentir, maisdont votre prévoyance calculait les dangers, vous avez voté la contribution du quart des revenus, et cette offrande à la patrie a été répétée avec enthousiasme par nos commettants jus-ques dans les plus petites bourgades. Par un second décret vous avez ordonné l’impression des listes de tous les contribuants, ainsi que des sommes par eux offertes, afin de soumettre à l’opinion publique l’appréciation des efforts, que, relativement à sa fortune, chaque citoyen ferait pour le salut de la patrie. (1) Le Moniteur ne donne qu’ane analyse de «• rapport. {Assemblée nationale»] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1790.] Le terme que vous avez fixé, Messieurs, pour recevoir ces déclarations est arrivé, et votre comité croit pouvoir vous assurer que vos vœux ne sont pas complètement remplis. Notre intention n’est pas d’accuser ici le patriotisme de nosconcitoyens; mais il estdenotre devoir de vous rendre compte des obstacles naturels qui s’opposent à l’exécution de vos décrets, et de vous indiquer les moyens d’y pourvoir. Nous avons considéré d’abord, comme une des principales causes de l’impossibilité où se .sont trouvés plusieurs individus, plusieurs cantons même, de signaler leur patriotisme, l’instant du passage de l’état ancien à la nouvelle administration, et nous croyons qu’il est nécessaire d’attend re que tous les districts, que tous les départements soient organisés, pour asseoir une opinion déterminée sur les résultats de ce dévouement à la chose publique, si naturel à tous les Français. En second lieu, Messieurs, quel moment avez-vous pris pour appeler au secours de la patrie tous vos concitoyens? Celui du besoin sans doute, et personne ne peut vous blâmer d’avoir voulu. justifier votre loyauté envers les créanciers de l’Etat, et les rassurer sur leur sort; mais ce moment était aussi celui où, déracinant tous les abus, rompant tous les préjugés, vous avez agité les esprits de beaucoup de personnes entre la crainte et l’espérance. Ah! convenons-en : le bien public a exigé de grands sacrifices, et ceux-mêmes qui, par un retour très naturel sur le passé, ont balancé longtemps à adopter vos principes, méritent plus d’égards que de reproches. Aujourd’hui; Messieurs, nous sommes tous frères; il n’existe plus qu’un corps dans la nation, qu’un chef dans la nation, qu’un intérêt dans la nation ; la loi sera donc exécutée, car elle sera l'expression de la volonté générale ; le roi sera obéi, caril ne commandera qu'au nom de la loi, et tous les Français connaîtront le prix d’une constitution qui assure à tout citoyen le respect dû à ses droits, et la récompense de ses talents et de ses vertus. Votre comité, Messieurs, ne doute donc pas que dès que les administrations seront formées par le choix libre de tous les citoyens; dès que vous aurez organisé, dans les mêmes principes de fraternité, le pouvoir judiciaire ;dès que vous aurez fixé les bases de la nouvelle administration des finances, et démontré pour l’avenir un équilibre certain entre la recette et la dépense publique, la nation entière, voyant réaliser ses espérances, ne se dévoue avec facilité à toute l’étendue des sacrifices du moment que les circonstances exigent, pour lui procurer un bonheur qui ne finira qu’avec les siècles. D’après ces réflexions, Messieurs, nous croyons devoir vous proposer de reculer le terme que vous avez fixé pour les déclarations, à quinze jours après l’époque de l’établissement des assemblées administratives de districts et de départements, et de déterminer que le premier paiement ne sera exigible qu’au premier juillets Vous auriez désiré, Messieurs, que la contribution du quart des revenus fût libre, uniquement confiée à la conscience de chaque individu, afin que cette contribution, ne participant en rien à la nature ordinaire de l’impôt, pût recevoir un plus grand effet du patriotisme qui l’offrirait ; mais votre sagesse a cependant prévu certains cas, en ordonnant aux municipalités d’appeler ceux qui ne feraient aucuue déclaration et en décrétant que la liste de ces déclarations serait imprimée. Vous avez donc considéré, Messieurs, comme obligatoire pour tous, un sacrifice dont dépend essentiellement le salut de l’Etat, la sûreté de vos engagements envers ses créanciers , et l’affermissement de la constitution. Vous avez senti qu’il v aurait même une injustice évidente à contraindre de payer ceux qui, par le dévouement le plus louable, ont volontairement fait une offrande, et pourraient en témoigner du regret, si vous n’employez aucun moyen coactif contre ceux qui ne montreraient que de l’indifférence pour la chose publique, et dont la patrie n’aurait obtenu que des refus ou des déclarations dérisoires. Nous ne croyons pas exagérer, Messieurs, en avançant que la contribution patriotique du quart des revenus territoriaux ou industriels, monterait à plus de 400 millions, si le même zèle, le même civisme dirigeaient toutes les déclarations, et nous ne comprenons pas dans ce calcul les sacrifices que nos frères des colonies s’empresseront sans doute d’offrir à une mère-patrie, qui a épuisé tant de sang et de trésors pour les défendre, et qui, plus généreuse encore, parce qu’elle est plus libre, va leur assurer tout le bonheur qu’ilspeu vint désirer. D’aussi puissantes ressources jointes â celles que procurera la vente décrétée de parties des biens du domaine et du clergé, fonds morts la plupart, et qui enrichiront la France , en rentrant dans la circulation, ne doivent laisser aucun doute, aucune inquiétude sur la réalisation de vos engagements envers les créanciers de l’Etat. Le salut de la patrie dépend donc uniquement, Messieurs, des mesures que vous prendrez pour éviter de voir s’anéantir des espérances aussi légitimes et aussi bien fondées. Car, assurés de l’égalité de répartition des impôts, et d’une exacte combinaison de dépense et de recette pour 1791, vous aurez tout fait, si, profitant avec sagesse des secours extraordinaires qui sont à votre disposition, vous acquittez les charges de 1790, et si vous parvenez à améliorer le sort de tous ces rentiers, dont M. Necker, dans son dernier rapport, vous a présenté la pénible situation. Votre comité, Messieurs, doit vous soumettre encore une observation qu’il croit digne de toute votre attention, et qui a dirigé en grande partie l’esprit du nouveau décret qu’il va avoir l’honneur de vous proposer. C’est qu’au milieu du con - cours presque général des actes de patriotisme, il se trouve cependant, daDS toutes les classes de la société, des individus, qui, inquiets sur la publicité des listes, et sur les effets qui pourraient en résulter, intéressés, par des raisons particulières, à ne pas mettre eu évidence leurs facultés, préféreraient de ne pas faire de déclarations, quoique très disposés à acquitter la taxe à laquelle ils demandent d’être assujettis. Cette opinion, dont il est facile de saisir la délicatesse, est spécialement applicable au commerce, et suspend les preuves de dévouement d’une foule de citoyens riches et bien intentionnés. Il a donc semblé à votre comité, Messieurs, plus utile au bien général et plus convenable à vos vues, de supprimer l’impression des listes, parce que, outre que cette impression sera très dispendieuse, elle peut entraîner de très graves inconvénients, susciter des haines, donner prétexte à des moyens de reproche ou de jalousie, et livrer des réputations très méritées, aux calculs exagérés de la multitude. Mais nous vous proposerons de suppléera cette coaction très sévère sans doute, puisque par elle le patriotisme appelle à son secours l’opinion publique, en confiant aux municipalités la surveillance des intérêts nationaux, sans que cependant elles püisseût s’écarter des principes de justice et de modération, qui doivent [Assemble*) nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1790.) 343 être la première loi de tous Ses bons citoyens. Nous avons en conséquence l’honneur de vous proposer le décret suivant : PROJET DE DÉCRET sur la contribution patriotique du quart du revenu. Art. 1er. 11 sera accordé un délai de quinze jours, à dater de la formation des corps administratifs, pour que tous les contribuables puissent faire leurs déclarations, ou ajouter à celles qu’ils auraient précédemment faites et qu’ils jugeraient insuffisantes, d’après les principes, et sur les bases établies dans le décret sur la contribution patriotique, en date du 6 octobre dernier, sanctionné par le roi. Art. 2. Ceux dont les revenus, ou partie des revenus, consistent en redevances, en grains ou autres fruits, seront tenus d’évaluer ce revenu sur le pied du terme moyen du prix d’une année sur les dix dernières. Art. 3. Tout bénéfice, traitements annuels, pensions ou appointements, excepté la solde des troupes; tous gages et revenus d’office, qui, avec les autres biens d’un particulier, excéderont quatre cents livres de revenu net, seront sujets à déclaration, comme les produits territoriaux ou industriels, sous la réserve de diminuer, sur les paiements à faire, la contribution sur ces objets, dans la proportion de la perte ou diminution des traitements, pensions, appointements ou revenus quelconques, qui pourrait avoir lieu par les économies que l’Assemblée nationale se propose, ou par suite de ces décrets. Art. 4. Tout individu qui aura perdu une pension, un emploi ou une partie quelconque de son aisance, ne pourra pour cette raison se croire dispensé de déclarer le quart du revenu qui lui restera, et de contribuer, dans cette proportion, conformément au décret du b octobre. Art. 5. Tout fermier, ou colon partiaire, sera tenu à déclaration pour raison de ses produits industriels. Art. 6. Les tuteurs, curateurs, et autres administrateurs seront tenus de faire les déclarations pour les mineurs et interdits, et pour les établissements dont ils ont l’administration, et la contribution qui en résultera leur sera allouée lors de la reddition de leur compte. Art. 7. L’Assemblée supprime l’impression et la publication des listes ; mais le délai de quinze jours, fixé par l’article premier du présent décret, étant expiré, il est enjoint aux officiers municipaux de vérifier, en corps et en présence des notables, toutes les déclarations, pour approuver et signer celles qui leur paraîtront conformes à la vérité • comme aussi pour rectifier, sur l’avis de la majorité du corps municipal et des notables, les déclarations qui leur paraîtront évidemment infidèles. Art. 8. Le corps municipal taxera, suivant les mêmes principes, la contribution de tous les domiciliés qui auraient négligé de faire leur déclaration; il taxera également ceux qui, n’étant pas actuellement en France, et n’auraient pas fait leur déclaration, n’ont pas moins d’intérêt que tous les Français à la conservation de leur propriété. Art. 9. Le corps municipal fera signifier, dans le plus court délai, aux parties intéressées, la taxation à laquelle il les aura assujetties. Art. 10. Tout citoyen qui dans quinzaine n’aura pas répondu à la signification faite par les officiers municipaux, sera censé avoir accepté sans réclamation la nouvelle cotisation faite par lesdits officiers, et cette cotisation sera inscrite au rôle de la contribution patriotique de la commune, pour être mise en recouvrement dans les termes fixés par le décret du 6 octobre dernier, à l’exception que le premier terme ne sera exigible qu’au premier juillet prochain. Art. 11. Dans le cas de réclamation, le directoire du district prendra connaissance de l'affaire, et la renverra dans huitaine, avec son avis, au directoire du département qui jugera en définitif. Art.12. L’Assemblée nationale exhorte les municipalités ainsi que les districts et directoires de département, à ne suivre, dans les opérations, qu’exigent ici de leur ministère les pressants besoins de l’Etat, que les principes de justice et de modération qui doivent être la première loi de tous les bons citoyens. Plusieurs membres demandent l’impression du rapport et l’ajournement de la discussion. M. Féraud. Il ne faut point imprimer ce rapport. La nouvelle que l’on devait s’occuper de quelques changements dans les décrets relatifs à la contribution patriotique a déjà suspendu les déclarations dans ma province. M. Paul üairac. 11 y a un moyen bien simple d’assurer les déclarations et les paiements. Nous approchons du moment des élections pour les corps administratifs. Il faut décréter : 1° que nul ne sera citoyen actif qu’il n’ait fait sa déclaration ; 2° que nul ne sera électeur ou éligible qu’il n’ait payé, pour sa contribution patriotique, une somme qui réponde au moins à son imposition directe. M. le chevalier d’Anbergeon de Marinais pense que les articles proposés sont eu partie superflus, en partie insuffisants. Il propose, pour remplacer ces dispositions, d’exiger de chaque citoyen une déclaration détaillée des fonds de terre ou des contrats qu’il possède, et l’affirmation par serment de la quotité de ses dettes. M. Pison du Galand appuie la proposition de M. Nairac et y ajoute, pour amendement, que la clause coactive ne s’étende point aux citoyens qui déclareront ne pas posséder un revenu supérieur à 400 livres. M. le Président rappelle qu’on a demandé l’impression et l’ajournement. L’impression est ordonnée, et l’ajournement fixé à vendredi. M. de I abl Rochefoucauld, évêque de Beauvais, demande à s’absenter pour quelques jours. M. Papin, député de Paris hors les murs , demande aussi à faire une courte absence pour affaires urgentes. M l’abbé Perrier, député d’Etampes , sollicite un congé qu’il s’efforcera de rendre très court. Ces congés sont accordés sans opposition. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion sur la nouvelle organisation du pouvoir judiciaire. (Voy. Tome X des Archives parlementaires , pages 725 à 741, les deux projets de décrets présentés successivement par le comité de consti*?