Q0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1789.] pèsent comme à vous. J’ai demandé la parole our une proposition incidente. Honorez-moi ’un instant d’attention : je serai à la fois clair et court. Messieurs, quand on se fait un tableau étendu et fidèle des circonstances où se trouve actuellement le royaume ; quand on se représente que depuis plusieurs mois, toute puissance publique est vacillante et mal assurée ; que le cours de la justice est languissant et suspendu; que l’aliment de toute administration, le payement des impôts est interrompu ; quand on considère de quelles conséquences terribles menace la continuation d’un état si violent, si précaire, il est impossible d’aimer le bien public, d’être bon citoyen et de ne pas concevoir de vives alarmes de la lenteur de notre marche, et des délais qui surviennent chaque jour à nos plus pressantes opérations. D’autre part, quand on examine d’où naissent les entraves qui arrêtent nos pas; quand, recherchant leur nature et leurs causes, on amène en comparaison les personnes avec les choses ; quand on observe que depuis quinze jours spécialement, les oppositions aux principes les plus clairs, les incidents sur les questions les plus simples, se sont multipliés ; quand, pour le dire en un mot, on fait attention quels nouveaux moteurs d’opposition, depuis cette époque, ont apparu dans cette tribune et ne la quittent plus, il est encore impossible de ne pas s’apercevoir que les motifs de nos lenteurs dérivent de notre propre composition, et que nous portons dans notre sein le germe couvert, mais non étouffé, de tous nos obstacles. Mon dessein n’est pas de m’appesantir sur cette matière, encore que ce ne soient point des murmures qui puissent m’imposer silence ; car, si un homme connu par sa résistance aux vœux de la nation a pu récemment faire céder cette Assemblée à son opinion, il ne me serait pas difficile d’avoir en uu autre sens autant de courage. M. Duval d’Eprémesnil demande au président que l’orateur soit rappelé à l’ordre dont il s’écarte par une inculpation. Toute l’Assemblée rappelle M. d’Eprémesnil lui-même à l’ordre, et lui prescrit le silence. M. de Volney. Je ne vise pas au scandale et, pour arriver droitement à mon but, j’ai l’honneur de demander à l’Assemblée 'qu’elle décrète d’abord: 1° Que toute délibération sur la réponse du Roi aux arrêtés du 4 août soit ajournée ; 2° Qu’il soit déclaré que Ton rentrera sans délai dans la discussion des *bjets essentiels et pressants de la constitution; Qu’en conséquence il soit, avant tout autre article, discuté et déterminé: 1° De combien de membres sera composé le Corps législatif; 2° Quelles seront les conditions requises pour être électeur et éligible ; 3° Quels seront et le mode et les départements d’élection dans le royaume ; 4° Qu’aussitôt que ces objets seront décidés, l’Assemblée nationale actuelle, sans quitter sa session, sans discontinuer ses travaux, ordonne dans toute l’étendue du royaume une élection de députés selon le nouveau mode ; lesquels viendront de suite nous relever, et substituer une représentation véritablement nationale à une représentation vicieuse et contradictoire, où des intérêts personnels et privés, mis en balance égale avec l’intérêt général, ont la faculté d’opposer un ressort si puissant à la volonté publique. Cette motion est universellement applaudie, et tous les membres sans exception se lèvent pour témoigner leur adhésion. M. Gnillotin rappelle à la question primitive, et résume les différentes motions relatives au discours du Roi. 11 reconnaît et présente avec de nouveaux développements le principe incontestable qui établit la différence de la sanction ou du consentement du Roi, avec la promulgation que l’Assemblée a pu seule demander. 11 conclut en adoptant l’ajournement proposé par M. Chasset. M. le Président observe qu’il est trois heures et demie; il lève la séance, et la convoque pour ce soir sept heures et demie. De nombreuses réclamations s’élèvent pour qu’on ne se sépare pas sans délibérer; cependant la séance est levée. Séance du 18 septembre 1789, au soir. M.de NToailles fait la motion suivante concernant la constitution de l’armée (1). Messieurs, l’Assemblée nationale vient de poser les bases primordiales de toute constitution dans la Déclaration des droits de l’homme. Elle s’occupe maintenant de tracer le plan de la constitution particulière de la France. Déjà, démarquant la limite des deux grandes divisions de tout gouvernement, elle a prononcé la séparation de la puissance qui ordonne, de celle qui exécute. Déjà, saisissant dans cette dernière les subdivisions qui la constituent, elle a projeté l’organisation du pouvoir qui administre, et du pouvoir qui juge. Un troisième rameau lui reste, non moins important, non moins digne de ses soins, puisque c’est par lui que les autres se maintiennent, je veux dire le pouvoir militaire ; c’est donc entrer dans les vues de l’Assemblée nationale et concourir à ses travaux que de lui présenter un plan d’organisation des milices et de l’armée, qui fasse correspondre leur action à celle de l’administration et de la justice, pour le double objet de toute société : la sûreté extérieure de l’Etat et la liberté domestique des citoyens. Pour obtenir cette sûreté, chacun doit concourir à la défense de tous, chacun doit le service militaire personnellement ou par représentation. L’armée soldée peut ainsi être considérée comme une partie de la totalité des citoyens qui se chargent à certaines conditions du service militaire, auquel seraient tenus tous les citoyens ; elle est aussi la représentation d’une partie de l’impôt destiné à la protection des propriétés, et à la sûreté des personnes; elle est enfin une perspective d’honneur et de fortune pour tout ce qui peut porteries armes dans l’Etat. Le Roi est le chef naturel de l’armée; les ordonnances qui sont relatives aux troupes se donnent en son nom, mais ce n’est qu’en vertu des lois décrétées par le Corps législatif que le pouvoir militaire peut exister et agir. 11 est de plus à considérer que celui qui est chargé de diriger les forces militaires de l’Etat, (1) La motion de M. de Noailles n’a pas été insérée au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1789.] 37 ne peut pas plus en organiser et en changer le régime que celui des corps judiciaires et des municipalités ; sans cela le pouvoir exécutif pourrait tourner cette partie essentielle de la force publique contre la société, et en troubler l’ordre. La nation doit à l’armée de rendre égal le sort de tous les individus qui la composent ; elle doit à tous les citoyens de les admettre sans autre distinction que celle de leurs talents et de leur zèle aux avantages que le service militaire peut offrir. Les représentants de la nation doivent en outre statuer pour l’armée une constitution invariable, dont nul autre pouvoir que la loi même ne puisse troubler l’ordre ; elle doit établir cet ordre tel que les considérations personnelles ne se fassent jamais écouter au préjudice de l’intérêt général ; que tout ce qui a rang dans les troupes puisse envisager dans l’avenir de justes motifs d’émulation, et espérer le succès des efforts d’une ambition raisonnable; que les ordonnances, qui fondent les espérances des soldats et officiers de l’armée, fassent aimer celles qui fixent leurs devoirs, et que le code qui les rassemble protège les droits légitimes de tous les militaires, comme les lois civiles protègent la propriété et la liberté de tous les citoyens. Le système d'une économie rigoureuse pour les troupes pourrait faire, dans ce moment, quelque impression sur l’Assemblée nationale ; mais il faut moins considérer l’armée sous ce rapport que sous celui de la plus grande sûreté de l’Etat. Le moyen d’enrichir la France n’est certainement pas de l’exposer à des guerres souvent dangereuses et toujours ruineuses. Pour affermir la constitution déjà commencée, la France doit éviter toutes les secousses extérieures. Si elle est libre et tranquille, on peut prévoir qu’avant vingtans son gouvernement sera imité par toute l’Europe, et qu’il en résultera une réduction corrélative dans les armées de tous les Etats. Mais il n’est pas moins important pour le moment présent d’être prêt à repousser tous les efforts quedes puissances, maladroitement jalouses ou ennemies, pourraient faire pour s’opposer au succès que nous attendons de la réunion de toutes les volontés. L’armée doit donc être organisée de manière à ôter tout espoir de réussite dans les entreprises que l’étranger pourrait tenter. La véritable économie, la seule raisonnable, sera celle qui remplira ce but aux moindres frais possibles. La distribution des troupes dans le royaume doit avoir pour double objet de tenir présentes, ou de porter avec rapidité, en cas d’invasion, des forces considérables dans tous les lieux qui seraient menacés et, dans l’ordre habituel, de vivifier les différentes provinces par des dépenses utiles et bien ordonnées. ETABLISSEMENT DES TROUPES-Dans une bonne constitution, toutes les parties qui composent le corps politique doivent tendre à un même but. Toutes les provinces ayant consenti à un avantage égal et commun, à ne connaître aucun privilège, à les sacrifier tous, ne voudront désormais d’autres limites que celles qui paraîtront les plus avantageuses à la représentation nationale. En effet, quelle différence peut-il rester entre des citoyens tous revêtus des mêmes privilèges et des mêmes droits? Cette idée première, qui se trouve déjà dans les différents plans qui ont été présentés à l’Assemblée nationale, s’applique très-naturellement au système militaire qu’il convient à la France d’adopter. Il y aura donc des arrondissements de provinces et des arrondissements de districts pour l’établissement des troupes. Ce système convient aussi à une puissance qui crée en quelque sorte son gouvernement, à une puissance qui réunit une population immense à tous les genres d’industrie, qui ne trouvera jamais le bien qu’au milieu du calme, et qui devra craindre toute espèce de changement ; ce système acquerra d’autant plus de force, que l'homme libre et heureux défendra ses foyers, et qu’il ajoutera au courage naturel à la Dation tout celui que donne l’enthousiasme de la liberté, et la connaissance des lieux qu’il doit défendre. DE LA MILICE NATIONALE. Les riches appartiennent à l'Etat comme les moins fortunés ; ils doivent le secourir s’il est attaqué : ils seront donc compris dans la milice nationale, soit par eux, soit par représentation. Pour avoir le droit d’être armé dans le royaume, il faudra justifier UDe propriété ou avoir le droit de bourgeoisie dans une ville ou dans un bourg. Il est de principe de politique et de justice que la tranquillité publique soit confiée à ceux qui ont le plus d’intérêt à la maintenir. La milice nationale, en reconnaissant le Roi pour chef, comme centre et foyer des pouvoirs exécutifs, ne doit cependant pas agir d’après les mêmes formes que l’armée dont il a déjà l’absolu et entier maniement, et à laquelle il fait passer ses volontés par la voie de ses ministres. Une pareille marche ne pourrait pas convenir pour employer habituellement les forces nationales. En adoptant le principe que toute action dans le royaume appartient au pouvoir exécutif, il est cependant essentiel de ne pas exposer l’Etat à des dangers peut-être inutiles à prévoir, mais nécessaires à prévenir. Il paraîtrait donc très-convenable que toutes les fois que le pouvoir exécutif donnera des ordres à cette milice, ils soient par lui adressés aux municipalités pour être mis à exécution. La France contient 25,065,883 personnes, de tout âge et de tout sexe, dont 13,270,176 femmes; reste, pour les hommes, 11,795,707. De ce nombre, les deux tiers au-dessus de 40 ans, ou au-dessous de 18, laissent encore 3,931,902 hommes en état de porter les armes. Supposant que des motifs particuliers réduisent encore aux deux tiers ce dernier nombre, nous aurons toujours plus de 2 millions d’hommes armés. Cette milice ne marcherait que dans le cas où le royaume serait attaqué par des forces étrangères, ou, dans le cas de tumulte, d’après la demande des officiers préposés pour cet objet, et dans les formes qui seront indiquées. Chaque district aura un ou plusieurs bataillons, chaque bataillon sera de 1,000 hommes, ce qui formera deux mille corps particuliers. Dans le nombre de ces corps, il y en aura de cavalerie. Les villes compléteront leurs bataillons avec les hommes des campagnes de leur arrondissement. Les bataillons de 1,000 hommes seront divisés en dix compagnies, de chacune 100 hommes; il y aura un chef à la tête de chaque corps, trois officiers par compagnie, et quatre bas-officiers; il y aura en outre un officier général dans chaque division. Le choix des officiers et des bas-officiers se fera progressivement depuis le soldat jusqu’aux premiers grades, dans une forme qui sera indiquée. ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 3$ [Assemblée nationale.] Lesmilices, telles qu’elles existent aujourd’hui, seront et demeureront supprimées. La milice nationale sera chargée de la police de toutes les villes, et de la police intérieure seulement dans les places de guerre. La maréchaussée sera dorénavant payée par les districts, et aux ordres des municipalités. La milice nationale viendra à l’appui de cette maréchaussée toutes les fois qu’elle aura besoin de forces nouvelles. Le système qui s’est établi depuis quelque temps, de tenir' une multitude innombrable de milices nationales sous les armes et en activité continuelle, nuit à l’industrie, au commerce et à l’agriculture, Si ce système a pu offrir des avantages contre le despotisme, sa prolongation tendrait à détruire la liberté, et causerait une perte de travail considérable, qui ne pourrait être que funeste à l’Etat. On peut porter à 200,000 le nombre des hommes de garde, ce qui, à raison de 20 sous par jour pour chaque homme, ôte, en quelque sorte, 200,000 livres par journée à la France. La constitution étant assurée, et les troubles dissipés, il sera utile, sans doute, d’inviter toutes les municipalités à former dans le sein des villes ou villages, des dépôts d’armes où l’on aurait recours au premier signal donné; le peuple, ainsi tranquille, et prêt à repousser toute attaque, pourrait se livrer tout entier aux travaux habituels des villes et de la campagne. UES TROUPES RÉGLÉES, DES DEVOIRS QU’ELLES ONT A REMPLIR ENVERS LA NATION, DES OBLIGATIONS DE LA NATION ENVERS ELLES-L’armée ne peut ni ne doit jamais agir contre la nation qu’elle représente, mais elle peut et doit agir contre tout attroupement de citoyens qui tendraient à troubler la tranquillité publique, avec cette seule condition que la réquisition faite aux troupes ait lieu d’après ce qui aurait été réglé à ce sujet par l’Assemblée nationale. Pour se conformer à ce principe, l’armée prêtera donc le double serment de fidélité à la nation qu’elle doit défendre, et au Roi à qui elle doit obéir. Le serment de l’armée sera répété tous les ans, les corps étant rassemblés, et les chefs à leur tête. Ce serment sera prononcé par une personne de la loi. Les officiers municipaux de l’endroit où seront les troupes se trouveront présents à ce serment, qui sera fait dans la forme suivante: « Vous jurez et promettez de ne jamais porter les armes contre la nation, de la défendre contre toute attaque, de ne marcher contre tout attroupement, sous quelque prétexte que ce soit, que sur la réquisition de la loi, ou dans le cas urgent d’une émeute incendiaire, sur l’ordre du magistrat qui en sera responsable et d’après la connaissance que vous en aurez eue à la tête de vos détachements. Vous jurez également d’obéir au Roi, d’être fidèles à vos drapeaux, et soumis à vos chefs et à la discipline militaire. » Tout officier, qui aurait à faire marcher des troupes pour une expédition de quelque genre qu’etle fût dans l’intérieur du royaume, serait donc obligé de notifier à sa troupe que ce n’est que sur la réquisition des officiers de la loi. Les chefs de ces détachements seront obligés en outre de reproduire de pareils ordres et réquisitions pour leur garantie et leur sûreté. Les officiers militaires ne pourront jamais être [i8 septembre 1789.] porteurs d’aucun ordre qui tendrait A gêner la liberté des citoyens. Les troupes qui composent l’armée doivent vivre sous un même régime, sous les mêmes Mâ, et profiter des mêmes avantages. L’expérience à prouvé que les corps étrangers ne connaissent qu’une obéissance aveugle ; de pareils corps, con* traires par leur constitution à l’intérêt des peuples, sont d’autant plus dangereux, que plus le despotisme sera consommant et avide, et plus il aura de moyens de se les attacher et de les mouvoir à son gré. Il n’est donc pas admissible, dans une constitution dont le bonheur national doit être le seul but, d’attirer dans son sein des étrangers armés; il sera donc établi qu’il n’y aura plus à l’avenir des troupes étrangères en France. La nation s’occupera sans doute du sort dés troupes étrangères actuellement existantes, et s’empressera de les conserver à des titres convenables. Les Suisses, attachés à la France depuis des siècles, méritent d’être exceptés de cette règle; ils sont au moment de renouveler leur traité. Ne pourrait-on pas le faire à des conditions adaptées aux circonstances? La manière de recruter les troupes françaises ne doit plus avoir lieu; elle est contraire aUX bonnes mœurs et à l’ordre public. Les mêmes districts qui auront eu des tribunaux de second ordre, ceux qui concourront aux élections, fourniront au recrutement de l’armée: ces districts doivent nécessairement avoir pour basé de leur ressort leur population. Chaque régiment portera le nom de son district. 11 résultera de cette organisation d’armée, que ces régiments ressembleront au corps des grenadiers royaux; l’on sait quelle réputation ce corps a toujours méritée. Les compagnies en masse appartiendront aux capitaines. Les garnisons ne changeront point. L’armée sur pied ne sera sous les armes que six semaines chaque année; les trois quarts des soldats seront en congé pendant dix mois et demi et il ne restera ainsi qu’un quart des soldats sous les drapeaux. Le soldat, chez lui, pourra se marier, et ne laissera ni l’embarras, ni l’inquiétude que pourraient donner les soins qu’exigerait sa famille ; les ouvriers se répandront dans les ateliers ; et, si ces ressources particulières, que l’industrie sait trouver* manquaient aux soldats, lis seraient employés, sur la demande des assemblées d’adminisîrâtion, à des travaux payés, tels que ceux d’ouvrir des canaux, de réparer des chemins, ou d’autres objets d’utilité publique. L’armée, engagée, prendra rang parmi les milices nationales toutes les fois qu’elle ne sera pas dans ses garnisons, et comptera parmi elles. En admettant ce système d’économie, et même de richesse pour l’Etat, puisque la terre ne fournit rien sans travail, et que tout travail exige des bras, il est nécessaire de prolonger le terme des engagements, et de bonifier le sort du soldat et celui de l’officier. D’après les dispositions ci-dessus proposées, le soldat, après huit ans de service, n’aura été que douze mois sous les drapeaux ; on peut prolonger le terme de son engagement, et il ne faut pas le réduire à un moindre salaire que celui que gagne un manœuvre qui n’est exposé ni aux dangers, ni aux fatigues de la guerre. Ce qu’on donne d’engagement, dans ce moment-ci, au soldat, est une dérision; 100 livres qu’il reçoit, divisées en huit ans, font 12 livres [Assemblée nationale.] RCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 4789,] 39 10 sous de gages par an. Si l’on en donne davantage, c’est par des inventions révoltantes et par des ressources odieuses aux troupes et à la société. A l’avenir, le soldat recevra' 50 livres de gages par an, et le cavalier 60. Sur quoi on prélèvera 38 livres par an sur l’infanterie et 45 sur la cavalerie. De cette manière le soldat, au bout ; du terme de son engagement, aura, dans l’infanterie, 532 livres 14 sous, et dans les troupes à cheval, G45 livres ; ce qui fera une masse totale de plus de 120 millions, à cause des intérêts progressifs, à 4 0/0, pendant douze années. Cette somme sera déposée dans la Caisse nationale, et sera un sûr garant de la fidélité et de la bonne conduite des engagés. Le soldat français se contente facilement : tout ce qui n’est pas misère ou dureté lui paraît un bienfait. Le soldat formé, même lorsqu’il sera 'sous les drapeaux et dans les villes, pourra travailler, quand il ne sera pas de service. Son travail, d’après la paye qu’il reçoit, pouvant toujours être à meilleur marché que celui des ouvriers, il en résultera que ceux-ci seront obligés de refluer dans les campagnes où ils sont nécessaires. Le soldat, plus riche, pourra choisir de faire son ordinaire en commun, ou. de manger seul. Toutes les retenues qu’il supporte n’auront plus lieu. Le service sera recherché par les hommes qui ont une profession et qui s’en occupent, puisqu’il ne fera que bonifier leur état sans le changer. Le soldat pourra se retirer du service sans qu’on soit en droit d’exiger de lui autre chose que de se faire remplacer par un homme instruit. Le soldat, citoyen pendant dix mois et demi de l’année, ne perdra point le respect pour les lois, et conservera ses mœurs. Le sort qui lui est destiné rendra sa désertion peu fréquente, et la peine qu’il subirait, s’il était arrêté, serait d’être condamné à reprendre le régime sous lequel il est aujourd’hui, et de perdre la réserve faite sur ses gages. il ne suffira pas 'aux représentants de la nation de comparer le sort des officiers à ce qu’il est pour le rendre ce qu’il doit être. Le militaire étant un métier, chacun apportant les mêmes soins pendant la paix, chacun étant exposé aux mêmes risques pendant la guerre, il n’est ni juste, ni utile qu’il y ait des distinctions entre des personnes égales en mérite auprès de la nation; elle a donc le droit d’exiger que les actions et les talents soient récompensés, et ce sera à l’avenir les seuls motifs de préférence ; dès lors l’avancement sera le prix des vrais services de l’ancienneté et du mérite personnel. Depuis le grade de capitaine jusqu’à eeîui de général, tous les officiers de l’armée concourront ensemble pour l’avancement. Les promotions aux grades supérieurs ne pourront regarder que les trois plus anciens capitaines de chaque corps ; ils seront avancés d’après le vœu de tous les capitaines et de l’état-major de leur régiment. Arrivés au grade d’officier supérieur, il n’y aura plus qu’une ligne d’avancement et le temps de guerre sera le seul où l’on pourra s’écarter de cette méthode. Le temps de service, chaque année, pour les deux tiers des officiers, sera réduit à cinq mois. Les appointements, dans le grade de capitaine, sur le tarif actuel, seront augmentés, ainsi que ceux de tous les officiers d’un grade supérieur. La jeunesse peut supporter des privations ; mais elles deviennent pénibles pour l’âge mûr. Il n’y aura aucune différence pour tous les grades dans le terme fixé pour la décoration militaire, et l’époque en sera rapprochée. Enfin, dans chaque division, on prendra on moyen pour assurer le sort des anciens officiers qui ne voudront point continuer leur service. Le traitement qui leur sera fixé ne deviendra jamais. onéreux à l’Etat. • Il y aura une masse pour les officiers comme pour les soldats, qui sera déposée dans la Caisse nationale. 11 leur en sera tenu compte, .ainsi que. des intérêts, après vingt années de service. DE L’ORGANISATION DE L’ ARMÉE, DU NOMBRE DE TROUPES DE CHAQUE ARME ; TOTAL DES DÉPENSES DE L’ARMÉE ACTIVE. Le système des trop grandes économies pour l’année a été remarqué’ comme dangereux’: il est utile d’observer que ce n’est pas sur des objets de peu de dépense qu’on peut espérer de les diminuer. Il est généralement reconnu que ce qu’il y a de plus coûteux, dans les troupes actives, est la eavalerie, l’artillerie et Je génie, Il existe plusieurs moyens d’économie sur ces objets : il est utile de les accueillir et de les discuter soigneusement. Une bonne armée sera d’ autant plus utile à la France, qu’elle lui permettra de choisir ses alliés et d’inspirer de la crainte à ses ennemis : elle la dégagera de ce système de subsides honteux à» la fois et ruineux pour l’Etat. Vingt-cinq millions d’hommes libres, un numéraire immense, une force militaire bien organisée, n’ont rien à redouter de toute l’Europe. L’armée, composée de sept divisions, aura, dans chacune de ces divisions, un nombre de troupes de chaque arme, de manière que, sans déranger l’ordre général, on pourra en tirer, soit une division, soit une subdivision, sans que toutes les autres parties de l’armée en soient moins complètes. Il y aura un mois de réunion dans les garnisons ou dans les quartiers, et quinze jours dans les camps. Le temps de ces rassemblements, qui se feront par divisions, Pu par subdivisions, sera choisi, suivant les provinces, pendant le temps où la terre n’a pas besoin de soins. L’armée permanente sera portée à 56,162 hommes. L’armée sur pied, rassemblée pendant six semaines, et toujours prête à marcher dans l’espace d’un mois, sera composée de 227,648 hommes, officiers ou soldats, non compris la maison du Roi. Dans le nombre de ces troupes, il y fanterie ................... . 160,794 De troupes à cheval. _____ _ _ 49,640 D’artillerie ............. .. 17,062 aura d’inhommes. L’Assemblée nationale prendra les moyens d s’assurer que ce nombre d’hommes sera complet, les sommes payées par l’Etat pour cet objet pe devant pas avoir une autre destination. DÉPENSES DES TROUPES DANS LE SYSTÈME PROPOSÉ AVEC L’AUGMENTATION DE SOLDE. Il est difficile de fixer précisément quelles seront les économies. L’armée est aujourd’hui entre deux systèmes de dépenses, qui n’ont pas pu être bien assurés. Nous ne pouvons pas, en ce moment;, offrir des calculs bien exacts; mais on peut annoncer d’avance qu’ils ne passeront pas ce qui va être présenté, et on espère même montrer [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 septembre 1789.] •des résultats satisfaisants, si l’on se presse de prendre un parti sur le sort des troupes ; il en coûtera (t) : Pour l'infanterie .......... 40,612,706 livres. Pour la cavalerie .......... 30,062,567 — Pour les légions ........... 4,818,234 — Pour l’artillerie et l’entretien des places .................. 10,000,000 — Pour les officiers généraux. 1,400,000 — Pour l’état-major de l’armée. 226,000 — Traitement du ministre ; bureaux ; gratifications; état-major des places; dépense des rassemblements ............. 2,839,492 — Total approximatif en chiffres ronds ... ............... 90,000,000 — Il y aura pour l’armée un code de délits et de peines, suivant les principes qui seront adoptés pour l’ordonnance criminelle. L’obéissance militaire exige des punitions promptes, et prononcées par celui qui est chargé du pouvoir; mais aucune puissance n’a jamais pu dire : « vous serez injuste, vous aurez droit d’être injuste. » G’est cependant ce qui arrive dans les troupes, et ce qui doit arriver, puisque la même personne connaît le délit, et qu’elle fait l’application de la loi sans appel. Pour éviter cet inconvénient, il y aura un tribunal dans chaque division qui jugera toutes les réclamations. Il y aura en outre, pour tous les délits militaires, un code de lois auquel les troupes seront soumises; ce code sera fait ainsi qu’il a été annoncé, par le concours de magistrats et de quelques personnes de l’armée. D’après les principes ci-dessus établis, je propose : Art. 1er. Que l’Assemblée nationale fixe le nombre de troupes nécessaires à la défense du royaume, comme la représentation de la partie de l’impôt destiné à la défense des propriétés et à la sûreté des personnes. Art. 2. Que le pouvoir militaire ne peut exister et agir qu’en vertu des lois décrétées par le Corps législatif. Art. 3. Que les représentants de la nation demandent que tout ce qui a rang dans l’armée, puisse trouver dans l’avenir de justes motifs d’émulation, et assurer aux troupes une constitution qui ne pourrait changer que d’après le concours du Roi et de la nation: Art. 4. Qu’il soit fixé de grandes divisions et des subdivisions pour l’emplacement des troupes. Art. 5. Qu’il soit créé une milice nationale, et que personne ne puisse s’exempter de s’y présenter ou de s’y faire représenter. Art. 6. Qu’il n’y ait de personnes armées dans le royaume que les propriétaires ou ceux qui ont le titre de bourgeois, dans les villes ou bourgs. Art. 7. Que le Roi est le chef de l’armée, et que toutes les ordonnances militaires doivent émaner de lui en tant qu’elles sont conformes aux lois. Art. 8. Que tous les ordres donnés par le Roi aux milices nationales seront adressés aux municipalités. Art. 9. Qu’il y ait dans le royaume deux mille bataillons de milice, dont la formation sera fixée par l’Assemblée nationale. (1) Dès qu’on le voudra, il sera aisé de présenter la balance de la dépense de l’armée sur le pied actuel, et de celle qu’on propose. Art. 10. Qu’il y ait six grandes divisions dans le royaume pour les milices, et un nombre de districts déterminé; que la maréchaussée appartienne a ces districts. Art. 11. Que le tirage des milices n’ait plus lieu. Art. 1 2. Qu’après que la constitution aura été faite et sanctionnée, les villes forment des dépôts d’armes, et qu’elles ne conservent pour leur garde que le même nombre de troupes qu’elles avaient précédemment. Art. 13. Que les troupes réglées prêtent serment à la nation et au Roi tous les ans, dans la forme qui aura été arrêtée. Art. 14. Que tout officier ne puisse marcher contre une émeute que sur la réquisition des municipalités et jamais sans avoir lu cette réquisition à la tête de sa troupe ; que la représentation de pareilles réquisitions soit toujours nécessaire pour sa décharge. Art. 15. Qu’à l’avenir il n’v ait plus de troupes connues sous le nom de corps étrangers, si ce n’est des troupes suisses avec lesquelles il sera fait un traité, suivant l’intérêt des deux puissances. Art. 16. Qu’on pourvoie au sort des troupes étrangères, de manière qu’elles reçoivent la récompense de leurs services et de leur zèle. Art. 17. Qu’on s’occupe de bonifier le sort du soldat et celui de l’officier ; que l’armée ne soit plus recrutée que par les districts et dans la forme qui sera prescrite. Art. 18. Que l’armée permanente sous les armes soit composée de 56,162 hommes, et que l'armée sur pied et réunie par divisions et par subdivisions, pendant six semaines chaque année, soit composée de 227,648 hommes, non compris la maison du Roi. Qu’il y ait dans cette armée : 160,794 hommes d’infanterie 49,640 — de cavalerie. 17,062 — d’artillerie. Art. 19. Que les représentants de la nation prennent un moyen de s’assurer que ces troupes sont présentes et prêtes à marcher. Art. 20. Que les troupes en totalité, prêtes à marcher à la défense de l’Etat, ne coûtent que 90 millions de livres. Art. 21. Qu’il y ait un code de punitions militaires établi de manière à ce que l’exactitude de la discipline ne puisse jamais nuire à l’esprit de justice qui doit en être le principe. Art. 22. Que l’Assemblée nationale prenne les mesures pour que les ordonnances qui fixent le sort de l’armée soient stables, et que tous les individus qui la composent puissent espérer la récompense de leur émulation. Tels sont les divers objets par lesquels la puissance militaire me paraît intimement liée à la puissance législative. Je propose à l’Assemblée nationale de nommer incessamment un comité pour s’occuper de ces objets importants, des lois qui y sont relatives et qu’il est nécessaire de promulguer. Je désire que l’utilité de ce comité soit prouvée par le travail que je publie. Je pense qu’en adoptant une partie de ces vues, on assurera à l’Etat une force qu’il sera difficile de balancer. Je pense en outre que c’est le seul moyen de conserver sans danger le principe militaire ; que ce n’est pas aux troupes à juger les ordres qu’elles reçoivent et qu’elles doivent toujours exécuter ponctuellement. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 septembre 1789.] 41 (La motion de M. le vicomte de Noailles est renvoyée au comité militaire.) M. le Président fait ensuite lecture d’une lettre du lieutenant particulier du bailliage de la Charité, qui annonce que sa compagnie a décidé de rendre la justice gratuitement. M. le Président communique ensuite une lettre du sieur Lafeuillade, maître de la pension académique de Nantes, qui accompagne un acte en forme de délibération de la part de ses élèves qui consacrent à la patrie les sommes qui leur sont accordées pour leurs menus plaisirs, montant avec 300 livres données par le maître lui-même, à 961 livres 12 sous. M. Emmery rapporte le procès-verbal de la restation de serment de la garnison de la ville e Metz, et fait remarquer que les officiers généraux, qui commandent dans la province, n’ont pas eux-mêmes prêté ce serment. Au moment où la discussion paraissait s’établir sur cette observation, l’Assemblée témoigne le désir qu’elle a de se renfermer dans l’ordre du jour. M. le Président consulte son vœu en la forme ordinaire, et il résulte de cette délibération, que l’ordre du jour sera inviolablement suivi, et la discussion sur l’observation, dont il vient d’être rendu compte, renvoyée à la séance du soir du samedi 19 de ce mois. Le comité de rédaction rapporte à l’Assemblée le décret sur la libre circulation des grains , qu’il avait été chargé de rédiger; après l’avoir discuté et réformé en quelques parties, l’Assemblée l’adopte, et en conséquence décrète ce qui suit : « L’Assemblée nationale convaincue, d’après le rapport qui lui a été fait par le comité des subsistances, que la sûreté du peuple, relativement aux besoins de première nécessité, et sa sécurité à cet égard, si nécessaires à l’entier rétablissement de la tranquillité publique, sont essentiellement attachées en ce moment à une exécution rigoureuse de son décret du 29 août dernier, a décrété et décrète : 1° Que toute exportation de grains et farines à l’étranger, et toute opposition à leur vente et libre circulation dans l’intérieur du royaume, seront considérées comme des attentats contre la sûreté et la sécurité du peuple, et qu’en conséquence' ceux qui s’en rendront coupables seront poursuivis extraordinairement devant les juges ordinaires des lieux, comme perturbateurs de l’ordre public. 2° Que ceux qui feront transporter des grains et farines dans l’étendue de trois lieues des frontières du royaume, autres néanmoins que les frontières maritimes, seront assujettis aux formalités prescrites pour les transports par mer, par l’article 2 du décret du 29 août dernier. 3° Que dans l’un et l’autre cas, on sera tenu de donner bonne et suffisante caution devant les officiers municipaux du lieu du départ, de rap-orter le certificat de déclaration signé et visé es officiers municipaux des lieux de la destination et déchargement, lesquels certificat et déclaration seront délivrés sans frais, et que faute de rapporter lesdits certificat et déclaration dans tel délai qui sera fixé par les officiers municipaux des lieux du départ, suivant l’éloignement des lieux du déchargement, il sera prononcé contre les contrevenants, par les juges ordinaires, une amende égale à la valeur des grains et farines déclarés. 4° Que ceux qui contreviendront à l’article 2 du décret du 29 août, et à l’article 3 ci-dessus, encourront la peine de la saisie des grains et farines et de leur confiscation, les frais de saisie et de vente prélevés, au profit des hôpitaux des lieux ; et sera, au surplus, la connaissance des contraventions prévues par les deux articles ci-dessus, attribuée aux juges ordinaires, lesquels y statueront sommairement et sans frais. 5° Que néanmoins ceux qui auront importé dans le royaume des blés venant de l’étranger, et qui en auront fait constater l’introduction, la quantité, la qualité, et le dépôt par les municipalités des lieux, auront la liberté de les exporter, si bon leur semble, en se conformant aux règles et formalités établies pour les entrepôts. Sera Sa Majesté suppliée de donner les ordres nécessaires pour la pleine et entière exécution du présent décret et de celui du 29 août dernier, dans toutes les villes et municipalités, paroisses et tribunaux du royaume, et d’enjoindre très-expressément à tous les officiers de police, municipaux et autres, de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer au commerce intérieur des grains et farines la liberté, sûreté et protection, et de requérir les milices nationales, les maréchaussées, et même, au besoin, les autres troupes militaires, pour prêter main-forte à l’exécution de ces mesures. » L’Assemblée charge son président de présenter incessamment ce décret au Roi, en le suppliant de le revêtir de sa sanction. M. Darnaudat, membre du comité de rapport, a rendu compte de quelques plaintes, desquelles il semblait résulter que les officiers municipaux de Mâcon et le comité établi dans cette ville s’étaient érigés en tribunal, et avaient prononcé et fait exécuter des condamnations à mort contre différents particuliers prévenus de pillage et d’incendie. L’Assemblée, après en avoir délibéré, arrête de renvoyer celte affaire au pouvoir exécutif, en l’invitant à y pourvoir le plus promptement possible, et la séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du samedi 19 septembre 1789, au matin (1). M. le Président ouvre la séance à l’heure ordinaire et dit que la dame veuve Leprévôt, ci-devant marchande, demeurant à Paris, quai de Gonty, l’a prié de faire agréer à l’Assemblée nationale l’offre de quelques pièces d’argenterie, consistant en deux plateaux oblongs, de 19 pouces de longueur, en une cuvette ovale de 12 pouces sur un plus grand diamètre et un sucrier avec sa soucoupe et son couvercle. Cette offre généreuse est acceptée avec applaudissements et l’argenterie est envoyée à la caisse patriotique. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.