606 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1791.] « Art. 27. Le recours contre les jugements rendus en dernier ressort, aux termes de l’article 11 du décret du 7 septembre 1790, par les tribunaux de district, en matière de contributions indirectes, devant être porté au tribunal de Cassation ne pourra, en aucun cas, être porté au conseil d’administration (1). Responsabilité. « Art. 28. Aucun ordre du roi, relatif à l’administration , aucune délibération du conseil intime ou du conseil d’administration ne pourront être exécutés s’ils ne sont contresignés par le ministre chargé de la division à laquelle appartiendra la nature de l’affaire. « Dans le cas de mort ou de démission de l’un des ministres, celui qui sera chargé des affaires par intérim , répondra de ses signatures et de ses ordres. « Art. 29. En aucun cas, l’ordre du roi, verbal ou par écrit, non plus que les délibérations du conseil intime ou du conseil d’administration ne pourront soustraire un ministre à la responsabilité. « Art. 30. Soit que la législature ait accordé ou non un vote de crédit et quelle que soit l’urgence des circonstances, aucun ministre ne pourra, en l’absence du Corps législatif, ordonner, dans son département, des dépenses extraordinaires, sans avoir demandé et obtenu l’approbation du conseil intime. La délibération du conseil sera mise par écrit; les ministres qui auront été d’avis de la prendre la signeront, et chacun d’eux en demeurera responsable. « Art. 31. Les ministres seront tenus de rendre compte, en ce qui concerne l’administration du royaume, tant de leur conduite que de l’état des dépenses et affaires, toutes les l'ois qu’ils en seront requis par le Corps législatif. « Art. 32. Les ministres sont responsables au Corps législatif : « 1° De tous actes contre la sûreté nationale et la Constitution du royaume; « 2° De tout attentat à la liberté et à la propriété individuelle; « 3D De toutes dispositions des fonds publics qu’ils auraient faites ou favorisées. « Art. 33. Les délits des ministres, les réparations et les peines qui pourront être prononcées contre les ministres coupables, seront déterminés dans le Code pénal. « Art. 34. Aucun ministre en place, ou hors de place, ne pourra, pour faits de son administration, être traduit en justice, en matière criminelle, qu’après un décret du Corps législatif, prononçant qu’il y a lieu à accusation." « Tout ministre contre lequel il sera intervenu un décret du Corps législatif, déclarant qu’il y a lieu à accusation, pourra être poursuivi en dommages et intérêts par les ciioyens qui éprouveront une lésion résultant du fait qui aura donné lieu au décret du Corps législatif. « Art. 35. L’action en matière criminelle, ainsi que l’action accessoire en dommages et intérêts pour faits d’administration d’un ministre hors de place, sera prescrite au bout de trois ans à l’égard du ministre de la marine et des colonies, et au bout de deux ans à l’égard des autres. « Art. 36. L’acte d’accusation porté par le Corps (1) Article particulier . — Les maîtres des requêtes et les conseillers d’Etat sont supprimés. législatif contre un ministre, suspendra celui-ci de ses fonctions. Dispositions relatives a la sûreté de l'Etat. « Art. 37. Dans les cas qui intéresseront la sûreté de l’Etat ou la personne du roi, le ministre de la justice aura pour toute l’étendue du royaume le caractère et l’autorité de juge de paix, e*n matière de police de sûreté. « Art. 38. � Eu quelque lieu que les prévenus soient domiciliés, le ministre de la justice pourra, sous sa responsabilité, délivrer un mandat d’amener, et les interroger lorsqu’ils comparaîtront devant lui. « Art. 39. Si les réponses des prévenus laissent subsister des charges annonçant un délit de la nature de ceux qui doivent être portés à la haute cour nationale, après avoir délivré un mandat d’arrêt , il dressera l’acte d’accusation qu’il transmettra sur-le-champ à la législature, si elle est assemblée; si le Corps législatif est en vacance, il fera conduire les prévenus dans la maison d’arrêt, pour y être détenus jusqu’à ce que la législature ait prononcé. « Art. 40. Si, d'après les réponses du prévenu, le délit paraît être un simple délit ordinaire, le ministre de la justice, après avoir délivré son mandat d'arrêt , fera conduire le prévenu dans la maison d’arrêt du district où la poursuite devra être faite, conformément à ce qui a été décrété sur la justice criminelle. « Art. 41. Les réclamations sur les abus de ce pouvoir imputées au ministre de la justice seront portées à la législature. Traitement et retraite . « Art. 42. Le traitement des ministres sera : « Pour celui des affaires éirangères, de 150,000 livres par année, et pour chacun des autres, de 100,000 livres payées par le Trésor public. « Art. 43. Si leur ministère a été de moins de 5 ans, ils auront en retraite une pension de 2,000 livres pour chacune des années qu’ils auront exercé leurs fonctions ; et quelle qu’en ait été la durée, leur pension ne pourra excéder 12,000 livres. » Pour simplifier la délibération, il nous semble que vous devez discuter d’abord le premier article du projet de décret, ainsi conçu : « Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres. » Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Robespierre. Je ne crois pas que l’Assemblée soit suffisamment préparée sur le projet de loi qui vous est soumis; il vous est présenté à l’improviste. Plusieurs membres: 11 est présenté depuis deux mois. M. Robespierre. Je suis effrayé, Messieurs, des dispositions de ce décret, et je ne puis m’empêcher de vous témoigner combien je suis encore plus effrayé de’ la précipitation avec laquelle on veut l’adopter. (Murmures.) Je me plains surtout de ce système suivi de présenter à l’improviste les matières les plus intéressantes pour le salut de la liberté et de justifier cette méthode par un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1791.] 607 motif qu’on sait bien être très propre à faire impression sur l’esprit de l’Assemblée. (Murmures.) Oui, je l’avoue avec douleur, je le dis avec effroi, avec l’effroi que m’inspire l’esprit qui préside depuis quelque temps à vos délibérations. (Murmures.) Plusieurs membres : A l’ordre ! M. Martineau. C’est un très bon esprit. M. Robespierre. Mais je ne m’effraie pas de cette manière d’étouffer la voix de ceux qui veulent dire la vérité. Cet esprit, Messieurs, c’est celui qui a dicté le système qui vous fait présenter ainsi, improvisé-ment, les matières les plus importantes. Et pourquoi vient-on nous présenter ainsi des projets à l’improviste? On s’appuie sur un motif qui produira toujours un grand effet : on dit qu’il faut accélérer nos travaux. Plusieurs membres : Oui ! oui ! M. Robespierre. Oui, sans doute, il faut accélérer nos travaux. Eb ! qui en est mieux convaincu que les amis de la liberté ? Mais autant il est vrai qu’il faut accélérer nos travaux, autant il est vrai qu’il serait criminel de se servir de ce prétexte pour hâter des délibérations de la plus grande importance, pour déterminer des résolutions précipitées qui ne tendent à rien moins qu’à renverser les bases que nous avons données à la Constitution. Voilà l’abus que je dénonce et auquel je pense que vous ne pouvez remédier que par l’ajournement ou par la question préalable. Le seul parti raisonnable à prendre sur le projet de décret, c’est la question préalable que je justifie par un seul mot : le but de ce projet, c’est de renverser la liberté, c’est d’anéantir les pouvoirs constitutionnels établis par vos décrets précédents, en donnant aux ministres un pouvoir immense plus redoutable que l’ancien. Voilà la réflexion que je présente à l’assemblée. Je la supplie, au nom de la liberté, au nom du bien public, au nom de sa gloire, de ne point la repousser par des murmures qui ne sont point dans son esprit. Je demande au moins que, si l’on ne veut pas ajourner, on discute dans son ensemble, qu’on en rapproche tous les articles, et que l’on se rende compte à soi-même de ce que j’ai dit. M. Charles de Laineth. Je ne m’élève pas sur l’article qui est proposé; mais je demande à l’assemblée la permission de lui faire une observation sur l’ordre du travail. La sûreté de la liberté doit toujours être le but où tendent tous nos efforts; je crois que le roi a seul le droit de choisir et de révoquer les ministres; mais il me semble que c’est compromettre la liberté et le pouvoir législatif lui-même que de décréter cela avant d’avoir décrété d’abord tous les détails de la responsabilité des ministres, tous les articles nécessaires dans le cas où ils deviendraient répréhensibles et coupables ; et, pour cela, je vous rappellerai ce que vous avez éprouvé, il y a deux mois, lors de la motion qui n’a pas passé, par parenthèse, de déclarer au roi que ses ministres avaient perdu la confiance publique. Eh bien! Messieurs, je vous prie d’examiner dans quel état vous seriez si vous aviez décrété cet article. Je vous demande où en serait la Constitution et la Révolution si les ministres d’alors étaient restés en place, si l’on avait conservé dans le ministère Mgr l’archevêque de Bordeaux et autres. Je vous le déclare, Messieurs, il y a longtemps que la Constitution serait renversée et que la contre-révolution serait consommée. (Murmures. — Applaudissements.) M. Martineau. Je demande que l’opinant soit rappelé à l’ordre. M. Charles de Lameth. Il n’y a pas de doute sur la manière dont on travaillait l’armée, dont on protégeait l’aristocratie dans l’armée. (Murmures.) Il y avait beaucoup d’aristocrates dans l’armée. (Murmures.) M. Ce Chapelier. Notre Constitution est la liberté; elle ne tient ni à un aristocrate, ni à un factieux. M. Charles de Cameth. Il y avait beaucoup d’aristocrates dans l’armée; et quel que soit le ridicule que vous vouliez jeter sur ce mot, je déclare que je m’en servirai fréquemment parce que je le trouve fort juste et fort commode. On n’avait qu’à protéger le choix qu’on avait fait des commissaires du roi auprès des tribunaux, et on se serait souvenu que celui qui avait été à la tête de la contre-révolution tentée à Montauban, avait été choisi par les ministres d’alors et par le chef de la justice. On n’avait qu’à suivre dans les mêmes détails un système aussi bien ourdi, et je ne crains pas de le dire, il y aurait eu un mouvement épouvantable dans l’Etat. Certes, le peuple ne se serait pas dessaisi de ses droits; il n’aurait pas été assez lâche pour renoncer à la liberté qu’il a conquise. J’ai dit qu’il y aurait eu alors une commotion affreuse dans l’Etat, et je dis qu’elle pourrait même encore arriver si vous décrétez qu’un ministre ne pourra pas être renvoyé par une autre puissance que la puissance royale, quand vous n’avez pas encore assuré à la nation les moyens de le faire punir. Je dis, Messieurs, et je vous prie d’y réfléchir, que c’est véritablement compromettre la Constitution, compromettre la liberté publique, que de décréter cet article avant d’avoir statué sur la responsabilité des ministres. (Applaudissements.) Je demande donc que vous commenciez par décréter cette responsabilité et la manière dont elle s’exercera. M. Pétion de Villeneuve. Je vois de très grandes difficultés s’élever sur l’article 1er. Je me suis occupé d’un travail qui n’est pas terminé et qui saus doute n’eût pas été très utile à l’assemblée, mais dans lequel j’aurais établi que cet article qui, au premier coup d’œil, parait extrêmement simple, ne pourrait être adopté en ce moment sans de très grands dangers, car il soulève à lui seul une foule de questions. Et, tout d’abord, les ministres seront-ils nommés par le roi? Sans doute, au premier coup d’œil, rien ne paraît plus juste, plus naturel, que celui qui est le chef d’une administration quelconque, que celui qui est le chef du gouvernement nomme ses agents ; mais considérez dans quelle position est le roi et quel est le système de votre gouvernement. Il est de principe que, quand les commis prévariquent, on ne s’adresse point aux commis, 608 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1791.] mais au chef, parce que le chef est responsable; mais le roi, chef du pouvoir exécutif, est le seul fonctionnaire public qui ne soit pas responsable. La responsabilité porte sur les ministres seuls. Ils sont donc non seulement les hommes du roi, mais ceux de la nation; et je vous demande, si les ministres n’étaient pas considérés comme tels, si vous auriez à vous occuper de l’organisation du ministère. Non, sans doute; ce serait le roi qui choisirait ses principaux commis, qui eux-mêmes en choisiraient d’autres. Mais du moment que les ministres sont les hommes de la nation, pourquoi ne seraient-ils pas nommés par le peuple? S’ils le sont réellement, il faut s'occuper des principes de l’élection et ne pas s’arrêter aux embarras de ce moyen, qu’on ne cesse d’objecter pour écarter les vrais principes. Je su; pose maintenant que vous admettiez que le roi nomme ses ministres. Eh bien ! Messieurs, une des plus grandes questions qui puisse se présenter pour le salut du peuple, c’est de savoir si ces hommes de la nation exerceront leurs fonctions à temps ou à perpétuité. L’habitude du pouvoir est ce qui corrompt tous les hommes; toujours les vieux ministres ont été des hommes corrompus, toujours les vieux ministres ont été les tyrans de leurs maîtres et les oppresseurs des natmns. (. Applaudissements .) On peut varier dans les opinions, mais le temps le plus court pour le ministère donnera toujours le meilleur ministre; c’est celui-là qui exposera le moins la liberté de la nation. Ne vous rassurez pas sur la responsabilité si vantée ; c’est une bien faible ressource. Combien de moyens pour y échapper; combien d’actes secrets pour miner la Constitution. Instruisez-vous par l’exemple de vos voisins, par l’exemple de toutes les nations. Compte-t-on beaucoup de ministres qui aient été poursuivis? Voyez en Angleterre, vous avez vu ce Walton, cet" homme si corrompu, ce ministre prévaricateur qui disait : « J’ai le tarif de toutes les vertus dans ma poche. » Eh bien! cet homme a-t-il été poursuivi, jugé ? Entre les mains d’un homme corrompu, la meilleure institution se corrompt, tandis qu’entre les mains d’un homme vertueux, une institution vicieuse se répare; en tout cas, elle a de moins funestes effets. Le choix des hommes est la chose à laquelle vous devez le plus vous attacher; et si vous souffrez, dans le cas où le roi nommerait ses ministres, que les nominations soient toujours et pour toujours le résultat des brigues, des cabales d’une cour, je maintiens que vous compromettez votre liberté. Je pense donc que les ministres ne doivent être nommés que pour un temps limité. Je suppose que vous déclariez qu’ils ne seront que temporaires. Pourront-ils être réélus lorsque le t|jmps de leur administration sera fi ui? La réélection est une des bases que vous avez admises pour toutes les fonctions publiques; il faut qu’un homme quitte son poste pour se purger de l’autorité qu’il a eue sur ses concitoyens Je ne m’éloignerai pas de la réélection des ministres, mais je voudrais que le Corps législatif fut autorisé à déclarer s’il y a, ou non, lieu à la réélection; par ce moyen, le ministre serait intéressé à conserver l’opinion publique. Quand le Corps législatif aurait déclaré qu’il n’y aura pas lieu à une nouvelle nomination, le roi serait le maître de nommer le même ministre. Je vous engage, donc à ne pas aller aux voix de manière précipitée sur cet article; car vous voyez qu’il doit être précédé par la discussion d’une foule de questions très importantes à la Constitution et à la liberté. Si cependant la discussion s’ouvre aujourd’hui, je demande qu’on prenne en considération les idées peut-être un peu désordonnées que je viens de présenter. (Applaudissements.) M. Le Chapelier. Quant aux derniers mots du préopinant, c’est-à-dire à la demande de discussion je suis loin de m’y oppesser, car c’est la discussion qui amène la lumière; mais je ne croyais pas que la difficulté pût porter sur le premier article; je croyais toutes les idées faites à cet égard; et l’avant-dernier préopinant a donné son suffrage pour cet article. Nous détruirions nos propres principes, si nous écartions la maxime posée par cet article, qui est déjà si bien établi dans tous les esprits, qu’il est véritablement étrange que ceux qui rêvent une république, sans imaginer les moyens de l'organiser... M. Pétion de Villeneuve. 11 n’est pas question d’une république. A l’ordre, Monsieur. M. Le Chapelier. L’article établit la différence qui existe entre une république et une monarchie. Dans la première, les ministres sont nommés par le peuple, et dans la seconde ils le sont par le roi. Ce n’est pas ici le moment d’examiner si les ministres doivent être temporaires, Je dirai toutefois que pour ma part, je ne pense pas qu’ils doivent être nommés pour un temps et que, pour continuer, ils aient besoin de l’approbation du Corps législatif. Je passe maintenant à la proposition la plus raisonnable, celle de ceux qui, sans contester le principe de l’article premier, veulent qu’on établisse auparavant le mode de responsabilité. Le Code pénal qui est tout prêt contient un chapitre entier des peines qui doivent être infligées aux hommes publics prévaricateurs. Quant au mode de responsabilité en lui-même, nul de nous ne veut le séparer des dispositions relatives à l’organisation du ministère; le comité d’ailleurs s’en est occupé puisque le projet contient un titre de la responsabilité ! Nous avons cru toutefois qu’il fallait décréter qu’il y aura des ministres avant de décréter qu’ils seront responsables. Cependant et malgré qu’il soit plus raisonnable de commencer par le commencement, si l’on veut intervertir l’ordre des idées, on pe .t mettre d’abord en discussion le titre qui concerne la responsabilité des ministres; mais gardons bien dans notre esprit, que c’est désormais une maxime de la monarchie, parce que c’est une maxime qui tient à son essence, que le roi, le chef suprême du pouvoir exécutif, nomme ses agents, sous la responsabilité qui sera établie. M. de Cazalès. J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée que la proposition du préopinant est bien raisonnable; car nous sommes tous d’accord que les ministres doivent être reponsables; mais peut-être y-a-t-il dissentiment sur le mode; je demande donc qu’on commence par discuter quelle sera la responsabilité des ministres. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angély ) appuie la motion de M. de Cazalès. (L’Assemblée décrète qu’elle discutera tout d’abord les articles relatifs à la responsabilité.) M. Voiler, évêque du Cantal , sollicite un congé pour se rendre dans son diocèse. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1 79I.J 009 M. Cartier, curé de Ville-aux-Dames (Indre-et-Loire), demande également un congé de 3 semaines. Un membre du comité de vérification dit que le comité, ayant examiné les raisons déduites par M. Cartier, est d’avis qu’il y a lieu à l’ajournement de sa demande. La discussion sur l’ organisation du ministère est reprise. M. Démeunier, rapporteur , donne lecture des articles du projet de décret relatif à la responsabilité. M. de Menou. L’Assemblée veut-elle discuter article par article ou bien ouvrir une discussion générale sur l'ensemble de ces dispositions. (L’Assemblée adopte la discussion générale.) M. de Menou. Je n’ai qu’une observation à faire. Il me semble que dans les différents articles du titre de la responsabilité, il n’a été nullement question de la responsabilité des ministres, à l’égard des choix secondaires qu’ils pourraient faire. Cependant c’est à mon avis, une des questions les plus importantes de la responsabilité? J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée que les choix les plus importants, par exemple, sont ceux à faire par le ministre des affaires étrangères : car c’est certainement du choix des ministres chez l’étranger que peut non seulement dépendre la tranquillité de la France; mais peut-être la tranquillité de l’Europe entière. Je demande la permission à l’Assemblée de l’instruire que dans ce moment-ci le ministre des affaires étrangères vient de faire les choix les plus extraordinaires pour les ambassadeurs nui sont envoyés dans les différentes parties de l’Europe. ( Applaudissements prolongés à gauche et dans les tribunes.) Je sais que peut-être je serai désapprouvé par une partie de celte Assemblée; mais mon premier soin est de remplir mon devoir de représentant de la nation. C’est à ce titre, c’est à celui de membre du comité diplomatique, que j’ai fait des observations à M. de Montmorin sur le choix qu’il vient de faire de trois ambassadeurs. Je sais parfaitement que ni l’Assemblée nationale, ni les comités ne peuvent avoir aucune influence, ni directe, ni indirecte sur le choix des agents secondaires et qu’il est expressément décrété que la nomination de ses agents appartiendra au roi, et surtout pour les affaires étrangères; mais j’ai cru que le devoir d’un membre du comité diplomatique m’obligeait à faire des représentations à M. de Montmorin. Je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas choisi pour ambassadeurs des hommes qui eussent une opinion prononcée pour la Révolution. ( Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) Je lui ai demandé pourquoi, lorsque l’Assemblée nationale avait décrété que les choix seraient faits indistinctement parmi tous les citoyens, lorsqu’on avait aboli la noblesse héréditaire, lorsqu’il n’y avait plus de distinctions, il n’a pris pour ambassadeurs que des membres de l’ancien ordre de noblesse. ( Applaudissements .) (1) Voyez ci-dessus, même séance, les articles 28 à 3G du projet de décret. iro Série. T. XXIV. Un membre à droite : Et M. Bonnecarère? M. de Menou. Je lui ai représenté que dans le moment actuel, la tranquillité de la France tenait au choix des ambassadeurs dans les cours étrangères; qu’il était important que les chargés d’affaires, que les représentants de la nation et du roi, dans les cours étrangères fussent amis de la Révolution, afin qu’ils fassent respecter cette Révolution, cette Constitution, afin qu’ils fassent respecter le roi, afin que toutes les cours étrangères sachent parfaitement que le roi, qui s’est déclaré le cher de la Révolution, qui s’est déclaré l’ami, le restaurateur de la liberté, marche de concert avec l’Assemblée nationale. Et comment les cours étrangères pourront-elles croire que le roi marche avec l’Assemblée nationale, qu’il aime la Constitution, si on voit de3 choix aussi prononcés contre la Révolution? (. Applaudissements .) Je viens de remplir un devoir sacré. Je sais parfaitement que je m’attire beaucoup d’ennemis par ce que je viens de dire dans cette Assemblée. ( Murmures à droite.) Plusieurs membres à gauche : Beaucoup d’amis ! Beaucoup d’amis! M. de Menon. Mais je ne suis pas venu ici pour me faire des amis. Je suis venu pour soutenir et défendre la liberté. ( Applaudissements .) J’ai dit à M. de Montmorin : « Ne croyez pas au reste, Monsieur, que ce soit par ja’ousie, que ca soit par le désir d’avoir des places. (Murmures à droite. — Applaudissements à gauche.) Je sais que par les décrets de l’Assemblée nationale, personne ne peut avoir de places pendant la session, mais qu’en outre ceux qui défendent et soutiennent la liberté, ne veulent pas même de places après l’Assemblée nationale. ( Applaudissements à gauche. — Rires à droite.) Nous ne sommes pas venus ici pour avoir des places, ni pour nous enrichir. Nous sommes venus pour faire une Constitution. Crovez-vous, Monsieur, que si nous voulions avoir des places, je viendrais vous dire cela ? Non, sans doute ; car ce qui pourrait arriver de mieux à des ambitieux, ce serait qu’on fît de mauvais choix, parce qu’il serait impossible qu’ils pussent se soutenir. » (Applaudissements.) Je ne crains pas de dire que M. de Montmorin m’a répondu qu’il regardait les hommes qu’il venait de choisir comme de très bons patriotes; et je ne parlerai pas ici d’un de ces nouveaux ambassadeurs, qui a été pris dans uae Société que je ne veux pas nommer. ( Rires et applaudissements.) Je demande donc, Monsieur le Président, que le comité s’occupe d’insérer dans le titre de responsabilité des ministres, un article sur leurs choix, sur la manière dont on pourra exercer cette responsabilité, lorsque les ministres feront des choix antipatriotiques. Actuellement j’ai rempli mon devoir; je laisse à la sagesse de l’Assemblée nationale à décider ce qu’elle jugera à propos. ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes. M. Buasot. Je reprends l’observation du préopinant pour montrer qu’il est beaucoup de circonstances où la responsabilité ne peut s’exercer d’une manière active et qu’il faut réserver à cet égard des droits au Corps législatif. Je n’aurais point à faire cette observation si, dans le nouveau projet du comité, je retrouvais l’article précieux, inséré dans son premier projet, et qui 89 610 [Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [G avril 1791.] accordait au Corps législatif le droit de présenter au roi telle adresse qu’il voudrait sur la conduite de ses ministres et d’en demander le renvoi. M. Démeunicr, rapporteur. On l’a hué ! M. Buzot. Cependant il serait possible de s’énoncer d’une manière assez précise contre les ministres qui se conduisent aussi mal que M. de Montinorin l’a fait dans cette circonstance. (Applaudissements.) Je crois, Messieurs, qu’il est intéressant de rétablir cet article; peut-être aurez-vous besoin sous peu d’en faire usage. Je passe à la disposition du projet qui dit qu’aucun ministre en place ou hors de place ne ourra être poursuivi qu’après un décret du orps législatif. Cet article me paraît manquer son but. Je conçois bien quels motifs ont porté le comité à vous proposer de décréter une telle disposition; tout le monde conçoit cependant tout le danger qui résulte de pareilles entraves. Le Corps législatif ne s’arrêtera pas à de petits actes qui insensiblement ruinent la liberté. Cet article, d’autre part, rend la responsabilité illusoire, en raison des frais énormes de la procédure. Je me rappelle avec une sorte d’effroi ce qui se passe actuellement en Angleterre dans Paffaire de M. Hastings, qui peut-être a déjà coûté 9 à 10 millions, et où les longueurs et les intrigues parviendront à faire absoudre M. Hastings, qui cependant peut être coupable. Qu’arrivera-t-il de là, Messieurs? C’est que les communes d’Angleterre découragées n’oseront plus à l’avenir porter une accusation. Je veux bien qu’un ministre ne puisse être accusé que par le Corps législatif lorsqu’il est en place; mais quand le ministre n’est plus rien, il doit compte non seulement à la nation, mais encore à chaque particulier lésé ; et c’est alors que je veux que l’accusation soit permise à tous. C’est renouveler l’usage de l’ancienne Rome, où si un citoyen lésé n’êtait point assez opulent pour poursuivre un délit, des citoyens plus riches se faisaient un devoir de le poursuivre à sa place. Voilà le moyen d’empêcher le despotisme, de rétablir les mœurs et d’avoir une véritable patrie. Je demande donc : 1° le rétablissement de l’article portant que le Corps législatif pourra présenter au roi telle adresse qu’il voudra sur la conduite de ses ministres et en demander le renvoi ; 2° le droit pour tout citoyen d’actionner devant les tribunaux ordinaires le ministre hors de place, pour dommages et intérêts ; comme aussi, lorsque le Corps législatif aurait prononcé un décret d’accusation contre un ministre en place, ou déclaré au roi qu’il a perdu la coniiance de la nation, le droit pour tout citoyen lésé de l’actionner devant les tribunaux ordinaires pour faits d’admiuistration. M. Charles de Lameth. Il est possible de prouver que tous les articles sur la responsabilité ne serviront à rien, si on n’y ajoute ceux du Code pénal, relatifs à cette même responsabilité; et je vous prie, Messieurs, d’observer que quand on vous propose de déclarer que le roi pourra seul révoquer ses ministres, on suppose qu’il n’y aura pas dans le Code pénal un jugement qui entraîne la chute d’un ministre, ou que le roi pourra garder un ministre contre le vœu du jugement qui aura déclaré qu’il doit être destitué. H faudrait qu’un ministre fût bien maladroit pour devenir responsable avec les articles qui vous ont été proposés. Si vous n’entrez pas dans la connaissance de tous ses actes, comment sera-t-il possible de déterminer si un acte est véritablement contre la sûreté du royaume ? Ne pourra-t-on pas donner la tournure la plus innocente, comme on vient de le faire tout à l’heure, en souriant dans une partie de la salle à un des délits les plus graves qu’un ministre ait commis dans les circonstances où nous nous trouvons? Je dis les plus graves, car je ne trouve rien de plus grave que de chercher à attirer dans ce moment-ci par des choix de personnes ennemies de la Constitution les foudres de la guerre sur un pays qui est au moment de jouir et des douceurs de la liberté et des douceurs de la paix. ( Applaudissements .) On parle toujours de la responsabilité des ministres ; mais on ne dit pas dans quel cas ils seront responsables. C’est toujours la même espérance qu’on donne au peuple, et je ne la vois pas plus réalisée. Il faut dire que si un ministre commet telle prévarication, s’il fait lever des subsides, il sera emprisonné pour 10, pour 15 années ; il sera pendu si le cas l’exige. {Applaudissements à gauche et dam les tribunes.) On cherche à induire de là que je veux faire déclarer la peine de mort, et j’assure que ce n’est point mon avis. Vous n’aurez rien fait pour la responsabilité, si vous n’admettez l’amendement de M. Buzot ; il n’y a pas de constitution, et tout ce que vous avez fait est dérisoire. Un membre à droite : Cela est vrai. M. de Çazalès. Comme je ne sais pas ce que c’est qu’une responsabilité morale, en vertu de laquelle on serait traduit en justice; comme je ne sais pas ce que c’est que des choix anticonstitutionnels, quand un ministre choisit parmi des citoyens français qui ont prêté le serment civique, et qu’aucun jugement n’a pu rendre suspects à la nation, mais comme je sais très distinctement qu’il importe à la liberté publique que le pouvoir exécutif soit indépendant, que ses agents soient soumis, non à une responsabilité vague, mais à une responsabilité sévère et précise, car cette crainte qu’ils auraient continuellement les rendrait absolument insensibles au bien de la chose publique, il est très essentiel que les ministres répondent de leur administration, il est très essentiel qu’ils répoudent de tout ce qui suivra les ordres qu’ils auront signés ; mais il est impossible qu’on veuille qu’ils répondent ou du prétendu patriotisme, ou des lumières, ou des talents, ou des fautes commises par des hommes qu’ils auront choisis. Si vous établissiez une pareille responsabilité, j’ignore qui voudrait être agent du pouvoir exécutif; du moins cela ne se pourrait qu’en étant servilement attaché au parti qui dominerait alors dans le Corps législatif, ou en le corrompant. Il n'aurait pas d’autre marche à prendre. M. Gonpil-Prcfeln. Messieurs, je vous invite à vous rappeler dans ce moment les règles simples que vous avez établies au sujet de la sanction de lu loi, et qui peuvent être modifiées dans cette conjoncture. Ainsi, Messieurs, non seulement j’appuie la proposition qui tend à attribuer au Corps législatif le droit de déclarer au roi que les ministres ont perdu la confiance de la nation ; mais j’en ajoute une seconde, que je regarde comme le palladium de la liberté; l’addition, c’est que si après 1a déclaration, le roi n’avait [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1791.) pas renvoyé le ministre qui en était l’objet et que la législature suivante fît au roi une déclaration semblable, cette déclaration suspendrait les fonctions du ministre. On pourrait rédiger comme suit cette disposition : « Si le roi avait conservé en place un ministre sur lequel le Corps législatif aurait déclaré qu’il a perdu la confiance de la nation, et que la législature suivante fit sur le même ministre une déclaration semblable, cette seconde déclaration suspendrait de ses fonctions le ministre qui en serait l’objet, et il ne pourrait y être rétabli dans la suite, ou rentrer dans le ministère, que du consentement du Corps législatif. » M. Briofs - Beaumetz. Je ne puis qu’applaudir à l’extrême sollicitude avec laquelle l’Assemblée paraît se mettre en garde contre les abus du pouvoir ministériel ; il est à désirer que cet esprit dure longtemps. C’est là qu’il faudra toujours avoir les yeux, car c’est toujours de là que partiront les attaques portées à la liberté ; mais à mesure que l’esprit public se formera et que l'expérience nous aura fait connaître les mouvements du gouvernement représentatif, nous apprendrons à distinguer les accusations légitimes et les déclarations que feront sans cesse ceux qui, habitant autrefois les cours, essayeront toujours de souiller le sanctuaire du Corps législatif, en y portant les intrigues dont iis ont fait une longue et savante étude. ( Applaudissements .) Je n’ai remarqué que deux amendements qui méritassent un sérieux examen ; savoir, celui qui permet la poursuite des ministres devant les tribunaux ordinaires, et celui qui attribue au Corps législatif la faculté de déclarer au roi que les ministres ont perdu la confiance publique. Quant à la mesure proposée par M. Goupil, elle me parait insuffisante et irrégulière. Insuffisante, parce que le ministre pourrait faire impunément pendant 2 ans le malheur de la nation. Je répète que lorsque nous aurons acquis l’usage du gouvernement représentatif, nous saurons qu’il est impossible qu’un ministre marqué du sceau de la réprobation nationale, conserve plus longtemps la place. Elle est irrégulière, parce qu’elle donnerait au Corps législatif la môme influence sur la durée du ministère que sur la formation de la loi. Je me réduis donc à appuyer les deux propositions faites par M. Buzot. M. Démeunïer, rapporteur. Nous voyons avec plaisir qu’on redemande le rétablissement de l’article qui se trouvait dans notre premier projet et que nous avions retranché dans le second. On avait paru le rejeter la première fois, parce que, disait-on, il exprimait un droit si incontestable qu’il était inutile d’en faire mention; il est bon même d’observer que, lorsque vous en avez usé vous-mêmes, il s’est trouvé beaucoup de membres dans cette Assemblée qui le contestaient. On pourrait donc rédiger comme suit cet article : « Le Corps législatif pourra présenter au roi telle adresse qu’il jugera convenable sur la conduite de ses ministres et même lui représenter qu’ils ont perdu la confiance de la nation. » Un des préopinants a demandé le détail des délits qui pourraient être commis par les ministres. Il n 'était pas, sans doute, à cette Assemblée lorsque j’ai dit que le titre, composé de 40 articles était prêt et que M. Saint-Fargeau le lirait aussitôt que l’Assemblée l’aurait jugé nécessaire. M. de Cazalès. Il ne faut pas perdre de vue ne la liberté publique repose sur l’indépendance es pouvoirs politiques; il ne faut pas perdre de vue que si le Corps législatif, par le seul fait de manœuvres qu’on pourrait porter très loin, déclarait au roi que ses ministres ont perdu la confiance de la nation et lui présentait une loi à cet égard, le roi serait contraint d’obéir à cette adresse; car, je le répète, toutes les fois qu’on parle au nom du peuple, les rois sont obligés d’obéir. ( Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Dès lors le pouvoir législatif, usurpant une espèce de censure arbitraire sur les ministres du roi, puisqu’elle n’aurait besoin d’être motivée sur aucun délit, s’emparerait, d’une manière absolue, des agents du pouvoir exécutif; et si le pouvoir législatif dominait les agents du pouvoir exécutif, comme le pouvoir exécutif ne peut avoir d’action qu’à l’aide de ses agents, le pouvoir exécutif serait dépendant, et il n’y aurait plus de liberté. J’ai eu l’honneur de vous dire qu’il est du devoir du roi, et par la nature des choses et par les principes de tout gouvernement libre, de céder au vœu du peuple, quand le vœu du peuple est exprimé. C’est pourquoi je pense qu’il est extrêmement essentiel que les représentants de la nation n’expriment pas un vœu qui n’est pas le sien. Il n’y a qu’une seule manière de donner au roi le moyen de connaître le vœu du peuple, de s’assurer légalement si les représentants du peuple ne l’ont point trompé, ne se sont pas trompés eux-mêmes sur son véritabie vœu; et ce moyen est d’accorder au pouvoir exécutif le droit de dissoudre la législature. ( Murmures à gauche.) Cette assertion me paraît exciter de grands murmures dans l’Assemblée; cependant j’aurai l’honneur de proposer, lorsqu’il s’agira du complément du pouvoir exécutif, d’accorder au roi le droit de dissoudre les législatures, en prenant les précautions nécessaires pour qu’il s’en rassemble sur-le-champ une autre; et si l’Assemblée nationale veut me prêter silence, je prouverai jusqu’à l’évidence qu’il ne peut y avoir de liberté en France, qu’il ne peut y avoir de bonheur public si le roi n’a pas ce droit-là... Plusieurs membres : A l’ordre! à l’ordre! M. de Cazalès... et que, s’il n’a pas ce droit-là, ce ne sera point la nation dont le vœu gouvernera le royaume, mais bien celui de ses représentants qui s’égarent souvent et ne sont pas toujours les organes des vœux du peuple. ( Murmures . ) Je conclus à ce que cet article soit ajourné jusqu’à ce que l’Assemblée ait décidé, après uue discussion qui vaut bien la peine d’être établie, si le roi aura ou n’aura pas le droit de dissoudre la législature. M. Ce Chapelier. J’observe qu’il n’y a pas un des décrets de notre Constitution qui ne s’oppose à la proposition de M. de Cazalès; et ce n’est pas lorsque la Constitution commence à s’établir, ce n’est pas lorsque la législature prochaine aura à la défendre peut-être contre les entreprises du pouvoir exécutif, qu’on peut accorder à celui-ci le droit de dissoudre la légis- g-19 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1731.] lature : ce serait véritablement lui ménager le droit de détruire à sa volonté la Constitution, lorsque la législature la défeudrait. Il faut même observer que l’article qui n’est pas bien entendu par M. de Cazalès n’amène pas cette précaution qui existe en Angleterre. En effet l’article ne dit pas que le Corps législatif cessera toute correspondance avec les ministres : car alors il arrêterait à sa volonté la marche du gouvernement. Je demande donc que l’article soit mis aux voix. (L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement proposé par M. de Cazalès. M. Robespierre s’élève contre le mo {. adresse employé dans l’article du comité. Il lui paraît indécent que le Corps législatif parle comme pétitionnaire au roi. M. Prieur. Je soutiens que non seulement le Corps législatif peut déclarer au roi que ses ministres n'ont pas la confiance de la nation, mais que c’est un devoir du Corps législatif, et qu’il trahirait la nation s’il ne déclarait pas au roi des vérités utiles. Je propose, en conséquence, de dire, que le Corps législatif déclarera au roi, quand il le croira nécessaire, que les ministres ont perdu la confiance publique. Un membre demande la question préalable sur la motion de M. Prieur. (L’Assemblée repousse la demande de question préalable et ferme la discussion.) M. de Montlosier. Je demande à proposer un amendement qui me semble devoir accorder tous les partis. (Rires.) Je ne m’oppose point à l’article proposé par M. Buzot ; mais pour consacrer l’indépendance des deux pouvoirs, j’y proposerai une addition. S’il arrivait par le malheur des temps, qu’une législature séditieuse voulût troubler la paix du royaume et même renverser la Constitution dont le roi est sans contredit le premier défenseur, alors il devrait être permis au roi de faire une proclamation conçue en ces termes : « Je déclare que la législature ne mérite plus la confiance de la nation. » (Rires.) Mon amendement est appuyé, il faut le mettre aux voix. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. de Montlosier. J’insiste, Monsieur le Président, pour que vous mettiez mon amendement aux voix. (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) Un membre demande la priorité pour la motion de M. Prieur. (L’Assemblée accorde cette priorité et adopte l’expression déclarer.) M. Démèunier, rapporteur , donne lecture de l’article avec l’amendement; il est ainsi conçu : « Le Corps législatif pourra présenter au roi telle déclaration qu’il jugera convenable sur la conduite de ses ministres, et même lui déclarer qu’ils ont perdu la confiance de la nation. » (Cet article est décrété.) M. le Président fait connaître l’ordre du jour de la semaine et invite les membres de l’Assemblée à se rendre dans leurs bureaux respectifs pour procéder à la nomination d’un membre du comité diplomatique en remplacement de M. de Mirabeau. La séance est levée à trois heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 6 AVRIL 1791. Discours sur les testaments en général , et sur l’institution d’héritier dans les pays de droit écrit en particulier , par J. Pétion de Ville-neuve (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, vous venez d’établir dans les successions un ordre que vous dictait la raison, que vous prescrivait la nature. Tous les enfants sont maintenant égaux aux yeux de la loi ; tous partagent également le patrimoine de leur père. Les différences qui existaient entre euxout disparu ; et vous avez réparé en un instant l’injustice de plusieurs siècles. Permettrez-vous à l’homme de changer cet ordre, de troubler cette harmonie ? Pourra-t-il mettre ses passions à la place de la loi? Pourra-t-il, par sa volonté particulière, détruire la volonté générale? Lui laisserez-vous enfin le droit funeste de distribuer arbitrairement sa fortune à ses enfants, d’avantager les uns, en dépouillant les autres ? Pour bien connaître tous les dangers de la faculté accordée aux chefs de famille de disposer à leur gré de leurs richesses, il faut fixer ses regards sur les contrées régies par le droit écrit; c’est là que, depuis les temps les plus reculés, les abus attachés au pouvoir de tester semblent s’être réunis, semblent se reproduire sous toutes les formes. Et ce que nous dirons à cet égard s’appliquera naturellement aux dispositions de l’homme dans les diverses parties de l’Empire. Il est libre, vous le savez, aux pères et mères, dans le pays de droit écrit, de se créer un héritier et de réduire leurs autres enfants à la légitime. Cette faculté est devenue la loi de toutes les familles; elle est suivie avec d’autant plus de rigueur, qu’elle est commandée par le préjugé. Il est rare, infiniment rare que des pères et mères décèdent sans instituer un héritier; les pauvres comme les riches imitent ce coupable usage. Si la tendresse éprouve quelques remords en se livrant à cette prédilection injuste, bientôt ils sont étouffés par l’exemple, ce tyran impérieux des âmes faibles, je pourrais dire du genre humain. La cupidité, l’ambiiion ont vaincu les sentiments de la nature, ont détruit cet amour de l’égalité qui estun instinct chez l’homme, lorsqu’il n’est pas encore dépravé; et enfin, on en est venu à ce point, que celui-là est odieux et paraît dénaturé, qui ne porte pas toutes les affections et ne verse pas sa fortune sur un de ses enfants. C’est presque toujours l’aîné des mâles qui est l’objet de cette criminelle préférence. Partez, je vous prie, de ce point certain, et ne le perdez jamais de vue, c’est que l’institution d’héritier en (1) Ce discours, prononcé dans la séance du 2 mars 1791, n’a pu être inséré à sa place dans ce volume.