332 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 janvier 1790.] dont la France et vous, Nosseigneurs, êtes les éternels objets. « Signé, De Troye, au nom des logiciens du collège Louis-Ie-Grand. » M. le Président répond en ces termes : « Jeunes gens, n’oubliez jamais le jour où l’Assemblée nationale agrée votre offrande, vos hommages et vos respects. Le ciel vous a réservés pour l’époque la plus importante de l’espèce humaine : jouissez long-temps du bonheur qu’elle vous prépare, et ne trompez jamais les espérances de la patrie. » M. le comte d’Estagniol, député de Sedan, remet un don patriotique de cent louis, envoyé oar M. Simon Bruyères, négociant de Sedan, et 'Assemblée décide qu’il en sera fait mention dans le procès-verbal. M. de Turckheiin , député de Strasbourg, présente à l’Assemblée l’hommage du respect, de a reconnaissance, et du dévouement de la société harmonique des Amis-Réunis à Strasbourg ; il la supplie d’agréer le don patriotique de 600 livres, qu il va déposer chez le Trésorier. L’Assemblée reçoit ensuite à la barre les députés de la nouvelle municipalité de Châlons-sur-Marne, formée suivant ses décrets. Ce premier hommage des nouvelles municipalités est accompagné d’un don patriotique. M. le président leur témoigne la satisfaction de l’Assemblée en ces termes : « La ville de Châlons doit être glorieuse d’apporter à l’Assemblée nationale le premier hommage d’une municipalité formée sur les principes constitutionnels; l’Assemblée reçoit avec satisfaction vos respects et votre offrande. » M. le Président. L'ordre du jour appelle la discussion sur l'affaire du prévôt de Marseille. M. le comte de Mirabeau a la parole contre le projet de décret présenté par M. l'abbé Maury au nom du comité des rapports. M. le comte de Mirabean (t). Messieurs, deux de vos décrets ont accueilli les plaintes des citoyens que poursuit le prévôt général de Provence, et deux de vos décrets n’ont pu sauver encore des innocents ; leur péril s’accroît en raison de leurs succès. Le magistrat irrité, qui peut d’un mot les dévouer au supplice, veut juger ceux-là mêmes qui par leurs dénonciations l’ont mis au rang desaccusés. Il les dénonce à son tour cDmme des calomniateurs, et prétend que c’est à lui de punir ! Il est pris à partie, il se défend, il attaque, il ne disssimule ni son ressentiment ni sa vengeance et ne descend pas de son tribunal ! Si cet étrange combat ne présentait que cette seule singularité, l’affaire de Marseille vous paraîtrait sans doute inconcevable, mais ce juge, qui met un si grand prix à conserver le droit redoutable de juger Jes autres, cherche à prouver, dans les mémoires qu'il vous adresse, que les accusés sont coupables, et caractérise déjà leur délit. Soit prévention, soit vengeance, il les traite de séditieux, de criminels de lèse-nation ; la conviction estdans son cœur, le jugement estsur ses lèvres: (1) Ls Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le comte de Mirabeau. et ce magistrat, qui ne saurait désormais avoir l’impartialité de la loi, s’obstine à juger ! Et ce magistrat, parmi les motifs qu’il allègue de rester à sa place, annonce lui-même qu’il doit venger son tribunal ! Que deviendra dès lors cette funeste procédure? Le ressentiment, qui en dirigera le fil tortueux, ne conduira-t-il pas invinciblement à l’échafaud ceux qu’il regarde comme si coupables ? Laisser aujourd’hui dans ses mains le glaive deslois, n’est-ce pas lui livrer des victimes, les frapper nous-mêmes, les abandonner après que vos propres décrets, dont le prévôt voudra montrer l’injustice, auront servi à les faire immoler ? Mais ce ne sont là que les circonstances les moins frappantes que je me propose de vousdéve-lopper. Ces malheureux, dont la voix impuissante, perçant les voûtes des bastilles de Provence, vient retentir jusqu’à nous, qui sont-ils? Quelle est cette procédure prévôtale où sept cents témoins sont entendus, où cent citoyens sont décrétés, où soixante-dixaccusés sont prisonniers? Quel crime impute-t-on à ces infortunés qu’un peuple immense justifie, pour lesquels presque toutes les corporations de Marseille vous ont envoyé les plus touchantes supplications, et qui n’ont contre eux que quelques gens en place, une partie des anciens échevins du conseil municipal, et celte petite portion de négociants dont se compose l’aristocratie de l’opulence, qui ne seront désormais, par vos nouvelles lois, que les égaux de leurs concitoyens? Quel but se propose-t-on de remplir par celte étonnante procédure, prise dans une ville frontière, dans une ville où l’on a rassemblé une armée de huit mille hommes, et où la milice nationale n’a que des chefs et point de soldats? Quel a été l’objet du pouvoir exécutif, lorsqu'il a confié au seul prévôt général, à un seul nomme, la connaissance de tous les troubles d’une grande province? Que veulent les ministres, lorsqu’ils mettent tant de chaleur à soutenir cet nomme, que sa résistance à vos lois vous a forcés de renvoyer au Châtelet; lorsqu’ils portent un Roi juste à refuser sa sanction pour celui de vos décrets qui devait rétablir la paix dans une des plus importantes villes du royaume? Je tâcherai, Messieurs, de résoudre une partie de ces grandes questions, ou plutôt je ne ferai que cette seule réponse : Les prisonniers que l’on veut punir sont les défenseurs du parti populaire. Aucun de ceux qui, dans les assemblées primaires, ont dénoncé les maux de la patrie, n’a échappé. Aucun de ceux que le Parlement menaçait, il y a six mois, n’a pu se soustraire aux poursuites du tribunal qui a pris sa place. Aucun de ceux qui ont fait dans le conseil de ville des motions utiles et courageuses, qui ont pris notre langue, qui ont voulu établir une milice nationale ou réformer celle qui existe, ou porter au conseil, à l’époque du juillet, les vœux modérés d’un peuple que les nouvelles de Paris, que d’affreux présages et nos propres craintes alarmaient, n’a pu se garantir contre les décrets d’un juge pour qui nos principes sont aussi étrangers que si la révolution qui vient de s’opérer n’existait pas. Tout est maintenant connu ; les motifs du prévôt, les principales charges de la procédure, les interrogatoires des accusés, tout est dévoilé. Le prévôt a lui-même envoyé toutes les pièces qui le condamnent. D’après ces pièces, au lieu de punir, il faudra récompenser ; au lieu d’environner les accusés des terreurs qui précèdent les supplices, il faudra les sortir en triomphe de leurs cachots, les mettre au nombre des coopérateurs de l’Assem-