[Assemblés nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1790.) 431 M. de lua Rochefoucauld. Je suis entièrement de l’avis de M. Emmery. Si personne ne s’y oppose, je demande qu’on aille aux voix. M. Salle». J’ai demandé la parole pour appuyer la demande, faite par M. Robespierre, d’entendre les députés de la garde nationale de Nancy. J’ai deux considérations à soumettre à l’Assemblée. Une députation de citoyens actifs s'est deux fois présentée à la municipalité pour demander la convocation des sections, deux fois elle a été refusée contre la teneur de vos décrets. Ces citoyens se réunissent dans des maisons ou ailleurs : la municipalité les traite comme des séditieux, et, par une proclamation, défend de laisser quatre personnes ensemble. Les faits énoncés dans les procès-verbaux sont exagérés. ( Les députés de Nancy se lèvent et demandent la parole.) La municipalité de Nancy professe les sentiments les plus contraires à l’ordre public. Je suis député du district de Nancy et je suis instruit que les bons citoyens sont peu nombreux dans cette ville; c’est à eux qu’on en veut. Je ne prétends pas dire que le moment de rigueur n’est pas venu. M. Régnier. En qualité de député de Nancy, ie supplie l’Assemblée d’entendre les députés de la garde nationale de cette ville. Je ne puis retenir ma sensibilité en entendant les indignes calomnies qu’on vient de proférer contre la municipalité et contre ma patrie. Je porte le défi de donner une seule preuve de ce qu’on a débité. (MM. üuquesnoy et Prugnon vont auprès de la tribune et annoncent, par leurs signes, qu’ils portent le même défi.) M. Régnier. Je sais que depuis longtemps on cherche sourdement à nuire aux officiers municipaux. On n’avait pas osé parler en ma présence, on le fait aujourd’hui et je déclare que c’est la plus insigne imposture. (On applaudit à droite.) Je ne veux pas une autre preuve que l’assertion extraordinaire que vous venez d’entendre. On prétend que les faits portés sur les procès-verbaux sont faux et exagérés. ( Plusieurs personnes observent qu'on n'a pas dit qu'ils étaient faux.) Cette accusation est tellement dénuée de fondement, que les députés du régiment du roi ont dit le contraire dans leur mémoire apologétique. J’ai d’ailleurs des nouvelles certaines que les soldats sont convenus unanimement qu’il était impossible de faire la moindre inculpation au directoire du département et à la municipalité. Ces deux administrations ont été parfaitement d’accord dans toutes leurs actions... Ou sera du moins assez juste pour dire que les procès-verbaux ne portent aucun caractère de partialité. Les officiers municipaux ne craignent personne; ils ont pour eux leur conduite et la loi. M. de Mirabeau, l'ainè. Aucune motion d’inculpation n’ayaut été faite contre la municipalité de Nancy, il faut retourner à l’ordre du jour et décider la seule question existante : Entendra-t-on les députés de la garde nationale de Nancy, oui ou non ? (L’Assemblée décide unanimement que ces députés seront entendus.) MM. André et Henry, députés de la garde nationale de Nancy , sont introduits à la barre. Ils présentent leurs pouvoirs. L’un d’eux porte la parole : Nous avions été députés par la garde nationale de Nancy et nous étions chargés d’une mission flatteuse, puisqu’elle avait pour objet de vous annoncer la soumission delà garnison à vos décrets. Cette soumission était le fruit heureux de l’entremise de la garde nationale; à peine avons-nous été arrivés, que nous n’avons plus eu les mêmes nouvelles à vous apprendre. L’insurrection la plus affreuse afflige tous les citoyens ; mais autant elle est dangereuse, autant elle est facile à apaiser en employant des moyens de douceur et de conciliation. Je ne sais si je dois rendre compte de tous ces faits, ou bien me borner à exposer les points de notre mission. ( Les mouvements de l’Assemblée annoncent qu'elle désire entendre le récit des faits.) Je vais déduire les quatre objets de notre mission. J’exposerai ensuite les faits : 1* Nous devons réclamer la Jiberté des huit députés du régiment du roi. Ils étaient partis avec le consentement libre de leurs chefs, et avec un passeport de la mnnicipalité. A leur arrivée à Paris, ou les a arrêtés; la liberté leur est rendue, et nous n’avons plus rien à dire à ce sujet; 2° Nous avions à vous soumettre les pétitions et les réclamations des différents corps. C’est sur cette promesse que la soumission de la garnison a été obtenue ; 3° Nous étions chargés de rendre justice à la garnison et de faire connaître les causes de l’insurrection ; 4° Enfin il nous était spécialement recommandé de solliciter l’adoucissement du décret du 6 août. Voici maintenant les faits dont l’ Assemblée a désiré le récit. La garnison et les soldats ont en général montré l’attachement le plus ferme à la Révolution : voilà ce que reconnaissent tous les citoyens. Nous ignorons si c’est une recommandation près des chefs militaires ; mais nous savons que les soldats se sont plaints que les témoignages qu’ils donnaient de cet attachement faisaient appesantir sur eux Ja discipline et déployer la sévérité. Les inculpations faites àM. Dubois de Crancé ont fourni les premiers moyens dont on s’est servi pour chercher à diminuer cet attachement. On a ensuite répandu parmi. les soldats tous les écrits qui pouvaient y contribuer. Les sentiments des soldats s’étaient manifestés bien avant qu’on accordât les 32 deniers de haute paye. On leur avait donné 4 onces de pain ; on leur a laissé croire qu’ils en jouiraient toujours; puis on leur a dit que l’Assemblée nationale retirait ce bienfait, et qu’ils payeraient les 4 onces de pain. On a encore usé d’un autre moyen; on a prodigué les congés jaunes aux soldats qui avaient ie mieux mérité l’estime des citoyens, et auxquels on ne reconnaissait d’autre tort que leur attachement à la Révolution. Une mesure plus terrible a été mise en usage. On a cherché à armer le soldat contre le citoyen. Plusieurs hommes gagnés et travestis ont attaqué les habitants de la ville. Les soldats ont demandé que les instigateurs de cette manœuvre fassent chassés, et iis l’ont été. Quand on a vu ce mauvais succès, on a pris un autre parti. II y a dans le régiment du roi un grand nombre de fils de famille ; plus instruits que leurs camarades, ils leur ont fait connaître la Constitution; ils en ont prêché les principes ; en même temps ils prêchaient la subordination. On a armé vingt spadassins pour tomber sur ces jeunes gens.Neuf des coupables sont dans les prisons. Non seulement la garnison a en vain sollicité leur jugement, mais le chef ayant promis que le conseil de guerre serait tenu, ie commandant de la province a défendu ce conseil. Une adresse a été en- 432 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1790.] voyée à l’Assemblée nationale : la garnison n’en a eu aucune nouvelle; voilà les premiers faits; ils font aisément présumer qu’il y a entre les officiers et les soldats une lignn de démarcation que la raison ne pourra jamais détruire. La garnison était calme, quand les nouvelles des réclamations de plusieurs corps sont arrivées à Nancy. Les officiers du régiment du roi ont compté avec les soldats. Le régiment de Ghâteauvieux a voulu obtenir la même justice; il a nommé deux députés pour en aller faire la demande à son chef, d’après le décret du 6 qui nous était parvenu parles journaux. Le lendemain, à la parade, on a fait passer par les courroies ces deux hommes qui réclamaient l’exécution d’une loi. (Il s'élève des murmures dans la partie droite.) Je m’étonne d’entendre révoquer en doute un fait aussi notoire. Je suis devant l’Assemblée nationale et je lui prouve mon respect, en lui disant la vérité tout entière : je signerai de mon sang le fait que je viens de rapporter. C’était le moment où le régiment du roi ayant reçu de l’argent, la garnison était ivre de plaisir. Le peuple a regardé cette action comme une suprême injustice; il a épousé la querelle de la garnison. Les choses étaient en cet état quand les décrets furent proclamés. Le régiment du roi avait demandé des comptes de plus de six années : il possédait les registres. On décida que les papiers cachetés seraieniapportés à l’Assemblée nationale par huit députés, qui, à peine arrivés, ont été arrêtés. La nouvelle en parvint à Nancy. Il élait difficile d’espérer de la modération ; cependant on requit l’intervi ntion de la garde nationale : nous n’eûmes qu à nous présenter pour obtenir l’assurance de la soumission la plus entière à l’acte qui vous a été lu. Les soldats du régiment du roi craignaient qu’on ne sévît contre ceux qui avaient rédigé leurs comptes, ou contre le peuple qui avait partagé leurs craintes. On nous pressa de partir; on exigea de nous d’autant plus de célérité, qu’on savait que les faits avaient été exagérés; les procès-verbaux étaient exacts, mais des lettres particulières sonnaient l’alarme. Les citoyens étaient tranquilles et l’on vous représentait la ville en feu. On disait que les soldats voulaient nommer un chef, qu’ils devaient le conduire sur un char de triomphe, et ces faits étaient eontrouvés. Ce sont ces circonstances qui ont fait penser que votre religion pouvait avoir été surprise. Nous partîmes il y a eu lundi huit jours : la garnison était inquiète. Nous engageâmes la game nationale à solliciter le retard de l’exécution du décret du 16, et nous fûmes étonnés, lorsque nous partions, qu’on exécutât ce décret sur le régiment de Ghâteauvieux. Nous avons des nouvelles certaines que l’officier général qui a été envoyé, au lieu d’user de douceur, n’a employé que lu rudesse ; on traitait le soluat de brigand : l’officier général a perdu la confiance : voilà l’état de la ville de Nancy. Si l’Assemblee déploie toute sa force, peut-être que le sang de nos concitoyens coulera : n’y aurait-il pas quelque moyen d’agir par la persuasion? Il est à craindre que les citoyens qui ont vu les soldats souffrir, qui les ont entendus gémir de leur oppression, n’épousent leurs intérêts et ne prennent leur defense. Nous vous supplions, si vous daignez écouter nos prières, de renvoyer cette affaire aux trois comités réunis. M. Duquesnoy et une partie de l’Assemblée demandent que les honneurs de la séance soient accordés aux députés de la garde nationale de Nancy. Cette proposition est accueillie. M. Prugnon. Par le récit même des deux députés, la municipalité n’est point inculpée. Ils ont dit que la raison ne pouvait rien. Ce n’est pas aujourd’hui l’instant de la mollesse; le salut de la France est à Nancy; l’insurrection est contagieuse : si on ne la repousse par la force, elle pénétrera au centre du royaume et bientôt elle arrivera aux portes de Paris. M. l’abbé Coster. Je n’examinerai pas si l’on peut ajouter foi, le moindrement du monde, aux faits allégués par les députés de la garde nationale de Nancy; je n’examinerai pas si ce témoignage peut atténuer les actes envoyés par la municipalité de Nancy; mais je prétends que le récit que vous venez d’entendre ne peut influer sur votre décision. Peut-on, par des faits antérieurs, réussir à justifier la rébellion de la garnison contre vos décrets publiés à la tête des régiments? La désobéissance des soldats serait inexcusable, quand bien même les officiers auraient tous les torts. Votre décret réserve aux soldats tous leurs droits; il faut prendre des mesures fortes et promptes, dussnz-vous ne pas vous astreindre aux règles rigoureuses de la justice. (Il s'élève des murmures.) Peut-être faudrait-il s’en écarter. (Les murmures augmentent.) Je parle hypothétiquement : Je suis bien loin de vouloir suggérer une injustice: mais je disque si une petite injustice... (Le soulèvement de la partie gauche est général.) M. l’abbé Colaud de La Salcette. Je demande que l’opinant soit rappelé à l’ordre. Un ecclésiastique qui parle ainsi le mérite. M. l’abbé Coster. J’adopte le décret proposé par M. Emmery. M. Dnquesnoy. J’adopterai d’autant moins les étranges maximes du préopinant, que je suis persuadé que les soldats n’ont pas seuls des torts. Mais l’Assemblée a pris des mesures sages et prudentes, pour faire rendre justice à tous; elle a ordonné une information : que ceux qui sont fort* de leur conduite laissent faire cette information. Les faits exposés par MM. les députés de la garde nationale de Nancy me sont connus, je dois l’avouer; mais ces faits ne tiennent point à la question. L’Assemblée a rendu, le 6 août, un décret contre lequel la garnison de Nancy n’est point en insurrection, mais en révolte. Des soldats qui refusent d’obéir à leurs officiers, qui les enferment, qui les attaquent, sont des révoltés. Si l’on ne réprime pas ces désordres, c’en est fait de la liberté. La municipalité et la garde nationale se sont donné les plus grands soins pour ramener l’ordre : en rendant justice aux services qu’elles ont rendus, je dois rendre particulièrement hommage au zèle et au patriotisme des officiers municipaux. M. Emmery présente un projet dedécret auquel je fais une grande modification qu’il adopte. Je pense qu’il faut se borner à ordonner aux corps administratifs de concourir à l’exécution de vos décrets avec M. de Bouillé; cette disposition ne sera rien qu’une véritable lettre de créance. La portion la plus chère de ma famille est à Nancy, elle est sous les armes pour défendre l’ordre, sans lequel il n’est point de liberté. Je vous supplie donc de rendre un décret sans retard ; les députés de Nancy sont du même avis que moi.