198 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]6 juillet 1789.] M. le comte de Mirabeau. Dans ce cas, je supplie l’Assemblée de suspendre sa décision, et je lui demande vingt-quatre heures pour prendre sur les faits dont je viens de parler les instructions et les renseignements qui me sont nécessaires. J’observe encore que, précisément sur la matière qui nous occupe, l’Assemblée doit se délier de son zèle, et ne hasarder aucune disposition qui puisse compromettre les principes. M. Camus observe sur les arrêtés que chaque orateur lit, au nom de son bureau, qu’ils sont contre la règle ; que, par cette forme, l’on interdit toute discussion dans l’Assemblée nationale; qu’au lieu d’écouter et de s’éclairer des avis de tous les membres de l’Assemblée, on se réduit à n’écouter, à n’entendre que ceux des bureaux; qu’entin ce nouveau régime est contraire au réglement, et divise l’Assemblée en trente confédérations délibérantes. M. le Président observe que les projets d’arrêtés ne doivent être regardés que comme des motions, et que personne n’est privé du droit de parler. Ces deux débats ainsi terminés après les motions telles que nous venons de les détailler, on continue la lecture des autres. M. Target, au nom du yÿngt-quatrième bureau. Je pense qu’il est dangereux de prendre un parti sur l’impôt. Les circonstances sont urgentes. Les vues ne paraissent pas de nature à porter des secours efficaces e* prompts: dans cette position, le bureau pense que chaque assemblée municipale doit être autorisée et invitée à faire l’avance d’une somme de 100 livres dans les paroisses de cinquante feux, de 200 dans celles de cent feux, et ainsi de suite. Lesdites avances seraient garanties par la nation. M. Mounier. Les projets dont l’Assemblée s’occupe ne sont pas de son ressort; l’Assemblée ne peut rien statuer, rien décider, régler, puisqu’elle n’a aucune instruction, aucun état, aucun renseignement; elle ne peut rien ordonner, puisque ces ordres appartiennent au pouvoir exécutif; elle ne peut procurer aucun secours, puisque rien n’est en sa puissance que de faire des lois. En effet, que peut faire l’Assemblée nationale dans un moment de calamité? Peut-elle arrêter les horreurs de la famine? a-t-elle la puissance de poursuivre les monopoleurs, de les livrer à l’exécration publique et à la vengeance des lois? a-t-elle la force exécutrice pour arrêter et punir des complots que l’ombre du mystère couvre depuis longtemps, que des hommes, qui ont usurpé l’autorité, sanctionnent encore de leur nom, de leur crédit? a-t-elle ces ressources salutaires, ces éclaircissements nécessaires qui résident dans le gouvernement pour faire le bien? Non, sans doute: sans lumières, sans renseignements, sans force exécutrice, dépouillée de toute activité, réduite à l’impuissance, elle est isolée, abandonnée au seul désir de faire le bien ; elle peut l’ordonner, mais c’est tout; agissante jusque-là, sa force expire au delà des bornes qui la resserrent : l’autorité législative n’est rien sans l’autorité exécutrice, et celle-ci peut tout sans le concours de l’autre. Au surplus, examinons de sangfroid les moyens présentés. Le premier est une souscription de bienfaisance; mais les âmes généreuses ont-elles attendu, pour manifester leur sentiment, que l’on ouvrît dans les villes un bureau où l’orgueil et la vanité porteraient avec emphase les dons qu’une avare pitié veut bien laisser tomber sur l’indigence ? Le second dépendrait de la volonté plus ou moins étendue des individus qui composent les assemblées provinciales; ce ne peut-être là une loi, et ils n’en ont pas besoin pour remplir ce que leur devoir leur prescrit. Le troisième déshonorerait la nation; depuis quand la force-t-on à la générosité? Croit-on qu’il est besoin d’une imposition par tête pour soulager la misère? Il aurait mieux valu une simple exhortation qu’une loi qui commande et prescrit: celle ci déshonore les mœurs; celle-là est un hommage qui lui est rendu. 11 y a asspz longtemps que l’on parle d’épurer les mœurs; est-ce ainsi que l’on aurait commencé? L’Assemblée nationale a rejeté ces moyens, ou plutôt a semblé reconnaître que c’était à la prudence du Roi, que c'était même un devoir du Roi, une émanation de l’autorité exécutrice ; elle s’est arrêtée. Ne faut-il qu’ordonner? elle est prête; mais faut-il exécuter? ce n’est plus qu’un vain fantôme. Mais laissons de côté les réflexions, et revenons au fait. Le comité de subsistances peut toujours conii-nuer ses opérations pour dévoiler les monopoles, tandis que l’Assemblée, occupée d’objets moins importants, marcherait à grands pas vers la constitution. M. Bouche demande également qu’on suspende la délibération actuelle sur les propositions laites par le comité de subsistances, parce que demain il espère avoir à faire part à l’Assemblée de quelques découvertes intéressantes. M. Rouche ôtant membre du comité, sur son observation, l’Assemblée cesse de s’occuper de ce qui a fait jusqu’ici la matière de la délibération. M. le Président annonce une députation de MM. les électeurs de Paris, en observant que ces députations enlèvent des moments précieux à l’Assemblée. L’Assemblée ayant consenti à la recevoir, sont entrés : MM. L’abbé Fauchet. L’abbé Bertholio. Bellanget. N. de Bonneville. Charton. Petiot. De Leutre. Du Mangin. De la Poize. MM. Dameuve. Dupré. De Montizon. Tassin, Prévost de Saint-Lucien. Le marquis de la Salle. Jamin. Pin on. D’Osmond. M. l’abbé Bertholio, au nom des électeurs de Paris. L’Assemblée des électeurs de Paris connaît tout le prix des moments que vous consacrez au bien public avec autant de succès que de gloire; elle ne se permettrait pas de vous demander à suspendre le cours de vos travaux, si la circonstance ne lui en avait imposé la nécessité. Les suites de la journée du 30 juin présageaient les plus grands désordres. Les électeurs étaient assemblés samedi à l’Hôtei -de-Vil le . Une lettre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 juillet 1789.} 199 écrite par des citoyens rassemblés au Palais-Royal, les envoyés de ces mêmes citoyens qui se sont fait introduire dans notre salle, nous ont forcés à nous occuper des prisonniers qui attendaient l’exécution de la promesse de Sa Majesté à l’Assemblée nationale. La fermentation était extrême au Palais-Pioyal ; ejüe prenait les mêmes caractères parmi plus de deux mille citoyens qui assistaient à nos délibérations ; la nuit s’avançait, le peuple s’animait, nfous prîmes un arrêté qui ramena les esprits, en lés frappant par des idées justes; nous y déclarions qu’il n’était pas permis de douter de la parole du souverain , qu’aussitôt que les prisonniers seraient réintégrés, vingt-quatre électeurs se transporteraient à Versailles, solliciter, etc. ; qu’ils s’engageaient à ne pas rentrer dans Paris sjins avoir obtenu la grâce de leurs concitoyens ; qu’ils étaient prêts à se jeter aux genoux du Roi, àl dire à ce bon prince, comme des enfants à leur père, qu’ils ne se lasseraient de les embrasser jusqu’à ce qu’il leur eût accordé pardon, etc. Celte dernière phrase produisit l’effet le plus prompt et le plus désirable. La nuit ne s’était point écoulée, et déjà les prisonniers étaient réintégrés daus les prisons de l’Abbaye; les attroupements ont cessé au Palais-Royal, le calme règne à Paris. Nous venions vous faire part de cet événement heureux, persuadés de la sensation agréable qu’il ferait sur vos cœurs. G’est dans ces circonstances, [Messieurs, que nous sbmmes arrivés ce matin auprès de vous ; ce d’est plus l’exécution d’une grâce que nous venons vous demander de solliciter. La grâce est ajccordée, la bonté du Roi s’est développée. Les prisonniers réintégrés sont libres. Un de nos députés vient de nous en apporter les preuves. Ce de sont plus que des témoignages de la plus vive Reconnaissance que nous vous prions de porter au pied du trône de Sa Majesté ; dites au Roi que quiconque voudrait faire soupçonner les sentiments de ses peuples, le trompe et se rend coupable envers la nation ; dites-lui que la paix et Ip calme seront inaltérables tant qu’il nous chérira autant que nous le chérissons, etc. j M. le Président répond : | L’Assemblée nationale apprend avec joie le éuccès des soins des électeurs de Paris pour rétablir le calme et l’ordre dans la capitale. Elle n’a jamais douté que le Roi n’accordât la grâce qu’ii avait daigné lui faire espérer. Exprimez, Messieurs, à vos comettants combien elle est satisfaite de leur zèle et de leur patriotisme, etannoncez-leur qu’elle vient de prendre des mesures pour hâter ses travaux, trop longtemps retardés, sur le grand objet de sa convocation, et celui de la constitution du royaume. ! L’Assemblée arrête que tous les membres se Rendront à l’instant même dans les bureaux, pour pommer une personne dans chaque bureau par la voie du scrutin, et que le comité de constitution formé par la réunion de ceux qui auront été choisis, commencera ses travaux aujourd’hui à six heures du soir. M. le Président indique la séance prochaine pour demain neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN , ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du, mardi 7 juillet 1789 (1). La séance a été ouverte à neuf heures du matin. 11 a été remis sur le bureau un grand nombre de paquets, adressés les uns aux membres de l’Assemblée nationale individuellement, les autres aux Etats généraux en corps; quelques-uns aux ordres en particulier; et la distribution s’en est faite conformément à leurs suscriptions respectives, le secrétariat restant dépositaire de ceux qui étaient adressés aux Etats généraux. M. le Président, après la lecture du procès-verbal de la séance d’hier matin, a mis sous les yeux de l’Assemblée le résultat de celle qu’avait tenue hier au soir le comité des subsistances, pour recevoir les renseignements annoncés par un. citoyen de Paris. COMITÉ DES SUBSISTANCES. Extrait du procès-verbal du 6 juillet 1789. M. l,e chevalier de Rutledge, et les boulangers, au nom desquels il a parlé, n’avant pas donné de renseignements dont on puisse tirer d’utilité pour l’approvisionnement actuel de la ville de Paris, quoiqu’il en ait promis pour la suite, ceux qui font partie de son travail n'ayant rapport qu’à des temps antérieurs, et la nature des objets qu’il a traités étant entièrement du ressort de l’administration , le comité a pensé que c’était à M. le directeur général à en prendre connaissance, et l’a déclaré â M. le chevalier de Rutledge. Signé : Ï’ALARU DE ClTALMAZEL, évêque de Coûtâmes, président; Dupont, faisant les fonctions de secrétaire. Un de MM. les secrétaires a rendu compte de plusieurs adresses envoyées à l’Assemblée nationale par les villes de Vitré, Saint-Jean-de-Losne, Saint-Pierre-le-Moutier , et le bourg de Suint-Vallier en Dauphiné, qui, toutes, renfermaient des protestations d’amour et de fidélité pour la personne sacrée du Roi, et exprimaient des sentiments de respect, d’admiration, de reconnaissance, de cohésion pour la fermeté, la modération, le patriotisme, et les délibérations de l’Assemblée nationale. M. Hernoux, député de Saint-Jean-de-Losne, a prononcé un discours et lu une déclaration dont la teneur suit : « Messieurs, permettez que je m’acquitte du devoir que m’ont prescrit les habitants de Saint-Jean-de-Losne, mes concitoyens. Qu’ils soient des premiers qui donnent à cette auguste Assemblée des preuves du patriotisme et du désintéressement qui doivent animer tous les Français. « Depuis près de six siècles, la ville de Saint-Jean-de-Losne jouit d’immunités et de prérogatives (1) La séance du 7 juillet 1789 est incomplète au Moniteur.