SÉANCE DU 20 FRUCTIDOR AN II (6 SEPTEMBRE 1794) - N° 61-62 309 PONS (de Verdun) réclame contre le décret d’hier, par lequel la Convention nationale a déclaré qu’il n’y avoit pas lieu à délibérer sur la pétition de la citoyenne Dubosc, accusée d’émigration pour aller en Angleterre, afin de se soustraire à la tyrannie maritale. Pons observe que cette femme est rentrée en France aussitôt la proclamation de la loi sur le divorce, et s’est rendue dans la commune de sa naissance à Rouen, et s’est mise sous la protection de la société populaire, qui atteste son civisme. BAR réclame l’exécution de la loi, et invoque la rigueur des principes : il fait sentir les abus qui pourraient résulter de la trop grande facilité de la Convention. Sur ses observations, les réclamations de Pons sont renvoyées au comité de Législation, pour faire un nouveau rapport; et cependant la Convention suspend provisoirement la procédure (106). 61 Un membre [Paganel], au nom du comité des Secours, présente un projet de décret sur les secours à accorder aux défenseurs de Landau, traduits à Paris et mis en liberté. Il est fait diverses propositions. On demande que les simples fusilliers, cavaliers et sous-officiers perçoivent les secours accordés par la loi et soient renvoyés à leur poste, mais qu’au préalable on reçoive leurs déclarations sur ce qui s’est passé dans Landau, pendant le blocus de cette place. On observe que parmi les officiers, il en est qui sont violemment soupçonnés d’être coupables; on demande leur réincarcération. Après quelques débats, la Convention nationale renvoie toutes ces propositions à ses comités de Salut public et de Sûreté générale, pour lui en être fait un prompt rapport (107). DU ROY et RUAMPS exposent qu’il y a des accusations graves à la charge de plusieurs officiers en faveur desquels on réclame des secours, et qui étoient dans Landau pendant le blocus de cette place. Diverses propositions sont faites; on observe qu’il y avoit deux partis dans Landau qui se sont mutuellement accusés de manœuvres criminelles pour livrer cette place à l’ennemi. On demande que la lumière soit portée sur cette affaire, et que les comités de Salut public et de Sûreté générale soient chargés de faire un rapport sur cet objet (108). (106) Débats, n° 716, 333-334. Voir 19 fructidor, 57 f. Ann. R. F., n» 279; J. Fr., n» 712; J. Perlet, n« 714, 715; M.U., XLIII, 328; J. Paris, no 615. (107) P.V., XLV, 112. (108) Débats, n° 716, 334. Moniteur, XXI, 692. J. Paris, n° 615; Arm. R.F., n° 279; F. de la Républ., n° 427; Gazette Fr., n° 980; J. Fr., n° 712; M.U., XLIII, 328-329; J. Mont., n° 130. 62 LECOINTE-PUYRAVEAU observe que le délai dans lequel les personnes mises en liberté depuis le 10 thermidor, et qui ne sont pas de Paris, doivent en sortir pour retourner dans leurs domiciles, expire demain; il y a nombre de ces citoyens, dit-il, qui n’ont pas un sol pour faire leur route. Le comité des Secours publics a un rapport à vous faire à ce sujet; je demande que le rapporteur soit entendu. BOURET, rapporteur du comité des Secours publics, propose le projet de décret annoncé. Un membre, en applaudissant aux vues du comité, s’étonne qu’on accorde plus pour leurs frais de route, aux citoyens dont on vient de parler, que ne reçoivent pour le même objet les défenseurs de la patrie. On lui objecte que ces derniers ont l’étape. Eh bien ! reprend le même membre, pour tenir lieu de l’étape je demande dix sous. Après une légère discussion, l’assemblée décrète qu’il sera accordé 15 sous par lieue de poste. DUHEM : je ne crois pas qu’on eût dû présenter cette loi aujourd’hui. Mais si l’assemblée veut la discuter, j’en demande une nouvelle lecture. Il est dit dans la loi qu’il ne sera accordé des secours qu’aux citoyens dont l’indigence sera constatée. Mais comment constatera-t-on cette indigence ? comment fera-t-on pour ne pas donner à des muscadins les deniers de la République ? Certes nous voulons tous venir au secours des patriotes, des sans-culottes. Mais il faut trouver un moyen de les distinguer d’un tas de scélérats : car des comtes, des marquis, viendront sous de mauvais habits, et pour afficher une fausse indigence, recevoir 20 sous par lieue. Je demande qu’on ajoute dans la loi : Ceux qui vivent du travail de leurs mains. Le rapporteur répond à Duhem qu’il ne se serait pas expliqué comme il a fait, s’il eût bien connu les principes dans lesquels le comité a rédigé l’article; il expose qu’il peut y avoir une sorte d’indigence momentanée; des gens qui aient des ressources dans leurs départemens, mais qui en sont entièrement dénués pour s’y rendre. On propose que ces derniers ne reçoivent des secours qu’à titre de prêt et à la charge de les restituer au trésor public quand ils seront rendus dans leurs départemens. DUHEM insiste pour son amendement. Il ne faut pas, dit-il, donner des secours à des gens qui courront la poste; si les citoyens relâchés sont pauvres, ils vivoient de leur travail; s’ils ont des ressources, et que leurs besoins ne soient que momentanés, il leur sera facile de se procurer des secours, ne fût-ce qu’auprès de ceux qui ont sollicité leur élargissement. DU BOUCHET demande que dans la loi on comprenne tous ceux qui sont obligés de travailler pour vivre. André DUMONT dit qu’il appuie l’amendement de Duhem, parcequ’il est dans son cœur comme dans celui de la Convention que les indigens seuls participent aux secours qu’on propose d’accorder; mais qu’il ne se servira pas 310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE des mêmes termes que Duhem qui, par les mots de comte et de marquis qu’il a employés, sem-bleroit inculper le comité de Sûreté générale, et faire croire qu’il a rendu la liberté à un grand nombre de ces individus : le comité, continue-t-il, a voulu et dû faire justice à tout le monde, mais il a toujours été loin de sa pensée de faire grâce à aucun noble. Pourquoi jeter sans cesse des germes de division ? le comité a ou n’a pas la confiance de l’Assemblée... Il l’a, s’écrient un grand nombre de voix. DUHEM proteste qu’il n’a pas voulu porter atteinte à la confiance due au comité, mais n’y eût-il qu’un seul noble relâché, dit-il, il faudroit empêcher qu’il ne reçût les deniers de la République. André DUMONT observe que ses premiers mots ont été qu’il appuyoit l’amendement de Duhem. Un membre : J’atteste à la Convention que Duhem n’en a pas trop dit. J’arrive de mission; et j’ai rencontré des hommes suspendus aux termes de votre décret du 25 août, incarcérés aux termes de celui du 17 septembre, qui ont été relâchés, et qui retoumoient en poste dans leurs départemens pour y semer la division; les patriotes énergiques, ceux qui ont fait toute espèce de sacrifices à la révolution, sont conspués; j’ai moi-même été insulté. On demande qu’on écarte toute discussion étrangère à la question. L’amendement de Duhem est décrété (109). Un membre, au nom du comité des Secours publics, présente un projet de décret qui, mis aux voix, article par article, est décrété avec quelques amendements, et ainsi qu’il suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des Secours publics, décrète ce qui suit. Article premier. Tout citoyen mis en liberté depuis le 10 thermidor, par arrêtés des comités de Salut public, de Sûreté générale, ou par ceux des représentants du peuple en mission dans les départements, et qui étoit obligé de travailler pour vivre, recevra un secours pour l’aider à retourner dans son domicile ou dans le lieu où il sera tenu de se rendre, conformément aux lois des 27 germinal et 13 fructidor. Art. II. Le secours est fixé à 15 s par lieue de poste. Art. III. A Paris, la commission des secours publics les ordonnancera sur les états arrêtés par le comité des Secours publics de la Convention nationale. Art. IV. Dans les départements, les citoyens qui auront été mis en liberté par les représentants du peuple ou les comités de Salut public et de Sûreté générale, et hors du lieu de leur domicile, recevront les secours mentionnés à l’article II, sur une ordonnance de l’administration du district, qui sera acquittée par le receveur du même district. (109) Débats, n° 716, 334-336. Moniteur, XXI, 692. Art. V. L’administration qui aura délivré des ordonnances, en fera, chaque décade, parvenir l’état au comité des Secours publics de la Convention nationale et à la Trésorerie nationale, sous les peines portées par la loi du 14 frimaire. Art. VI. Les secours accordés par la présente loi, ne sont point applicables aux fonctionnaires publics mis en liberté et renvoyés à leurs fonctions, dont le traitement est de 1 200 L et au-dessus. Art. VII. Le présent décret sera imprimé au bulletin des lois (110). 63 Un membre propose que la Convention nationale s’explique sur le point de savoir si les citoyens acquittés et mis en liberté par le tribunal révolutionnaire de Paris, doivent, ou non, être assimilés à ceux qui sont mis en liberté par arrêtés des comités de Salut public et de Sûreté générale, ou des représentants du peuple en mission dans les départements, relativement aux secours qu’elle vient de fixer par décret de ce jour. La Convention nationale passe à l’ordre du jour motivé sur les bases d’après lesquelles les secours ou indemnités ont été accordés jusqu’à ce jour aux citoyens acquittés et mis en liberté par le tribunal révolutionnaire de Paris (111). 64 Le représentant du peuple Lehault, député de la Sarthe, demande et obtient un congé de deux décades, pour rétablir sa santé (112). [Lehault, député de la Sarthe, au président de la Convention, le 20 fructidor an II] (113) Citoyen, Deux maladies dont je suis attaqué ainsi que tu le verras par le certifficat cy-joint, me forcent de t’engager de proposer à la Convention nationale de m’accorder un congé de deux décades pour rétablir ma santé. Salut et fraternité, ton collègue. Lehault. (110) P.-V., XLV, 112-114. Décret n° 10 770. Rapporteur : Bouret. J. Paris., n° 615; Ann. Patr., n° 614; Ann. R.F., n° 278; C. Eg., n° 749; F. de la Républ., n° 427; Gazette Fr., n° 980; J. Fr., n° 712; J. Perlet, n° 714; J. S.-Culottes, n° 569; J. Univ., n° 1 747; M.U., XLIII, 330; Rép., n° 261; J. Mont., n° 130. (111) P.-V., XLV, 114. C 318, pl. 1 284, p. 6, minute signée de Roger Ducos. Décret n° 10 771. (112) P.-V., XLV, 114. Décret n° 10 773. Rapporteur : Lehault. (113) C 318, pl. 1 298, p. 18.