132 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.] semblée nationale va se déshonorer en fermant la discussion : A gauche : Aux voix ! aux voix ! A droite : Sur une discussion de cette importance, on doit entendre les réflexions. M. de Custine. Il est inconcevable que l’Assemblée montre une telle impatience de prononcer dans une discussion aussi importante. M-de Montlosier. Il n’y a pas de générosité de votre part à fermer la discussion. M. de Cazalès. J’ai la parole et je parlerai... A gauche ! Non ! non ! M. l’abbé Maury. Laissez donc, Messieurs 1 On aurait le droit de défendre un assassin devant le juré. M. de Cazalès. Le préopinant vient d’établir... A gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! La discussion est fermée. M. de Cazalès. Non, elle n’est pas fermée. Je ne souffrirai pas que l’Assemblée nationale se déshonore à ce point. Je respecterai un décret, mais je ne descendrai pas de cette tribune qu’il ne soit prononcé. Monsieur le Président, je vous prie de la consulter : elle n’osera pas rendre un décret pour fermer la discussion. A gauche : Allons donc, Monsieur, voulez-vous faire peur à l’Assemblée ? M. de Cazalès. Le préopinant a établi d’une manière... (Bruit). A gauche : La discussion est fermée! M. de Cazalès. Consultez l’Assemblée, Monsieur le Président. M. Fréteau - Saint -Just, rapporteur. Je demande que M. de Cazalès soit entendu. Un membre â droite: Consultez l’Assemblée. M. l’abbé Maury. Il faut entendre tout le monde. M. de Cazalès. Le préopinant a établi d’une manière très claire... (Bruit.) A gauche: La discussion est fermée. M. l’abbé Maury. Monsieur le Président, ayez la bonté de consulter l’Assemblée, (L’Assemblée, consultée, décrète que la discussion est fermée.) M. de Cazalès. Il n’y a pas d’exemple de cette oppression et de celte tyrannie dans l’histoire du monde. Je déclare l’Assemblée nationale ennemie de sa dignité et de sa justice. M. de Custine. Je demande l’ajournement. M. Populus. La question préalable sur l’ajournement. M. de Cazalès parle dans le bruit. A gauche : A l’ordre ! à l’ordre ! M. de Cazalès. Comme je ne puis dire la vérité à l’Assemblée, je la dis à M. de Beaumetz. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur l’ajournement de l’article 6 qui est ensuite mis aux voix et adopté.) M. Pétîon de Villeneuve. J’ai un article additionnel à proposi r, article très important dans les circonstances actuelles où l’Assemblée doit se comporter avec la dignité et l’énergie qui lui conviennent. Sous l’ancien régime, si une puissance voisine avait fait ou souffert qu’il se fît sur son territoire, près de nos frontières, un grand rassemblement d’homrae3 au delà du rassemblement ordinaire, le gouvernement aurait pris la marche suivie en pareil cas, qui consiste à faire demander par le ministre des affaires étrangères quelles sont les intentions de celte puissance etiebut de ce rassemblement. La raison et la politique se réunissent pour que l’Assemblée prenne cette mesure. M. Populus. 80,000 hommes sur les bords du Rhin et nous le demanderons après. M. Pétîon de Villeneuve. Ce serait une pusillanimité très dangereuse... (Bruit.) M. Rabaud-Saint -Ftienne. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. Ce n’est pas pusillanimité, c’est courage. M. Démeunier. Vos comités se sont occupés de cette proposition: ils vous en rendront compte quand vous l’ordonnerez. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) M. Fréteau-Sal nt-J ust , rapporteur , donne lecture des articles suivants : Art. 7. « Le roi sera prié d’ordonner aux départements et districts, municipalités et tribunaux, de veiller d’une manière spéciale à la conservation des propriétés de Louis-Josepli de Bourbon-Condé. Art. 8. « Le roi sera également prié d’ordonner aux départements et districts, municipalités et tribunaux, de faire informer contre tous embau-cheurs, émissaires et autres qui entreprendraient d’enrôler ou faire déserter aucun soldat français.» (Ces articles sont successivement mis aux voix et adoptés.) M. Fréteau-Saint-Just, rapporteur. Il nous reste, Messieurs, la question de l’adresse aux Français, cette mesure ayant encore besoin d’être examinée et discutée dans les comités, nous nous en occuperons et nous la proposerons ultérieurement. Un de MM. les secrétaires annonce qu’on a remis sur le bureau : 1° Une adresse de plusieurs citoyens de la ville d'Auch, par laquelle ils proposent certaines mesures relatives aux ecclésiastiques réfractaires. 2° Une adresse des administrateurs du départe - ment de Maine-et-Loire , qui expose les avantages qui résulteraient de la jonction de la rivière de la Mayenne avec celle de la Vilaine, entre Laval et Vitré, et qui supplie l’Assemblée de s’occuper [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il juin 1791.] ]33 d’une entreprise dont on s’est occupé plusieurs fois déjà, parce quelle est évidemment liée à l’intérêt général, et que la pénurie des finances et les vices de l’ancien régime ont toujours forcé d’abandonner. M. le Président annonce qu’il n’y aura pas de séance demain à cause de la solennité du jour (La Pentecôte) et annonce l’ordre du jour de la prochaine séance pour lundi onze heures du matin. La séance est levée à quatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 11 JUIN 1791, AU MATIN. Opinion de M. de Cazalès, sur le serment exigé des officiers de l’armée (1). Messieurs, Le rapport que vous venez d’enlendre a trompé l’espoir de ceux qui en demandaient la lecture avec tant d’empressement : on n’y trouve aucun indice des liaisons des officiers de l’armée française avec les prétendus ennemis de l’Etat ; et de toutes les accusations calomnieuses qu’on avait osé porter contre des hommes aussi distingués parleur probité que par leur courage, il ne reste plus que la honte de leurs accusateurs. 11 importe essentiellement à la chose publique d’ensevelir dans un profond oubli la motion insensée du licenciement des officiers de l’armée. Je sacrifie à ce grand intérêt la juste indignation que je ne cesserai de ressentir, de l’infâme diatribe qu’on a osé se permettre contre mes compagnons d’armes, et vais me contenter de discuter la proposition qui vous est faite par vos comités. L’armée française a juré d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi ; l’armée française a juré de défendre la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et sanctionnée par le roi ; quelle force un serment individuel peut-il ajouter à ce serment collectif et général? Pensez-vous que des hommes nourris dans la pratique constante des principes les plus sévères de l’honneur français, que des hommes sortis presque tous de l'ordre de la noblesse, de cette noblesse dont, au dire de Montesquieu, l’honneur est l’enfant et le père, ne sachent pas qu’un engagement pris par l’armée est obligatoire pour tous ceux qui la composent, à moins qu’ils n’aient formellement Êrononcé leur exception, à moins qu’ils n’aient autement protesté contre un serment obtenu sans leur aveu ? Avez-vous pu croire que des hommes dont l’honneur et la délicatesse ont, dans tous les temps, formé le caractère distinctif, ne soient pas aussi liés par un engagement verbal que par un engagement écrit ? Certes, s’il était parmi eux quelques individus capables d’employer de vils subterfuges pour colorer le manquement de leur foi (bassesse dont personne, dans cette Assemblée, dont personne, dans l’Europe entière, n’a le droit de les soupçonner et que semblentsupposer les nouvelles précautions qu’on (1) Cette opinion n’a pu être terminée en séance, la arole ayant été retirée à M. de Cazalès par l’Assem-lée. vous propose d’exiger d’eux), de tels hommes seraient-ils retenus par de nouveaux serments? La force du serment est dans l’opinion ; le multiplier, c’est l’avilir; douter de son effet, c’est le détruire. Ceux-là connaissent bien mal les sentiments des officiers de l’armée, de celte précieuse élite de la nation française, qui osent les soupçonner d’une telle infamie, et sans doute que cVst dans la bassesse de leur propre cœur qu’ils ont pris une semblable pensée. Ah ! qu’ils soient bien certains que si jamais les officiers de l’armée française étaient obligés de s’armer contre cette Constitution, devenue trop oppressive ; s’ils étaient forcés de détruire celte Constitution qu’ils ont juré de défendre, ils lui feraient une guerre ouverte et franche, ils commenceraient à rétracter hautement leur serment, et à abdiquer les charges qui leur ont été confiées. G’est au moment où vous êtes environnés de mécontents ; c’est au moment où vos ennemis se multiplient dans la proportion la plus effrayante ; c’est au moment où le désordre de nos finances vous menace des plus grands malheurs; c’est au moment où il n’est qu’un seul moyen de sauver l’Etat (celui de réunir, s’il est possible tous les Français dans la même opinion); c’est au moment où il est de votre devoir, où il est de votre intérêt de tout faire, de lout sacrifier pour parvenir à un but si désirable, qu’on vous propose d’éloigner à jamais de vous, par des procédés indécents, par cette méfiance injurieuse qui fait naître les dangers qu’elle croit prévenir, cette classe puissante et nombreuse de citoyens déjà trop ulcérée, et auxquels tous les officiers de l’armée sont attachés par les liens du sang et d’un intérêt commun ; c’est le jour même où la motion insensée de licencier tous les officiers de l’armée a été faite dans cette Assemblée, qu’on vous propose de décréter ce nouveau serment, ce serment qui aurait l’air d’être la suite de cette scandaleuse motion. Les ennemis de la chose publique ne manqueront pas de publier et l’armée française croira que l’Assemblée nationale, n’osant pas prononcer le licenciement de tous les officiers de l’armée, marche au même but par une voie tortueuse et détournée ; qu’elle cherche à engager tous les officiers de l’armée à quitter leur état en leur marquant une méfiance injurieuse, en les rendant l’objet de tracasseries de toute espèce; et, il faut en convenir, cette opinion acquerrait un grand degré de vraisemblance par la comparaison de ce que vous exigez des officiers qui resteront attachés au service, et des avantages que vous offrez à ceux qui accepteront leur retraite. Certes, nous serions trop à plaindre si les auteurs de ces dangereux conseils parvenaient à remplir leurs coupables projets, s’ils oarvenaient à extraire de l’armée françdse 10,000 officiers qui en sont l’ame, 10,000 officiers qui en forment le lien. Cetie masse ai mi désorganisée, également incapable de courage et de discipline, deviendrait une véritable calamité publique ; vos frontières seraient livrées sans défense aux at; taques de vos ennemis, les propriétés des citoyens ravagées par ceux-là mêmes qui furent armés pour les défendre, et tout l’empire au pillage d’une soldatesque effrénée. Ils ne rempliront pas leur perfide dessein, ceux qui veulent opérer la dissolution de l’armée française, de cette armée qui oppose un obstacle invincible au morcellement projeté du royaume ; de cette armée qui est la seule puis-