176 ARCHIVES NATIONALES - CONVENTION NATIONALE à l’ordre du jour la terreur et la mort; mais elle veut sous prétexte d’une réaction peu dangereuse, avec de la prudence, vous inspirer une crainte stupide et féroce : à l’entendre, il n’y a eu que des patriotes d’incarcérés depuis le 9 thermidor mais elle donne elle-même la signification au mot patriote, et s’oppose à ce que la liberté soit rendue aux malheureuses victimes qui gémissent encore dans ses bastilles; ses agens, ses affidés et ses dupes sont encore par-tout placés dans les autorités constituées, dans les Sociétés populaires; ses mots de ralliement déhonorent encore la langue française; et ceux qui, pendant son règne, se sont couverts de crimes, et tous les voleurs qu’elle tenoit à ses gages, et tous ces scélérats qui jouent l’extravagance, pour continuer à égorger le peuple, mettent en œuvre toutes les inventions de l’enfer pour empêcher, dans la République, l’établissement de la justice juste qui doit les envoyer à l’échafaud, il faut le dire aussi, la terreur règne encore parmi les gens de bien; ils craignent que la vertu d’aujourd’hui ne soit demain un crime. Citoyens, fondateurs de la République, c’est à nous de leur rendre courage en même temps que nous en recevons d’eux. Immense majorité, unanimité de la Convention nationale, étemel désespoir des rois, c’est toi qui es la véritable massue du peuple français; lève-toi dans ton majestueux silence, laisse dans leur coin quelques crimes assis, et achève d’écraser tous les ennemis de l’humanité, de la justice et de la vertu : ce sont là les vrais ennemis de la République. Voici le projet de décret que je vous propose : La Convention nationale décrète : Art. premier - Il est défendu à tous les membres de la Convention nationale, sous peine de réclusion jusqu’à la paix, d’employer à compter de ce jour, dans leurs rapports ou dans leurs discours, les mots inventés pour exciter dans la Convention nationale et dans la République le trouble et les divisions, de se servir de dénominations de partis, de corporations ou de factions, qui ne tendent qu’à avilir la majorité de la Convention nationale et la majorité de la nation; ces mots sont ceux de Montagne, de Plaine, de Marais, de modérés, de Feuillants, de Jacobins, de fédéralistes, de muscadins, d’alarmistes. Art. II. - Ceux à qui ces mots seraient échappés en improvisant seront rappelés à l’ordre par le président, et en cas de récidive, condamnés à la peine portée par l’art. Ier. Art. III. - Chacun des membres de la Convention nationale sera tenu, dans un mois à compter de ce jour, de faire imprimer le compte de sa fortune et de ses moyens d’existence, de ses bénéfices ou de ses pertes, depuis le 14 juillet 1789 jusqu’à ce jour; à ce compte sera joint l’historique abrégé de ce qu’il a pu faire pour la révolution. Le tout sera imprimé aux frais de la République. [A ces mots la Convention toute entière se lève et de toutes parts on crie : aux voix! aux voix ! PETIT demande à finir son projet] (106). Art. IV. - Le comité d’instruction publique est chargé de rédiger un ouvrage périodique destiné à donner aux mots qui composent la langue française leur véritable sens et à rendre à la morale républicaine sa véritable énergie. Art. V. - Les comités d’Agriculture, de Commerce et des Finances, sont chargés de présenter à la Convention nationale dans le plus court délai, les moyens de rendre la liberté au commerce, et de faire diminuer le prix des denrées de première nécessité. On demande à aller aux voix sur la proposition faite par Petit, pour que chaque membre rende compte de sa fortune. L’Assemblée se lève par acclamation au milieu des applaudissements (107). PELET demande la parole : l’Assemblée, dit-il, vient d’accueillir avec enthousiasme la proposition de faire rendre compte à ses membres de l’état de leur fortune; mais que la Convention se rappelle que déjà cinq fois cette proposition lui a été faite; une fois entre autres, elle excita une vive discussion; et Cam-bon démontra qu’elle ne seroit favorable qu’aux fripons [s’il y en avait dans l’assemblée] (108) qui sauroient bien se mettre en mesure pour cacher tout ce qu’ils ne voudroient pas mettre au grand jour. Quant à plusieurs autres des articles qu’on vous a soumis, je les crois beaucoup plus propre à enflammer les passions qu’à les éteindre. Il me semble absurde de proposer un journal, fait par le comité d’instruction publique, et soumis à la Convention, pour définir les mots dont nous nous servons depuis cinq ans. Ce n’est pas à nous non plus à faire le récit apologétique de notre conduite depuis la révolution; c’est à nos actions, c’est sur-tout aux bonnes lois qui émaneront de la Convention. Pour ce qui est de faire diminuer les denrées, d’assurer la prospérité du commerce, il n’est personne ici qui n’en soit pénétré, qui ne doive s’en occuper. La proposition expresse est propre à populariser le membre qui l’a faite... PETIT : Ne me prêtez pas de mauvaises intentions. PELET : Si le préopinant ne m’eût pas interrompu, j’allois rendre justice à ses intentions : je déclare que je les crois très pures; mais ce n’est pas des intentions qu’il s’agit, mais des principes. Une proposition dangereuse n’en doit pas moins être combattue, (106) Rép., n° 269. Plusieurs journaux dont Ann. Patr., n° 622, C. Eg., n° 757, J. Mont., n° 138, signalent ce mouvement d’enthousiasme. Le Mess. Soir, n° 757. en fait une présentation plus nuancée : « Le second (cette gazette donne une version écourtée du projet de décret et cet article correspond à l’art. 3 des autres présentations) article du projet a été pour la cinquième fois, depuis deux ans, décrété par acclamation, et rapporté ensuite, ou écarté par l’ordre du jour, après un instant de réflexion ». (107) Moniteur, XXI, 762. (108) Moniteur, XXI, 763.