ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1739.] 549 [Assemblée nationale.] pour avoir ses observations. Ce conseil d’hommes choisis pour cette honorable fonction, devrait être consulté deux ou trois fois avant que la Chambre des représentants pût prendre une résolution définitive, et cette consultation réitérée, jointe à celle que la publicité des projets par la voie de l’impression et la liberté de la presse rendraient générales pour tous les citoyens, procureraient à la législature un délai suffisant pour tempérer son ardeur, et des lumières qui lui feraient connaître les inconvénients des lois proposées. Ce n’est pas ici le moment d’entrer dans îe détail de la composition de ce conseil ; je dirai seulement qu’il me paraît devoir être formé de sujets élus par les mêmes assemblées qui choisiraient les représentants, mais pour un temps plus long, en exigeant certaines conditions, comme un âge plus avancé, l’essai de leur mérite, soit dans les assemblées provinciales, soit dans l’Assemblée nationale, et peut-être en ne la renouvelant que par parties, pour lui donner un peu plus de consistance ; cette organisation doit être le sujet d’un. examen particulier. Dans un petit État, cette consultation suffirait peut-être, et la loi ainsi perfectionnée pourrait être remise au pouvoir exécutif; mais dans un vaste empire, où la réunion dans une même main des forces nécessaires à sa police et à sa sûreté, est indispensable pour donner à ces forces l'ensemble et la célérité nécessaires, il faut imprimer à la puissance exécutrice une majesté qui la fasse respecter, et l’intéresser à la chose publique en la fai-ant participera la confection des lois dont elle doit être l’organe. H faut donc à un grand Etat un Roi, il faut que ce Roi soit héréditaire pour qu’aucun autre citoyen ne puisse ambitionner cette place éminente ;“ il faut que la personne de ce Roi soit inviolable et sacrée, pour qu’il puisse veiller sans inquiétude personnelle au salut de l’Etat ; il faut enfin que les lois, pour être complètes, aient été soumises à son examen, afin qu’il puisse en faire connaître les inconvénients, qu’il est plus en état que tout autre d’apprécier. Mais il ne suffit pas qu’il puisse, comme le conseil, retarder par un examen, même réitéré, la promulgation d’une loi; il faut qu’il ait le droit de la suspendre jusqu’à ce que la nation consultée puisse faire connaître son vœu et prononcer elle-même ; il faut donc que le Roi puisse refuser sa sanction, et que l’effet de ce refus subsiste jusqu’au renouvellement de la législature ; qu’il puisse même, si elle déclarait que la loi fut urgente, hâter ce renouvellement en dissolvant le Corps représentatif par un acte qui ordonne en même temps des élections nouvelles, que le projet de loi qui aura éprouvé le veto soit envoyé dans toutes les municipalités, et dans toutes les assemblées élémentaires qui exprimeront suffisamment leur vœu par le choix de leurs nouveaux représentants, et que la suspension n’ait de terme que la décision d’une nouvelle législature. Ainsi, comme il est juste et raisonnable, l’autorité du Roi, supérieure à toutes les autres, ne cédera qu’à l’expression de la volonté générale de la nation. On ne doit pas s’effrayer de l’espèce de convulsion que pourra produire la dissolution de la législature, ni même l’influence que les ministres du Roi pourraient avoir dans les élections ; ces cas de dissolution seront rares, la forme de nos élections ue prêtera ni au tumulte ni à la corruption qui déshonorent les élections anglaises, et les lumières qui se répandront de plus en plus dans toutes les classes de citoyens s’opposeront aux effets nuisibles que produit quelquefois la dissolution du parlement britannique. D’ailleurs, quand bien même il y aurait des inconvénients, ils ne sont certainement pas comparables à ceux du refus de l’impôt ou de l’insurrection, que plusieurs nations ont été obligées de déclarer légitime. Mais toutes ces précautions ne suffises pas encore pour assurer la nation contre la tendance de tous les pouvoirs à accroître leur autorité ; il lui faut un moyen de corriger les abus qui se glissent dans les meilleures institutions et de suivre même, pour améliorer sa Constitution, le progrès des lumières que le temps amène toujours avec lui, et ce moyen est fort simple : il faut qu’à des époques déterminées, une convention nationale, composée de représentants choisis pour cette unique fonction, vienne examiner la Constitution et y apporter les modifications nécessaires. Un écrivain célèbre, philosophe profond et patriote vertueux (1), a fixé cette période à vingt ans, afin que chaque citoyen ait la presque certitude de consentir une fois dans sa vie aux lois qui le gouvernent ; cette détermination doit encore être l’objet d’un examen approfondi ; mais il est hors de doute que cette faculté réservée à la nation est de droit, et nécessaire pour maintenir sa liberté contre les erreurs et les fautes de la législature ordinaire. Il m’aurait paru convenable de discuter ces différentes questions avant de prononcer sur aucune ; elles se tiennent toutes, et chacune a beaucoup d’inlluence sur les autres ; cependant pour obéir à l’ordre de délibération que vous avez arrêté, je dirai en me résumant, sur l’article seul de la sanction royale, qu’elle me paraît utile, et qu’il doit être établi par la Constitution que le Roi, lorsqu’il jugera convenable de la refuser, pourra suspendre la promulgation de la loi jusqu’à ce que la législature renouvelée, soit dans le temps ordinaire, soit par une dissolution, ait apporté l’expression de la volonté générale, à laquelle toute autre volonté doit céder lorsqu’elle s’est fait entendre. Quant à la seconde branche de la question, si la sanction royale sera nécessaire pour la Constitution, je pense avec le comité que la Constitution étant l’acte qui détermine les différents pouvoirs, ne doit point y être soumise. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE DUC DE LANG RES. Séance du jeudi 3 septembre 1789, au matin (2). Il a été fait mention des délibérations et des adresses d’adhésion ou de félicitation des officiers municipaux delà ville de Bar-sur-Aube en Champagne ; des gardes de la prévôté de l'hôtel du Roi ; du comité général et national de la ville de Pont-l’Evêque ; de la viguerie de Toulon ; de la noblesse des sénéchaussées de Bergerac, Sarlat et Périgueux ; de la ville de Loches en Touraine ; (1) M. le marquis de Condorcet, dans un petit ouvrage intitulé: Sur la Nécessité de faire ratifier la Constitution par les citoyens, el sur la formation des communautés de campagnes , et qui a paru le mois dernier. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 550 [Assemblée nationale.] des officiers du siège royal et principal de la Basse-Marche, établi en la ville du Dorât, et de ceux de la sénéchaussée delà Basse-Marche, séant à Bellac ; delà municipalité de Monchampsen Poitou ; des officiers municipaux de la ville de Thouart; des communes de la Marche ; de la Gar-nache en Bas-Poitou ; de tous les citoyens de la ville et campagne de Beaufort en Anjou ; de la ville de Charlieu en Lyonnais ; de la ville de Moyenvic ; du comité permanent de la ville de Tours ; de la ville de Compiégne ; des officiers de la justice de Cosne-sur-Loire; du corps municipal de Mabrien en Languedoc; du comité permanent du district de Quincey en Franche-Comté ; de la ville de Mées ; de tous les citoyens de la ville de Gardanne en Provence, et de la ville de Saissac en Languedoc. MM. les secrétaires ont rendu compte de différentes lettres: 1° de M. Tascher, président au parlement de Metz, qui fait hommage à la nation d’un brevet de pension de 1 ,200 livres, et demande qu’une autre pension de 800 livres placée sur sa tète, soit transférée sur celle de sa mère âgée de plus de quatre-vings ans ; 2° de M. le comte de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre ; 3° du sieur Mongeot, directeur d’une instruction gratuite en faveur des ouvriers de Paris; du sieur deMarcombe, de Tours; du sieur Aubry, médecin ordinaire du Roi, qui demande le titre de médecin de l’Assemblée nationale ; enfin, des procès-verbaux de la prestation de serment du premier bataillon de Bassigny, et du bataillon auxiliaire en la ville de Port-Louis enBaetagne; de la prestation de serment des troupes en garnison à Montpellier, et de l’assemblée de la noblesse de la Basse-Marche, qui renouvelle les pouvoirs de son député à l’Assemblée nationale, et l’autorise à délibérer sur tous les objets qui seront proposés. La liste des membres qui ont été élus par les généralités, pour composer le comité des droits féodaux, a été lue à l’Assemblée. 11 a été aussi donné lecture du procès-verbal de la séance du 31 au matin ; et quelques difficultés s’étant élevées au sujet de la rédaction de ce procès-verbal, dont la réforme entière avait été demandée, l’Assemblée a été aux voix, et a décidé que le procès-verbal ne serait point réformé, sauf quelques légères corrections. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion relative à la sanction royale. M. Crénière. La question que nous agitons a donné lieu à des discussions très-savantes ; l’on a opposé des systèmes à des systèmes contraires ; des opinions différentes à d’autres opinions; les gouvernements ont été jugés; tous les peuples ont été appelés en témoignage ; en un mot. on a tout dit, excepté la vérité, oui, Messieurs, tout dit excepté la vérité; et je vais la faire entendre ; et si mes efforts ne sont pas vains, je ne me plaindrai pas delà tâche qui m’a été laissée. L’on doit d’abord s’apercevoir de la différence qu’il y a entre te veto et la sanction, comme de celle qu’il y a entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; l’un, dit-on, appartient au peuple, l’autre est confié au Roi. L'on avoue ensuite que le peuple a le droit de faire des lois, et que le Roi est chargé de les faire exécuter. Je conclus de tout cela qu’il faut s’armer contre l’évidence meme pour vouloir investir du droit de veto le pouvoir exécutif. 11 est aussi absurde de soutenir une pareille thèse, qu’il le serait de dire : Puisque vous [3 septembre 1789.] accordez au pouvoir exécutif le droit d’empêcher le pouvoir législatif de faire des lois nouvelles, il faut aussi, par une juste réciprocité, que le pouvoir législatif puisse empêcher le pouvoir exécutif de faire exécuter les lois anciennes ; car ces deux pouvoirs étant égaux, ils doivent avoir la même influence, et de là il résultera un très-bel ordre de choses. Mais, dit-on, nous n’accordons pas ce droit, il appartient au Roi; il est partie intégrante du pouvoir législatif. Mais alors que pourra donc le pouvoir législatif s’il ne peut faire des lois? et qu’est-ce qu’un pouvoir qui ne peut rien ? qu’est-ce qu’un Corps législatif qui peut décréter et qui ne le peut pas ? qu’est-ce qu’un législateur qui veut, et un roi qui ne veut pas ? Que l’on m’explique donc toutes ces contradictions! En attendant, je raisonne ainsi : Personne n’a le droit d'empêcher une nation de faire des lois ; une nation peut faire une Constitution, doue personne n’a le droit de l’en empêcher. Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai démontré qu’aucune aulori té n’est légitime qu’autant qu’elle est nécessaire; que le Roi n’en doit avoir qu’autant qu’elle est suffisante pour défendre notre liberté, et non pour l’attaquer. Eh ! que serait le Roi, s’il pouvait tout contre la nation, s’il pouvait rendre nul à son gré le pouvoir législatif? Souvenez-vous que la souveraineté réside dans le peuple, souvenez-vous que vous avez ordonné la responsabilité des ministres; souvenez-vous aussi des effets du veto, et demandez-vous à vous-mêmes s’il est nécessaire. Le Roi ne pmt empêcher l’exercice du pouvoir législatif. 11 me reste à démontrer s’il faut adopter le veto suspensif. Le Roi ne peut connaître les limites de son autorité qu’après avoir ratifié et sanctionné la Constitution ; que l’on ne s’y méprenne pas : j’entends par sanction l’acte par lequel le souverain s’oblige à la faire publier et la faire exécuter. Je ne distin-ue ici ni le veto absolu ni le veto limitatif ou moitié. Je discute les principes. Ainsi, nous disons tous que la loi est l’expression de la volonté générale; mais chacun adapte cette définition à son système. Les uns entendent la volonté manifestée par des députés ; et c’était là le système des représentants ; d’autres veulent que l’on ajoute la volonté du prince, et, selon eux, l’Etat sera libre ; d’autres enfin veulent un sénat, et le peuple français, dit-on, sera le peuple le plus heureux de la terre. Mais je définis ainsi la volonté générale : c’est celle de la majeure partie des citoyens français. Il est impossible de reconnaître deux volontés générales, et cependant il y aurait celle du peuple et celle du prince; mais il est possible de recueillir les voix des citoyens, et cela vaut mieux que de s’en rapporter à celles des représentants et du Sénat. Or, alors il n’est nullement question de veto ; ce n’est donc que dans le cas où la volonté générale qui fait la loi est maintenue, d’autant qu’il peut y avoir de la difficulté. Or, on considère dans quel embarras jette le désordre de vos délibérations celui qui met de l’ordre dans ses idées. Le veto sera donc conditionnel, et je m’explique. Si le peuple jouit de la liberté de faire des lois, il en doit jouir sans aucune restriction ; si le peuple n’en jouit que par ses représentants, il n’aura pas alors usurpé le pouvoir législatif, et