68 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { 9brum£ire ann une telle pensée, dont l’effet pourrait nuire à l’harmonie sociale. Mais, s’il est vrai que la na¬ ture et la raison assurent à tous les enfants le droit de recueillir l’héritage de leur père, com¬ ment peut-on contester que du moment où l’éga¬ lité a été proclamée, toute différence n’ait pas dû cesser entre ceux dont la condition devait être la même? Quant à l’autorité des coutumes que l’on a voulu présenter comme le résultat de la volonté nationale, serait -il nécessaire de dire qu’elles furent l’ouvrage de ceux qu’uneJongue suite d’a¬ bus avait séparés des autres individus, et qu’elles ne servirent qu’à consacrer les invasions féo¬ dales? Après avoir ainsi analysé les difficultés qui se sont élevées contre notre plan de législation, aucune d’elles ne nous a paru propre a nous le faire abandonner; mais, en demeurant constam¬ ment attachés au principe sur lequel il repose, nous avons reconnu qu’il était nécessaire de vous présenter quelques développements qui doivent concilier ce que l’équité exige de vous avec le respect dû aux volontés de l’homme, et aux transactions sociales. Nous persistons en consé¬ quence à vous proposer d’admettre les enfants naturels actuellement existants, à exercer leur droit de successibilité, à compter du 14 juillet 1789. Ici le comité s’est fait deux questions. Assi¬ milera-t-on les enfants adultérins aux enfants nés de personnes qui n’étaient point engagées dans les liens du mariage? Première question. Les moyens employés pour l’exercice des droits de successibilité, seront -ils les mêmes à l’égard des enfants dont les pères et mères sont décédés, qu’à l’égard de ceux dont les pères et mères vivent encore? Seconde question. Si je n’avais à vous présenter que mon opinion personnelle, je vous dirais : tous les enfants in¬ distinctement ont le droit de succéder à ceux qui leur ont donné l’existence; les différences éta¬ blies entre eux sont l’effet de l’orgueil et de la superstition; elles sont ignominieuses et con¬ traires à la justice. Dans un gouvernement basé sur la liberté, des individus ne peuvent pas être les 'victimes des fautes de leur père. L’exhéréda¬ tion est la peine des grands crimes : l’enfant qui naît en a-t-il commis? et si le mariage est une institution précieuse, son empire ne peut s’éten¬ dre jusqu’à la destruction de l’homme et des droits du citoyen. Mais ce n’est pas de mes pro¬ pres pensées que je dois vous entretenir; c’est le résultat de la discussion du comité, dont il faut vous rendre un compte Adèle. On a pensé presque unanimement que le respect des mœurs, la foi du mariage, les convenances sociales ne permettaient point de comprendre dans la dis¬ position les enfants nés de ceux qui étaient déjà liés par des engagements. Le comité s’est surtout arrêté à cette considération, que la question était préjugée par l’article 9 du titre IV. Sur la seconde question, celle qui a pour ob¬ jet de régler l’exercice des droits attribués aux enfants nés hors le mariage, nous avons reconnu qu’il fallait distinguer les successions ouvertes de celles qui s’ouvriraient à l’avenir. Quant aux premières, le comité estime que l’enfant ne peut être admis à les recueillir qu’en établissant son état. A l’égard des secondes, le comité pense que, lorsque les pères et mères sont existants, les droits et l’état des enfants naturels doivent être en tous points soumis aux dispositions du nou-yeau Code. . r Les deux points que je viens d’énoncer étant arrêtés, il ne restait plus au comité qu’à régler les droits de successibilité des enfants nés hors le mariage : nous aurions été en contradiction avec nous-mêmes, si nous n’avions pas reconnu que ces droits devaient être les mêmes que ceux qui sont attribués aux enfants légitimes; mais, en consacrant un principe incontestable, nous avons estimé qu’il devait souffrir quelques modiAca-tions déterminées par l’état actuel de la société, et par la transition subite d’une législation vi¬ cieuse à une législation meilleure. Ainsi, lorsque le père ou la mère seront décédés sans testament, l’enfant né hors le mariage aura une portion égale à celle des autres enfants co¬ partageants; et lorsque les parents auront disposé, leur volonté sera maintenue, les enfants seront réduits à un simple légitime seulement; dans le cas où la disposition aurait été faite en faveur des collatéraux ou des étrangers, la portion des enfants nés hors le mariage s’élèvera à la moitié des biens : il en sera de même lorsque les héritiers collatéraux auront été saisis par l’effet de la loi. Aûn de rendre, par un exemple notre idée plus sensible, supposons qu’un ci¬ toyen ayant deux enfants naturels laisse à un héritier collatéral ou étranger une fortune de 100,000 livres : alors les deux enfants naturels auront à partager entre eux 50,000 livres. Enûn, après avoir vengé la nature trop long¬ temps outragée, après avoir Axé le sort d’une classe d’infortunés victimes jusqu’à ce jour de l’avarice et du préjugé, l’équité nous a com¬ mandé les précautions suivantes. Nous vous proposons en conséquence de décréter que les enfants nés hors le mariage ne pourront ni dé¬ ranger les partages faits, ni exiger la restitu¬ tion des fruits perçus, ni préjudicier aux droits acquis aux créanciers et aux tiers acquéreurs. Par ce nouveau plan de législation, vous ver¬ rez, citoyens, qu’en cédant à la voix de la phi¬ losophie et de l’humanité, nous avons évité le double inconvénient ou d’aborder de trop près certaines idées d’immoralité, ou d’arrêter des dispositions qui pourraient porter atteinte aux propriétés, et jeter le trouble dans les familles. Ces grandes considérations nous ont guidés dans le cours de notre travail; mais si nous étions tombés dans quelques erreurs, nous serons prêts à en revenir lorsqu’on nous les aura fait con¬ naître. Voici les nouveaux articles que nous vous proposons : T» Appendice du titre IV dm livre Ier (1). « La Convention nationale, ouï son comité de législation, décrète ce qui suit : Art. 1er. 1 « Les enfants naturels actuellement existants, nés de père et mère non engagés dans les liens du mariage, seront admis aux successions de leurs père et mère, ouvertes depuis le 14 juillet 1789. (1) Ce projet reproduit dans ses grandes lignes celui dont le principe seulement avait été décrété à la séance du 4 juin 1793. (Voy. Archives parlemen¬ taires, lre série, t. LXVI, séance du 4 juin 1793, P-34.1 (Convention nationale.] Art. 2. « Leurs droits de successibilité sont les mêmes que ceux des enfants légitimes, suivant l’ordre qui a été jusqu’ici en vigueur pour les succes¬ sions dans les différents départements de la République, et sauf les modifications ci-après. Art. 3. « Si le père ou la mère a disposé de la totalité ou d’une partie de ses biens entre les enfants légitimes, la portion de chacun des enfants nés hors le mariage sera égale à celle de l’enfant le moins prenant. Art. 4. « Cette portion sera prise en entier sur celle de l’enfant avantagé, mais seulement jusqu’à con¬ currence du préciput qui lui a été accordé; en cas d’insuffisance de ce préoiput, tous les enfant con¬ tribueront au surplus de la portion revenant à l’enfant né hors le mariage. Art. 5. « Si plusieurs enfants ont été avantagés inéga¬ lement, la portion de l’enfant né hors le mariage sera fournie par le plus avantagé de tous jus¬ qu’à concurrence de l’excédent de son préciput, seulement ensuite par l’enfant qui est le plus avantagé après lui, et successivement par les autres. Art. 6. « Si, à défaut d’enfants légitimes, le père ou la mère de l’enfant né hors le mariage a transmis tous ses biens, soit ab intestat, soit par disposi¬ tion, à des parents collatéraux ou à des étran¬ gers, la portion des enfants nés hors le mariage demeure fixée à la moitié des biens délaissés par leurs père et mère. Art. 7. « Dans le cas de l’article précédent, les héri¬ tiers ab intestat ou testamentaires, les légataires universels ou particuliers, les donataires à cause de mort contribueront entre eux à former la portion de l’enfant né hors le mariage; chacun d’eux y contribuera proportionnellement à ce qu’il a recueilh. Art. 8. « En cas d’insuffisance des biens délaissés ab intestat, ou compris dans les dispositions à cause de mort, la portion légitimaire de l’enfant né hors le mariage sera prise sur les donations entre vifs, en rétrogradant suivant l’ordre des dates. Art. 9. « Dans aucun cas, l’enfant né hors le mariage ne pourra déranger les partages faits, soit entre les enfants légitimes, soit entre les parents col¬ latéraux, héritiers testamentaires, légataires ou donataires de son père ou.de sa mère; mais il prendra sa portion sur les lots existants. 9 brumaire an Iï AQ 30 octobre 1793 Art. 10. ' ; « Il ne pourra également en aucun cas exiger la restitution des fruits perçus, ni préjudicier aux droits acquits, soit à des tiers possesseurs, soit à des créanciers hypothécaires, avant la de¬ mande judiciaire qu’il aura formée en vertu de la présente loi. Art. 11. « Pour être admis à l’exercice des droits ci-dessus, l’enfant né hors le mariage sera tenu de se procurer la possession d’état, qui ne pourra résulter que de la représentation d’écrits pu¬ blics ou privés du père ou de la mère décédé, ou de la suite des soins donnés à ses entretien et éducation. Art. 12. « L’enfant né hors le mariage, dont la filiation sera prouvée de la manière qui vient d’être dé¬ terminée, ne pourra prétendre aucun droit de successibilité relativement aux parents collaté¬ raux de son père ou de sa mère décédé, même depuis le 14 juillet 1789. Art. 13. « A l’égard des enfants nés hors le mariage, dont le père et la mère sont encore existants, leur état et leurs droits sont en tous points sou¬ mis aux dispositions du titre IV ci-dessus. Art. 14. « Néanmoins, en cas de mort de la mère avant la publication de la présente loi, la reconnais¬ sance du père, faite devant un officier public, suffira pour constater, à son égard, l’état de l’en¬ fant né hors le mariage, et le rendre habile à lui succéder. Art. 15. « Les enfants et descendants des enfants nés hors le mariage, et décédés avant la publication de la présente loi, représenteront leurs père et mère dans l’exercice des droits qui leur sont at¬ tribués par les articles précédents. III. Romme présente l’échelle des traitements DES INSTITUTEURS (I). Compte rendu de Y Auditeur national (2). Dans la séance d’hier la Convention avait (1) L’échelle des traitements des instituteurs n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 9 brumaire an II, mais il y est fait allusion par les comptes rendus de cette séance publiés dans F Auditeur national et dans le Mercure universel . (2) Auditeur national [n° 404 du 10e jour du 2e mois de l’an II (jeudi 31 octobre 1793), p. 2]. D’autre part, le Mercure universel (10e jour du 2e mois de l’an II (jeudi 31 octobre 1793), p. 491, col. 1], reproduit à peu près textuellement Y Audi¬ teur national, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J